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La Cour européenne des droits de l’homme et les hotspots grecs

Action collective

Pour la Cour européenne des droits de l’Homme, tout va bien dans les hotspots grecs

La Cour européenne des droits de l’Homme vient de rejeter pour l’essentiel la requête dont l’avaient saisie, le 16 juin 2016, 51 personnes de nationalités afghane, syrienne et palestinienne – parmi lesquelles de nombreux mineurs -, maintenues de force dans une situation de détresse extrême dans le hotspot de Chios, en Grèce [1].

Les 51 requérant.es, soutenu.es par nos associations*, avaient été identifié.es lors d’une mission d’observation du Gisti dans les hotspots grecs au mois de mai 2016 [2]. Privées de liberté et retenues dans l’île de Chios devenue, comme celles de Lesbos, Leros, Samos et Kos, une prison à ciel ouvert depuis la mise en œuvre de la Déclaration UE-Turquie du 20 mars 2016, les personnes concernées invoquaient la violation de plusieurs dispositions de la Convention européenne des droits de l’Homme [3].

Dans leur requête étaient abondamment et précisément documentés l’insuffisance et le caractère inadapté de la nourriture, les conditions matérielles parfois très dangereuses (tentes mal fixées, serpents, chaleur, promiscuité, etc.), les grandes difficultés d’accès aux soins, l’absence de prise en charge des personnes les plus vulnérables – femmes enceintes, enfants en bas âge, mineurs isolés -, aggravées par le contexte de privation de liberté qui caractérise la situation dans les hotspots, mais aussi l’arbitraire administratif, particulièrement anxiogène du fait de la menace permanente d’un renvoi vers la Turquie.

La seule violation retenue par la Cour concerne l’impossibilité pour les requérant.es de former des recours effectifs contre les décisions ordonnant leur expulsion ou leur maintien en détention, du fait du manque d’informations accessibles sur le droit au recours et de l’absence, dans l’île de Chios, de tribunal susceptible de recevoir un tel recours.

Pour le reste, il aura fallu plus de trois ans à la Cour européenne des droits de l’Homme pour juger que la plainte des 51 de Chios n’est pas fondée. Son argumentation se décline en plusieurs volets :

  • s’agissant du traitement des personnes mineures, elle reprend à son compte les dénégations du gouvernement grec pour conclure qu’elle n’est « pas convaincue que les autorités n’ont pas fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour répondre à l’obligation de prise en charge et de protection » ;
  • elle reconnaît qu’il a pu y avoir des problèmes liés à l’accès aux soins médicaux, à la mauvaise qualité de la nourriture et de l’eau et au manque d’informations sur les droits et d’assistance juridique, mais les relativise en rappelant que « l’arrivée massive de migrants avait créé pour les autorités grecques des difficultés de caractère organisationnel, logistique et structurel » et relève qu’en l’absence de détails individualisés (pour chaque requérant.e), elle « ne saurait conclure que les conditions de détention des requérants [y ayant séjourné] constituaient un traitement inhumain et dégradant » ;
  • s’agissant de la surpopulation et de la promiscuité, elle n’en écarte pas la réalité – tout en relevant que les requérant.es n’ont « pas indiqué le nombre de mètres carrés dans les conteneurs » – mais pondère son appréciation des risques que cette situation entraîne en précisant que la durée de détention « stricte » n’a pas dépassé trente jours, délai dans lequel « le seuil de gravité requis pour que [cette détention] soit qualifiée de traitement inhumain ou dégradant n’avait pas été atteint ».

***

L’appréciation faite par la Cour de la situation de privation de liberté invoquée par les requérant.es est en effet au cœur de sa décision, puisqu’elle s’en sert pour relativiser toutes les violations des droits qu’elles et ils ont subies. C’est ainsi que, sans contester les très mauvaises conditions matérielles qui prévalaient au camp de Vial, elle (se) rassure en précisant qu’il s’agit d’« une structure semi-ouverte, ce qui permettait aux occupants de quitter le centre toute la journée et d’y revenir le soir ». De même, « à supposer qu’il y eut à un moment ou à un autre un problème de surpopulation » au camp de Souda, elle estime « ce camp a toujours été une structure ouverte, fait de nature à atténuer beaucoup les nuisances éventuelles liées à la surpopulation » [4].

Autrement dit, peu importe, pour la Cour EDH, que des personnes soient contraintes de subir les conditions de vie infrahumaines des camps insalubres du hotspot de Chios, dès lors qu’elles peuvent en sortir. Et peu importe qu’une fois hors de ces camps, elles n’aient d’autre solution que d’y revenir, puisqu’elles n’y sont pas officiellement « détenues ». Qu’importe, en effet, puisque comme dans le reste de « l’archipel des camps » de la mer Égée [5], c’est toute l’île de Chios qu’elles n’ont pas le droit de quitter et qui est donc leur prison.

En relayant, dans sa décision, l’habillage formel donné par les autorités grecques et l’Union européenne au mécanisme des hotspots, la Cour EDH prend la responsabilité d’abandonner les victimes et conforte l’hypocrisie d’une politique inhumaine qui enferme les exilé.es quand elle devrait les accueillir.

Contexte

Depuis trois ans, des dizaines de milliers de personnes sont confinées dans les cinq hotspots de la mer Égée par l’Union européenne, qui finance la Grèce afin qu’elle joue le rôle de garde-frontière de l’Europe.

Dès leur création, des associations grecques et des ONG, mais aussi des instances européennes et internationales comme, le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR), le rapporteur spécial de l’ONU pour les droits de l’homme des migrants, le Comité de prévention de la torture du Conseil de l’Europe, l’Agence de l’UE pour les droits fondamentaux, n’ont cessé d’alerter sur les nombreuses violations de droits qui sont commises dans les hotspots grecs : des conditions d’accueil marquées par la surpopulation, l’insécurité, l’insalubrité et le manque d’hygiène, des violences sexuelles, des atteintes répétées aux droits de l’enfant, le défaut de prise en compte des situations de vulnérabilité, un accès à l’information et aux droits entravé ou inexistant, le déni du droit d’asile. On ne compte plus les témoignages, rapports et enquêtes qui confirment la réalité et l’actualité des situations dramatiques engendrées par ces violations, dont la presse se fait périodiquement l’écho.

Signataires

  • AEDH (Association Européenne pour la défense des Droits de l’Homme)
  • ASGI (Associazione per gli Studi Giuridici sull’Immigrazione)
  • EuroMed Droits
  • Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigré.es).
  • Migreurop

[4On peut lire dans le rapport du Gisti cité en note 2 un descriptif précis des deux camps à la date de la requête. Pour le camp de Souda, par exemple : « Deux hangars servent de lieux de couchage collectif ; les occupants sont contraints d’y dormir à même le sol et en toute promiscuité. Le HCR fournit couvertures, bâches en plastique et des tapis de sol en nombre toutefois insuffisant. Pour ne pas dormir dans ces hangars bondés, certaines personnes ont construit des tentes de fortune insalubres et dangereuses. Les rares bâches qui protègent de la pluie tiennent à l’aide de branches d’arbre ou de barres de métal qui ne sont pas fixées. »

Grèce : une chape de plomb s’abat sur le mouvement social !

Lundi 11 novembre au petit matin. Après un long silence en partie forcé, voici nos dernières nouvelles de Grèce, depuis la Crète puis l’Épire (près de l’Albanie) en passant par Athènes avec une vague sans précédent de perquisitions et d’arrestations, de fausses accusations contre Rouvikonas, la fin du procès d’Aube Dorée et Exarcheia qui devient une poudrière.

GRÈCE : UNE CHAPE DE PLOMB S’ABAT SUR LE MOUVEMENT SOCIAL !

En tout temps et en tous lieux, à chaque fois que le pouvoir s’est durci, il a toujours nommé de façon extravagante ceux qui lui résistaient. Sous l’occupation nazie ou la junte des Colonels, les opposants étaient parfois qualifiés de « terroristes ». Aujourd’hui, ce mot et d’autres du même tonneau sont utilisés à tout bout de champ contre les rebelles d’une société injuste et mortifère.

En Grèce, ce phénomène est encore plus marqué qu’à l’autre bout de l’Europe. Le glissement sémantique est total : des groupes rebelles qui n’ont jamais fait ni mort ni blessé sont montrés du doigt comme les pires criminels. Parmi ces collectifs qui ne visent que des dégâts matériels, le groupe Rouvikonas est sur le point d’être classé parmi les organisations terroristes, chose sans précédent en Europe.

Une fois de plus, la Grèce est un laboratoire du durcissement du capitalisme et de la société toujours plus autoritaire sur le vieux continent. C’est pourquoi nous souhaitons alerter nos camarades de l’autre bout de l’Europe de cette dérive : la criminalisation du mouvement social peut mener aux pires condamnations, à de longues peines de prison et, à terme, à une censure totale de nos idéaux révolutionnaires.

Ce processus s’accompagne de moyens de surveillance et de répression toujours plus importants du côté de l’État qui agit au service des dirigeants économiques et politiques. Nous sommes de plus en plus nombreux à nous retrouver dans le viseur d’un pouvoir qui n’accepte plus la contradiction et qui traque toute forme de résistance avec une violence toujours plus méthodique et perfectionnée. Ce qu’a vécu le mouvement social en France ces derniers mois se reproduit un peu partout dans le monde en ce moment, au rythme de soulèvements qui se heurtent à une répression brutale et décomplexée. Dans ce puzzle planétaire d’un capitalisme à bout de souffle, la Grèce, après une décennie de luttes exemplaires, devient le laboratoire du piège qui nous est tendu : il devient progressivement interdit de rêver, de proposer un monde débarrassé du système politique qui nous vole nos vies, et de lutter contre lui. Celui qui ose résister devient lentement un déviant à surveiller de toutes les façons possibles — avec l’appui de nouvelles technologies — et parfois à dissuader ou neutraliser avant même qu’il ait levé le petit doigt.

Voici notre alerte, camarades et compagnons du bout du monde. Nous sommes nombreux à nous inquiéter de ce glissement dans une société toujours plus autoritaire, à Exarcheia mais aussi ailleurs. Nous assistons à une inversion du sens des mots. Dans son roman 1984, George Orwell écrivait « La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force ». Aujourd’hui, nous pouvons ajouter : « Le crime c’est oser défendre la vie ».

Police partout, justice nulle part

Depuis la fin du mois d’octobre, de l’avis de beaucoup, nos communications sont rendues difficiles : serveurs internet HS, ordis à la ramasse, pages facebook fermées, comptes perso bloqués, censures en tous genres, téléphones s’allumant tout seuls et autres délices de l’ère technologique. On ne compte plus les témoignages et, moi aussi, j’ai été contraint au silence quelques jours.

De plus, la surveillance rapprochée devient omniprésente, visible et parfois menaçante : une camarade qui assure avec moi la protection nocturne du squat de réfugiés Notara 26 a eu, il y a quatre jours, les pneus de sa voiture crevés à coups de couteau. Puis, alors qu’elle prenait des photos du sinistre, les policiers de surveillance se sont rapprochés et lui ont dit en ricanant :
La prochaine fois, tu feras attention !

Le lendemain, un autre compagnon de lutte qui vit à l’est du quartier a vu un policier brandir son arme à feu dans sa direction alors qu’il avait simplement demandé qu’on lui « fiche la paix » :
J’en avais marre d’être suivi, observé, asphyxié dans ma vie privée. Les services de renseignement de l’État ne me laissent plus aucune intimité et ne se cachent même plus. Il y a manifestement la volonté de faire monter la pression, de nous dissuader, de nous inquiéter.

Qui terrorise qui ?

Plus grave encore, des policiers de garde sur les postes de surveillance d’Exarcheia ont harcelé à de nombreuses reprises des femmes, mêlant les gestes à la parole. Les langues des victimes commencent à se délier et nous aurons l’occasion d’en reparler. Certains flics, au poste de surveillance de la rue Kalidromiou, évoquent souvent à voix haute un hypothétique « manque d’hygiène des filles d’Exarcheia » au prétexte qu’elles fréquenteraient « de trop près » des migrants. Quand sexisme et racisme ne font qu’un.

Durant les rondes policières qui rasent leurs fenêtres, les migrants blottis dans les squats sont également inquiétés. Ils ont entendu plusieurs fois des injonctions insultantes qui rappellent celles des nazis :
Raus !!! À la douche !!! Bientôt le grand nettoyage !!!
Les MAT (policiers anti-émeutes) ne cachent pas leurs opinions et portent parfois des écussons très explicites, entre autres signes de reconnaissance.

Parallèlement aux pressions et violences policières, les médias du pouvoir ne cessent plus d’annoncer la « fin imminente du nettoyage d’Exarcheia ». Ils évoquent l’évacuation simultanée de 4 squats autour de la place Exarcheia dont le Notara 26 et peut-être le K*Vox, base de Rouvikonas. Certains affirment que le gouvernement souhaite en finir avant les manifestations du 17 novembre, moment fort du mouvement social à la mémoire de l’insurrection contre la dictature des Colonels en 1973, autour de l’École polytechnique située à l’ouest d’Exarcheia. Une rumeur insistante parle d’un « assaut final » qui aurait lieu cette semaine. Difficile de savoir si c’est vrai, mais beaucoup d’éléments concordent.

Le pouvoir prêt à frapper fort

Durant les dernières semaines, le pouvoir s’est longuement préparé. Tout d’abord en essayant de « convaincre l’opinion publique de la nécessité d’en finir ». Un ministre a même précisé :
Nous devons sans attendre rétablir l’ordre au centre d’Athènes. Il ne peut y avoir un espace sans État ni gouvernement, cela n’est pas acceptable. La loi doit être la même partout, à commencer par le respect de la propriété privée et de l’autorité du gouvernement élu (…) Les squats sont illégaux. L’autogestion a des limites. Dans une démocratie, on ne doit pas faire n’importe quoi (sic).

Nuit de garde devant le squat Notara 26 mêlant solidaires et réfugiés.

Le dispositif policier est également prêt pour un assaut encore plus important que les précédents (déjà à 5 reprises du 26 août au 2 novembre). Les voltigeurs DELTA, avec leur motorisation légère et leur objectif purement répressif, sont maintenant opérationnels. L’annonce vient d’être faite : ils sont officiellement sur le terrain dès aujourd’hui. Par contre, leur nom a finalement changé… à cause de leur sinistre réputation ! Au lieu de DELTA, ils s’appelleront DRASI (ce qui veut dire action). L’initiale D est habilement conservée. Un peu comme si en France, on changeait le nom des voltigeurs en vadrouilleurs. Changer de nom pour tenter de faire oublier le passif, un peu comme les partis politiques et grandes firmes. Changer de nom pour que rien ne change.

De nouveaux équipements viennent également d’être livrés, sans que tous les détails ne soient communiqués. On parle à nouveau de matériel français, notamment pour les services de renseignement. Autre point important, le code pénal achève actuellement sa modification pour sanctionner plus durement toutes les formes de résistance. Paroxysme de ce durcissement de la loi, le groupe Rouvikonas, qui est considéré par le pouvoir et les médias comme le principal ennemi — parce que quotidien ou presque dans ses actions contre tous les pouvoirs — est sur le point de subir une classification en « organisation terroriste ». C’est complètement insensé si l’on compare les modes d’actions de ce collectif avec ce qu’on définissait jusqu’ici comme étant du terrorisme, en Grèce comme ailleurs.

Rouvikonas n’a jamais tué personne ? Qu’à cela ne tienne ! Le pouvoir est prêt à tout inventer pour distiller la confusion, à l’exemple d’un incroyable storytelling qui vient de se dérouler depuis deux jours à Athènes.

Désinformation médiatique concernant la responsabilité de Rouvikonas dans l’attaque du poste de police de la rue Charilaou Trikoupi.

Un membre de Rouvikonas tabassé et poursuivi suite à de fausses accusations

Dans la nuit de jeudi à vendredi, un groupe rebelle anonyme est allé attaquer le car de policiers anti-émeute situé à l’est du quartier, dans la rue Charilaou Trikoupi. Ce genre d’initiative est chose courante, très courante même, surtout depuis que le quartier est, en partie, sous occupation policière. Mais cette fois, l’attaque a, il est vrai, été plus puissante qu’à l’habitude et a pris en tenaille les MAT sous un déluge de feu, vers dix heures du soir. Une action anonyme organisée en riposte du siège d’Exarcheia et des agressions perpétrées. Ce soir-là, les cocktails Molotov ont blessé trois policiers dont un à la tête et un autre à la jambe. Une moto de la brigade DIAS a été brûlée. Sans doute le but était-il de tuer.

Mais, dans les minutes qui ont suivi, c’est tout le cœur d’Exarcheia qui a été pris d’assaut par toutes les forces de police alentours. Des dizaines de MAT ont envahi la place centrale en hurlant et ont frappé au hasard les passants, hommes et femmes, jeunes ou vieux, alors qu’ils n’avaient rien à voir avec l’attaque. La scène a duré plus d’une heure. Parmi les habitants du quartier, une trentaine se sont réfugiés à l’intérieur du bistrot nommé Kaféneio (l’un des plus vieux d’Exarcheia), mais les policiers ont tenté d’enfoncer la porte et ont menacé d’interpeller tout le monde, avant de renoncer quelques minutes plus tard. Un célèbre journaliste de la télé, accouru sur les lieux, n’a pas été reconnu par les flics et a été frappé à son tour, provoquant l’hilarité des observateurs de la scène. Dans leur déchaînement de violence, les MAT étaient en train de cogner sur leur plus fidèle allié !

Plus haut sur la place, du côté du K*Vox, plusieurs dizaines d’anarchistes et d’autres compagnons de lutte commençaient à se regrouper pour protester contre les violences policières et défendre les lieux et les personnes. Dans un tonnerre de grenades assourdissantes et un épais brouillard de gaz lacrymogène, les policiers ont réussi à attraper un manifestant et à le traîner au sol, tout en le dénudant en partie et en le frappant à plusieurs reprises. Selon plusieurs témoins, il aurait ensuite été torturé dans la rue Bouboulinas, à quelques dizaines de mètres de là, sous les hurlements rageurs des policiers. Ces derniers ont même été entendus en train de crier : « I hounda iné édo ! » (la junte est encore là). Ce camarade est très connu et ne se cache pas d’être un membre actif de Rouvikonas. C’est un ami généreux, solidaire et expérimenté, détesté par la police mais très apprécié parmi nous. Et surtout, ce camarade n’avait absolument rien à voir avec l’attaque qui venait d’avoir lieu à l’est du quartier, comme de nombreux témoins le confirment.

Si ce n’est toi, c’est donc ton frère !

Oui, mais la police voulait se venger. Elle a frappé des dizaines de personnes au hasard sur la place (à un kilomètre de l’attaque) et a fait 18 interpellations. Quand elle a vu l’état de notre camarade, sérieusement blessé, elle a procédé comme souvent : en l’arrêtant pour résistance, insultes et coups et blessures contre des policiers. Faits complètement farfelus, bien sûr ! Une pure invention, malheureusement courante quand la police passe à tabac quelqu’un. Autre fait important : toutes les autres personnes interpelées ont été relâchées sans être arrêtées. Seul notre camarade s’est retrouvé devant le juge d’instruction, puis le procureur, visiblement blessé avec une attelle et des bleus.

Pourquoi ? Tout simplement, pour être accusé seul de toutes les charges concernant l’attaque voisine contre le bus de la police. Autrement dit, il fallait clairement éviter d’associer des personnes extérieures à Rouvikonas à ce membre notoire du groupe de façon à établir la totale responsabilité de Rouvikonas dans l’opération menée contre les policiers de garde à l’est d’Exarcheia. Une opération qui visait clairement à blesser sinon à tuer, vu la méthode employée (attaque en tenaille, pluie de cocktails Molotov par surprise, groupe nombreux et rapide). Vous l’avez compris, bien qu’il n’ait aucun rapport avec les faits reprochés et malgré les nombreux témoignages qui l’attestent, notre camarade sert de prétexte pour accuser le groupe Rouvikonas tout entier de tentative d’homicide sur des policiers. L’affaire est grave et tombe à pic en pleine modification du code pénal. Pile au moment où l’article 187A va permettre à l’État de frapper lourdement le célèbre groupe anarchiste athénien. Le procès de notre camarade aura lieu dès ce 20 novembre.

Terroriste, Rouvikonas ? En réalité, le premier de tous les terroristes est, bien sûr, le pouvoir qui nous vole diversement nos vies, nous manipule en jouant sur la peur et fabrique, plus que la totalité de la complosphère, des tonnes de fake news qui ne portent pas leur nom (ce qu’on pourrait appeler la « crétinosphère » tant on nous prend pour des imbéciles). C’est ainsi qu’il se présente en sauveur, en protecteur, en rempart contre les méchants anarchistes et autres révolutionnaires qui proposent une autre façon de nous organiser, en prenant nos vies en main dans une réelle liberté, égalité et fraternité. La liberté de choisir nos vies, l’égalité sociale et politique, la fraternité universelle par-delà les peurs, les étiquettes et les frontières.

Ce qui se passe en ce moment à Athènes ne cesse de le confirmer. Comme partout ailleurs dans le monde, le pouvoir tremble, il sent que la colère gronde, que la révolte couve, au point d’exploser en différents points du globe. C’est pour cela aussi qu’il se durcit encore plus et qu’il a besoin de fabriquer des boucs émissaires pour détourner l’attention.

Terrorisme à toutes les sauces

Avant-hier matin, une vaste opération antiterroriste a été lancée dans toute l’Attique, du Pirée à Lavrio et de Megara à Exarcheia. Le contenu d’une quinzaine de perquisitions a été dévoilé par les médias du pouvoir surexcités. Au total : 5 fusils de type Kalachnikov, une mitraillette, de la dynamite, des pistolets, des grenades à gaz lacrymogène, des lance-grenades, des détonateurs et des explosifs. Cette pêche savamment préparée tombe à point nommé : l’État a trouvé un ennemi intérieur et va pouvoir justifier ses nouvelles lois, comme autrefois le Patriot Act aux États-Unis et l’État d’urgence en France. « Pour votre sécurité, vous aurez moins de liberté ». On connait la chanson !

Durant les premières heures après la découverte, les agences de presse ont volontairement entretenu la confusion sur la provenance de ces armes, sans aucune info précises sur les personnes arrêtées. Encore la faute aux migrants ? À Rouvikonas ? À un autre groupe basé à Exarcheia ? Rien ne filtrait et les rumeurs sont allées bon train, jusqu’à ce que le nom d’un obscur groupuscule soit évoqué : « Organisation d’autodéfense révolutionnaire » qui avait essentiellement attaqué l’ambassade de France en 2016 puis celle du Mexique, en solidarité avec les mouvements de lutte dans l’hexagone et au Chiapas.

Aussitôt sur tous les plateaux de télévision, le nouveau premier ministre de droite, Kyriakos Mitsotakis, a fait un orgasme :
Je tiens à féliciter le service de lutte contre le terrorisme, la police grecque et le ministère de la Protection du citoyen pour leur grand succès. Pour réaffirmer, une fois encore, mon engagement à mettre fin de manière permanente et irréversible au problème du terrorisme intérieur en Grèce.

Hier, les perquisitions et arrestations ont continué, en mélangeant tout et n’importe quoi dans la plus grande confusion, au prétexte des saisies de la veille. À 500 mètres au nord d’Exarcheia, tous les locaux de l’Université d’économie ont été fouillés de fond en comble. Idem au domicile de nombreux militants, dont des anarchistes habitant sur la colline de Strefi, membres du groupe Gare, réveillés par 30 policiers cagoulés en présence de leur môme effrayé, puis plongés la tête la première dans un panier à salade, après avoir été traînés dans les escaliers.

Une chape de plomb s’abat actuellement sur Athènes et tout le monde se retrouve menacé et traqué dans une véritable fête foraine pour policiers en manque de gauchistes et d’anarchistes. Un feu d’artifice pour les valets du pouvoir et la grande roue pour le nouveau premier ministre, piètre héritier de la dynastie politique des Mitsotakis, encore plus narcissique que le vil monarque de Prévert dans son œuvre Le roi et l’oiseau. Derrière de plus en plus de groupes et d’individus, sous toutes les formes et toutes les coutures, c’est tout le mouvement social qui est visé. Le but ultime est double : d’une part nous intimider pour nous dissuader et, d’autre part, semer la peur dans la population et faire de tous ceux qui résistent les ennemis de la paix et de la concorde. On vous l’a dit en France aussi : l’État garantit la liberté, l’égalité et la fraternité, c’est même écrit partout, alors quoi demander de plus ?

Selon que vous serez puissants ou misérables…

Bons migrants et mauvais migrants

Alors même que le sinistre camp de Moria à Lesbos vient de dépasser le seuil des 15 000 détenus en son sein (oui, détenus, car ces personnes sont bloquées, désespérées et parfois en très mauvais état de santé, dans un camp créé par l’Union européenne et prévu au départ pour 2600 réfugiés), le gouvernement grec se vante d’avoir réussi son opération « Visas d’or ». Depuis quelques années, la Grèce octroie des visas à tous les non ressortissants de l’Union européenne qui viennent investir au moins 250 000 euros dans l’immobilier sur son territoire, ce qui permet principalement à des hommes d’affaires chinois de s’installer et de se balader tranquillement en Europe pendant que les réfugiés afghans ou érythréens souffrent le martyre dans les camps et le labyrinthe odieux des services d’asile. 5300 visas d’or ont été donnés depuis 2013, dont 3400 à des riches chinois et également plusieurs centaines à des hommes d’affaires russes. C’est beau la fraternité, non ?

L’Internationale du Capital est mieux organisée que la nôtre pour nous dominer et nous exploiter. À nous de faire converger nos luttes, par-delà nos différences, pour nous libérer et prendre nos vies en mains.

En plus de cette inégalité de traitement cynique et sordide, le ministre grec de la police a dit s’inquiéter de la venue probable de djihadistes dangereux parmi les nouvelles barques de migrants qui arrivent sur les côtes de la mer Égée. Une fois de plus, le pouvoir se sert du mot terroriste pour détourner l’attention, semer la peur, stigmatiser et maltraiter des personnes qui n’ont le plus souvent rien à voir avec ce qu’on leur reproche. Depuis la nuit des temps, le pouvoir divise pour mieux régner, puis se pose en arbitre et en protecteur. Le pouvoir sème la discorde en prétendant assurer la concorde. Il ment comme il respire, rassemble les foules avec des flots de mots dépourvus de sens, bâtit des châteaux de cartes et fonde toute sa puissance sur du papier : billets de banque, titres de propriété, dette publique et privée, bulletins de vote, textes de loi, constitution… Du papier, rien que du papier dans une société hors-sol, prisonnière de son propre spectacle et coupée de la réalité d’un monde qui agonise.

Partout, le vent se lève

Il y a deux semaines, j’étais encore en Crète où la lutte contre le nouvel aéroport de Kastelli commence à prendre une autre tournure. Les premiers oliviers ayant été arrachés, la question se pose de plus en plus sur les formes possibles de la lutte. Comment résister ? Telle est la question qui circule, ici et là, en Crète, comme ailleurs. Les hypothèses se chuchotent. On se méfie. On envisage beaucoup de choses sans savoir de quoi demain sera fait.

Idem il y a une semaine, à Athènes, où je participais à un colloque organisé par Rouvikonas et la nouvelle Fédération Anarchiste de Grèce (Anarxiki Omospodia, composée d’approches et de courants divers), durant deux jours dans le théâtre autogéré Embros plein à craquer. Cela faisait des années que je n’avais pas entendu autant d’interventions si pertinentes, lucides et foisonnantes en termes de propositions. Quelque chose se passe, manifestement. Quelque chose de profond, de clair et d’intelligent. Quelque chose qui ressemble à une prise de conscience, critique et politique. Je suis sorti de ces deux jours comme réveillé, ranimé, éclairé, non pas par une quelconque avant-garde, mais par la diversité fertile de nos débats, dans une grande écoute mutuelle et sur un plan d’égalité. De mon côté, on m’avait demandé d’intervenir sur les relations, communications et solidarités internationales. Je n’ai pas manqué de transmettre votre soutien et de résumer les nombreuses actions effectuées dans plus de 60 pays du monde en soutien à Exarcheia et Rouvikonas. J’ai aussi raconté l’anecdote récurrente concernant la lettre P dans l’étoile noire. En effet, on me demande souvent à l’ouest de l’Europe pourquoi il y a un P dans le logo de Rouvikonas. D’ailleurs cela a bien fait rire la salle à Athènes. Dans l’alphabet grec, le P est tout simplement la lettre « ro », c’est-à-dire l’équivalent du R. C’est donc bien l’initiale de Rouvikonas, mais en alphabet grec !

Le crépuscule des gargouilles

Pendant ce temps, le procès d’Aube Dorée se termine enfin, six ans après les assassinats de Shahzad Luqman et Pavlos Fyssas, dans un concert de pleurnicheries nazies. Après le défilé des principaux membres de l’organisation (devenus tour à tour des girouettes à la barre du tribunal, au point qu’un des fascistes apeurés s’est même évanoui), le chef suprême des surhommes aux poignards rouges de sang a parlé en dernier, vendredi, en guise de bouquet final d’une succession de mensonges et de reniements. Les conclusions de la procureure seront rendues en janvier et le verdict au printemps. Ce procès a tellement été long et fastidieux qu’il a donné le temps à ce parti de disparaître totalement du parlement et de tomber à des scores presque négatifs, sous les assauts du mouvement antifasciste partout en Grèce. Aube Dorée approchait la barre des 10% en 2014 (9,4% aux Européennes). Il est tombé à moins de 3% en juillet et maintenant à moins de 0,5% dans les sondages ! Le carrosse est redevenu citrouille et les princes de la nuit se sont transformés en gargouilles grimaçantes, abandonnant presque tous leurs locaux en Grèce, y compris le plus grand, rue Mesoghion à Athènes. Depuis des semaines, les sous-chefs et opportunistes en tous genres démissionnent à la queue-leu-leu.

Le roi est nu. Le führer supplie même ses juges : « je ne savais pas ! » (pour les ratonnades et les assassinats) comme un vulgaire capot des camps d’autrefois. Aube Dorée n’est plus, mais le fascisme est toujours là, y compris au gouvernement et dans les rouages de l’État, plus nuisible et virulent que jamais. Un fascisme qui tente une fois de plus de détourner nos luttes légitimes contre la misère vers des préoccupations identitaires d’un autre âge, mythifiant le passé, fabriquant des boucs-émissaires parmi les plus vulnérables et ménageant ainsi le capitalisme et l’organisation autoritaire de la société. Ne soyons pas naïfs, les ratonnades et les embuscades continueront — comme celle que j’ai subie au Pirée en juin dernier et qui n’a fait qu’intensifier ma volonté de lutter. Aube Dorée n’était qu’une étiquette sur un poison, l’un des multiples noms d’un fléau universel, une facette passagère d’un problème qui reste indissociable de la société autoritaire et capitaliste qui le génère. L’étiquette est tombée, mais le problème reste entier.

C’est pourquoi ceux qui prétendent lutter contre le fascisme sans lutter contre ses causes se moquent de nous. Le capitalisme, le pouvoir et les médias du pouvoir font partie intégrante du problème et sont indissociables du monstre qu’ils génèrent. Les collaborateurs de ce système politique, économique et médiatique ne sont pas des alliés mais des imposteurs, surtout quand ils pratiquent le racisme sélectif au prétexte d’attributs que portent parfois les plus misérables parmi nous.

En attendant le verdict du procès d’Aube Dorée en Grèce, je prendrai bientôt connaissance, à une autre échelle, du verdict du mien en France. En octobre 2017, les petits frères européens d’Aube Dorée, dirigeants de Génération identitaire en France, Italie et Allemagne, m’ont poursuivi pour ma participation au sabotage de leur opération Defend Europe en Méditerranée, alors qu’ils tentaient d’entraver le sauvetage en mer des migrants par des navires d’ONG. J’ai gagné en première instance à Nice, puis perdu en appel à Aix-en-Provence, et j’attends maintenant l’audience de la Cassation qui aura lieu le 26 novembre à Paris. Je saurai probablement début décembre l’issue de cette bataille juridique menée par mes avocats Dominique Tricaud, Matteo Bonaglia et Claire Waquet. Autre accusé à mes côtés, mon ami Jean-Jacques Rue est impatient de savoir ce que va décider la Cour de Cassation. Cette décision sera hautement symbolique vu les circonstances. Je vous tiendrai au courant du verdict dès que j’en prendrai connaissance. Je remercie vivement Pro-Activa Open Arms d’avoir osé témoigner à ce procès pour décrire les agissements des marins fascistes, ainsi que Pia Klemp, mon amie capitaine du Iuventa puis du Sea Watch, qui nous a également beaucoup aidés à Exarcheia.

Les Justes d’aujourd’hui

À l’inverse de cette haine égoïste, crétine et dangereuse, de nombreux solidaires viennent en aide aux réfugiés et migrants, parfois dans des conditions très difficiles, par exemple après avoir réussi à les aider à revenir des sinistres camps conçus par l’Union européenne après les rafles policières dans les squats. C’est notamment le cas d’un instituteur athénien qui nous rappelle les Justes d’autrefois, prenant des risques vis-à-vis de sa hiérarchie et, parfois, de la police, et mêlant sa volonté d’une pédagogie moins autoritaire à des actes concrets de lutte et d’entraide. Cet instit formidable met en œuvre quotidiennement la Pédagogie Freinet dans sa classe, invitant à la coopération plutôt qu’à la compétition, et agit aussi en dehors, jusqu’au domicile de certains enfants et de leurs parents épouvantés par l’expérience des camps. Cette belle histoire qui peut nous servir d’exemple sera également dans notre prochain film(1).

Je viens également de passer en Épire, dans le nord-ouest de la Grèce, tout près de la frontière albanaise, au milieu de montagnes pittoresques et de grottes camouflées qui témoignent du temps de la résistance. C’est sur cette terre sauvage que l’État grec autorise désormais des multinationales à entreprendre des recherches pétrolières et de gaz de schiste. Je vous montrerai cette lutte, parmi d’autres, dans notre prochain film « Nous n’avons pas peur des ruines ». Du nord au sud, la résistance converge de plus en plus entre les luttes de classes, sociales et environnementales, avec une même évidence : tout est politique et nécessite la remise en question profonde d’un système qui est complètement suranné, vérolé, vendu au pouvoir économique. Nous sommes chaque jour plus nombreux à comprendre qu’on ne changera pas le monde sans le transformer à la racine, dans son crédo le plus tabou, c’est-à-dire la pierre angulaire du pouvoir.

Avec Marilena et Anastassis de l’espace social libre Alimoura à Ioannina, dans la lutte contre les extractions pétrolières en Épire, près de la frontière albanaise.

Nous n’avons plus le temps d’avoir peur

Sortir de la préhistoire politique devient une nécessité vitale. Nous organiser autrement, non seulement pour prendre nos vies en main, mais pour sauver la vie tant qu’il en est encore temps. Passer du pouvoir en tant que nom, qualifiant ceux qui nous dominent ou qui prétendent nous gouverner, au verbe pouvoir, qui signifie être en capacité de choisir chacun et ensemble nos vies. Ce n’est qu’en nous débarrassant du pouvoir en tant que nom que nous libérerons le pouvoir en tant que verbe. Ces homonymes sont aussi des antonymes. Pour pouvoir vivre libres, libérons-nous du pouvoir.

D’un bout à l’autre de la planète, en toile de fond de revendications singulières et parfois anodines en apparence, du Chili à l’Indonésie et de la Guinée au Liban, il y a un profond désir de changement qui monte jusqu’en Europe. Un désir de remise en question et de réinvention. Un désir d’en finir avec la politique à l’ancienne et son cortège de mensonges et de corruption. Un désir de ne plus laisser à d’autres le pouvoir de décider de nos vies, de nous écraser, de nous humilier et, parfois, de nous tuer.

Vendredi soir, à la fin du débat qui a suivi la projection de L’Amour et la Révolution(2) à Ioannina, une jeune femme a dit :
— Nous n’avons plus le temps d’hésiter. Nous n’avons plus le temps d’avoir peur. Nous n’avons plus d’autres choix possibles. Nous devons nous mettre en alerte et alerter tout le monde autour de nous : les choses ne peuvent plus durer, la planète n’en peut plus, tout ce qui vit n’en peut plus, l’humanité va dans le mur… Nous devons arracher le pouvoir à ceux qui prétendent nous gouverner. Nous devons arracher le bien commun à ceux qui l’ont volé et le saccagent. Nous n’avons plus d’autre choix : vivre libres ou mourir.

Yannis Youlountas

« Cher capitalisme, ce n’est pas ta faute c’est la mienne… Je plaisante, bien sûr ! C’est toi qui l’a cherché : c’est fini entre nous ! »

 

(1) Si vous voulez en savoir plus et nous aider à produire notre quatrième film Nous n’avons pas peur des ruines (conçu et diffusé comme les précédents), c’est ici :
http://lamouretlarevolution.net/spip.php?rubrique15
(ayant donné jusqu’ici la priorité à la solidarité vers Exarcheia et, plus récemment, vers la cuisine sociale, nous ne sommes encore qu’à 20% de l’appel pour nous aider à financer le film, merci de votre soutien, un nouveau point sera bientôt publié)

(2) Je ne sais pas pourquoi, mais il y a beaucoup de projections de L’Amour et la Révolution en ce moment. Par exemple samedi soir, il y en avait également une à Volos, à Monomero…

Quelques projections cette semaine en France :
Vendredi 15/11 à d’Albi, soirée de soutien à Exarcheia avec une auberge espagnole, des extraits de L’Amour et la Révolution et Sur la route d’Exarcheia, et un échange avec des personnes qui connaissent bien le quartier, à partir de 19h30 au local de Solidaires, 59 rue Sommer à Albi (org. L’Escale + Sud Éducation + Groupe Libertaire ELAFF + Attac Tarn). À peine rentré en France, je serai présent à cette projection tarnaise avec quelques surprises et plusieurs compagnons des convois solidaires passés, mais je ne pourrai pas être présent aux deux autres :
Samedi 16/11 à Quimperlé, Ne vivons plus comme esclaves au gymnase de Kerjouanneau (org. Gilets Jaunes).
Samedi 16/11 au Puy-en-Velay, Je lutte donc je suis à 15h30 à Chadrac (org. Festival Les Mauvaises Herbes).
N’hésitez pas à faire des projections gratuites de nos trois premiers films dans vos lieux de luttes : pas besoin de demander une autorisation.

Merci de votre soutien pour nous aider à écrire notre propre histoire et à produire ce quatrième film très important pour nous (qui sera gratuit sur internet, en creative commons et à but solidaire).

Source http://blogyy.net/2019/11/11/grece-une-chape-de-plomb-tombe-sur-le-mouvement-social/

La réforme de l’assurance chômage : machine à fabriquer de la pauvreté

Assurance-chômage

« Je n’ai jamais vu ça, un durcissement aussi violent » : des agents de Pôle emploi « horrifiés » par la réforme

par Nolwenn Weiler

La réforme de l’Assurance-chômage entre en vigueur ce 1er novembre. 1,3 million de demandeurs d’emploi, dont les plus précaires, verront leurs indemnités baisser dans l’année qui vient. Basta ! a rencontré des agents de Pôle emploi qui décryptent le nouveau système et ses conséquences.

C’est une véritable machine à fabriquer de la pauvreté qui va se mettre en branle à partir du 1er novembre. Même les agents du Pôle emploi en prennent le vertige. « Je n’ai jamais vu ça, un tel durcissement, aussi violent, lâche Aurélie, agente dans l’ouest de la France depuis dix ans. On touche les gens au portefeuille, on ne leur laisse plus de solutions. » L’objectif annoncé de la réforme : économiser 3,4 milliards d’ici fin 2021. Tout en mettant au passage un énorme coup de pression sur les demandeurs d’emploi, une nouvelle fois rendus responsables de leur situation.

Ces économies drastiques seront entièrement financées par les demandeurs, et plus particulièrement par les plus précaires d’entre eux – en intérim ou en CDD. La première étape démarre ce 1er novembre, avec un durcissement des conditions qui permettent d’ouvrir ses droits à l’assurance-chômage. La seconde débutera le 1er avril 2020, avec une chute brutale du montant des indemnisations.

Au total, la moitié des personnes indemnisées – principalement celles qui n’ont pas pu travailler à temps plein pendant au moins un an – verront leurs droits réduits, voire supprimés. Soit 1,3 million de personnes parmi les 2,7 millions qui bénéficient actuellement d’une indemnisation – sur, au total, 6 millions de personnes inscrites au Pôle emploi.

« Beaucoup de gens vont aller émarger au RSA »

« Cette réforme est effrayante, confirme Daniel, conseiller Pôle emploi depuis de nombreuses années. Il y aura une chute brutale des montants d’indemnisation pour celles et ceux qui ont des périodes de travail hachées. Beaucoup de gens vont aller émarger au RSA. »

Pour le moment, le gouvernement n’a pas évalué l’importance du report vers les minima sociaux pour les personnes qui perdront leurs droits à l’indemnisation. Quand elle a présenté la réforme, en juin 2019, la ministre du Travail Muriel Pénicaud a même promis qu’il s’agissait d’une réforme « contre la précarité ». Le durcissement des conditions d’entrée à Pôle emploi permet d’en douter.

À partir du 1er novembre, pour pouvoir s’inscrire comme demandeur d’emploi, il faudra avoir travaillé six mois au lieu de quatre (soit désormais 910 heures, ou 130 jours). Quant à la période de référence, celle sur laquelle l’Unédic se penche pour comptabiliser les heures passées à travailler, elle baisse de 28 à 24 mois.

Certaines personnes qui, dans l’ancien système, auraient pu être indemnisées en ayant travaillé par exemple 6 mois sur les 28 derniers mois, n’auront plus accès à l’assurance-chômage. Auparavant, il fallait avoir travaillé en moyenne un jour sur sept pour ouvrir ses premiers droits. Il faudra désormais avoir travaillé un jour sur quatre !

Source https://www.bastamag.net/reforme-assurance-chomage-pole-emploi-indemnisation-droits-rechargeables-CDD-boulots-de-merde

En France durcissement politique migratoire

Ouverture de nouveaux CRA, réduction de la couverture santé… : la France serre la vis question immigration

Par La rédaction Publié le : 06/11/2019

Quotas d’immigrés pour certains emplois, trois mois de carence pour les demandeurs d’asile avant d’accéder à une couverture santé, réduction du délai d’instruction des demandes d’asile… Le Premier ministre a égrené une vingtaine de mesures, ce mercredi 6 novembre, sur l’immigration en France. InfoMigrants fait le point.

Le sujet est particulièrement sensible et déchaîne la classe politique française. L’immigration a été une nouvelle fois au centre des débats avec l’annonce, ce mercredi, de nouvelles mesures censées repenser l’accueil des migrants en France. Le Premier ministre Edouard Philippe souhaite « reprendre le contrôle » de la politique migratoire française et rétablir un « juste équilibre » entre les « droits et les devoirs » des immigrés. Voici les principaux points du nouveau plan immigration.

– Mise en place de quotas d’immigrés pour certains emplois

Des « quotas » ou « objectifs chiffrés » d’immigrés « professionnels » vont être fixés chaque année, dès l’été 2020, pour que la « France recrute » des étrangers en fonction de ses besoins.

La liste des métiers en tension ouverts aux étrangers non ressortissants d’un État membre de l’Union européenne devra donc être réactualisée. La dernière date de 2008 : on y trouve des métiers tels que dessinateur du BTP, pilote d’installation de production cimentière ou encore dessinateur de la construction mécanique.

Cette liste sera « fixée l’été prochain », a assuré la ministre du Travail Muriel Pénicaud. « On fixera les besoins par métiers et par territoires », a-t-elle encore expliqué. « Ce sont les partenaires sociaux et les régions qui diront, par exemple, en Alsace, on manque de charpentiers. »

Pour rappel, ils étaient 32 000 immigrés à obtenir un titre de séjour pour raisons économiques en 2018 sur près de 255 000 titres de séjour octroyés.

– Mise en place de trois mois de carence pour les demandeurs d’asile avant d’accéder à la Sécurité sociale de base

Les demandeurs d’asile devront désormais attendre trois mois avant de pouvoir accéder à la Protection universelle maladie (PUMa), la sécurité sociale de base, sauf en cas d’urgence. Jusqu’à présent, ces personnes pouvaient bénéficier d’une protection santé dès lors que leur demande d’asile était en cours d’examen.

Pour toute personne détentrice d’une OQTF (Obligation de quitter le territoire français), l’accès aux soins sera interrompu. Pour les déboutés du droit d’asile, qui ne sont pas sous le coup d’une OQTF, l’accès à la PUMa sera par ailleurs réduit de 12 mois à 6 mois.

La ministre de la Santé Agnès Buzyn s’était récemment élevée contre un « dévoiement » de la PUMa par des demandeurs d’asile venant de Géorgie et d’Albanie « qui sont a priori des pays sûrs ».

Ce délai de carence ne s’appliquera pas aux enfants mineurs, a assuré la ministre.

– Accord préalable avec la Sécurité sociale pour certains actes médicaux de l’Aide médicale d’Etat (AME)

Dispositif réservé aux sans-papiers, et régulièrement au cœur de controverses, l’Aide médicale d’Etat (AME) n’est pas directement touchée par les nouvelles mesures gouvernementales. Mais désormais, avant de pratiquer certains actes médicaux, considérés comme non-urgents (chirurgie de la cataracte, poser une prothèse de hanche…), la Sécurité sociale devra donner son accord au préalable.

Actuellement, la loi stipule que l’une des conditions pour bénéficier de l’AME est de résider de façon stable depuis plus de trois mois en France (excepté Mayotte). « Nous renforcerons nos contrôles pour vérifier qu’il n’y a pas de dissimulation de visas », a assuré Agnès Buzyn.

L’idée serait donc de préciser qu’il faut être en situation irrégulière pendant ce laps de temps, pour éviter que des personnes venues en France en tant que touristes puissent profiter du système français de santé ensuite. « Nous serons intraitables sur les fraudes », a prévenu la ministre.

– Ouverture de 3 nouveaux centres de rétention administrative (CRA)

« Nous voulons des expulsions rapides pour les déboutés du droit d’asile venant de pays sûrs », a encore expliqué le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner. Pour ce faire, trois nouveaux centres de rétention administrative (CRA) vont voir le jour, à Bordeaux, Lyon, ainsi qu’à Olivet, près d’Orléans.

Le ministre a en outre annoncé vouloir faire en sorte que les « transferts Dublin » soient « plus efficaces ».

– Réduction du délai de l’instruction de l’asile

La réduction des délais d’instruction des dossiers pour les demandeurs d’asile est toujours au programme du gouvernement. L’objectif est de réduire ce délai, actuellement de 12 mois en moyenne, à 6 mois. La loi asile et immigration, votée en 2018, prévoyait déjà une telle réduction mais n’a pas obtenu les effets escomptés dans un contexte de « forte augmentation des demandes » dixit Matignon.

« Nous ne toucherons pas au regroupement familial », a déclaré Christophe Castaner. « Mais nous lutterons contre les fraudes au regroupement familial. »

– Création de 200 postes à l’Ofpra et 59 à la CNDA

Le ministre de l’Intérieur a annoncé que 200 postes seraient créés à l’Ofpra, l’instance chargée de délivrer les statuts de protection, et 59 à la CNDA (Cour nationale du droite d’asile). Selon Édouard Philippe, ceux-ci ont déjà été prévus dans le plan Finances 2020.

– Création de 16 000 logements pour les réfugiés statutaires partout en France

– Évacuation des campements informels du nord-est parisien avant la fin de l’année

Source https://www.infomigrants.net/fr/post/20650/ouverture-de-nouveaux-cra-reduction-de-la-couverture-sante-la-france-serre-la-vis-que

Le parlement grec adopte une loi durcissant la législation sur les demandeurs d’asile

Adoptée précipitamment, une nouvelle loi complique fortement la vie des demandeurs d’asile en Grèce

Par La rédaction Publié le : 04/11/2019

Le Parlement grec a adopté dans la nuit du jeudi 31 octobre au vendredi 1er novembre un projet de loi controversée durcissant la législation sur les demandeurs d’asile malgré les critiques émises par le Conseil de l’Europe et de nombreuses ONG, dont Amnesty International.

Avec sa nouvelle loi sur l’asile, le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis compte bien “envoyer un message clair” : “Ceux qui savent qu’ils ne peuvent pas obtenir l’asile et entreprendront de venir pour rester dans notre pays, seront renvoyés dans leur pays et perdront l’argent investi dans leur voyage », a-t-il déclaré à la tribune du Parlement jeudi 31 octobre, peu avant l’adoption du texte controversé.

Celui-ci prévoit :

  • de réduire les possibilité de faire appel après avoir été débouté du droit d’asile en première instance,
  • de prolonger de trois à dix-huit mois la durée possible de rétention des demandeurs d’asile,
  • de limiter le concept de « vulnérabilité » (comme la clause du stress post-traumatique) qui rend plus facile l’octroi d’asile,
  • d’élargir la liste des pays tiers jugés « sûrs » pour y expulser des migrants,
  • de confier, en partie, les entretiens pour demandeurs d’asile à la police et à l’armée,
  • de mettre en place une procédure accélérée pour les mineurs non-accompagnés,
  • ou encore de faciliter le rejet des demandes pour vice de forme.

>> À (re)lire : La Grèce veut supprimer le droit d’appel pour les demandeurs d’asile déboutés

Au pouvoir depuis juillet dernier, le nouveau gouvernement conservateur avait déjà laissé entendre qu’il souhaitait réformer l’asile au plus vite. Ainsi, les autorités grecques ont mis en place une procédure accélérée pour envoyer les 237 pages du projet de loi au Parlement, après seulement six jours de consultations publiques. Un laps de temps particulièrement limité dont se sont plaintes de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme.

Une loi qui « compromet les droits des migrants et réfugiés »

Parmi elles, Amnesty International, dont le directeur de la recherche au bureau régional européen Massimo Moratti, estime que la nouvelle loi constitue “une tentative précipitée et inquiétante de résoudre les problèmes migratoires en Grèce aux dépens de la protection des personnes”.

Le Conseil de l’Europe, par la voix de sa Commissaire aux droits de l’homme Dunja Mijatovic, s’est également dit particulièrement inquiet. Elle a notamment mis en garde contre l’extension de la durée de détention des demandeurs d’asile et souligné le risque d’une évaluation « superficielle » des demandes d’asile par les autorités grecques, ce qui compromettrait les droits des migrants et réfugiés.

>> À (re)lire : À Moria, l’attente sans espoir de milliers de migrants abandonnés à leur sort

En face, le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis a réaffirmé sa volonté de « distinguer les réfugiés des immigrés ». Mais aussi celle de renforcer les contrôles frontaliers de façon à garantir « la sécurité » du pays, estimant que le précédent gouvernement de gauche d’Alexis Tsipras avait fait preuve de « laxisme » sur la question.

Avec plus de 70 000 demandeurs d’asile en Grèce, dont près de 33 000 sur les îles égéennes proches de la Turquie, la Grèce est redevenue cette année la principale porte d’entrée des migrants en Europe, devant l’Espagne.

Devant la multiplication des arrivées, le gouvernement grec avait indiqué fin septembre que le pays vivait sa « pire période » migratoire depuis l’accord UE-Turquie de 2016. Il avait alors annoncé sa volonté de renvoyer 10 000 migrants en Turquie d’ici fin 2020 – contre un peu plus de 1 800 en quatre ans et demi, sous le précédent gouvernement de gauche.

Source https://www.infomigrants.net/fr/post/20572/adoptee-precipitamment-une-nouvelle-loi-complique-fortement-la-vie-des-demandeurs-d-asile-en-grece

Viome vente du 24 octobre annulée. Participez à la commande de Grenoble

La vente aux enchères du terrain de l’usine autogérée prévue jeudi 24 octobre a été annulée grâce à la mobilisation des citoyens solidaires ! Le combat continue

Les derniers bons de commande pour l’achat groupé organisé par le collectif peuvent être déposés dans la boite aux lettres d’Attac 38 à la Maison des associations 6 rue Berthe de Boissieux à Grenoble.

mardi 5 novembre jusqu’à 19h30. 

Rappel des modalités https://www.grece-austerite.ovh/commande-groupee-viome-derniere-semaine/

 

Déficit de la sécurité sociale : un mensonge d’Etat

le Média : « Il n’y a eu aucune explosion des dépenses sociales. Le problème vient des ressources. Revenant sur sa parole, l’État a décidé de ne plus compenser à la Sécurité sociale les exonérations de cotisations sociales. Soit au total environ 5 milliards, c’est la cause essentielle du déficit affiché. L’État fait le généreux avec l’argent de la Sécurité sociale. Il lui impose en contrepartie de baisser les prestations. »

Lire aussi

Macron fait payer les mesures « gilets jaunes » par la Sécu !

Vous vous souvenez des quelques mesures « gilets jaunes » lâchées début décembre 2018 par Emmanuel Macron, alors que le pouvoir vacillait ? Presque un an après, surprise : alors que le budget de la Sécu est voté aujourd’hui à l’assemblée, on découvre que c’est la Sécu qui va payer 3 milliards de ces mesures ! Autrement dit, Macron se sert dans nos salaires pour payer ses mesures d’urgence…

[RADIO] Un entretien de Jérémie Younes avec Gérard Filoche à écouter ici : la-bas.org/la-bas-magazine/entretiens/macron-fait-payer-les-mesures-gilets-jaunes-par-la-secu

En 2018, les inégalités et la pauvreté ont fortement augmenté en France

Par Romaric Godin

Selon l’Insee, l’indice de Gini qui mesure les inégalités devrait avoir connu en 2018 une progression inédite depuis 2011, tandis que le taux de pauvreté progresserait également. C’est le fruit direct de la politique économique et budgétaire du gouvernement.

 

C’était le 23 août 2019. Avant la réunion en grande pompe du G7 de Biarritz, Emmanuel Macron reçoit à l’Élysée 34 dirigeants de multinationales pour qu’elles s’engagent « à la réduction des inégalités ». Toute la novlangue néolibérale est mobilisée pour l’occasion : il faut une « coalition des entreprises » pour une « croissance inclusive » et chacun y va de son engagement, la main sur le cœur. Le lendemain, sur la côte basque, le chef de l’État assure dans son intervention sur TF1 que les sept dirigeants réunis à l’Hôtel du Palais vont « prendre des mesures concrètes » pour lutter contre les inégalités. Le thème sera pourtant absent du maigre communiqué final. Symbole d’un gouvernement schizophrène qui aggrave ce qu’il entend réparer.

Emmanuel Macron et Édouard Philippe le 8 mai 2019. © Reuters Emmanuel Macron et Édouard Philippe le 8 mai 2019. © Reuters

Deux mois plus tard, les promesses des grandes entreprises ont été oubliées, mais leurs dirigeants, eux, ont encaissé les fruits de la politique du gouvernement. Et les premières estimations de cette politique ne laissent aucun doute : sous l’effet des choix économiques d’Emmanuel Macron et Édouard Philippe, les inégalités se sont creusées dans le pays et la pauvreté a progressé. L’Insee a publié ce 16 octobre une évaluation préliminaire du coefficient de Gini pour l’année 2018, année au cours de laquelle des mesures de défiscalisation du capital et de ses revenus ont été prises en priorité, dès le 1er janvier. Ce coefficient indique le niveau de dispersion des revenus : plus il est proche de 1, plus les inégalités sont grandes, plus il se rapproche de 0, plus elles sont faibles.

En 2018, l’Insee s’attend à une progression de 0,005 point de cet indice à 0,294. En soi, ce chiffre n’est guère parlant. Mais cela ferait de 2018 l’année au cours de laquelle cet indice, et donc les inégalités, a le plus augmenté depuis 2010. Grâce à son matelas social et à son système de redistribution, la France avait en effet réussi à effacer la forte hausse des inégalités observées pendant la crise où l’indice était monté de 2009 à 2011, de 0,290 à 0,306. En 2013, l’indice était retombé à 0,288, soit un niveau inférieur à celui de 2006. Il était depuis stabilisé autour de ce niveau. Mais c’en est désormais terminé. Si l’évaluation de l’Insee se confirme, l’indice de Gini sera, en 2018, supérieur à celui de 2009. Sauf qu’en 2009, la France avait connu une contraction du PIB de 2,8 % alors qu’en 2018, elle a connu une croissance de 1,2 %. Voilà donc pour la « croissance inclusive ».

Une telle ampleur de la hausse annuelle de l’indice de Gini et donc des inégalités ne s’est rencontrée que deux fois depuis 1996, soit depuis vingt-trois ans : en 1998, au moment de la « bulle Internet » et en 2010 en conséquence de la grande crise financière. Mais cette fois, c’est une construction politique consciente. L’Insee n’en fait pas mystère : la hausse de l’indice de Gini trouve son origine dans la mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU), la fameuse « flat tax » qui limite à 30 % la fiscalité sur les revenus du capital. Et ce, par deux mécanismes.

Le premier est connu et évident : le PFU a réduit les prélèvements fiscaux sur ces revenus qui concernent les plus fortunés puisque ce sont eux qui étaient auparavant taxés avec des taux plus élevés. Ceci a compté pour 0,001 point d’indice. Mais surtout, en incitant au versement de dividendes pour des raisons fiscales, ce PFU a creusé encore davantage les inégalités. Les versements de dividende ont en effet fortement augmenté, concentrant la distribution avant redistribution sur les plus riches et faisant bondir l’indice de Gini de 0,004 point. Et comme la redistribution n’a plus joué, les inégalités issues de ces revenus du capital sont restées.

Évolution de la croissance de l'EBE des entreprises et de celle des dividendes versées. © Insee, note de conjoncture de juin 2019. Évolution de la croissance de l’EBE des entreprises et de celle des dividendes versées. © Insee, note de conjoncture de juin 2019.

Le PFU est donc une machine formidable à inégalités, comme nous le soulignions dès fin juin dans cet article : il concentre la richesse sur les revenus mobiliers et bloque toute redistribution. Il favorise le versement de dividendes disproportionnés au regard de la rentabilité des entreprises. Le gouvernement se vante de son succès en indiquant que le niveau de versement des dividendes lui permet de récupérer les recettes perdues par la limitation du taux. Mais comme, par ailleurs, le gouvernement ne pratique plus de politiques redistributives significatives, ce « succès » n’est pas utile à la lutte contre les inégalités.

Il ne l’est pas davantage pour le prétendu objet de ce PFU : l’investissement productif. Au reste, on ne le rappellera jamais assez, le secteur privé français ne manque pas de moyens d’investir : l’épargne des ménages est abondante et atteint un niveau record (15 %), tandis que l’épargne des entreprises est surabondante (le taux d’autofinancement des entreprises atteint 100 % de l’investissement) et la politique monétaire permet de disposer d’un accès bon marché et abondant aux crédits.

Bref, le PFU n’était pas une urgence sur le plan économique. Et ce n’est donc pas étonnant que même le très bienveillant comité d’évaluation de la réforme de la fiscalité du capital n’ait pu trouver d’éléments économiques concrets favorables à cette réforme et demande, ainsi, de la « patience »… Débarrassé de cette rationalité, il n’est donc plus que ce qu’il produit : un mécanisme de contre-redistribution visant à favoriser les classes aisées de la société.

Il est d’ailleurs important de noter que cette première estimation ne prend pas en compte, « pour des contraintes de disponibilité de données », les effets de la suppression de l’ISF, l’impôt de solidarité sur la fortune et sa transformation en simple impôt sur la fortune immobilière (IFI). Or, ces effets s’annoncent encore immense : une étude de 2019 citée par l’institut statistique a jugé qu’elle devrait creuser de 0,002 point l’indice de Gini, ce qui porterait la hausse annuelle à 0,007 point à 0,296, un niveau jamais atteint si on exclut la période 2010-2012 touchée par la crise et l’austérité des années 2010 et 2011. Bref, l’effet négatif sur les inégalités est sans doute beaucoup plus grave que ce que l’on peut aujourd’hui juger. L’estimation complète de l’indice de Gini pour 2018 sera publiée en septembre 2020.

Un changement en 2019 et 2020 ?

Reste évidemment une question : la situation va-t-elle changer avec les mesures fiscales 2019 et 2020, notamment la fin de la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des ménages et la baisse de l’impôt sur le revenu pour les contribuables soumis aux deux premières ? Une évaluation de l’Institut des politiques publiques (IPP) publiée le 18 octobre a permis de mettre en évidence un « rééquilibrage » des mesures vers les « classes moyennes », entendues au sens large. Selon l’IPP, ce seraient alors, sur la période 2018-2020, la partie de la population comprise entre les 25 % les plus pauvres et les 25 % les plus riches qui seraient les grands gagnants des mesures fiscales de ces trois années avec des gains de revenus disponibles autour de 3 %, tandis que les 1 % les plus riches, eux, verraient ces gains s’établir à 2 %.

Impact des mesures budgétaires de 2018 à 2020. © IPP Impact des mesures budgétaires de 2018 à 2020. © IPP

Mais cela amène une première remarque : cette politique de rééquilibrage n’est pas le fruit de la « politique du gouvernement », mais d’une crise sociale que ce gouvernement cherche à éteindre sans revenir sur ses réformes passées.

Au reste, il faut alors prendre garde : l’effet signalé par l’Insee d’un changement de comportement induit par des versements accrus de dividendes liés au PFU pourrait perdurer et augmenter d’autant les gains pour les plus riches. Ces derniers, par ailleurs, cesseront de payer l’ISF sur le patrimoine mobilier et donc réalisent de facto ce gain chaque année, même si ce gain n’est pas enregistré comme tel dans les statistiques.

Par ailleurs, comme l’a noté l’économiste de l’OFCE Pierre Madec, en euros, les gains moyens montrent encore des écarts considérables : 4 462 euros en moyenne pour les 1 % les plus riches contre 800 à 1 300 euros pour les classes moyennes. À noter enfin qu’en fin de quinquennat interviendra la suppression de la taxe d’habitation pour les 20 % les plus riches.

Enfin et surtout, les grands perdants, sans aucune contradiction possible, de ces mesures sont les personnes figurant dans le premier décile, autrement dit les 10 % les plus pauvres en termes de revenus. Pour eux, les gains sont faibles et parfois même nuls ou négatifs. Ce sont eux qui participent le plus au financement des baisses d’impôts pour les classes moyennes. Soit par la pression exercée sur la dépense sociale : contemporanéité du calcul des allocations logement (1,4 milliard d’euros d’économies en 2020), la réforme de l’assurance-chômage (800 millions d’euros), la désindexation des allocations sociales… Dès lors, le verdict devrait inévitablement conduire de nouveau à un creusement des inégalités, particulièrement entre les deux extrêmes de l’échelle sociale.

Effet du budget 2018-2020 sur les ménages par déciles en euros. © IPP/ Pierre Madec (OFCE) Effet du budget 2018-2020 sur les ménages par déciles en euros. © IPP/ Pierre Madec (OFCE)

L’Insee a en effet également donné son estimation du taux de pauvreté pour 2018 et il est inquiétant puisqu’il aurait augmenté de 0,6 point à 14,7 %. Ce serait le taux le plus élevé depuis les années 1970 ! Ce taux traduit la partie de la population vivant sous le seuil de 60 % du revenu médian, autrement dit du revenu qui divise la population en deux parties égales.

Il faut cependant immédiatement relativiser cette hausse qui prend en compte la baisse des allocations logements dans le logement social mais pas la baisse des loyers qui l’a accompagnée. Le taux de pauvreté étant en effet calculé sur le revenu médian, une baisse de dépense n’est pas prise en compte alors que l’est la baisse des allocations. Notons cependant que ce calcul n’est pas incohérent : les loyers peuvent être à nouveau relevés, mais l’allocation, elle, est perdue.

Corrigé de cet élément statistique, le taux de pauvreté se situe à 14,3 %, soit une hausse de 0,2 point. Cela se traduirait cependant par une troisième année consécutive de hausse avec un taux de pauvreté qui serait le plus élevé depuis 2011 et qui n’a été dépassé qu’à deux reprises depuis vingt-trois ans : en 1996 et en 2011. Bref, malgré la correction, c’est un mauvais chiffre qui laisse 9,1 millions de personnes en France en situation officielle de pauvreté…

Là encore, on voit combien le discours du gouvernement sur les hausses de certains minima sociaux n’était que de façade. Pour la masse des plus pauvres, la situation ne s’améliore pas. D’une part parce que les transferts sociaux demeurent sous pression et, d’autre part parce que les salaires des plus fragiles progressent moins vite que les autres. L’Insee explique ainsi cette progression du taux de pauvreté par « l’augmentation du niveau de vie médian », notamment en raison de « salaires relativement dynamiques ». Mais si cette augmentation laisse davantage de personnes sous la barre des 60 % de ce niveau médian, c’est que, précisément, les revenus des plus pauvres ne progressent pas aussi vite que ceux des autres. Cela signifie donc que les hausses de revenu sont concentrées en haut de l’échelle sociale.

C’est la conséquence directe de la précarisation et de la libéralisation du marché du travail dont la raison réelle est bien de favoriser la formation « correcte » du prix. Autrement dit, la pression pour modérer les salaires les plus modestes pour les travaux les moins productifs est naturellement plus forte que sur les autres. On voit ici l’effet direct des « réformes structurelles » tant vantées par le gouvernement et d’autres… Il faut, à cela, ajouter le fait que le versement disproportionné des dividendes en 2018 en raison du PFU a conduit à cette hausse relative.

Dès lors, il est difficile de définir autrement que comme une politique clairement de classe la politique d’Emmanuel Macron. Son rééquilibrage en faveur des classes moyennes pour faire accepter par ces dernières ses réformes structurelles, du marché du travail aux retraites en passant par les privatisations et l’assurance-chômage. Mais il semble déjà possible de dire que ce quinquennat restera comme celui d’un grand changement : le renversement, sans crise économique majeure, de la dynamique des inégalités en France. Une première.

Il n’y a là rien d’étonnant : le néolibéralisme qu’Emmanuel Macron met en œuvre dans le pays avec ses certitudes économiques liées au « ruissellement » est une machine idéologique à créer des inégalités et de la pauvreté. Il favorise ouvertement sous couvert d’une illusoire « efficacité économique » les classes les plus aisées au détriment des plus fragiles. Ce phénomène s’est déjà réalisé en Suède, un des modèles de l’actuel pouvoir, où l’indice de Gini est passé entre 1990 et 2017 de 0,21 à 0,28.

Jusqu’ici, la France avait résisté en voyant ses inégalités contenues. Emmanuel Macron a fait le choix d’en finir avec cette capacité de l’économie française. Il favorise les détenteurs de capitaux mobiliers, mais il prend ainsi un risque politique considérable dans un pays qui est très peu tolérant avec le creusement des inégalités. En cela, à un moment délicat où la croissance française stagne à un niveau bas et où celle du monde s’affaisse, il joue plus que jamais avec le feu. En tout cas, une chose est certaine, il existe une raison suprême pour laquelle Emmanuel Macron n’a jamais pu se débarrasser de son qualificatif de président des riches : c’est que cette locution résume parfaitement sa politique.

Source https://www.mediapart.fr/journal/france/161019/en-2018-les-inegalites-et-la-pauvrete-ont-fortement-augmente-en-france?onglet=full

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