Mémoire d’Athènes La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Mémoire d’Athènes

Matinales athéniennes, moments furtifs. Nos vielles peluches sont parfois de la partie, tout comme nos touristes ou nos politiciens du mois de mai. Sous un soleil de plomb devant la tombe du Soldat Inconnu, on commémore la bataille de Crète, rapide évocation de l’invasion allemande de bien triste mémoire, c’était en mai 1941. Soleil imparable d’Attique, et qui lave même les réalités, celles de la ville, les nôtres, et peut-être bien autant celles de l’histoire.

Touristes en fin de matinée. Athènes, mai 2019

Réalités donc, de la ville et alors les nôtres. Dans le désordre, immeubles à vendre, maisons déjà acquises, agences immobilières faisant la promotion du visa accordé aux acquéreurs étrangers comme aux autres, parfois blanchisseurs criminels financiers du dit vaste monde. Civilisation en fonds perdus. Et on n’aurait pas pour l’instant touché le fond, paraît-il.

Dans la foulée, les Grecs s’empressent devant les tribunaux compétents… pour notifier leur refus d’hériter les biens immobiliers de leurs aïeux. Paupérisés, ils ne peuvent plus faire face aux impôts, aux taxes et encore moins aux frais qui en découlent. Dans certaines régions, rien qu’en quatre mois, les déclarations sur l’année 2019 en cours, excèdent alors en nombre, celles enregistrées sur l’ensemble de l’année 2018, presse grecque du 13 mai 2019. Soleil… ainsi imparable de la Grèce.

Ensuite, il y a toute cette actualité en fausses nouvelles, fabriquée par les médias et par les politiciens quant à la prétendue reprise de l’économie grecque. Actualité qui relève de plus en plus d’un autre système solaire, voire, plutôt lunaire. La semaine dernière, le salopard (politique) Aléxis Tsípras a même annoncé tout une série de fausses mesures, qui plus est, présentées comme populaires, à savoir et essentiellement, une certaine baisse de la TVA de manière sélective, doublée d’un “cadeau” de 300€ à 500€ par an au bénéfice des retraités, ceci bien entendu, à quelques jours du pseudo-scrutin européiste du 26 mai. Civilisation en fonds perdus.

Peluches. Athènes, mai 2019
De la prédation… immobilière. Athènes, mai 2019
Saisies et liquidations. De la prédation… immobilière. Athènes, mai 2019

Dans les rues d’Athènes, de nombreux immeubles, même ceux en bien piètre état sont à vendre. D’autres encore, alors bâtiments d’habitation élevés dans les années 1950 à 1970 ayant signifié non sans une certaine fierté l’accession à la propriété pour la classe moyenne naissante, eh bien, ils se transforment en petits hôtels, ou en… continuums d’Airbnb. Le… polype Airbnb se repend-il ainsi partout, méta-capitalisme ainsi usurier et d’abord usurpateur.

“Quelle résistance les habitants de la capitale ont-ils eue pour sinon, protéger leur mode de vie et leurs biens ?” La question n’est pas rhétorique, elle est même désormais posée par certains éditorialistes de la pesse, cette semaine par exemple.

Et la réponse qui suit, n’a rien de rhétorique non plus. “À l’occasion des élections municipales, quelques réflexions me sont venues au sujet de l’abandon du centre-ville d’Athènes et de certains des quartiers historiques qui l’entourent. Ces réflexions, elles ont ainsi été provoquées bien sûr au contact des brochures luxueuses, préélectorales et élégantes des candidats, ainsi que des programmes des candidats aux fonctions de maire. Je dirais que leur lecture, laisse plutôt un fort sentiment d’appartenance à… bien d’autres villes, comme à d’autres problèmes que ceux d’Athènes.”

“Athènes est une ville en grande partie inconnue pour tous ceux qui décident d’en parler de la sorte. Le manque de présence des résidents est visible à l’œil nu, car ses rues sont à moitié vides, sans voitures, et de nombreux immeubles restent sans lumière la nuit. La fréquentation des squares, des enfants qui jouent comme tant d’autres activités urbaines connexes, c’est alors ce… conglomérat historique, que les Grecs actuels ne perçoivent aujourd’hui qu’uniquement et pareillement à une filmographie documentaire, à travers notamment les films en noir et blanc du vieux cinéma grec.”

Immeuble à vendre. Athènes, mai 2019
Immeuble vendu et transformé en hôtel. Athènes, mai 2019
Maison vendue et restaurée. Athènes, quartier de l’Acropole, mai 2019

“Certes, il y a ces reportages faussant les réalités, et en ce moment ils sont pléthore. Ils font état de la prétendue ‘Renaissance du centre-ville’, de ‘nouveaux lieux de rencontre pour les jeunes’, de ‘promenades dominicales sous l’ombre du Parthénon’, de ‘visites accrues des sites archéologiques et des musées’, de sorte que l’on se dit que la ville est alors habitée par des étudiants en Lettres. Le tout, essayant de nous convaincre des effets d’une cosmogonie actuelle et imminente. Grâce à elle, le centre historique de la ville ira bientôt renaître. Hélas, la vérité se situe alors très loin. Et la vérité, c’est qu’Athènes se périt sous l’effet d’un voile de silence assourdissant, semblable à celui accompagnant alors la nécrose de tout organisme vivant. Et nous allons bientôt découvrir quels sont donc les… initiateurs d’une telle nécrose.”

“Je me demande pourquoi les Grecs sont-ils partis. Comment sinon peut-on expliquer autrement, tant de maisons fermées, mais aussi tant d’autres, mises à la disposition des nouveaux habitants du centre, en particulier les migrants Considérons bien entendu que leurs conditions de vie évoluaient vers le pire pour les Grecs. Quelle résistance ces habitants ont-ils eue pourtant pour protéger leur mode de vie et leurs biens? Qu’ont-ils fait sinon pour les soutenir, leurs représentants élus au niveau local, puis l’État, ou encore les organismes régionaux compétents, voire, même les médias ?”

Grecs et… rescapés de leur quartier. Athènes, mai 2019
Prospectus d’un candidat au Conseil municipal. Athènes, mai 2019

“Comment se fait-il alors que dans ces quartiers, des Grecs, ils subsistent seulement les personnes âgées et en détresse ? Et que peut-il signifier toute cette mutation pour le psychisme de ceux ayant déménagé ? Il y a aussi en cette situation quelque chose de cruel ou d’inhumain. Comment leurs habitudes quotidiennes ont-elles été affectées dans leurs nouveaux quartiers ? Puis, pour tous ces anciens quartiers vivants de la ville, n’est-il peut-être gênant que de ne plus voir un seul kiosque, si ce n’est que tous les deux kilomètres, ni même un seul passant ?”

“Comment sinon vivre et travailler, quand on est dépossédé des représentations acquises dès le plus jeune âge dans son quartier, sans pour autant pouvoir les remplacer par de nouvelles?”, quotidien “Dimokratía” du 12 mai.

Meeting pour les élections locales et régionales. Athènes, mai 2019

Les temps courent… les peuples s’enlisent. Notre actualité en fausses nouvelles, fabriquée et mal ficelée par les médias et par les politiciens quant à la prétendue reprise de l’économie grecque, Aléxis Tsípras et ses fausses mesures comprises, ne parviendra plus à ôter l’amertume, voire, le poison qui se repend partout entre vie prétendument publique ou encore supposée privée.

Place Sýntagma, c’est-à-dire, de la “Constitution”, mille fois violée et bafouée, le “parti politique” d’Aléxis Tsípras a osé installer son stand, de même que celui de son candidat pour la ville d’Athènes. “L’heure est venue, celle du plus grand nombre, et nous avons la force pour”, peut-on lire, slogan Syrizíste, mensonge à répétition, hybris et surtout dégoût.

Trois cent mètres plus loin seulement, les Athéniens forcément anonymes se recueilleront toujours devant les lieux de mémoire que constitue le bâtiment situé au 23 de la rue Stadíou. Ces anonymes en ont fait depuis 2010, un authentique lieu de mémoire, jamais officialisé bien entendu par le pouvoir. Ils y déposèrent leurs messages, leurs fleurs, leurs dessins, en somme, toute leur douleur et autant indignation. Même si depuis 2017, le bâtiment avait été refait… pour accueillir désormais… la boutique d’une enseigne… mondialisatrice, spécialisée dans la commercialisation des articles de sport. Et trois cent mètres encore plus loin, des retraités de la Banque Nationale de Grèce, banque qui n’est ni nationale ni de Grèce actuellement, manifestent-ils dans le désespoir devant il faut dire, l’énième diminution de leur pensions. L’heure est venue, celle du plus grand nombre bien entendu.

L’heure est venue. Slogan et mensonge Syrizíste. Athènes, mai 2019
Lieu de mémoire. Au 23 de la rue Stadíou. Athènes, mai 2019
Retraités de la Banque Nationale et manifestants. Athènes, mai 2019

C’était alors le 5 mai 2010, l’incendie criminel de cette succursale de la banque chypriote Marfin, rue du Stade, à Athènes, faisant trois morts, dont une femme enceinte. Ces décès suscitent aussitôt une vague d’indignation dans tout le pays. En juillet 2013, trois responsables de la banque Marfin sont condamnés à des peines d’emprisonnement avec sursis pour négligence et homicide involontaire. Les auteurs directs des faits sont restés impunis, des témoins ont été menacés, l’affaire a été en somme étouffée. Depuis, une certaine vie a pu reprendre comme toujours, on anime de débats littéraires dans le même quartier, comme on distribue des tracts au sujet des élections dites “européennes” : “L’Union européenne, Paradis ou alors Enfer ?” Bonne blague.

C’était donc ce 5 mai alors maudit de 2010. La rue Stadíou était remplie de gens qui manifestaient dans l’une des plus importantes manifestations dans la capitale, contre l’adoption imminente du premier protocole signé entre la Troïka et le “gouvernement” Papandréou. Soudain, de cette foule, se détache un groupe de douze personnes cagoulées qui se dirigent vers la librairie “Ianos” et vers l’agence de la banque “Marfin Bank”. Ces individus cagoulés brisent alors les fenêtres et lancent à l’intérieur de nombreux cocktails Molotov.

Chez Marfin, huit employés de la banque resteront piégés à l’intérieur qui est ravagé par le feu et où une épaisse fumée rend l’air irrespirable, puisque la seule issue de sortie restera verrouillée, d’autres issues possibles, tout comme l’arrivé des secours ont été entravées par des “manifestants”. Des employés joignent leurs proches par téléphone… pour leur dire adieu, tandis que d’autres, ils essaient de repérer une fenêtre pour sauter si possible du côté de la rue. Cinq employés ont été sauvés par les pompiers, mais pas tous. Trois jeunes employés et un enfant qui n’était pas encore né ont-ils trouvé la mort: Épaminondas Tsakális (36 ans), Paraskeví Zoúlia (35 ans) et Angelikí Papathanassopoúlou (32 ans), enceinte.

J’y étais presque au moment des faits, je me trouvais de l’autre flanc de la manifestation, à trois cent mètres de la rue Stadíou. La nouvelle a été aussitôt diffusée très rapidement entre nous. Nos cœurs, nos réactions, ont été figés, et ce fut le premier des chocs apportés à la Résistance des Grecs contre le nouveau Régime de la Troïka. Hystérie imposée, collective… comme collectée. De même que bien plus tard, lors de l’incendie volontaire ayant causé plus de 100 morts à Mati près d’Athènes en juillet 2018, le trauma est immense, les politiciens dont surtout Tsípras ont sciemment menti dès le soir du crime quant aux morts déjà connus mais occultés par les médias, rien pour permettre à Tsípras tout un show télévisé, macabre et ignoble.

L’Union européenne, Paradis ou Enfer ? Athènes, mai 2019
Débat littéraire. Athènes, mai 2019
Petit… commerce. Athènes, mai 2019
Au sujet du crime perpétué à Mati. Athènes, mai 2019

Athènes, quelque part déjà… ville morte. Et elle est morte, parce que la seule activité qui se développe actuellement dans la plus grande partie de son centre, à part le tourisme, a trait à une illégalité et criminalité alors incontrôlables. Le tout, sous une misère galopante et qui se nourrit des vagues gonflées de tant de naufrages humains, désormais marginaux et antisociaux bien entendu.

Des quartiers, qui récemment encore étaient vivants, ils ont à leur tour sombré, et ils se sont transformés en baraquements, zones de guérilla urbaine, ou sinon, en cimetières du petit commerce. Même non loin de la place Kolonáki, quartier historiquement bourgeois d’Athènes, c’est plutôt la tristesse qui prévaut. Graffitis, volets fermés, magasins murés, saleté, abandon. Et on a parfois du mal à cheminer dans une telle ville. En fait, Athènes se compose désormais d’îlots scindées, où seulement on se sent parfois autorisé à se déplacer et encore.

Athènes-centre, souvent limitée à sa zone piétonne et touristique sous l’Acropole, et tout le reste de sa destinée humaine, demeurant plutôt dans une zone crépusculaire. Airbnb achèvera le processus alors comme ailleurs, en Europe et dans le monde, réalités donc, celles de la ville et ainsi les nôtres. “Le tourisme a besoin de toi”, comme le fait-elle remarquer cette affiche issue des syndicats des travailleurs dans le domaine du tourisme pour dénoncer le travail dur et mal payé.

La bataille de Crète commémorée. Athènes, mai 2019
Le tourisme a besoin de toi. Athènes, mai 2019
Matinales athéniennes, moments furtifs, animaux adespotes. Athènes, mai 2019

Sous un soleil de plomb devant la tombe du Soldat Inconnu, on a commémoré la bataille de Crète, rapide évocation de l’invasion allemande de bien triste mémoire, c’était en ce lointain mai 1941. Mémoire aussi d’Athènes en quelque sorte.

Nos vielles peluches sont parfois de la partie, tout comme nos touristes ou nos politiciens du mois de mai. Matinales athéniennes, moments furtifs, animaux adespotes. Civilisation humaine !

Animal adespote. Athènes, mai 2019

* Photo de couverture: La bataille de Crète commemorée. Athènes, mai 2019

rédaction

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