Avec la pandémie, la Grèce caracole en dettes

Par Fabien Perrier

La Grèce a multiplié les confinements, longs, afin d’éviter un débordement des hôpitaux et sauver l’industrie touristique. Mais l’économie, caractérisée par la prédominance de très petites entreprises, est à bout de souffle. Au risque de sombrer dans une nouvelle crise des dettes…

En Grèce, les données économiques publiées ce 22 avril par l’Office grec des statistiques, Elstat, sont inquiétantes sur l’état du pays. Confiné depuis le mois de novembre 2020 en raison de la pandémie, après avoir déjà été mis sous cloche entre mars et mai 2020, Athènes voit son économie s’effondrer. Ainsi, le produit intérieur brut a chuté de 17,6 millards entre 2019 et 2020 (-9,6%). Les recettes de l’Etat ont diminué quand les dépenses ont augmenté. La dette publique atteint désormais 341 milliards d’euros, soit 205,6% du PIB. Pour mémoire, quand la Grèce commençait à être attaquée par les marchés en 2010, le poids de la dette publique était d’environ 120% du PIB…

À la suite de ces attaques, la Grèce avait été soumise à une austérité violente, engendrant privatisation du secteur public, hausse de la taxation, baisse des salaires. Bref, il en a résulté une paupérisation de la population encore palpable dans le pays. Après la pandémie, la Grèce risque-t-elle, alors, de renouer dans cette spirale infernale ?

Le tourisme, ressource essentielle, fait défaut

À Athènes, la question est lancinante dans la presse. Il n’y a pas un jour sans qu’un article ne soit publié pour débattre des solutions possibles. Idem dans la population : « Que va-t-il se passer dans quelques mois ? Je crains le pire ! » confie ainsi Maria, marchande de fruits et légumes dans un quartier de classe moyenne de la capitale. Dans son échoppe, pourtant, les affaires tournent : « Avec le confinement, les gens cuisinent sans cesse » plaisante-t-elle. Avant d’ajouter : « Pour l’instant, l’activité est même un peu meilleure qu’en 2020. » Mais depuis le premier confinement il y a plus d’un an, l’agence immobilière où officie sa fille, 24 ans, est à l’arrêt.

« Heureusement qu’elle vit chez nous. Comment ferait-elle sinon ? » Quant au fils de Maria, 26 ans, habituellement serveur dans une taverne, il est également sans emploi depuis novembre, et chez ses parents. « J’espère que les touristes vont revenir cette année », souffle Maria. Ajoutant : « Aujourd’hui, en Grèce, ce sont d’abord les étrangers qui achètent les beaux biens immobiliers ; et sans eux, les tavernes tournent au ralenti ! » La livraison à domicile n’a pas permis de combler les pertes engendrées par la fermeture des salles de restaurants et des terrasses. Quant au tourisme, il fait effectivement défaut. Avant la pandémie, il était, pourtant, une ressource essentielle pour le pays.

Un pari à moitié payant

Ainsi, en 2019, 34 millions de voyageurs avaient visité le pays. Le tourisme avait généré directement 21,5 milliards d’euros de revenus (11,7% du PIB), mais en incluant les revenus indirects, cette part grimpait même à 30,9% du PIB. C’est bien au-delà de la moyenne européenne (9,1%). Sauf qu’en 2020, la Grèce n’a accueilli que 8 millions de touristes. C’est, d’ailleurs, pour tenter de sauver ce secteur que le gouvernement avait mis en place sa stratégie de confinement précoce et strict début 2020. En évitant un débordement des hôpitaux, en présentant des chiffres rassurants sur la situation sanitaire dans le pays, il voulait faire du pays une « destination sûre ». Bref, l’ambition était de faire le plein touristique pendant l’été.

Le pari n’a été qu’à moitié payant. En 2019, la Grèce avait accueilli 34 millions de touristes ; ils n’ont été que 8 millions à séjourner dans le pays en 2020. Les musées et sites archéologiques, fréquentés par plus de 841 000 personnes en 2019 n’ont enregistré que 49 200 entrées en 2020. Même constat chez les hôteliers : leur chiffre d’affaires a chuté de 70% en 2020 par rapport à 2019, et pour l’instant, tous déplorent l’état des carnets de réservation : désespérément vides. Evgenios Vassilikos, secrétaire général de l’Association des hôteliers d’Athènes, explique : « Dans notre scénario optimiste, nous espérons que l’activité hôtelière soit, cette année, la même qu’en 2020. »

Chute brutale d’activité

Certes, tous les pays de l’Union européenne ont connu des chutes brutales d’activité pendant l’année 2020. Dans ces conditions, selon Louka Katseli, ex-Ministre de la réforme de l’Etat et Professeure d’économie, « il est temps que la Grèce en finisse avec la concentration de son économie autour des secteurs du tourisme, des loisirs, de la culture et de la restauration. » A ses yeux, ce n’est toutefois qu’une des raisons de la faible résilience de l’économie grecque. Elle note également « l’héritage de la crise financière et son poids sur l’économie », ou encore « la prédominance des petites entreprises. »

En effet, d’après les statistiques de la Commission européenne (SBA), les micros entreprises (moins de 10 personnes) représentent 97,4% des 821 640 entreprises que compte le pays, et 62% de l’emploi ; il n’y a, en Grèce, que 331 grandes entreprises, c’est-à-dire qui comptent plus de 250 salariés ! « Le secteur privé n’a pu résister aux confinements, entrainant un sur-endettement des entreprises et des ménages », alerte Louka Katselli. D’après Michalis Nikiforos, de la Chambre économique de Grèce, « 81% des PME risquent la faillite ; 40% n’auront plus de liquidités à la fin du mois – chiffre qui grimpe même à 50% pour les bars et les restaurants. »

La dette privée a grimpé en flèche

Du coup, chez les petits entrepreneurs, l’inquiétude est de mise. Le Président de la confédération hellénique des artisans et commerçants (GSEVEE), Giorgos Kavvathas, explique ainsi : « sept ménages grecs sur 10 ont le commerce comme source principale de revenus, des revenus qui se sont effondrés en 2020. Le gouvernement ne s’est pas attaqué à ce problème. Bien sûr, il a indemnisé les salariés mais il n’a pas aidé de façon adéquate les classes moyennes de la société grecque. ». Pourtant, 38 milliards d’euros ont été déboursés par le gouvernement en mesure de soutien (prêts aux entreprises, reports de loyers, allocation-chômage d’environ 400 euros pour les salariés non employés pendant les confinements). Mais, note Giorgos Kavvathas, « ce chiffre est biaisé : il comprend des éléments très différents, notamment des prêts, mais pas d’aide directe aux petites et moyennes entreprises. »

« Prêts », le mot est lancé. Et dans un pays qui a connu une « crise de la dette », il rappelle de mauvais souvenirs. En effet, après la crise mondiale de 2008, la Grèce s’est retrouvée dans l’oeil des marchés, et sa dette publique a été attaquée. Il s’en est suivie une plongée de 10 ans dans l’austérité. À partir de 2018, le pays avait renoué avec un soupçon de croissance ; il est de nouveau frappé par la récession. Selon la Banque de Grèce, elle a été de -8,2% de PIB (contre 6,6% en moyenne européenne) en 2020, et supérieure à -10% au premier trimestre 2021. La dette publique a explosé pour atteindre 205,6% du PIB. La dette privée a, elle-aussi, grimpé en flèche. Elle atteint désormais 200% du PIB, contre 174% en 2019. En cumulé, c’est 400% d’endettement ! Aussi, Louka Katseli craint « qu’il ne soit déjà trop tard pour résoudre ce problème. Le risque est grand qu’au sortir de la pandémie, si le taux d’intérêt de la BCE augmente, les marchés s’interrogent sur la capacité de la Grèce à rembourser une dette aussi élevée. »

Plan de relance

Certes, la Grèce recevra 32 milliards d’euros (18,2 milliards d’euros sous forme de subvention, 13,7 milliards d’euros sous forme de prêts à faible taux d’intérêt) dans le cadre du plan de relance de la Commission européenne. Le Premier ministre, Kyriakos Mitsotakis (Nouvelle Démocratie, droite) affirme que « le plan de relance national peut ajouter 7 points de croissance supplémentaire au cours des six prochaines années et créer 200 000 emplois. » Au programme : accroissement des énergies renouvelables, accélération de la transition numérique, développement du numérique, ou encore financement d’infrastructures.

Mais nombreux sont ceux qui doutent qu’il suffise à renforcer l’économie grecque. Au contraire : aucune des technologies évoquées n’est fabriquée en Grèce. Elles seront donc importées, contribuant à mettre la Grèce sous la dépendance de grands pays. De nombreux économistes en appellent à restructurer la base productive grecque et à prendre des mesures pour moderniser le tissu des PME. Bref, à rendre l’économie apte à affronter une nouvelle crise… dont tous les ingrédients sont déjà présents dans un cocktail explosif.

Source https://www.marianne.net/monde/europe/avec-la-pandemie-la-grece-caracole-en-dettes

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