Austérité et déficits budgétaires

Comment l’austérité renforce structurellement les déficits budgétaires par CADTM , Collectif , Gilles Grégoire

Le 31 mars, la Belgique a emprunté 8 milliards sur les marchés financiers pour combler le déficit de financement de ce mois. Selon la BNB et le Bureau fédéral du plan, la dette publique pourrait atteindre 115 % du PIB en 2020. Or, non seulement ces montants prévisionnels sont sous-évalués mais, en plus, une large part de cette nouvelle dette sert, comme après la crise financière de 2008, à sauver le monde de la finance d’un effondrement qu’il a lui-même provoqué avec le concours des banques centrales et des États [1]. Face à cette flambée de l’endettement, plusieurs responsables politiques ont déjà prévenu que de nouvelles mesures d’austérités seront « nécessaires » une fois la tempête passée. Or, comme beaucoup d’autres organisations, nous avons déjà démontré très clairement que l’austérité ne permet aucunement de réduire la dette [2]. Pire encore, elle aggrave le problème en affaiblissant les recettes de l’État à cause des pertes fiscales qu’elle induit et à cause des privatisations qui privent les finances publiques de dividendes importantes. C’est ce que démontre ce texte extrait du Cahier de revendications communes sur la dette et la nécessité d’un réel contrôle citoyen sur la finance au niveau européen coordonné par le CADTM et publié en mars 2020.

 

Avec l’austérité, c’est l’assiette fiscale publique qui est gravement touchée. Les États ont, en théorie, la compétence exclusive en matière fiscale et pour réduire leur déficit. Ce sont eux qui définissent les mesures à prendre pour atteindre les objectifs budgétaires définis par les traités. Néanmoins, en pratique, depuis que la Commission s’est vue accorder le droit d’émettre des « recommandations » sur les comptes publics et sur les réglementations sociales, elle pousse les États à une réelle orthodoxie néolibérale qui a également un impact fiscal. Un impact direct puisque ces recommandations, visant à la compétitivité et à la croissance, encouragent les États membres à appliquer des mesures fiscales devant libérer davantage les grandes entreprises de l’impôt, quitte à augmenter les charges fiscales des PME, des indépendant·e·s et des ménages et à réduire les recettes publiques alors même que l’objectif déclaré est de remettre à l’équilibre les comptes publics [3]. Et un impact indirect en réduisant les revenus imposables de l’essentiel des acteurs économiques.

Les mesures d’austérité contraignent en effet les États à réduire leurs effectifs dans les administrations, ce qui affaiblit notamment les services de collecte de l’impôt qui deviennent de plus en plus inaptes à lutter contre l’évasion fiscale. Cela alors même que les cabinets d’audit qui l’organisent se renforcent de plus en plus, souvent même avec le concours des États eux-mêmes (voir chapitre 3).

Bien que les États tendent à augmenter la pression fiscale sur les travailleurs/euses, les recettes issues des impôts sur les personnes physiques n’augmentent que très peu. En effet, premièrement, la progressivité injuste de l’impôt, outre le fait qu’elle grève les revenus nets des ménages les plus précaires, ne permet pas de percevoir l’argent où il est, c’est à dire chez les ménages les plus aisés. Deuxièmement, comme évoqué précédemment, les nouvelles réglementations sur le travail créent des contrats précaires et sous-payés. Or, qui dit moins de revenus pour les salariés dit (sauf augmentation des taux) moins d’impôt prélevés par l’État. Et la précarisation des salaires est telle que même l’augmentation de la pression fiscale peine à maintenir les recettes d’impôt sur les ménages. Pour ce qui est des impôts prélevés sur les revenus des entreprises, la logique est semblable : les PME et les indépendant·e·s ont tendance à voir leurs charges fiscales augmenter alors que, sous prétexte de « compétitivité » et de recherche de création d’emplois (absolument illusoires vu les pressions de l’actionnariat à réduire les emplois et vu que l’essentiel du salariat est porté par les PME), les charges fiscales sur les grandes entreprises fondent. Globalement, vu les différences énormes de progression des chiffres d’affaires, les revenus issus de l’impôt sur les entreprises sont également dérisoires par rapport à ce qu’ils devraient normalement être avec une fiscalité juste. Ces différences de progression de chiffres d’affaires sont aggravées par le contexte austéritaire qui paralyse la consommation. En effet, ce sont également avant tout les PME et les indépendant·e·s qui payent cette stagnation de la consommation vu les moyens de concurrence déloyaux détenus par les grandes entreprises qui leur permettent de vendre leurs produits et services à prix cassés.

Cela nous amène à une autre illusion brisée : toutes ces baisses d’impôts ne permettent aucunement de « relancer la consommation » [4] et donc d’augmenter les revenus de l’État via des impôts indirects tels que la TVA. Vu le décrochage des revenus de la majeure partie de la population par rapport à l’inflation, les niveaux de consommation n’ont presque pas augmenté depuis la crise [5] et malgré les hausses de taux de TVA et le maintien de taux injustes (parfois sur des biens et services de première nécessité tels que l’électricité, les accessoires hygiéniques ou encore les lunettes), la TVA ne peut prétendre compenser les déficits budgétaires.

Outre les revenus fiscaux, ce sont aussi les revenus directs issus des entreprises publiques qui ont tendance à fondre avec les vagues de privatisations. Les banques sauvées avec les deniers publics sont vendues une fois qu’elles redeviennent rentables et de nombreux « joyaux » des industries nationales, parfois hautement stratégiques [6] sont vendus au privé dans une logique ultra-court-termiste (qui plus est extrêmement risquée – pour ne pas dire complètement folle – au niveau des enjeux sociaux, sanitaire et géopolitiques) de rééquilibrage des comptes publics pour une année, au détriment de toutes les suivantes.

Enfin, les mesures de transfert de taxes (« taxshift » comme appelées dans certains pays tels que la Belgique) présentées comme diminuant la charge fiscale des ménages et augmentant leur pouvoir d’achat (alors qu’en réalité c’est avant tout le pouvoir d’achat des ménages les plus aisés qui augmente en pénalisant les plus précaires comme les chômeurs et les pensionnés) réduisent les revenus des collectivités locales qui doivent se résoudre aux Partenariats publics-privés pour leurs investissements et s’appuient sur l’augmentation d’autres taxes sur les ménages (TVA, accises, etc.) et sur des économies dans la sécurité sociale et les services publics sans pour autant compenser leur coût extrêmement élevé pour l’État, loin de là (voir chapitre 2.b.).

Dès lors, à l’évidence, le rôle de l’austérité n’est pas seulement de réduire les dépenses publiques pour soi-disant établir un équilibre budgétaire, mais de réduire globalement la place de l’État dans l’économie, conformément aux dogmes néolibéraux (voir aussi le chapitre 2.b.).


Pour aller plus loin :
Cahier de revendications communes : Sur la dette et la nécessité d’un réel contrôle citoyen sur la finance au niveau européen

Notes

[1Voir le communiqué de la Plateforme d’audit citoyen de la dette en Belgique (ACiDe) « COVID-19 et dette publique : Comment éviter que le scenario de 2008 ne se reproduise ? » : [http://www.auditcitoyen.be/covid-19-et-dette-publique-comment-eviter-que-le-scenario-de-2008-ne-se-reproduise/]

[2Lire G. Grégoire, L. Luxen et J. Cravatte, « Le gouvernement belge annonce fièrement une diminution du déficit et de la dette : un trompe-l’œil », ACiDe, 2019 : http://www.auditcitoyen.be/le-gouvernement-belge-annonce-fierement-une-diminution-du-deficit-et-de-la-dette-en-trompe-loeil/

[3C’est notamment l’objet de la publication par la Commission, en janvier 2015, des orientations sur la manière dont elle compte appliquer les règles du PSC « pour renforcer le lien entre les réformes structurelles, l’investissement et la responsabilité fiscale en faveur de la croissance et de l’emploi ». Voir : Timeline : The Evolution of EU Economic Governance, Commission Européenne – https://ec.europa.eu/info/business-economy-euro/economic-and-fiscal-policy-coordination/eueconomic-governance-monitoring-prevention-correction/timeline-evolution-eu-economic-governance_fr

[4Non pas qu’il soit souhaitable en soi d’augmenter les niveaux de consommation (et donc de production), ne serait-ce que du point de vue écologique. Il s’agirait plutôt, bien entendu, d’établir une égalité dans la distribution des biens et des services.

[5Par exemple, en Belgique, ils ont augmenté d’à peine 0,8 entre 2017 et 2018. La dernière indexation des salaires, de 2 % a été faite en le 1er septembre 2018, alors que l’inflation pour l’année 2018 est de 2,3 %. Cela creuse donc encore davantage les écarts entre les revenus des ménages et le coût de la vie alors que cette hausse des prix est particulièrement violente dans les dépenses de première nécessité, dont principalement celles liées au logement où les prix ont augmenté, dans l’UE, de 57,2 % entre 2000 et 2017 (voir chapitre 4) ou pour l’enseignement (+91,2 %), l’alimentation (+43,3 %), la santé (+40,8 %) et les transports (+39,1 %) (selon les données d’Eurostat).

[6On peut penser en premier lieu au port du Pirée dans l’Attique mais aussi aux anciennes industries publiques d’Europe de l’Ouest, qui pour beaucoup sont restées très rentables jusqu’à se qu’elles soient vendues où se sont affaiblies avec le temps, faute d’investissements publics.

Source http://www.cadtm.org/Comment-l-austerite-renforce-structurellement-les-deficits-budgetaires

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