« Être dans une prison plus que dans une ville libre »

Athènes en état de siège, quadrillée par une police militarisée. Si l’histoire ne se répète jamais à l’identique, « La dictature ne s’est pas finie en 1974 » ressemble à tout sauf à un slogan poussiéreux. Car en cette fin d’année 2020, un nouveau stade autoritaire a été franchi en Grèce. Sous couvert de « la santé et de l’ordre public », l’État a étouffé deux moments forts des luttes.

Dans l’histoire de la Grèce, le 17 novembre 1973 et le 6 décembre 2008 symbolisent les meurtres et les violences d’État. La première date correspond au soulèvement étudiant de l’École Polytechnique d’Athènes durant la dictature des Colonels (1967-74) réprimé dans le sang et la torture systématique. La deuxième coïncide avec le meurtre par un policier de l’adolescent Alexis Grigoropoulos dans le quartier athénien d’Exarcheia, un drame qui déclencha des semaines d’émeutes dans tout le pays.

Alexandros Katsis est photographe indépendant et a l’habitude d’être confronté à la police lors de ses reportages. Le 6 décembre dernier, la confrontation a même été physique à Exarcheia, où certains policiers arboraient l’insigne de la Wehrmacht. Le photographe souligne que ce n’est pas la première fois « que les fascistes et la police, qui travaillent parfois ensemble, nous frappent dans les rues ». Et d’ajouter : « Quand la pression sociale grandit et que nous couvrons la brutalité policière, on fait face à la violence. J’ai peur mais je ne peux pas rester à la maison, alors je retourne dans la rue. »

Le 6 décembre à Exarcheia, un policier lance une grenade assourdissante dans le hall d’un appartement.

« Il n’y a pas de vie et de santé sans liberté »

Comme lors du 17 novembre dernier, l’État grec avait prévu les grands moyens : drones, hélicoptères, forces spéciales anti-terroristes, policiers prêts à appuyer sur la détente, unités en moto, canons à eau… Au moins 4 000 policiers étaient mobilisés à Athènes. Hors de tout cadre constitutionnel, une annonce ministérielle a interdit les manifestations et les rassemblements partout en Grèce. « J’étais chez un ami et il y avait un hélicoptère au-dessus de nous. Ça montre le développement de la surveillance de l’Etat. J’avais davantage l’impression d’être dans une prison que dans une ville libre », raconte Alexandros. Dans la capitale, 374 personnes souhaitant rendre hommage au jeune Alexis ont été arrêtées. Les policiers occupaient le lieu du crime commis en 2008, l’un d’entre eux n’hésitant pas à détruire des fleurs laissées en mémoire du défunt.

En pleine pandémie de la Covid-19, alors que près de 90 % des lits en réanimation étaient occupés en décembre, l’État grec a reçu une commande de 31 millions d’euros d’équipement policier. Le sociologue Konstantinos Kostopoulos affirme que « le gouvernement est tout à fait conscient que l’austérité va arriver en 2021 et il se prépare, avec ce tournant autoritaire, au réveil social »1. De nombreux tags et banderoles répondent à cette réalité dystopique en proclamant : « Il n’y a pas de vie et de santé sans liberté. » Quant à la fonction du corps policier, la professeure de criminologie Gwenola Ricordeau va droit au but : « Plutôt que de dire que la police fonctionne mal, disons au contraire qu’elle fonctionne admirablement au regard de ce qui est attendu d’elle : protéger l’État, le système capitaliste, le racisme structurel et le patriarcat. »2

Correspondance à Athènes, Nicolas Richen

Chronique « La Grèce en luttes » parue dans le mensuel L’Age de Faire, janvier 2021, numéro 158. Soutenez la presse libre !


1 Elisa Perrigueur, « Virus sécuritaire », Le Courrier, https://lecourrier.ch/2020/12/06/virus-securitaire/

2 Gwenola Ricordeau, « Mobilisations contre les « violences policières » », Lundi Matin, https://lundi.am/Mobilisations-contre-les-violences-policieres

Source https://nicolasrichen.wordpress.com/2020/12/24/etre-dans-une-prison-plus-que-dans-une-ville-libre/

rédaction

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