En Grèce, des conditions d’accueil toujours inhumaines pour les réfugiés

Par Amélie Poinssot Mediapart

Sur l’île grecque de Lesbos, un jeune Camerounais est mort dans la nuit de lundi à mardi. Plusieurs rapports d’ONG font état de conditions d’accueil dramatiques dans les camps proches de la frontière avec la Turquie. Les populations vulnérables n’ont pas accès aux soins nécessaires.

 

Chaque dimanche, c’est lui qui lisait les psaumes en anglais à l’église des environs. Sur l’île orthodoxe de Lesbos, une petite communauté catholique a grandi ces dernières années avec la population des réfugiés et des employés des organisations internationales. Originaire du Cameroun, Jean-Paul A. s’est éteint dans la nuit de lundi à mardi. Le container du centre d’accueil de Moria où vivait ce jeune homme de 24 ans n’était pas chauffé alors que le froid s’est abattu sur l’île grecque depuis quelques jours.

Cette mort brutale vient une nouvelle fois confirmer l’état délétère, en Grèce, des structures d’accueil et des centres de rétention pour les demandeurs d’asile. Régulièrement surpeuplés, sous-dotées en matériel de soins et en personnel médical, ils ne respectent pas les normes internationales et mettent cruellement à l’épreuve les populations vulnérables que constituent les femmes enceintes ou allaitantes, les mineurs non accompagnés, les personnes âgées, malades, ou encore victimes de torture ou de troubles post-traumatiques.

Publié mercredi 9 janvier, un rapport d’Oxfam dénonce précisément, à partir du cas de Lesbos et du camp de Moria, l’échec du système grec à protéger les demandeurs d’asile vulnérables. Il vient s’ajouter à la longue liste de rapports d’ONG qui déplorent, depuis des années, les mauvaises conditions d’accueil dans ce pays situé aux frontières extérieures de l’Union européenne et qui s’est trouvé, en 2015 et 2016, en première ligne de l’arrivée en Europe des exilés de Syrie, d’Irak et d’Afghanistan.

Dans le camp de Moria, à Lesbos, en novembre 2018 © Reuters Dans le camp de Moria, à Lesbos, en novembre 2018 © Reuters

L’organisation internationale de développement constate à Moria un manque critique d’accès aux soins et de nombreux dysfonctionnements dans l’enregistrement des demandeurs d’asile qui font que les personnes vulnérables ne sont pas identifiées en tant que telles : les procédures ont changé trois fois en un an, le nombre d’interprètes est insuffisant, et les délais sont extrêmement longs pour obtenir une consultation au centre médical du camp (qui dépend du ministère grec de la santé). En novembre dernier, écrit l’ONG, il n’y avait même plus de médecin affecté à Moria.

Dans ce contexte, la surpopulation du lieu est un facteur aggravant dans un pays où le secteur de la santé a été durement touché par les restrictions budgétaires en vigueur depuis neuf ans. D’après les chiffres du ministère grec de l’intérieur, au 7 janvier 2019, 8 164 demandeurs d’asile résidaient à Moria, que ce soit à l’intérieur du camp ou dans le campement informel aménagé à côté. C’est trois fois plus que la capacité de ce « hotspot », officiellement de 3 000 places. Le programme de relocalisation des réfugiés en provenance de Grèce et d’Italie, mis sur pied par la Commission européenne en 2015, n’a pas permis de soulager durablement les autorités helléniques. Fin 2018, 21 999 exilés avaient été réinstallés depuis la Grèce dans d’autres pays européens.

L’absence de solidarité européenne a des conséquences très concrètes : d’après le rapport d’Oxfam, aujourd’hui à Moria des personnes doivent attendre jusqu’en 2020 pour voir examiner leur demande d’asile. Cela signifie plus d’un an d’hébergement dans ces conditions susceptibles d’aggraver leur santé. L’ONG rapporte le témoignage d’un Ivoirien, aveugle d’un œil et souffrant de problèmes aux reins et à un genou, à qui les autorités du hotspot ont autorisé un déplacement à Athènes afin qu’il soit correctement pris en charge… « Mais c’était il y a cinq mois, dit le jeune homme, et mon transfert n’a toujours pas été organisé. »

Non seulement les personnes vulnérables n’ont pas accès aux soins ou aux conditions d’hébergement auxquelles elles ont droit (foyers spécifiques ou appartements en dehors du camp), mais les règles basiques ne sont pas respectées. Ainsi des femmes seules et des mineurs non accompagnés sont parfois mélangés avec le reste de la population. « Ces personnes, dont beaucoup ont déjà souffert d’abus sexuels ou d’expériences traumatiques, risquent une sérieuse détérioration de leur santé mentale si elles sont forcées de vivre dans une peur constante », écrit Oxfam.

Problème : les personnes qui ne sont pas identifiées comme vulnérables au moment de l’examen de leur demande d’asile voient leur dossier entrer ensuite dans une procédure de traitement rapide. Elles courent le risque d’être renvoyées en Turquie en raison de l’accord négocié par l’Union européenne avec le pays d’Erdogan en février 2016.

Dans le camp informel qui jouxte le centre d’accueil de Moria et que les habitants de l’île ont surnommé l’Oliveraie, les conditions de vie décrites par Oxfam sont encore plus déplorables. Scorpions, rats et serpents se baladent alors que les gens dorment sous tente à même le sol. Plusieurs dizaines de personnes sont obligées de partager un même W-C. À Moria et aux alentours, des cas fréquents de diarrhée et d’infections cutanées ont été observés.

95 personnes dans une cellule

La période hivernale ayant commencé, les risques de maladie et d’accidents se multiplient. Les résidents du camp n’ont pas accès à l’eau chaude, et ceux qui sont sous tente ont parfois installé des petits chauffages de fortune sous leur toile. Les gens sont en outre obligés de faire la queue dehors parfois pendant des heures lors des distributions de repas.

Contactées par Mediapart, plusieurs personnes qui ont eu accès au campement ces derniers jours nous ont expliqué qu’il y avait également de fréquentes coupures d’électricité et que de nombreux bâtiments n’étaient pas chauffés correctement. Elles nous ont confirmé avoir été en contact avec de nombreuses personnes présentant des problèmes de santé.

Ce diagnostic accablant n’est malheureusement pas le premier. En septembre, l’International Rescue Committee (IRC) et Médecins sans frontières s’étaient alarmés de l’état de la santé mentale à Moria. Trois mois plus tôt, c’était Human Rights Watch (HRW) et le Comité européen pour la prévention de la torture et des traitements inhumains ou dégradants (organisation dépendant du Conseil de l’Europe) qui faisaient état des conditions de détention des migrants, ciblant cette fois les établissements du nord-est de la Grèce situés à proximité de la frontière terrestre avec la Turquie.

L’organisation IRC, qui assure dans le camp de Moria un travail constant depuis 2015 avec à l’heure actuelle une équipe de neuf personnes, dont quatre psychologues, mettait l’accent dans son rapport sur les tendances suicidaires des personnes hébergées sur place. Sur les 126 patients qu’elle prenait en charge, elle notait que 29 % d’entre eux avaient fait une tentative de suicide et que 64 % souffraient de dépression.

IRC révélait en outre l’importance des violences sexuelles et de genre à l’intérieur de Moria. La moitié de ses patientes, mais aussi 33 % des hommes qu’elle suivait, ont dit en avoir été victimes. Une information à mettre en parallèle avec la décision de la municipalité de Lesbos prise cet été : les réfugiées et demandeuses d’asile ne sont plus acceptées dans son foyer d’accueil pour les femmes victimes de violences, à l’exception de circonstances « extrêmes » et pour un séjour maximum de deux jours…

Les résidents de Moria vivent dans un climat anxiogène où les agressions sont légion, alors qu’ils ont rejoint l’Europe pour justement fuir la violence dans leurs pays. « Les demandeurs d’asile avec des problèmes de santé mentale et les personnes ayant subi des violences sexuelles ne peuvent pas trouver les soins dont elles ont besoin à Lesbos, écrit IRC. Mais elles n’ont d’autre choix que de rester là, dans des conditions qui exacerbent leur santé mentale. »

Les conditions d’hébergement dans le camps de Lesbos, peut-on encore lire dans le rapport, « ne se sont pas améliorées depuis novembre 2016, lorsqu’une femme et sa petite fille ont été tuées à Moria parce que la bouteille de gaz qu’elles utilisaient pour cuisiner a explosé dans leur tente ».

De son côté, MSF mettait l’accent sur la souffrance des enfants dans le camp, constatant chez eux des phénomènes d’automutilation et des tentatives de suicide. D’autres, expliquait l’ONG, sont touchés par du mutisme, des crises de panique ou d’anxiété, ou des excès d’agressivité. « C’est la troisième fois cette année que MSF appelle les autorités grecques et celles de l’UE à prendre leurs responsabilités suite à leurs échecs collectifs », regrettait la cheffe de mission de l’organisation en Grèce, Louise Roland-Gosselin.

Au début de l’été, deux rapports successifs de HRW (ici et ) revenaient sur les conditions d’accueil « inhumaines » observées dans le nord-est de la Grèce. Dans cette région, il n’y a pas de hotspot comme sur l’île de Lesbos, mais différents commissariats le long de la frontière ainsi qu’un centre de rétention, à Fylakio. Aucun de ces endroits ne respecte les normes internationales en vigueur. Ils sont caractérisés par un surpeuplement régulier et un mélange des populations, ce qui rend le séjour particulièrement difficile pour les femmes et les filles.

L’ONG publiait ainsi le témoignage de différentes femmes qui se sont retrouvées à partager pendant plusieurs semaines un même espace avec une majorité d’hommes avec qui elles n’avaient aucun lien de parenté. Elle racontait notamment l’histoire de Maha, une Irakienne restée pendant plus de deux semaines avec son compagnon dans une cellule où résidait une soixantaine d’hommes.

Le Comité européen pour la prévention de la torture, quant à lui, faisait état de conditions « inacceptables » pour la partie rétention de Moria ainsi que pour le centre de rétention de Fylakio, alors que d’autres établissements, dans le pays, présentent des conditions tout à fait correctes (notamment ceux d’Amygdaleza, proche d’Athènes, et de Pyli, sur l’île de Kos). À Fylakio, il a ainsi pu observer une cellule occupée par 95 étrangers, dont des familles avec enfants, des mineurs non accompagnés, des femmes enceintes et des hommes seuls. Il en résultait un espace d’un mètre carré par personne en moyenne. Le Comité notait également un manque d’accès aux soins et remarquait qu’aucune amélioration n’avait été faite pour combler le manque d’interprète depuis sa dernière mission, en 2016.

Au total, sur l’ensemble du territoire grec, plus de 50 000 demandeurs d’asile sont en attente du traitement de leur dossier. D’autres routes migratoires se sont recréées depuis 2016, s’orientant davantage vers l’Italie et l’Espagne, et la Grèce est sortie des radars médiatiques. Mais elle n’est pas sortie d’affaire. Depuis le début de l’année, d’après les chiffres du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNCHR), 259 personnes sont déjà arrivées sur le sol grec en provenance de la Turquie. Toutes les ONG le soulignent : il est plus que jamais nécessaire d’activer les mécanismes européens de solidarité et de réformer le système de Dublin afin de soulager la péninsule hellénique.

Source https://www.mediapart.fr/journal/international/100119/en-grece-des-conditions-d-accueil-toujours-inhumaines-pour-les-refugies?page_article=2

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