Exarcheia sous occupation policière !

Exarcheia sous occupation policière ! par ·

[ALERTE !] Ce que nous vous annoncions depuis un mois et demi vient de commencer ce matin, peu avant l’aube :

EXARCHEIA SOUS OCCUPATION POLICIÈRE

Le célèbre quartier rebelle et solidaire d’Athènes est complètement encerclé par d’énormes forces de police : de nombreux bus de CRS (MAT), des jeeps de la police antiterroriste (OPKE), des voltigeurs (DIAS), des membres de la police secrète (asfalitès), ainsi qu’un hélicoptère et plusieurs drones.

Lieu unique en Europe pour sa forte concentration de squats et d’autres espaces autogérés, mais aussi pour sa résistance contre la répression et sa solidarité avec les précaires et migrants, Exarcheia était dans le collimateur du gouvernement de droite depuis son élection le 7 juillet. Le nouveau premier ministre Kyriakos Mitsotakis en avait fait une affaire personnelle, d’autant plus qu’il avait été raillé début août pour ne pas avoir réussi à atteint son objectif de « nettoyer Exarcheia en un mois » comme il l’avait annoncé en grandes pompes.

Ce matin, 4 squats ont été évacués : Spirou Trikoupi 17, Transito, Rosa de Fon et Gare. L’offensive concerne pour l’instant la partie nord-ouest du quartier, à l’exception notable du squat Notara 26, réputé mieux gardé et très important symboliquement pour le quartier en tant que premier squat historique de la « crise des réfugiés » au centre ville d’Athènes.

On compte pour l’instant une centaine d’arrestations, ainsi que des agressions brutales contre des personnes tentant de filmer. Seuls les médias de masse au service du pouvoir ont l’autorisation de couvrir l’événement.

Au total, il y a 23 squats dans Exarcheia plus 26 autres autour du quartier, soit un total de 49 concentrés sur une zone assez petite. 49 squats auxquels il faut ajouter d’autres types de lieux autogérés, dont certains en location (Espace Social Libre Nosotros, magasin gratuit Skoros, etc.) ainsi que des dizaines de logements particuliers regroupant des groupes de militant.es, souvent près des terrasses pour permettre un accès au-dessus des rues.

Sur les squats qui se trouve précisément à l’intérieur d’Exarcheia, 12 sont des squats d’hébergement pour les réfugié.es et migrant.es et les 11 autres sont des squats de collectifs politiques anarchistes et antiautoritaires (même si la plupart des squats de réfugié.es sont aussi évidemment très politiques, à commencer par le Notara 26 et Spirou Trikoupi 17 avec des assemblées directes et beaucoup de liens avec le reste du mouvement social).

Dans les squats de Spirou Trikoupi 17 et Transito (que les valets du pouvoir sont maintenant en train de murer), plus d’une quinzaine d’enfants ont été arrachés à une existence paisible et heureuse pour être subitement envoyés dans des camps. Ces sinistres camps sont insalubres et surpeuplés, les migrant.es y sont mal nourri.es et souffrent des variations de températures, subissent des humiliations et parfois des tortures, et Mitsotakis exige de surcroît qu’ils soient tous bien fermés et, à l’avenir, complètement coupés du reste du territoire.

Le visage de l’Europe ne cesse de se durcir à l’instar de ce qui se passe également sur les autres continents. Cette évolution toujours plus autoritaire du capitalisme conduit à nous interroger sur ce qu’annonce l’ère actuelle : l’offensive contre les poches d’utopies couplée à l’enfermement des boucs émissaires rappelle des heures sombres de l’Histoire.

Le monde entier devient fasciste et la Grèce en est, une fois de plus, l’un des laboratoires.

Mais rien n’est fini. Septembre arrive bientôt. Les jobs saisonniers se terminent. Le mouvement social se rassemble et s’organise à nouveau. Des lieux comme le Notara 26 et le K*Vox sont sous haute surveillance. Des ripostes se préparent, ainsi que plusieurs grands événements mobilisateurs. L’automne sera chaud à Athènes.

Résistance !

Yannis Youlountas

PS : nous comptons sur vos communiqués, photos, actions en direction des lieux représentant l’état grec à l’étranger. La solidarité est notre arme.

PJ : quelques photos de ce matin :

Source http://blogyy.net/2019/08/26/exarcheia-sous-occupation-policiere/

Interview de Pia Klemp

De Grèce une interview de Pia Klemp par la télé alternative OmniaTv traduite par Anastassia Tsoukala

Omniatv   https://omniatv.com/853449937

Maria Louka, 19/08/2019

Pia Klemp : Quoi qu’il arrive, personne ne pourra m’enlever ma foi en la lutte pour la libération sociale et ma joie d’y participer

Au petit matin du 16 août, Athènes était doucement vide, silencieuse et immobile. Pas de voitures en route pour le travail, pas d’odeur de pain frais en dehors des boulangeries. Seuls les bus démarraient nonchalamment leur procession dans la ville déserte. Mais, au numéro 26 de la rue Notara – là où, d’après le reportage du quotidien Kathimerini, le gouvernement a l’intention de planter des arbres, car il faut bien atteindre le comble du ridicule au beau milieu de l’été – la vie s’épanouissait en dépit des menaces et de la chaleur étouffante. Un groupe de réfugiés et de solidaires discutait avec Pia Klemp dans un anglais approximatif mais, surtout, avec de larges sourires et les bras ouverts.

Elle et Carola Rackete incarnent la lutte contre la criminalisation de la solidarité. Pia Klemp a été la capitaine des navires de sauvetage Iuventa et Sea Watch 3, qui ont effectué beaucoup d’opérations de sauvetage de réfugiés en Méditerranée. Selon la législation raciste adoptée par Salvini, elle a été accusée avec neuf autres personnes « d’aide et de complicité à l’immigration illégale » et risque une peine de prison de vingt ans. La gestion du malheur par l’UE consiste en l’application d’une stratégie visant à la fermeture des frontières, à l’aide financière à la mafia libyenne pour qu’elle mette en place un esclavage moderne sur les ruines d’un pays, aux déportations et aux renvois forcés illégaux des réfugiés, à l’attribution à Frontex d’un rôle de surveillance de la maltraitance, et à la criminalisation de la solidarité. Les élites européennes, qui s’expriment à travers Salvini, estiment qu’il est illégal de vouloir échapper à la guerre, à l’autoritarisme et à la pauvreté. Il est illégal d’aider ceux qui se battent pour rester en vie. Peu importe si les crimes commis au quotidien dans le désert, dans le paysage d’horreur qu’est devenue aujourd’hui la Libye, aux frontières d’Evros ou en Méditerranée violent toutes les conventions internationales des droits de l’homme. Nous vivons dans un état d’exception permanent et immuable, où le pouvoir confirme sa puissance en déchirant les lois.

En quoi se différencie la vision de l’actuel gouvernement de droite en Grèce ? Dès sa montée au pouvoir, le nouveau gouvernement s’est fixé comme priorité l’évacuation des seules structures fonctionnant dans un cadre d’autogestion, de liberté et de coexistence, sans recevoir la moindre aide financière par l’Etat grec ou l’UE. Sans doute, c’est ce qui explique le déferlement de la haine raciste qui se sert enveloppée dans du papier journal. Car les squats d’hébergement des réfugiés prouvent de manière tangible qu’il est possible d’offrir des soins et de la dignité aux gens sans barbelés et hiérarchisations, d’établir des relations d’égalité à l’opposé de la charité, de les voir en tant que sujets actifs et créateurs et non pas en tant qu’individus  superflus » et dangereux.

C’est pour cela qu’est venue ici Pia Klemp. Pour qu’elle partage son vécu et qu’elle entende des histoires d’amour. Pour qu’elle donne et qu’elle prenne du courage. Elle s’est promenée dans le quartier d’Exarchia, qui reste toujours animé et éveillé, elle a visité des espaces d’autogestion et de résistance, elle a parlé dans deux salles remplies d’intérêt et d’espoir, dans le squat Notara 26 et K*BOX respectivement. Elle a parlé de la solidarité et de son corollaire, l’utopie, qui ne permettent pas à la réalité de se transformer en une énorme carapace toxique de misanthropie.

Q : Les médias t’ont connue en tant que capitaine de navire de sauvetage de refugiés en Méditerranée. Tu as pourtant passé plusieurs années en bateau en tant qu’activiste luttant pour la libération des animaux. Abordons d’abord ce point.

R : Oui, j’ai passé les sept dernières années de ma vie à bord des navires. Pendant un long moment, nous participions à des opérations contre l’exploitation des animaux en Antarctique, dans l’Océan Pacifique et surtout dans le Golfe du Mexique où il y a un grave problème de pêche illégale, de chasse aux baleines et de capture de dauphins. Derrière ces pratiques, il y a tout un réseau qui fonctionne de manière mafieuse. On nous a attaqués en mer, on nous a menacés qu’on allait brûler notre navire, on nous a mis en danger en général. Nous avons aussi pénétré dans des industries de production de viande, où nous avons tourné des vidéos pour montrer l’extrême violence dont on se sert dans des lieux pareils. Nous souhaitions faire comprendre aux gens le fait que la consommation de viande et de produits animaliers alimente le système de maltraitance des animaux.  

Q : A Athènes, il y a une mobilisation contre le Parc Zoologique d’Attique, au sein duquel se trouve un bassin de dauphins, dont certains proviennent de populations sauvages capturées en Mer noire ou dans le Golfe du Mexique selon les processus que tu as décrits.

R : Je suis au courant. A mes yeux, tous les jardins zoologiques sont ignobles. Ce sont des espaces de maltraitance extrême d’animaux où on inculque aux enfants l’idée fausse que les animaux sont inférieurs aux êtres humains. Je vous souhaite, donc, bonne chance dans votre combat.

Q : Quand as-tu commencé à t’impliquer dans des opérations de sauvetage de réfugiés en mer ?

R : Je suis allée à bord du navire Iuventa en 2016, nous avons réalisé certains sauvetages et, ensuite, notre navire a été confisqué à Lampedusa. Après, je suis allée à bord du navire SeaWatch 3. Nous avons réalisé des sauvetages pendant un an. En juin, nous avons appris que la justice italienne m’accusait avec neuf autres membres de l’équipage de Iuventa « d’aide et de complicité à l’immigration illégale ». Nos avocats nous ont conseillé d’arrêter provisoirement nos opérations de sauvetage en mer, et nous avons suivi leur conseil. Nous essayons maintenant de recueillir des preuves et de collecter l’argent requis pour le procès. Bon, à vrai dire, nous ne sommes qu’une partie infime du problème. En fait, on criminalise les réfugiés. A travers ses pratiques, l’UE fait passer le message qu’il est illégal de revendiquer le droit à une vie meilleure et en sécurité. Beaucoup de réfugiés et de migrants ont été accusés de trafic de migrants, mais cela reste peu médiatisé. Le plus souvent, les embarcations sont conduites par des réfugiés, soit parce qu’ils paient ainsi moins d’argent pour la traversée, soit parce qu’ils sont forcés de le faire par les trafiquants. Une fois l’embarcation arrivée dans un port européen, les autorités s’empressent de découvrir et d’interpeller le réfugié qui conduisait l’embarcation. Quand on est capitaine blanche, on est « héroïne », mais quand on est réfugié persécuté, on est traité comme les criminels.

Q : Pourquoi as-tu décidé de quitter ton domicile afin de participer à des opérations de sauvetage en mer ?

R : De toute manière, je mène une vie de nomade. Cela fait dix ans que je n’ai pas de domicile fixe. Je vis dans des endroits divers à travers le monde. J’ai participé à des opérations de sauvetage en mer parce que j’avais l’expérience et je savais naviguer. Je suis consciente de mes privilèges en tant qu’européenne, détentrice d’un passeport allemand. A mes yeux, l’exploitation des animaux, tout comme l’exploitation des êtres humains résultent d’un système d’oppression et de violence commun, qui décide que les vies des animaux comptent moins que celles des humains, et que certaines vies humaines comptent moins que d’autres. Considérer qu’il y a des formes de vie consommables me paraît impensable et immoral.

Quel est ton souvenir le plus vif des sauvetages en Méditerranée ?

R : J’en ai plusieurs, tantôt bons, tantôt mauvais. Une fois, il y avait quinze embarcations en mer et nous étions le seul navire de sauvetage à proximité. A ce moment, on devait choisir par où on allait commencer l’opération. Nous nous sommes d’abord approchés d’une embarcation prête à couler, remplie de femmes originaires d’Afrique subsaharienne. Nous avons eu le temps de leur lancer des gilets de sauvetage. Pendant ce temps-là, une autre embarcation a coulé et les gens se sont trouvés dans l’eau. Nous avons expliqué aux femmes que nous devions secourir ceux qui étaient déjà dans l’eau sans aucune protection. Elles se sont alors tenu les mains et ont commencé à chanter. C’était extraordinaire de les voir se donner du courage malgré tout ce qu’elles avaient vécu. Elles n’étaient pas seulement victimes, elles devenaient actrices de l’histoire. Elles étaient activistes, elles-mêmes, bien plus que moi. Elles avaient revendiqué leur liberté et elles étaient allées jusqu’au bout de leur revendication. Le système n’a pas pu faire fléchir leur volonté. Mais, j’ai également de mauvais souvenirs. Des cris des naufragés auxquels nous n’avons pas pu porter secours, des images de femmes voyant leurs bébés se noyer sans qu’elles puissent leur venir en aide. Une fois, les gardes-côtes libyens sont arrivés les premiers près d’une embarcation, ils l’ont transpercée, beaucoup de gens se sont trouvés dans l’eau. Les gardes-côtes essayaient de les faire monter à bord de leur navire, mais plusieurs se jetaient à nouveau dans la mer en disant qu’ils préféraient se noyer plutôt que de retourner en Libye. Nous avons pu sauver soixante personnes, quarante autres ont été enlevées par les garde-côtes libyens et les autres, trente ou quarante personnes, ont été noyées. Nous avions à bord un jeune homme qui se balançait sans cesse           en avant et en arrière en disant « ma sœur, ma sœur ». Il l’avait perdue de vue et ne savait pas si elle avait été noyée ou si elle avait été forcée de retourner en Libye. Nous les sauvons, nous savons à quel point ils sont traumatisés et, après, on les remet aux garde-côtes italiens, parmi lesquels certains sont gentils mais il y en a qui sont fascistes et les traitent de manière inhumaine.

Q : Est-ce qu’ils parlent de ce qu’ils ont vécu en Libye ?

R : Il suffit de les regarder, tout est là. Dans la plupart des cas, ils ne portent qu’un short. Ils ne possèdent rien. Ils portent des traces de coups de feu et de coups de fouet. On les torture et on filme les scènes pour les envoyer à leurs familles afin de leur soustraire davantage d’argent. Nous avons rencontré un homme à l’oreille coupée, on la lui avait coupée dans un centre de détention libyen. Nous avons entendu plusieurs histoires sur des femmes violées. Dans les centres de détention, on leur distribue une bouteille d’eau une fois par jour ou tous les deux jours. C’est tout ce qu’ils ont pour boire et verser dans les toilettes. Des conditions indescriptibles que j’ai du mal à imaginer. L’Europe ne se soucie guère des morts dans les pays d’origine, dans le désert, dans les centres de détention, en mer. Elle n’a de soucis que lorsqu’elle voit un sauveteur tenant un enfant dans les bras. Une fois, nous avions à bord un enfant de deux ans et demi, mort suite à un incident impliquant les garde-côtes libyens. La marine italienne et la marine française étaient à proximité, mais n’ont rien fait. Nos médecins à bord ont tenté de le ranimer, en vain. Nous avons dû le placer dans un frigo car nous n’avions pas d’autre espace à notre disposition, alors que sa mère était à bord aussi. Pendant trois jours, l’Europe ne nous autorisait pas à accoster. Nous envoyions sans cesse des appels en précisant que nous avions à bord soixante réfugiés exténués. Quand, enfin, nous avons été autorisés à entrer dans un port italien, nous avons vu qu’on avait préparé une fiesta au port pour le garçonnet décédé. Les gardes-côtes ont transporté pieusement son cadavre et ils ont fait appel à un prêtre pour la messe funéraire. Ils ne se sont pas renseignés sur sa religion. Ils ont appelé un prêtre catholique. C’était très hypocrite, tous ces gens-là n’avaient rien fait pendant que le garçonnet était encore vivant.  

Q : L’UE ne serait-elle pas coresponsable de l’émergence de l’esclavage moderne en Libye et des crimes des garde-côtes libyens ?

R : Tout à fait. Les autorités libyennes gagnent de l’argent grâce au trafic des réfugiés, elles sont subventionnées par l’UE pour maintenir les réfugiés dans des camps exécrables, elles font du chantage aux familles des réfugiés pour qu’elles leur versent encore plus d’argent, elles placent les réfugiés dans des embarcations de fortune que, par la suite, elles détruisent pour renvoyer les réfugiés au pays. Un cercle de destruction qui se perpétue grâce aux subventions communautaires.

Q : Tu as déjà visité l’île de Lesbos. Penses-tu que la dignité humaine est aussi bafouée dans le camp de Moria ?

R : Je suis allée à Lesbos parce que j’ai des amis qui y travaillent. C’est ainsi que j’ai pu visiter le camp de Moria où, en effet, les conditions de vie sont lamentables. C’est désespérant de savoir que les gens, qui ont dû voyager si longtemps, venant de très loin et faisant face à tant de difficultés afin de se trouver en sécurité, aboutissent dans un tel camp. C’est comme si on ne reconnaissait aucun droit aux réfugiés, comme si on les privait de toute possibilité de rêver d’un avenir meilleur.

Q : Je me dis que toi et Carola vous êtes devenues des symboles de la lutte contre la criminalisation de la solidarité. Etre capitaine est rare, l’être lors des missions de solidarité est encore plus rare. D’un autre côté, il y a sans doute une instrumentalisation médiatique. Qu’en penses-tu ?

R : Ceci est aussi important pour notre combat que tout le reste. Il y a des gens superbes à bord d’un navire de sauvetage, lesquels, indépendamment de leurs compétences spécifiques, font des choses incroyables en mer. Je sais qu’il y a du sexisme, même dans les milieux activistes, qu’il y a des rôles liés aux genres et des stéréotypes. On doit mettre tout cela en question et l’écarter de notre vie. Toutefois, je ne peux que répéter ce que j’ai dit auparavant. On assiste à une sensibilisation sélective face à la présence d’une femme aux commandes d’un navire, alors que des milliers de réfugiées se battent pour rester en vie dans l’indifférence absolue des médias.

Q : La législation adoptée par Salvini illustre une facette de la croissante fascisation de l’Italie et, éventuellement, de l’UE. Es-tu optimiste quant à l’émergence des résistances ?

R : Salvini ne représente que l’avant-garde. Tous les chefs de gouvernement européens sont satisfaits de cet état des choses et le déclarent aussi bien par leur silence que par leur refus d’accueillir des populations réfugiées. La montée en puissance de l’extrême droite ne constitue pas un fait qui se produira dans un futur vague. Nous sommes en train de vivre ce fait. L’Europe forteresse, la militarisation de la question des réfugiés et la criminalisation de la solidarité ne sont que des faits révélateurs de cette tendance. J’espère de tout cœur que cela se heurtera à une large résistance et désobéissance.

Q : Ces jours-ci, tu as eu la possibilité de fréquenter certaines structures autogérées dans le quartier d’Exarchia, telles que les squats d’hébergement des réfugiés. Le nouveau gouvernement grec menace d’évacuer ces squats et de renforcer la répression dans ce quartier. Penses-tu qu’il faudrait soutenir un mouvement de défense de ces structures ?

R : C’est pour cela que je suis venue ici, pour exprimer ma solidarité. Je trouve très beau le fait d’avoir des gens vivant et luttant ensemble. Il y a une communauté internationale de solidarité, d’amour et de combat. J’aime faire connaissance avec ses parties et me lier avec elles. On doit défendre les squats en Grèce et notamment les squats d’hébergement des réfugiés car ce sont des espaces de liberté à forte connotation symbolique. Ils montrent clairement qu’on peut prendre vraiment soin des gens loin de la violence et du contrôle de la police. En plus, vivre à côté des réfugiés brise l’ignorance. Les connaître à travers les médias est une chose, vivre à côté d’eux en est une autre.

Q : Es-tu préoccupée par l’évolution de ton affaire devant la justice ?

R : Non, parce que le pire est déjà arrivé. A partir du moment où on a fermé les frontières et signé l’accord entre l’UE et la Turquie, le droit à la vie a été criminalisé impliquant ainsi la mort de nombreuses personnes. Ceci étant, je suis bien évidemment préoccupée par l’évolution de mon affaire. Mais, quoi qu’il arrive, personne ne pourra m’enlever ma foi en la lutte pour la libération sociale et ma joie d’y participer.

Les 20 ans d’Attac en Rhône Alpes

Les 20 ans d’Attac en Rhône-Alpes, c’est le samedi 28 septembre  à Montmélian

Les comités locaux de Rhône-Alpes s’associent pour marquer leurs vingt ans le temps d’une journée : dès 10 heures le samedi 28 septembre, ateliers, conférence et concerts animeront cette journée.

L’idée d’une journée régionale rhonalpine pour marquer les 20 ans de nos comités locaux a pris naissance l’été dernier lors de l’Université d’été de Grenoble. Cette rencontre régionale se déroulera à l’espace François Mitterrand de Montmélian (Savoie) le samedi 28 septembre.

 

  • La première partie, de 10 h à 16 h, est plutôt orientée vers les adhérent·e·s et proches sympathisant·e·s avec plusieurs ateliers de formation en parallèle et un repas en commun le midi qui sera proposé par le traiteur qui assurera également les ventes de repas le soir ; ce temps doit permettre la rencontre et les échanges entre les comités de la région, et aussi entre militant·e·s nouve·lles·aux et ancien·ne·s. Les ateliers aborderont la présentation d’Attac, ses objectifs et ses stratégies, ainsi que les thématiques sur lesquelles nos comités locaux peuvent être spécifiquement investis, comme l’opposition au Lyon-Turin.

Le collectif de Grenoble ( soutenu par attac 38 et le Cadtm 38) animera un atelier intitulé : « La Grèce : comment asservir un peuple et coloniser un pays ». Nous présenterons notre collectif, les raisons de sa création, ce que nous faisons (le site internet, les Viome, les convois, les dispensaires, les films …) et un développement sur la situation en Grèce.

La seconde partie de la journée est ouverte à tou·te·s ( à prix libre). Elle débutera à 16 h avec une conférence publique d’Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac France : « Contre la politique néolibérale de Macron, préservons les biens communs ». La rencontre se terminera en musique avec deux groupes locaux : des chants engagés avec « Néotopia », puis un bal cajun avec « Advien’Quepeu ». La restauration du soir, bio et locale, sera assurée par un traiteur militant.

Toute la journée, des stands permettront à des organisations partenaires (membres fondateurs d’Attac et/ou partenaires locaux) de faire connaître leurs combats et d’échanger avec les participant-e-s, devant ainsi permettre une meilleure connaissance réciproque.

Pour finir en beauté, nous vous proposons de réaliser ensemble une action non-violence le dimanche 29 septembre au matin. Ainsi nous passerons ensemble à l’action !

Source et inscriptions https://france.attac.org/agenda/article/les-20-ans-d-attac-en-rhone-alpes

SOS Méditerranée : Rescapés autorisés à débarquer à Malte

Les 356 rescapés à bord de l’Ocean Viking enfin autorisés à débarquer à Malte

SOS MEDITERRANEE : “les États européens et leurs sociétés civiles ne peuvent accepter que de tels blocages se produisent à nouveau“

Après un blocage de 14 jours, les 356 personnes sauvées par SOS MEDITERRANEE il y a deux semaines vont finalement débarquer de l’Ocean Viking, navire de sauvetage opéré par SOS MEDITERRANEE en partenariat avec Médecins sans frontières (MSF). Elles seront transférées sur des navires appartenant aux Forces armées maltaises puis débarquées à Malte, suite à un accord de répartition entre six pays membres de l’Union Européenne (Irlande, Portugal, France, Roumanie, Allemagne et Luxembourg).

« SOS MEDITERRANEE est soulagée qu’une solution européenne ait finalement été trouvée pour les 356 rescapés à bord de l’Ocean Viking. Quatorze mois après le premier blocage vécu par notre précédent navire, l’Aquarius, nous regrettons qu’il n’y ait pas de mécanisme prévisible européen mis en place afin d’éviter de prolonger la souffrance de personnes vulnérables en pleine mer. Le fait que Malte, plusieurs États membres et la Commission européenne aient eu un rôle décisif dans cette prise de décision montre qu’une nouvelle coopération est possible afin d’éviter d’autres naufrages mortels et des blocages inutiles en Méditerranée centrale. Nous espérons que la solution ad hoc mise en place ce jour se transformera bientôt en un mécanisme de débarquement prévisible et pérenne, mécanisme promis à plusieurs reprises par plusieurs États membres de l’Union européenne », explique Frédéric Penard, directeur des opérations de SOS MEDITERRANEE.

« Ce blocage de 14 jours de l’Ocean Viking a été choquant. Les États européens et leurs sociétés civiles ne peuvent accepter qu’une telle situation puisse se reproduire. SOS MEDITERRANEE et MSF retourneront en mer le plus vite possible : tant que des personnes seront en situation de détresse en mer Méditerranée et tant que les États ne prendront pas leurs responsabilités, la société civile et les sauveteurs prendront la mer afin de tenter d’empêcher des personnes qui fuient la Libye de se noyer », ajoute Frédéric Penard.

L’Ocean Viking va maintenant procéder à un changement d’équipage, à un ravitaillement en carburant et réapprovisionnement du navire avant de repartir au plus vite en zone de recherche et de sauvetage, au large des côtes libyennes.

Photo : Hannah Wallace Bowman / MSF

Source http://www.sosmediterranee.fr/journal-de-bord/23082019-declaration

 

E Toussaint au sujet de Y Varoufakis 9e partie

Série : Le témoignage de Yanis Varoufakis : accablant pour lui-même

Tsipras et Varoufakis vers la capitulation finale Partie 9 par Eric Toussaint

A partir de la fin avril 2015, sous la pression des dirigeants européens, Tsipras met de côté Varoufakis, sans lui retirer son portefeuille de ministre des finances, pour les négociations à Bruxelles. Il le remplace par Euclide Tsakalotos et donne de plus en plus de poids à Georges Chouliarakis qui agissait objectivement dans l’intérêt des créanciers depuis février 2015. Dijsselbloem et Juncker avaient insisté auprès de Tsipras pour que Chouliarakis soit au centre des négociations car c’était le représentant grec avec lequel ils se sentaient le plus en confiance [1].

Lire les autres articles de la série :

1 – Les propositions de Varoufakis qui menaient à l’échec
2 – Le récit discutable de Varoufakis des origines de la crise grecque et ses étonnantes relations avec la classe politique
3 – Comment Tsipras, avec le concours de Varoufakis, a tourné le dos au programme de Syriza
4 – Varoufakis s’est entouré de tenants de l’ordre dominant comme conseillers
5 – Dès le début, Varoufakis-Tsipras mettent en pratique une orientation vouée à l’échec
6 – Varoufakis-Tsipras vers l’accord funeste avec l’Eurogroupe du 20 février 2015
7 – La première capitulation de Varoufakis-Tsipras fin février 2015
8 – Les négociations secrètes et les espoirs déçus de Varoufakis avec la Chine, Obama et le FMI

Tsipras accepte de faire de nouvelles concessions à la Troïka avec laquelle il multiplie les contacts et les discussions. Selon Varoufakis, Tsipras a envoyé un courrier fin avril 2015 à la Troïka dans lequel il signifiait son acceptation de dégager un surplus budgétaire primaire de 3,5 % chaque année pour la période 2018-2028. Cette nouvelle reculade rendait impossible la fin de l’austérité car cela nécessitait des coupes supplémentaires dans les budgets sociaux et une accélération des privatisations. Cela n’a pas suffi à la Troïka qui voulait d’autres concessions et un accord n’a pas été trouvé.

« Selon Varoufakis, Tsipras a envoyé un courrier fin avril 2015 à la Troïka dans lequel il signifiait son acceptation de dégager un surplus budgétaire primaire de 3,5 % chaque année pour la période 2018-2028 »

Pendant ce temps, la Commission pour la vérité sur la dette grecque instituée par la présidente du parlement grec travaillait d’arrache-pied pour produire son rapport et ses recommandations avant la fin du deuxième mémorandum qui avait été prolongé jusqu’au 30 juin 2015. L’objectif était de présenter le rapport lors d’une séance publique au parlement les 17 et 18 juin 2015 afin de peser sur l’issue du mémorandum et des négociations. Selon le mandat reçu par la commission, il fallait identifier la proportion de la dette qui peut être définie comme illégitime, illégale, odieuse ou insoutenable.

La commission était composée de 30 personnes, 15 provenant de Grèce et 15 provenant de l’étranger dont plusieurs professeurs de droit dans différentes universités (en Grande-Bretagne, en Belgique, en Espagne et en Zambie), un ex-rapporteur des Nations unies en matière de dette et de respect des droits de l’homme, des experts en finance internationale, des auditeurs des comptes publics, des personnes ayant participé antérieurement à des audits de la dette publique, un ex-président d’une banque centrale et ex-ministre de l’économie, des spécialistes des banques ayant acquis une connaissance approfondie du secteur bancaire au cours de leur vie professionnelle. Parmi les 15 personnes provenant de Grèce, plusieurs avaient une expérience dans le monde bancaire, dans le domaine de la finance internationale, du droit, du journalisme, de la santé.

Les membres de la commission dont je coordonnais les travaux s’étaient mis d’accord sur les définitions correspondant aux dettes illégitimes, odieuses, illégales et insoutenables ainsi que sur une méthodologie de travail. Ils s’étaient répartis en six groupes de travail dont trois analysaient les dettes réclamées par les différents créanciers : un groupe auditait les dettes réclamées par le FMI, un deuxième groupe celles réclamées par la BCE, un troisième celles réclamées par les 14 pays de la zone euro qui avaient octroyé des prêts bilatéraux en 2010 ainsi que celles dues aux deux organismes créés par la commission européenne pour octroyer des crédits à la Grèce, le Fonds européen de stabilité financière (FESF) et le Mécanisme européen de stabilité (MES) qui lui avait succédé. Ces différents créanciers qui étaient représentés par la Troïka détenaient plus de 85 % de la dette grecque en 2015. Trois autres groupes de travail fonctionnaient. L’un devait produire une analyse du processus d’endettement public avant 2010. Le deuxième devait fournir une évaluation rigoureuse des mesures dictées par la Troïka (et acceptées par les gouvernements qui s’étaient succédé depuis 2010) et de leur impact sur l’exercice des droits humains fondamentaux. Le dernier groupe de travail réunissait plusieurs juristes et élaborait des conclusions en termes juridiques et des recommandations aux autorités grecques.

« Ces différents créanciers (FMI, BCE et 14 pays de la zone euro) qui étaient représentés par la Troïka détenaient plus de 85 % de la dette grecque en 2015 »

Une partie importante des travaux de la commission était publique. Les séances se déroulaient dans le parlement et étaient retransmises en direct par la chaîne parlementaire. Celle-ci gagnait au fil des semaines de plus en plus d’audience dans un public qui commençait à se détourner des chaînes de télévision qui étaient privées et étaient opposées au gouvernement Tsipras. La chaîne publique ERT fermée à partir de juin 2013 à la demande de la Troïka n’a repris ses activités qu’à partir du 11 juin 2015, une semaine avant que la commission d’audit ne remette ses conclusions.

La commission a procédé à des séances d’audition de témoins qui étaient, elles aussi, retransmises en direct par la chaîne parlementaire. Philippe Legrain, ex-conseiller direct du président de la Commission européenne pendant le premier mémorandum, est venu de Londres pour témoigner [2], de même que Panagiotis Roumeliotis, ex-représentant de la Grèce au FMI au début du premier mémorandum [3]. Ces séances ont permis de montrer à un large public les véritables raisons de l’intervention de la Commission européenne, de la BCE et du FMI.

Malgré des demandes répétées qui lui ont été adressées, Yanis Varoufakis n’a pas aidé la commission à réaliser sa mission. Son désintérêt pour la commission est patent car il ne mentionne pas une seule fois celle-ci dans le livre qu’il consacre à son explication des évènements de 2015. Il n’a pas du tout compris que cette commission et les conclusions qu’elle allait produire pouvaient grandement aider la Grèce à se libérer des créanciers avec des arguments très forts tant par rapport à l’opinion publique en Grèce que par rapport à l’opinion internationale. Bien sûr, pour que les propositions de la Commission trouvent un débouché concret, il aurait fallu que des membres du gouvernement fassent du bruit autour des enjeux et des travaux de cette commission. Qui était la personne la mieux placée du gouvernement pour faire écho à l’audit de la dette si ce n’est le ministre des finances ?

« Le refus de Varoufakis et de Tsipras de mentionner à l’étranger les travaux de la commission est en relation directe avec leur stratégie funeste […] Le mandat attribué à la commission par la présidente du Parlement grec les dérangeait profondément »

Quant à Tsipras, son soutien à la commission était purement formel et il s’est bien gardé de s’y référer lors de ses déclarations publiques à l’étranger.

Du côté de l’aile gauche de Syriza, une partie n’a pas saisi l’importance des travaux de la commission. Son leader principal, Panagiotis Lafazanis, n’est pas venu une seule fois aux séances publiques de la commission tandis que d’autres ministres membres de la Plateforme de gauche l’ont activement soutenue. C’est le cas de Dimitris Stratoulis, en charge des pensions, de Costas Isychos, vice-ministre de la défense et de Nadia Valavani, vice-ministre des finances.

Le refus de Varoufakis et de Tsipras de mentionner à l’étranger les travaux de la commission est en relation directe avec la stratégie funeste qu’ils mettaient en pratique. Cette stratégie consistait à chercher une solution en matière d’allègement du paiement de la dette sans remettre en cause sa nature, sans accepter de reconnaître son caractère illégitime et odieux. Leur stratégie consistait également à pratiquer la diplomatie secrète et à faire croire que la Troïka avait disparu.

Le mandat attribué à la commission par la présidente du Parlement grec les dérangeait profondément.

Le fait de recourir à une participation active des citoyens à l’audit de la dette ne faisait pas partie de leur pratique. Pour eux, tout passait par des négociations au sommet sans mener la moindre campagne de communication internationale pour délégitimer la Troïka. Varoufakis communiquait avec les médias mais uniquement sur la base de propositions qui supposaient qu’un consensus était possible avec les dirigeants européens. Il déclare lui-même dans son livre qu’il leur demandait conseil de manière régulière, notamment quand il rencontrait Wolfgang Schäuble, le ministre des finances allemand, ou Angela Merkel, la chancelière.

Le fameux plan X auquel Varoufakis s’est référé constamment après son départ du gouvernement, lorsque que tout était joué, n’a jamais été communiqué au gouvernement au complet ni au groupe parlementaire et au Comité central de Syriza. Il n’en a parlé qu’au cercle très étroit autour de Tsipras et à quelques-uns de ses collaborateurs qui travaillaient dans le secret. Sa mise en œuvre éventuelle dépendait uniquement de la décision de Tsipras. Or, Tsipras lui a montré à plusieurs reprises qu’il n’était pas prêt à l’appliquer. Les quelques fois où, selon les propres dires de Varoufakis, Tsipras et d’autres membres du cercle ont voulu prendre des mesures fortes, par exemple à l’encontre du gouverneur de la banque nationale ou les 21-22 février en refusant de confirmer certains termes de l’accord du 20 février, Varoufakis affirme qu’il les a convaincus d’y renoncer.

« La décision clé qui signala le point de non-retour est le décret-loi du 20 avril qui ordonnait à tous les organismes publics de transférer les réserves de liquidités à la Banque de Grèce pour payer à temps le versement de juin »

La décision clé qui signala le point de non-retour est le décret-loi du 20 avril qui ordonnait à tous les organismes publics (municipalités, universités, hôpitaux, parlement, bibliothèques publiques etc. sauf les caisses de sécurité sociale et de retraite) de transférer les réserves de liquidités à la Banque de Grèce pour payer à temps le versement de juin, lequel comme tous les versements des premiers mois du gouvernement Syriza était destiné au seul FMI. Ce fut le signal que le gouvernement était bel et bien pieds et poings liés à l’accord du 20 février et refusait toute éventualité de plan B, toute rupture avec les créanciers. Or, Varoufakis n’a jamais émis la moindre réserve sur cette décision fatale, qui rendait sans objet toute discussion sur des plans alternatifs. Il n’en dit pas un mot dans son livre.

Suite à cette décision la position de la Plate-forme de gauche devenait intenable. La question s’est posée par exemple de savoir que devaient faire les maires et le président de la région des îles ioniennes membres ou proches de la Plate-forme de gauche face à cette injonction ? En général ils ont plié. Lors d’une réunion nationale du courant Lafazanis, qui s’est tenu vers le 24 avril, la décision fut prise de façon unanime de charger Lapavitsas et ses collaborateurs de mettre au point un plan alternatif, que la Plateforme de gauche aurait rendu public. Mais Lafazanis laissait traîner les choses.

Pourquoi un tel atermoiement ? Probablement, Lafazanis et les autres dirigeants étaient conscients que si un tel plan était rendu public, les ministres de la Plate-forme de gauche auraient dû mettre leur fauteuil de ministre dans la balance, et ils ne voulaient pas prendre le risque. Ce fut l’erreur fatale de la Plate-forme de gauche, qui annonçait le manque de punch qui s’est publiquement manifesté lors des semaines décisives de juillet-août 2015.

Revenons aux moments marquants des mois de mai et de juin.

Le 12 mai 2015, la Grèce devait faire pour la septième fois depuis février un remboursement au FMI. Les caisses publiques avaient été quasiment entièrement vidées pour effectuer les paiements précédents et la Troïka se refusait toujours à verser ce qu’elle devait à la Grèce, notamment les 1,9 milliards € de bénéfices réalisés par la BCE sur les titres grecs.

Or le FMI voulait éviter que la Grèce ne suspende le paiement, ce qui montre qu’il craignait une telle mesure. En conséquence, le FMI avec ses complices en Grèce, notamment le gouverneur de la banque de Grèce et Chouliarakis, a trouvé une astuce. Il a prétendu avoir découvert un compte oublié ouvert dans le passé par la Grèce au FMI sur lequel subsistait un solde. En réalité, le FMI a versé près de 650 millions € sous forme d’un nouveau prêt sur le compte en question, ce qui a permis ensuite à la Grèce de rembourser le montant dû, soit 765 millions € selon Varoufakis [4] (747,7 millions € si l’on en croit le Wall Street Journal), en y ajoutant le reliquat à partir de ce qui restait disponible dans les fonds de tiroir des caisses publiques.

« Le FMI voulait éviter que la Grèce ne suspende le paiement, ce qui montre qu’il craignait une telle mesure »

Personnellement, j’avais été mis au courant de ce subterfuge par une source bien informée à Washington et j’avais prévenu la présidente du Parlement grec qui n’était jusque-là au courant de rien.

À la même époque, la présidente du Parlement m’a informé qu’elle avait refusé d’accéder à une demande de Tsipras qui lui demandait de verser les liquidités disponibles dans les caisses du Parlement grec. Pour convaincre la présidente, il lui avait dit que cela allait servir à payer les retraites. Avant de refuser la demande de Tsipras, elle avait téléphoné à Dimitris Stratoulis, le ministre en charge des retraites, qui lui avait dit qu’il n’avait pas introduit une telle demande auprès de Tsipras car il avait pris ses précautions : il restait suffisamment d’argent dans le système des pensions pour payer les retraites. Lui-même faisait de la résistance afin d’empêcher que l’argent tant nécessaire aux retraités ne quitte le pays pour aller remplir les coffres du FMI. Zoe Konstantopoulou a donc refusé de transférer la somme que lui demandait Tsipras.

Néanmoins, elle gardait de bons rapports avec lui et chaque fois que je m’inquiétais de l’orientation adoptée par le premier ministre, elle tentait de me rassurer en me disant qu’il finirait par stopper les concessions et par adopter les décisions radicales qui permettraient de trouver une issue à l’impasse. Je n’étais pas convaincu mais nous continuions activement le travail au sein de la commission d’audit.

Je cherchais également à manifester mon soutien aux ministres de gauche, comme Dimitris Stratoulis, qui essayaient de pousser le gouvernement à suspendre le paiement de la dette. La situation de millions de retraités grecs était intenable et la Troïka n’arrêtait pas d’exiger de nouvelles réductions de dépenses dans le secteur des pensions. C’est pour cela que le 15 mai 2015, je me suis rendu à son ministère afin de dialoguer sur ce qu’il convenait de faire et pour le mettre au courant des travaux de la commission. Stratoulis était très heureux de ma visite et a décidé d’en rendre compte publiquement. Il a envoyé à la presse un compte-rendu de cette rencontre et de mon côté j’ai rédigé un communiqué de presse que voici :

  • « Après une visite le vendredi 15 mai au ministère grec des pensions et une rencontre avec le ministre Stratoulis, voici ma déclaration concernant le contenu de notre échange fructueux.
  • Il est clair qu’il y a une relation directe entre les conditions imposées par la Troïka et l’augmentation de la dette publique depuis 2010. La Commission pour la vérité sur la dette grecque va produire en juin 2015 un rapport préliminaire dans lequel le caractère illégitime et illégal de la dette réclamée à la Grèce sera évalué. Il y a des preuves évidentes de violations de la constitution grecque et des traités internationaux garantissant les droits humains.
  • La Commission considère qu’il y a une relation directe entre les politiques imposées par les créanciers et l’appauvrissement d’une majorité de la population ainsi que la baisse de 25 % du PIB depuis 2010. Par exemple, les fonds de pension publics ont subi d’énormes pertes suite à la restructuration de la dette grecque organisée en 2012 par la Troïka. Celle-ci a imposé une perte de 16 à 17 milliards d’euros par rapport à leur valeur originale de 31 milliards €. Les revenus du système de sécurité sociale ont aussi souffert directement à cause de l’augmentation du chômage et de la réduction des salaires comme conséquence des mesures imposées par la Troïka.
  • La dette grecque n’est pas soutenable, pas seulement d’un point de vue financier, puisque c’est clair que la Grèce est par essence incapable de la rembourser, mais elle est aussi insoutenable du point de vue des droits humains. Plusieurs juristes spécialistes en matière de droit international considèrent que la Grèce peut se déclarer en état de nécessité. Selon le droit international, quand un pays est en état de nécessité il a la possibilité de suspendre le remboursement de sa dette de manière unilatérale (sans accumuler des arriérés d’intérêt) en vue de garantir à ses citoyens les droits humains fondamentaux, tels que l’éducation, la santé, la nourriture, des retraites décentes, des emplois, etc.
  • L’objectif du rapport préliminaire de la Commission pour la vérité sur la dette est de renforcer la position de la Grèce, lui donnant des arguments supplémentaires dans les négociations avec les créanciers. La Commission pour la vérité sur la dette aimerait organiser une visite publique avec des journalistes pour permettre au ministre de rendre public la relation directe entre les politiques imposées par la Troïka et les dégradations des conditions de vie de la majorité de la population et spécifiquement pour les pensionnés, qui ont vu leur pension réduite de 40 % en moyenne depuis que la Troïka est active en Grèce.
  • Comme le ministre nous l’a déclaré, 66 % des pensionnés reçoivent une retraite mensuelle de moins de 700 euros et 45 % des pensionnés reçoivent une retraite inférieure au seuil de pauvreté qui est fixé à 660 euros par mois.
  • Je réprouve totalement les nouvelles exigences du FMI et de l’Eurogroupe qui veulent imposer de nouvelles réductions des pensions, alors qu’il est clair que les politiques précédentes et actuelles imposées par les créanciers violent le droit des pensionnés à une retraite décente. Les pensions doivent être restaurées.
  • Éric Toussaint, coordinateur scientifique de la Commission pour la Vérité sur la dette, Athènes le 15 mai 2015 » [5]

Fin du communiqué

La veille de cette rencontre avec Dimitris Stratoulis, j’étais allé écouter Varoufakis prendre la parole lors d’une grande conférence organisée par le Financial Times et dédiée à l’avenir des banques grecques. Varoufakis y avait déclaré que les négociations avec « les institutions » (rappelons-nous qu’à l’époque, selon le discours officiel, la Troïka était abolie) étaient en bonne voie. Selon lui, il fallait arriver à un double accord, un qui permettrait de terminer le 2e mémorandum comme prévu le 30 juin et un second qui constituerait un nouvel arrangement.

« Varoufakis cherchait comme Tsipras un nouvel accord pour remplacer celui en cours et, qu’il le veuille ou non, cela signifiait un 3e  mémorandum »

Cette déclaration a fait écho à ce que j’avais appris de la bouche d’un de ses collaborateurs directs : Varoufakis cherchait comme Tsipras un nouvel accord pour remplacer celui en cours et, qu’il le veuille ou non, cela signifiait un 3e mémorandum. Lors de la conférence organisée par le Financial Times devant un parterre de membres de l’establishment et des représentants d’entreprises étrangères, il avait déclaré : « Il est impossible de sortir de la zone euro sans que cela entraîne une catastrophe pour le pays qui quitte ». Parmi les autres conférenciers, il y avait Kyriakos Mitsotakis qui est devenu premier ministre quatre ans plus tard, en juillet 2019. Le représentant de la banque Piraeus, une des quatre grandes banques du pays, annonçait qu’il ne fallait pas trop s’inquiéter si 27 milliards € avaient été retirés des banques grecques depuis fin décembre 2014. Régnait dans cette conférence une atmosphère irréelle, les participants triés sur le volet semblaient vivre à des années lumières de la population grecque. J’avais eu accès à cet événement grâce à un ministre qui m’avait remis l’invitation personnelle qui lui était destinée. J’y avais rencontré Dragasakis qui n’était pas du tout heureux de devoir m’adresser la parole. Sa gêne a augmenté quand un de ses jeunes collaborateurs m’a déclaré qu’il avait lu avec un grand intérêt et enthousiasme l’édition grecque du livre 65 questions/65 réponses sur la dette, la Banque mondiale et le FMI [6] que j’avais écrit avec Damien Millet. Dragasakis, visiblement, n’était pas du tout satisfait de cette déclaration intempestive de son collaborateur.

Dans le gouvernement, un malaise et des frustrations étaient perceptibles mais cela ne filtrait pas vers le public. Je me souviens très bien de ma deuxième rencontre avec la ministre Rania Antonopoulos qui avait en charge la création de 300 000 emplois, une des priorités du programme de Syriza. Au cours de la première rencontre qui avait eu lieu en février 2015, elle m’avait déclaré qu’elle voulait dans la mesure du possible prêter son concours au lancement de l’audit de la dette comme je le proposais. Lors de notre deuxième rencontre en mai 2019, elle a exprimé sa frustration comme ministre. Elle m’a confié qu’elle pensait avoir fait une erreur en acceptant d’entrer au gouvernement car son département manquait de moyens et parce qu’elle ne se sentait pas libre de dire ce qu’elle pensait. Elle m’a déclaré qu’elle aurait dû donner la priorité à son rôle de députée du parlement. Elle m’a expliqué qu’il n’y avait pas de réunion du gouvernement au complet, pas de discussion collective. Elle considérait que Tsipras laissait conduire sa politique par les sondages.

« Dans Syriza, un profond malaise était en train de se développer. Mais pour les militants du parti, y compris au plus haut niveau sauf dans le cercle étroit autour de Tsipras, il était très difficile de percevoir ce qui se passait réellement. »

Tsipras, qui présidait le parti tout en étant premier ministre, communiquait très peu de choses à ses camarades. Il n’informait pas sur les concessions qu’il était en train de faire à la Troïka et laissait entendre qu’il allait prendre un tournant radical car les dirigeants européens ne répondaient pas positivement aux demandes du gouvernement. Il utilisait au maximum les attaques des ennemis de Syriza pour demander que tous à l’intérieur du parti se serrent les coudes et fassent confiance au gouvernement.

Pourtant le 24 mai 2015, lors de la réunion du comité central de Syriza, un amendement déposé par la Plateforme de gauche qui critiquait le cours des négociations et la stratégie du gouvernement, appelant à des mesures unilatérales en vue de la mise en œuvre effective du programme de Thessalonique, avait obtenu 44 % des voix [7].

Au sein de la Plateforme de gauche dès avril 2015, Costas Lapavitsas, qui avait été élu député de Syriza en janvier 2015, avait diffusé une proposition d’orientation alternative à celle mise en pratique par Tsipras. Cette proposition détaillée proposait d’agir pour une annulation de la plus grande partie de la dette publique, soutenait l’audit à participation citoyenne, refusait l’obligation de dégager un surplus du budget primaire, mettait en avant la nécessité de nationaliser les banques et d’annuler une partie importante de la dette des ménages à l’égard des banques, et proposait de restaurer le salaire minimum et les retraites en revenant à la situation d’avant le mémorandum de 2010. La proposition avancée par Costas Lapavitsas se fondait sur des travaux préparatoires rédigés avec l’économiste allemand Heiner Flassbeck qui a occupé des fonctions ministérielles dans un gouvernement social-démocrate allemand dans les années 1990. Elle incluait la perspective de la sortie de la zone euro en envisageant deux options, celle d’une sortie négociée et celle d’une sortie conflictuelle [8]. Ce programme qui constituait une proposition tout à fait intéressante n’a malheureusement pas été diffusé par la Plateforme de gauche qui a cherché jusqu’au bout un compromis avec Tsipras. Stathis Kouvelakis, qui était membre du Comité central de Syriza jusqu’à l’été 2015 et adhérent à la Plateforme de gauche, considère que la direction de celle-ci porte la responsabilité de la non-publication de cette orientation alternative. Kouvelakis considère que la direction de la Plateforme de gauche, dont plusieurs membres avaient des responsabilités ministérielles, est restée soumise à tort aux contraintes de la participation gouvernementale [9]. Je partage cette analyse.

Le dimanche 31 mai, alors que j’étais extrêmement pris par la coordination de la rédaction finale du rapport d’audit de la dette qui allait être présenté le 17 juin au parlement, j’ai reçu un appel de Daniel Munevar [10], collaborateur de Varoufakis depuis le mois de mars. Il me proposait de déjeuner avec James K. Galbraith. J’ai d’abord hésité car le travail qui restait à accomplir était considérable et chaque heure comptait. Puis j’ai pensé qu’une discussion avec Galbraith pourrait être utile au travail de la commission et j’ai quitté pendant quelques heures le studio de 18 m2 qui m’avait été gracieusement prêté par une personne convaincue que l’audit réalisé par la commission servait les intérêts du peuple grec. Galbraith était un des plus proches conseillers de Varoufakis durant ses fonctions ministérielles. Je le connaissais bien depuis une dizaine d’années car nous avions participé en Amérique latine à plusieurs conférences sur la mondialisation financière. En mars 2015, alors que Daniel Munevar avait accepté de collaborer à la commission d’audit, Galbraith l’avait finalement convaincu de faire partie de l’équipe internationale qui travaillerait directement avec Varoufakis, et en conséquence Munevar n’avait pas pu renforcer les rangs de la commission. Depuis mars, nous nous voyions assez régulièrement à Athènes pour faire le point et j’avais essayé, sans succès, de faire en sorte que Varoufakis accepte qu’il puisse aider à la commission malgré ses tâches comme conseiller au ministère des finances.

Le dimanche 31 mai, Galbraith, Munevar et moi avons déjeuné à une terrasse d’un restaurant populaire du centre d’Athènes à quelques centaines de mètres de la place Syntagma. Galbraith avait effectué peu avant un voyage à Berlin et était très inquiet parce que les dirigeants allemands campaient sur leurs positions. Son moral était bas. Même s’il ne l’a pas dit ouvertement, il se posait des questions sur l’efficacité de l’orientation suivie jusque-là par le gouvernement. Je lui ai exprimé mes critiques quant au refus du gouvernement de suspendre le paiement de la dette. Il a défendu l’orientation de Varoufakis et de Tsipras tout en reconnaissant qu’une suspension aurait peut-être donné des résultats positifs alors que la modération adoptée par le gouvernement ne donnait rien. Par contre quand je lui ai dit que j’étais tout à fait en désaccord avec la décision de ne pas exercer de contrôle sur les mouvements des capitaux, il m’a répondu que le gouvernement avait raison et qu’il ne fallait pas s’en faire sur ce point. Peut-être parce qu’il n’était pas convaincu lui-même de la politique suivie par son ami Varoufakis sur ce point, il n’a pas cherché à donner un argument convaincant. On s’est retrouvé en accord sur un point : la nécessité de mettre en circulation le plus vite possible une monnaie complémentaire. Il m’a dit qu’il essayait de convaincre Tispras et son entourage à ce propos mais que cela ne donnait aucun résultat. Une fois de plus, j’ai constaté l’abîme qui me séparait de l’orientation tant de Tsipras que celle de Varoufakis sur les questions centrales. J’ai expliqué l’importance des travaux de la commission et j’ai invité Galbraith à assister aux séances d’audition de Philippe Legrain et de Panagiotis Roumeliotis qui étaient programmées pour le 11 et le 15 juin respectivement. Galbraith a assisté à au moins une des deux auditions.

« Roumeliotis a reconnu que le 1er mémorandum avait été conçu pour venir en aide aux banques privées françaises et allemandes principalement, ainsi qu’aux banques privées grecques […] Il a également reconnu que la crise trouvait son origine d’abord dans la dette privée et que la crise de la dette publique en résultait »

Les 2 et 3 juin 2015, j’étais invité à une réunion tenue à Athènes par le groupe de la Gauche unitaire au parlement européen afin de présenter le travail de la commission. J’ai constaté que l’écrasante majorité des parlementaires ne se rendait pas du tout compte de ce qui se passait réellement en Grèce et des dangers que représentait l’orientation conciliatrice adoptée par le gouvernement Tsipras. Un parlementaire européen membre de l’aile droite de Syriza, qui était un des organisateurs de cette réunion à laquelle participait une quarantaine d’eurodéputés, avait mis son veto à ce que la présidente du Parlement grec soit invitée à prendre la parole à cette réunion. Manifestement à ses yeux, elle était trop radicale. Elle est quand même venue et y a pris la parole.

Le 3 juin, j’ai quitté un moment cette réunion de parlementaires européens, pour rencontrer en tête-à-tête Panagiotis Roumeliotis, l’ancien représentant de la Grèce au FMI au début du premier mémorandum. À l’époque du premier mémorandum, le FMI était dirigé par Dominique Strauss-Kahn avec qui il avait fait ses études à Paris. Roumeliotis avait une longue expérience des institutions internationales, il faisait partie de l’establishment. Il avait été successivement ministre du Commerce en 1987 puis ministre de l’économie en 1988-1989. En 2015, il était vice-président de la banque Piraeus. Roumeliotis avait accompagné Varoufakis lors de son déplacement à Washington le 5 avril 2015 pour rencontrer Christine Lagarde. Je lui avais donné rendez-vous le 3 juin afin de préparer son audition prévue pour le 15 juin. Notre conversation a été instructive car il a reconnu que le premier mémorandum avait été conçu pour venir en aide aux banques privées françaises et allemandes principalement, ainsi qu’aux banques privées grecques. Plus important encore en ce que cela contredit la narration dominante, il a reconnu que la situation des banques grecques en 2009-2010 était bien plus préoccupante que celle des finances publiques. Il a également reconnu que la crise trouvait son origine d’abord dans la dette privée et que la crise de la dette publique en résultait. Il n’est pas allé aussi loin dans ses déclarations publiques lors de son audition – qui a duré plus de six heures – le 15 juin au Parlement grec par la Commission d’audit. Mais ce qu’il y a déclaré était quand même fort intéressant. Au début de son intervention, il a précisé qu’il venait de recevoir une missive de Christine Lagarde lui rappelant son devoir de réserve comme ancien membre de la direction du FMI, ce qui montre bien que les dirigeants de la Troïka étaient inquiets de l’aboutissement des travaux de la commission.

Si Varoufakis et d’autres auteurs ne mentionnent pas les travaux de la commission, ce n’est pas parce qu’elle était insignifiante, c’est parce que son existence en elle-même dérangeait leurs plans et mettait en danger, selon eux, l’aboutissement des négociations avec les créanciers. Je suis persuadé que Draghi, Lagarde, Juncker se tenaient informés des travaux de la commission et mettaient la pression sur Varoufakis et Tsipras pour qu’ils n’en parlent pas en public et pour qu’ils ne s’appuient pas sur nos travaux.

La violence avec laquelle les grands médias grecs se référaient aux travaux de la commission constituait un signe évident des dangers qu’elle représentait pour l’ordre établi. La présidente du parlement était la cible principale des attaques puisqu’elle avait créé la commission. J’étais la cible numéro 2. Plusieurs articles publiés par d’importants médias de droite visaient à me discréditer et recouraient à des attaques personnelles sur ma tenue vestimentaire ainsi que sur le fait que j’avais participé à des audits de dettes dans des pays dits en développement. On nous présentait comme un danger pour la Grèce. Au sein du parlement, le président du groupe parlementaire du parti néolibéral To Potami (La Rivière) était également très remonté contre mon rôle de coordinateur scientifique des travaux de la commission. Il a officiellement protesté contre ma présence au parlement lors d’une réunion des chefs des groupes parlementaires.

J’ai pu constater en mai-juin 2015 que la campagne médiatique contre la commission et contre ma personne produisait auprès de la population grecque un effet contraire à celui recherché. Lors de mes déplacements dans Athènes, dans la rue ou dans les transports en commun, à de nombreuses reprises des personnes m’ont arrêté pour me saluer, me serrer la main chaleureusement, ont demandé à prendre un selfie avec moi, m’ont remercié pour le travail en cours de réalisation, m’ont dit de bien prendre soin de ma sécurité, etc. Pas une seule fois, quelqu’un n’a manifesté un geste ou une parole de réprobation. Cela a été le cas y compris la fois où je me suis rendu sur la place Syntagma à une manifestation antigouvernementale convoquée par des partis d’opposition de droite. Je voulais me rendre compte de la situation, voir quel type de public participait à une telle manifestation. J’ai traversé tranquillement les rangs des manifestants qui étaient environ dix mille. J’ai vu qu’un certain nombre me reconnaissait mais aucun n’a exprimé un rejet. J’en ai tiré l’impression que les travaux de la commission pour établir la vérité sur la dette n’étaient pas considérés comme contraires aux intérêts de la Grèce par les personnes des milieux populaires et des classes moyennes qui se mobilisaient à droite. De même, dans les restaurants populaires ou dans des cafés que j’ai fréquentés, il n’était pas rare que le patron ou des membres du personnel marquent leur sympathie pour le travail de la commission.

Sur le plan international, les soutiens au travail de la commission étaient nombreux, un site spécifique avait été ouvert et un appel international largement soutenu attirait constamment des signatures des quatre coins de la planète. De nombreux journalistes étrangers marquaient aussi leur intérêt. Il faut préciser également que tous les documents publics de la commission étaient publiés sur le site du parlement grec, ce qui contrastait avec la diplomatie du secret pratiquée par Tsipras et Varoufakis.

Le 4 juin 2019, alors que la Grèce devait effectuer un nouveau remboursement au FMI de 305 millions € et que les caisses publiques étaient vides, celui-ci propose que tous les paiements dus en juin, pour un montant total de 1 532,9 millions €, soient payés en une seule fois le 30 juin 2015. Cela permettait à la Troïka de mettre la pression maximum sur le gouvernement pour qu’il accepte de signer une nouvelle capitulation avant la fin du 2e mémorandum dont l’échéance était le 30 juin 2015.

Le 3 juin 2019, Tsipras s’était rendu à Bruxelles pour une réunion avec Juncker et Dijsselbloem qui étaient en contact direct avec Merkel, Hollande et Lagarde. Varoufakis avait été mis hors-jeu une fois de plus, Tsipras ne lui avait pas demandé de l’accompagner. Pour la Troïka, il s’agissait de mettre la pression maximale sur le premier ministre qui avait déjà montré qu’il était prêt à d’importantes concessions. Mais les énormes concessions de Tsipras ne suffisaient pas à la Troïka qui voulait le contraindre à une capitulation sur toute la ligne. Elle espérait pouvoir y arriver pour le 6 juin.

« Les énormes concessions de Tsipras ne suffisaient pas à la Troïka qui voulait le contraindre à une capitulation sur toute la ligne. Elle espérait pouvoir y arriver pour le 6 juin »

Finalement, Tsipras décide de rentrer à Athènes le 4 juin. Le lendemain, il critique devant le parlement grec l’attitude intransigeante de la Troïka sans expliquer les nouvelles concessions qu’il avait déjà faites et qui n’étaient pas suffisantes. Il donnait donc au public et aux parlementaires l’impression de résister fortement en affirmant qu’il ne franchirait pas les lignes rouges fixées par son gouvernement et le groupe parlementaire de Syriza.

Les négociations se poursuivent à Bruxelles avec, du côté grec, Chouliarakis à la tête des tractations, faisant tout son possible pour contenter la Troïka mais sans résultat substantiel.

Les 11 et 15 juin, la Commission pour la vérité sur la dette organise deux séances publiques d’audition de témoin. Philippe Legrain, ex-conseiller de José Manuel Barroso qui a présidé la Commission européenne entre novembre 2004 et novembre 2014, témoigne le 11 juin, et Panagiotis Roumeliotis le fait le 15 juin. L’audience de la commission auprès du public grec augmente.

Le 17 juin, au parlement grec, la commission présente son rapport en présence de la présidente du parlement grec, du premier ministre et d’une dizaine de membres du gouvernement. Le rapport principal m’incombe et il est retransmis en direct par la chaîne TV du parlement [11]. Une dizaine de parlementaires d’autres pays sont présents. Ils sont venus de Belgique, de France, d’Allemagne, d’Espagne, d’Argentine, de Tunisie, etc., pour apporter leur soutien au travail de la commission et à la demande d’annulation des dettes illégitimes. Le rapport conclut que l’entièreté de la dette réclamée par la Troïka est illégitime, odieuse, illégale et insoutenable. Tsipras qui est venu saluer la commission en début de séance est reparti sans faire de déclaration publique. La présentation publique des différentes parties du rapport prend deux journées entières. Le rapport d’une petite centaine de pages est distribué en grec et en anglais, il est immédiatement publié sur le site du parlement grec. Dans les semaines qui suivent, il est traduit et publié en français, en allemand, en italien, en espagnol et en slovène.

Pendant ce temps, le 18 juin lors de la réunion de l’Eurogroupe à Bruxelles, la Troïka fait monter la pression sur le gouvernement grec. Benoît Coeuré, de la BCE, annonce que les banques grecques devront peut-être fermer leurs portes le 22 juin [12]. Christine Lagarde, pour le FMI, est également très agressive.

Le 20 juin, selon Varoufakis, Tsipras est très abattu et il lui soumet le projet d’un texte d’un discours à tenir devant la Nation afin d’expliquer la nécessité de capituler devant les exigences de la Troïka. Varoufakis affirme lui avoir déclaré : « Si tu veux capituler, capitule, mais fais-le convenablement – et je lui ai remis une feuille sur laquelle j’avais rédigé l’esquisse d’un discours, un discours à la nation, qu’il devrait lire à la télévision :

  • « Mes chers compatriotes, Nous nous sommes battus courageusement contre une troïka de créanciers impitoyables. Nous avons tout donné. Hélas, il n’y a pas de discussion possible avec des créanciers qui ne veulent pas récupérer leur argent.
  • « Nous avons essayé de tenir bon face à des institutions parmi les plus puissantes au monde et face à notre propre oligarchie, lesquelles ont bien plus de pouvoir que nous. Personne ne nous a porté secours. Certains, comme le président Obama, se sont montrés compréhensifs à notre égard. D’autres, comme la Chine, nous ont fait part de leur sympathie. Mais personne n’a proposé de nous aider concrètement face à ceux qui ont décidé de nous briser. Nous n’abandonnons pas, mais je dois vous annoncer que nous avons décidé de renoncer aujourd’hui pour pouvoir nous battre à l’avenir.
  • « Dès demain matin, j’accèderai aux demandes de la Troïka. Mais seulement parce qu’il reste de nombreuses batailles à livrer. Dès demain, après avoir accepté les exigences de la Troïka, mes ministres et moi-même entreprendrons une grande tournée en Europe pour expliquer aux peuples le sort qui nous a été réservé, pour les appeler à se mobiliser et à se joindre à notre combat commun, qui est de mettre fin au pourrissement et de redonner vie aux principes et aux traditions démocratiques de notre continent. » [13]

Fin de citation du texte rédigé par Varoufakis.

La stratégie présentée ici correspond bien à une des faiblesses fondamentales de l’orientation du Ministre des finances : elle débouchait sur la capitulation. Si l’on suit le raisonnement tenu par Varoufakis et les recommandations faites à Tsipras et son gouvernement, ce n’est qu’après avoir capitulé qu’ils auraient réalisé une grande tournée pour demander aux peuples de se mobiliser. Se mobiliser pour quoi ? Pour se solidariser d’un gouvernement qui capitule ? C’est dès février qu’il aurait fallu organiser systématiquement une campagne de mobilisation nationale et internationale pour soutenir les actions que le gouvernement aurait dû résolument entreprendre au lieu de capituler une première fois le 20 février. Ensuite, à plusieurs moments clés, Tsipras et Varoufakis auraient dû prendre le virage pour éviter la capitulation. Mais aucun des deux ne l’a fait.

Varoufakis commente : « Alexis l’a lu, puis a dit avec son air abattu habituel : « Je ne peux pas dire au peuple que nous allons déposer les armes ». C’était on ne peut plus clair : il avait effectivement décidé de céder, mais il ne pouvait se résoudre à l’annoncer. [14] »

De toute manière, les concessions systématiques que Tsipras faisait dans les pourparlers avec la Troïka permettent de comprendre le dénouement de début juillet 2015.

Face à la Troïka qui voulait une capitulation humiliante à laquelle Tsipras n’était pas prêt, il a fini par convoquer un référendum. Il a pris cette décision le 26 juin, à l’issue d’un sommet tenu à Bruxelles le 25 juin au cours duquel, une fois de plus, la présidence de la Commission européenne, celle de l’Eurogroupe, les chefs de gouvernement de la zone euro, la BCE et le FMI avaient exercé une pression maximum sur lui.

Tsipras quitte Bruxelles le 26 juin et annonce la convocation d’un référendum pour le 5 juillet 2015.

Dans les jours qui suivirent, du côté de tous ceux et celles qui attendaient que Tsipras prenne enfin un tournant et stoppe les concessions faites à la Troïka, la convocation du référendum a représenté un extraordinaire signal de renaissance de l’espoir. Cet espoir était d’autant plus fort que le gouvernement demandait au peuple de se prononcer sur les exigences de la Troïka et appelait à les rejeter.

La question sur laquelle les Grecs étaient invités à se prononcer se présentait de la manière suivante :

« Acceptez-vous le projet d’accord soumis par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international lors de l’Eurogroupe du 25 juin 2015 et composé de deux parties, qui constituent leur proposition unifiée ? Le premier document est intitulé « Réformes pour la réussite du programme actuel et au-delà », le second « Analyse préliminaire de la soutenabilité de la dette ».

Les deux documents en question étaient rendus publics par le gouvernement et pouvaient être lus ou téléchargés sur le site créé pour le référendum.

Il s’agissait ni plus ni moins de faire vivre la démocratie face aux diktats des créanciers. C’était tard mais il était encore temps pour le gouvernement de se ressaisir et de mettre enfin en pratique une série de mesures alternatives en cas de rejet des exigences de la Troïka sur la base d’un mandat donné par le peuple.

Ce que Tsipras avait réellement en tête en convoquant le référendum n’est pas clair. Plusieurs interprétations circulent.

Varoufakis donne sa version qui mérite d’être prise en compte. Selon lui, Tsipras a annoncé sa décision le 26 juin au noyau qui l’entourait à Bruxelles. Il s’agissait de Dragasakis (vice-premier ministre), Sagias (le conseiller juridique), Tsakalotos (qui remplaçait officiellement Varoufakis dans les contacts avec la Troïka), Pappas (l’alter ego de Tsipras), Stathakis, Chouliarakis et lui-même. Varoufakis déclare avoir demandé aux présents :

  • « Ce référendum, on le convoque pour le gagner ou pour le perdre ? ».

Il relate la suite :

  • « La seule réponse que j’ai obtenue, et je pense qu’elle était sincère, m’a été donnée par Dragasakis : « Nous avons besoin d’une sortie de secours. »
  • Comme lui, j’étais persuadé que nous allions perdre le référendum. En janvier, le total des voix en faveur du gouvernement n’avait été que de 40 pour cent, et à présent nous devrions faire face à une semaine entière de fermeture des banques et de rumeurs affolantes dans les médias avant le 5 juillet. Mais à l’inverse de moi, Dragasakis souhaitait perdre pour légitimer notre acceptation des conditions de la Troïka. [15] »

Plus loin, il réaffirme que l’objectif du noyau autour de Tsipras (dont il s’exclut sur ce point), en convoquant le référendum, était d’avoir la légitimité pour capituler. Il écrit qu’il a proposé le 27 juin à Tsipras et aux membres du cabinet de guerre qui l’entourait d’annoncer certaines mesures fortes comme l’intention de reporter de deux ans le remboursement à la BCE [16], ce que Tsipras, Dragasakis et Tsakalotos ont refusé. Il ajoute : « C’est après la réunion, en me dirigeant vers la sortie, que j’ai soudain compris ce qui se passait : le but était bien de perdre le référendum » [17].

Est-ce que Tsipras pensait dès le moment où il a convoqué le référendum que le gouvernement allait le perdre, comme l’affirme Varoufakis ? Ce n’est pas clair. Selon Stathis Kouvelakis, le 26 juin, Tsipras pensait que le « Non » l’emporterait et dépasserait 70 % [18]. Selon Varoufakis, Tsipras considérait que le « Oui » l’emporterait et lui donnerait la légitimité pour capituler.

Ce qui est certain c’est que pour Tsipras, comme le souligne Kouvelakis [19], la convocation du référendum ne constituait pas le signal de la rupture avec la Troïka, c’était un mouvement tactique afin de reprendre l’initiative pour sortir de l’impasse de manière à poursuivre la négociation dans de meilleures conditions.

D’ailleurs, Tsipras a essayé de poursuivre les négociations pendant la semaine qui a précédé le référendum [20].

Dragasakis, qui était aussi tout à fait favorable à poursuivre les négociations et à faire des concessions, s’est prononcé publiquement pour l’annulation de la convocation du référendum car il pensait que celui-ci rendait plus difficiles les pourparlers avec la Troïka.

Varoufakis souligne qu’il n’y a eu aucune volonté des membres du cabinet de guerre d’organiser une campagne de mobilisation en faveur du « Non ». C’est ainsi que les ministres n’ont pas été encouragés à se déplacer dans le pays pour tenir des meetings en faveur du « Non » [21]. Seul un grand rassemblement a été convoqué pour le 3 juillet, c’est-à-dire deux jours avant le référendum.

Le fait que Varoufakis était persuadé que le « Oui » allait l’emporter montre qu’il était déconnecté de l’état d’esprit de la majorité du peuple grec.

La victoire du « Non » sans qu’une véritable campagne ait été organisée par le gouvernement montre à quel point une grande partie du peuple était prête à résister aux créanciers.

Du côté de la Troïka, la réaction a été violente : la BCE a fait en sorte que le gouvernement doive fermer les banques pendant la semaine qui a précédé le référendum.

Le lundi 29 juin, Juncker dénonce la convocation du référendum – c’est du jamais-vu de la part d’un président de la Commission européenne – et appelle les Grecs dans des termes à peine voilés à voter « Oui » afin de ne « pas commettre un suicide ». Cette intervention a peut-être eu l’effet contraire à celui recherché.

Le 30 juin, Benoît Coeuré, vice-président de la BCE, annonce que si les Grecs votent en majorité pour le « Non », l’expulsion de la zone euro est probable tandis que si les Grecs votent pour le « Oui », la Troïka viendra en aide à la Grèce. François Hollande fait une déclaration dans le même sens.

Les médias dominants en Grèce appellent tous à voter pour le « Oui » et expliquent que si le « Non » l’emporte, ce sera une catastrophe.

Durant les jours qui précèdent le référendum une série de personnalités au niveau international, notamment aux États-Unis, soutiennent le « Non ». Parmi elles, le sénateur Bernie Sanders et les économistes prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz et Paul Krugman.

Le 3 juillet, une marée humaine se rend à la place Syntagma pour aller écouter Tsipras et exprimer la ferveur populaire pour le « Non ». De nombreux témoignages soulignent que Tsipras était mal à l’aise alors que la foule l’ovationnait pour son courage face aux créanciers. Il a abrégé son discours.

Le rassemblement en faveur du « Oui » est nettement moins fourni que celui en faveur du « Non ».

Le 5 juillet, le résultat est sans appel : un taux de participation élevé (62,5 %) et 61,31 % en faveur du « Non ». Dans les quartiers « ouvriers », le « Non » l’a emporté à plus de 70 %. Selon un sondage, 85 % des jeunes entre 18 et 24 ans ont voté pour le « Non » [22].

Le 5 juillet, le résultat du référendum est sans appel : un taux de participation élevé (62,5 %) et 61,31 % en faveur du « Non ». […] Les dirigeants européens sont complètement désarçonnés : leurs menaces n’ont pas provoqué l’effet recherché sur le peuple grec

Pourtant le 6 juillet, Tsipras se réunit avec les partis qui ont appelé à voter pour le « Oui » et, en 24 heures, élabore avec eux une position conforme aux demandes de la Troïka alors que celles-ci ont été rejetées lors du référendum. C’est une trahison du verdict populaire d’autant plus manifeste qu’il avait juré publiquement de respecter le résultat du référendum, quel qu’il soit.

Tsipras reprend immédiatement le contact avec Bruxelles et constate que la Commission européenne et les dirigeants de l’Eurogroupe, très remontés contre lui, veulent lui faire payer son insolence et infliger une humiliation au peuple grec.

Tsipras se rend néanmoins à Bruxelles pour remettre la proposition qu’il a concoctée avec les partis qui ont appelé à voter pour le « Oui ». Elle ressemble comme deux gouttes d’eau à la proposition qui a été rejetée deux jours plus tôt par 61,31 % des Grecs qui ont participé au référendum. Mais les dirigeants européens déclarent à Tsipras qu’ils ne peuvent pas lui faire confiance et exigent un vote du parlement grec sur des propositions crédibles de leur point de vue comme condition préalable à la reprise officielle des négociations. Tsipras s’exécute et obtient le 10 juillet un appui massif au parlement grec pour soumettre son nouveau plan à la Troïka. Les trois partis qui ont perdu le référendum votent en faveur du nouveau plan de Tsipras tandis que la présidente du parlement grec, 6 ministres et vice-ministres membres de la Plateforme de gauche et d’autres députés Syriza refusent de l’approuver (Varoufakis est absent, il a choisi d’être avec sa fille dans sa résidence à l’extérieur d’Athènes). Sur 300 parlementaires, 251 votent en faveur du plan de capitulation proposé par Tsipras. Syriza est en pleine crise.

Le 11 juillet, à Bruxelles, alors que le FMI et la BCE sont d’accord avec la proposition grecque, plusieurs ministres et chefs d’État européens veulent imposer de plus lourds sacrifices.

Le 13 juillet, […] le gouvernement grec accepte de rentrer dans un processus conduisant à un troisième mémorandum, avec des conditions plus dures que celles rejetées lors du référendum du 5 juillet

Le 13 juillet, suite à une réunion d’un sommet des chefs d’État et de gouvernement de la zone euro, le gouvernement grec accepte de rentrer dans un processus conduisant à un troisième mémorandum, avec des conditions plus dures que celles rejetées lors du référendum du 5 juillet. À propos de la dette, le texte dit clairement qu’il n’y aura pas de réduction du montant de la dette grecque : « Le sommet de la zone euro souligne que l’on ne peut pas opérer de décote nominale de la dette. Les autorités grecques réaffirment leur attachement sans équivoque au respect de leurs obligations financières vis-à-vis de l’ensemble de leurs créanciers, intégralement et en temps voulu » [23].

La pression exercée par les dirigeants européens provoque des réactions de rejet autour de la planète. Le 13 juillet, le hashtag #THISISACOUP est twitté 377 000 fois et fait le tour du monde.

Le 15 juillet, la crise dans Syriza s’approfondit. Une lettre signée par 109 membres (sur 201) du comité central de Syriza rejette l’accord du 13 juillet en le qualifiant de coup d’État et demande une réunion d’urgence du Comité central. Malgré cela, Tsipras, président de Syriza, ne réunira le Comité central que deux semaines plus tard.

Les 15 et 16 juillet, le Parlement, avec les voix de Nouvelle Démocratie, Pasok et To Potami, mais sans les voix de 39 députés de Syriza sur 149 (32 contre dont Varoufakis, 6 abstentions, 1 absence), approuve un premier paquet de mesures d’austérités, concernant la TVA et les retraites, exigées par l’accord du 13 juillet.

Le 17 juillet, suite à l’accord du 13 juillet, la Commission européenne annonce le déblocage d’un nouveau prêt de 7 milliards d’euros. Alexis Tsipras remanie son gouvernement, en congédiant notamment deux ministres de la Plateforme de gauche, Panagiotis Lafazanis et Dimitris Stratoulis. Varoufakis avait démissionné le 6 juillet et Nadia Valavani, vice-ministre des finances, le 15 juillet.

Le 20 juillet, la Grèce rembourse 3,5 milliards € à la Banque centrale européenne et 2 milliards € au Fonds monétaire international.

Les 22 et 23 juillet, le Parlement adopte un second volet de mesures immédiates exigées par la Troïka. Parmi les députés de Syriza, 31 votent contre et 5 s’abstiennent. Varoufakis vote pour.

Le 14 août, le Parlement grec adopte le troisième mémorandum par 222 voix contre 64 voix (dont 32 députés de Syriza sur un total de 149). Il y a 11 abstentions (dont 10 Syriza).

Le 20 août, la Grèce rembourse 3,2 milliards € à la BCE.

« Le 26 septembre, Tsipras fait élire comme président du parlement Nikos Voutsis qui décide une dissolution de facto de la Commission d’audit de la dette et fait disparaître du site internet du parlement tous les documents relatifs à ses travaux »

Ensuite Tsipras convoque des élections anticipées pour le 20 septembre. Il les gagne car bon nombre d’électeurs de Syriza ne voient pas d’autre issue que de continuer à voter pour Tsipras afin d’éviter le retour de la droite au gouvernement. C’est le vote en faveur du moindre mal car ils savent que la droite ferait pire en termes d’austérité. La liste Unité populaire créée par une grande partie des membres et des députés de Syriza qui ont rejeté le 3e mémorandum n’obtient pas le score nécessaire pour entrer au parlement (elle obtient 2,86 % alors que le seuil minimal est de 3 %). Elle a eu trop peu de temps pour se faire connaître et elle n’a pas su présenter une alternative crédible.

Le 23 septembre, la Commission pour la vérité sur la dette se réunit au parlement grec sur convocation de Zoe Konstantopoulou, qui est encore présidente du parlement car la nouvelle législature n’a pas encore débuté. La Commission adopte deux nouveaux rapports et considère que la nouvelle dette contractée au travers du 3e mémorandum est elle aussi odieuse [24]. Trois jours plus tard, Tsipras fait élire comme président du parlement Nikos Voutsis qui décide une dissolution de facto de la Commission d’audit de la dette et fait disparaître du site internet du parlement tous les documents relatifs à ses travaux.


Conclusion

Au cours des deux mois qui mènent à la trahison du verdict populaire du 5 juillet, Tsipras a pratiqué une orientation qui conduisait au désastre. À plusieurs reprises, il aurait pu prendre un tournant mais s’y est refusé. L’enthousiasme soulevé par le référendum du 5 juillet a fait long feu et a débouché sur une énorme déception.

« Au cours des deux mois qui mènent à la trahison du verdict populaire du 5 juillet, Tsipras a pratiqué une orientation qui conduisait au désastre »

Est-ce que Varoufakis a défendu de manière cohérente une alternative crédible, comme il le prétend ? La réponse est clairement négative. Il a accompagné Tsipras et le noyau qui l’entourait et il n’en a jamais pris publiquement ses distances quand il en était encore temps. Et lorsqu’il a démissionné, il l’a fait dans des termes qui ont prolongé la confusion. Dans l’explication publique de sa démission, il écrit le 6 juillet :

  • « Peu après la proclamation des résultats du référendum, on m’a fait savoir que certains membres de l’Eurogroupe ainsi que d’autres « partenaires » auraient vu d’un bon œil mon « absence » lors des réunions, idée que le Premier Ministre juge potentiellement utile pour parvenir à un accord. C’est pour cette raison que je quitte aujourd’hui le ministère des Finances. (…) Je considère qu’il est de mon devoir d’aider Alexis Tsipras à exploiter de la manière qu’il jugera utile, le capital que le peuple grec nous a confié lors du référendum de dimanche. (…) Je soutiendrai donc sans hésitation le Premier Ministre, le nouveau ministre des Finances et notre gouvernement. [25] »

Quant à son plan B, il a fallu attendre la décision de fermeture des banques pour que Varoufakis découvre, selon ses propres déclarations, que la banque de Grèce disposait d’une réserve de billets en euros pour un montant de 16 milliards € qui, si le gouvernement l’avait décidé, auraient pu être remis dans le circuit, par exemple en les estampillant pour qu’ils fonctionnent comme une monnaie complémentaire non convertible et qu’ils puissent être mis en circulation via les distributeurs de billets. Et à ce moment-là il reconnaît lui-même qu’il s’est opposé à ce qu’on utilise cette manne alors que le leader de la plateforme de gauche essayait de convaincre Tsipras de s’en servir.

Heureusement, Varoufakis a ajouté sa voix au camp du refus du 3e mémorandum dans la nuit du 15 au 16 juillet, votant « Non » avec les députés de la Plateforme de gauche et avec Zoe Konstantopoulou.

En ce qui concerne la Plateforme de gauche, il faut aussi reconnaître qu’elle a commis l’erreur grave de ne pas exprimer publiquement ses désaccords à partir de la première capitulation du 20 février et par après. Elle n’a pas mis dans le débat public le plan B élaboré notamment par Costas Lapavitsas. Après la trahison du résultat du référendum, elle s’est largement cantonnée à la dénonciation de la politique de Tsipras sans être capable de mettre en avant de manière offensive et crédible une proposition alternative.

Il n’y a pas eu de grandes mobilisations spontanées car une majorité du peuple de gauche qui avait mené le combat principalement entre 2010 et 2012 faisait confiance à Tsipras et celui-ci n’appelait pas le peuple à se mobiliser. Les forces de gauche hors du parlement qui appelaient à la mobilisation étaient quant à elles trop faibles.

Les facteurs qui ont conduit au désastre sont bien identifiés : le refus de la confrontation avec les institutions européennes et avec la classe dominante grecque, le maintien de la diplomatie secrète, l’annonce à répétition que les négociations allaient finir par donner de bons résultats, le refus de prendre les mesures fortes qui étaient nécessaires (il aurait fallu suspendre le paiement de la dette, contrôler les mouvements de capitaux, reprendre le contrôle des banques et les assainir, mettre en circulation une monnaie complémentaire, augmenter les salaires, les retraites, baisser le taux de TVA sur certains produits et services, annuler les dettes privées illégitimes…), le refus de faire payer les riches, le refus d’appeler à la mobilisation internationale et nationale,… Pourtant comme nous le verrons dans la partie qui suit, le dénouement tragique n’était pas inéluctable, il était possible de mettre en œuvre une alternative crédible, cohérente et efficace au service de la population.

Notes

[1] Y. Varoufakis, Conversations entre adultes, chapitre 14, p. 383-384. Voir également Viktoria Dendrinou and Eleni Varvitsioti, The Last Bluff. How Greece came face-to-face with financial catastrophe & the secret plan for its euro exit, Papadopoulos publisher, Athens, 2019, 195 pages, page 84.

[2] Audition de Philippe Legrain, ex-conseiller de Barroso, au Parlement grec (11 juin 2015) : « le gouvernement grec a tout intérêt à ne pas céder aux créanciers » http://www.cadtm.org/Audition-de-Philippe-Legrain-ex

[3] Audition de Panagiotis Roumeliotis (15 juin 2015), ex-représentant de la Grèce au FMI de mars 2010 à décembre 2011 : « Il faut que les créanciers reconnaissent leurs responsabilités » http://www.cadtm.org/Audition-de-Panagiotis-Roumeliotis

[4] Y. Varoufakis, chapitre 14, p. 399.

[5] Communiqué d’Éric Toussaint suite à la rencontre avec le ministre Dimitris Stratoulis qui a en charge les retraites, le 15 mai 2015, http://www.cadtm.org/Communique-d-Eric-Toussaint-suite, consulté le 28 juillet 2019

[6] L’édition grecque a été publiée en 2013 par la maison d’édition Alexandria à Athènes. J’en ai offert un exemplaire à Alexis Tsipras en octobre 2013.

[7] A la suite de l’accord du 20 février, les amendements de la Plate-forme de gauche recueillaient plus de 40 % des voix au comité central, au-delà des 30 % des membres élus de la Plateforme de gauche. Un bloc « rupturiste » s’était formé dans Syriza qui incluait, outre la Plateforme de gauche (c’est-à-dire le courant Lafazanis et l’organisation trotskyste DEA), Zoé Konstantopoulou, les ex-maoistes du courant KOE, un groupe issu du PASOK, auxquels s’ajoutaient Manolis Glezos et Yanis Milios.

[8] Costas Lapavitsas, Heiner Flassbeck, Cédric Durand, Guillaume Elevant, Frédéric Lordon, Euro, plan B. Sortir de la crise en Grèce, en France et en Europe, Editions du Croquant, Paris, 2016, p. 25 à 114.

[9] Voir l’avant-propos de Stathis Kouvelakis et d’Alexis Cukier à Costas Lapavitsas, Heiner Flassbeck, Cédric Durand, Guillaume Elevant, Frédéric Lordon, Euro, plan B. Sortir de la crise en Grèce, en France et en Europe, Editions du Croquant, Paris, 2016, p. 14.

[10] J’ai présenté Daniel Munevar dans le chapitre 4.

[11] Voir la vidéo : Intervention d’Éric Toussaint à la présentation du rapport préliminaire de la Commission de la vérité le 17 juin 2015, publié le 11 août 2015, http://www.cadtm.org/Intervention-d-Eric-Toussaint-a-la-presentation-du-rapport-preliminaire-de-la, consulté le 3 août 2019

[12] Voir Viktoria Dendrinou and Eleni Varvitsioti, The Last Bluff. How Greece came face-to-face with financial catastrophe & the secret plan for its euro exit, Papadopoulos publisher, Athens, 2019, 195 pages, page 112.

[13] Y. Varoufakis, chapitre 16, p. 426.

[14] Y. Varoufakis, chapitre 16, p. 426.

[15] Y. Varoufakis, chapitre 16, p. 437.

[16] Remarquons que « annoncer l’intention » de ne pas rembourser pendant deux ans la BCE est ambigu car ce n’est pas la même chose que mettre en pratique la suspension de paiement. Annoncer l’intention, cela peut vouloir dire « Retenez-nous avant que nous ne procédions à la suspension, faites-nous une nouvelle proposition ». D’ailleurs, Varoufakis écrit « Inutile de se précipiter, ai-je poursuivi. Pour le moment il suffit de signaler notre intention. » p. 442.

[17] Y. Varoufakis, chapitre 17, p. 443.

[18] Stathis Kouvelakis, La Grèce, Syriza et l’Europe néolibérale, Entretiens avec Alexis Cukier, La Dispute, Paris, 2015, p. 145.

[19] Kouvelakis, op. cit. , p. 145.

[20] Voir Viktoria Dendrinou and Eleni Varvitsioti, The Last Bluff, page 139-140.

[21] Y. Varoufakis, chapitre 17, p. 446.

[22] Stathis Kouvelakis, La Grèce, Syriza et l’Europe néolibérale, Entretiens avec Alexis Cukier, La Dispute, Paris, 2015, p. 148. À noter que le parti communiste (KKE) avait appelé à voter nul, prenant le risque de faire gagner le « Oui » (Voir Kouvelakis, p. 165).

[23] Voir la Déclaration du sommet de la zone euro Bruxelles, le 12juillet 2015, GEN – 20150712-eurosummit-statement-greece_fr.pdf accessible sur le site officiel du Conseil de l’UE : https://www.consilium.europa.eu/media/20339/20150712-eurosummit-statement-greece_fr.pdf

[24] Commission pour la vérité sur la dette grecque, « Analyse de la légalité du mémorandum d’août 2015 et de l’accord de prêt en droit grec et international » publié le 5 octobre 2015, http://www.cadtm.org/Analyse-de-la-legalite-du-memorandum-d-aout-2015-et-de-l-accord-de-pret-en consulté le 8 août 2019. Voir également : « Le troisième mémorandum est aussi insoutenable que les deux précédents », publié le 1 octobre 2015, http://www.cadtm.org/Le-troisieme-memorandum-est-aussi consulté le 8 août 2019

[25] Y. Varoufakis, chapitre 17, p. 467-468.

Source http://www.cadtm.org/Tsipras-et-Varoufakis-vers-la-capitulation-finale

Le contre-G7 du 19 au 26 août

Toutes les informations sur le Contre-G7 (Hendaye-Irun 19-26 août)

lundi 24 juin 2019, par Attac France   Campagne > Contre le G7 et son monde

Du 24 au 26 août, Macron accueillera le G7 à Biarritz. Fervents adeptes du système néolibéral, mettant à sac notre planète et faisant souffrir les peuples de leurs politiques austéritaires et pro-business, les sept pays parmi les plus riches du monde et la Commission européenne se réunissent cette année sur le thème des inégalités.

Pour accéder au communiqué initial des organisations membres de la plateforme Alternatives G7, cliquez ici

Contre le G7, pour un autre monde !

Le cynisme de ces pyromanes de la planète n’a donc pas de limite. Dans la lignée des contre-sommets qui ont forgé le mouvement altermondialiste, la réponse citoyenne s’annonce importante encore, cette année au Pays basque, terre de résistances. Pour y défendre sa volonté d’un monde plus juste et désirable, Attac y participe pleinement, aux côtés de nombreuses associations, syndicats et citoyen·ne·s et vous y donne bien sûr rendez-vous. Ensemble, éteignons les sept brasiers du capitalisme !

Voici le programme du contre-sommet qui mêlera actions, réflexions et débats, pour élaborer ensemble la stratégie et les alternatives qui doivent dessiner le monde que nous voulons et pour le crier haut et fort dans les rues du monde entier. Plus de 90 organisations du Pays Basque, de France et d’Europe sont déjà sur le pont !

  • 19-20 Août : Montage du Village d’Accueil des participants-es à Hendaye.
  • 21, 22, 23 Août : Contre-Sommet (Centre-ville de Hendaye et Centre de congrès du FICOBA à Irun).
  • 24 Août : Manifestation !
  • 25 Août : Actions et rassemblements pacifiques sur 7 places autour de la zone d’exclusion du G7.

Nous avons besoin d’une mobilisation forte sur le camp, c’est aussi un objectif de réussite de ce contre-G7 ! Il y aura des repas à prix libre, un bar, des sanitaires, des animations le soir… Venez camper et inscrivez-vous ici, ça nous permettra de gérer au mieux les besoins : https://playout916495.typeform.com/to/w38HFr

Voici les liens permettant d’accéder aux sites et informations logistiques du Contre-G7 :

Programme des 3 Jours du Contre-Sommet

21, 22, 23 Aout 2019

Nous sommes en train d’élaborer le programme des 3 jours de forums/débats/coordinations qui sont déjà prévus, autour de 7 thèmes principaux. Voici en avant-première, ceux qui sont d’ores et déjà programmés. Beaucoup d’autres suivront dans les jours qui viennent ! Et s’y ajoutent de nombreux ateliers organisés par les mouvements basques.

1. Pour un autre monde, sortons du capitalisme et de la dictature des multinationales

  • Stop à l’impunité des multinationales
  • Dette publique
  • Justice fiscale et gilets jaunes
  • Lutte contre la privatisation des Aéroports de Paris, pour les services publics et les biens communs
  • Campagne Stop TAFTA/CETA

2. Contre la destruction de notre planète, protégeons la terre, défendons le vivant :

  • Justice environnementale et marche climat
  • Souveraineté alimentaire
  • Désinvestir des énergies fossiles pour ouvrir l’horizon d’un avenir soutenable

3. Pour un monde radicalement féministe, à bas le patriarcat :

  • Femmes en lutte contre les inégalités sociales et économiques
  • Le féminisme en réponse à la crise écologique et sociale
  • La grève féministe, outil de combat
    (l’essentiel des conférences et ateliers sur ce thème se tiendront le 22 août)

4. Respectons la diversité et la liberté des peuples, pour un monde décolonial et sans discriminations

  • Processus de paix au pays Basque

5. Pour une démocratie sociale et les mêmes droits pour toutes et tous, à bas l’autoritarisme

  • Conférence sur la répression
  • Atelier/débats sur la spéculation foncière
  • Tribunal du Service Public
  • Gratuité des transports publics

6. Pour un monde juste et basé sur la solidarité entre les peuples, à bas les guerres et l’impérialisme

  • Crise dans la mondialisation/Nouvel autoritarisme/Militarisation

7. Personne n’est illégal sur cette planète, abolition des frontières pour les êtres humains

  • Liberté de circulation et d’installation
  • Quelles stratégies face aux politiques migratoires pour les mouvements sociaux au niveau européen ?

Les Informations logistiques

S’y rendre :

Le camp du contre-sommet se situera à côté du centre Pierre et Vacances,
Le Domaine de Bordaberry, Route De La Corniche, Lieu Dit Bordaberry, 64122 Urrugne.

En train
  • Depuis Paris-Montparnasse : 1 train toute les 2 heures env. de 7h47 jusqu’à 17h47 (Trajet : 4h40).
  • Depuis Toulouse : 1 train toute les 2 heures env. de 6h30 jusqu’à 16h45 (Trajet : 5h20).
  • Depuis Bordeaux : 1 train chaque heure env. de 5h20 jusqu’à 20h02 (Trajet : 2h40)
  • Depuis Marseille : 1 train chaque heure env. de 5h14 jusqu’à 14h57 (Trajet : 9h00)
En co-voiturage ou en bus :

Rejoignez l’événement « Contre-G7 » sur le site de covoiturage Mobicoop.

  • Depuis Paris : https://urlz.fr/9YAl
  • Depuis Bordeaux : http://k6.re/yF55L
  • Depuis Marseille : http://k6.re/wi6_i
  • Depuis la Gare de Hendaye : Prendre la navette 20 en direction de Ciboure-Saint-Jean de Luz.
  • Stopper à l’arrêt Abadia, puis prendre la navette 6 jusqu’au terminus Hendaye-Haïçabia. Marcher 100m sur la route de la corniche, avec la mer à votre gauche. Prendre ensuite la première route à droite pour rentrer dans le domaine de la Bordaberry.
Y loger :

Deux possibilités s’offrent à vous pour loger pendant le contre-sommet :
1. En hôtel ou dans la mesure du possible en hébergement militant

  • Hôtel de la Gare-La Palombe Bleue, 1 r Déportes, 64700 HENDAYE
    993 m de Hendaye – Tél : 05 59 20 81 90
  • Le Santiago, 15 r Santiago, 64700 HENDAYE
    885 m de Hendaye – Tél : 05 59 20 00 94
  • Txingudi Hotel, 36 bd Gén Leclerc, 64700 HENDAYE
    925 m de Hendaye – Tél : 05 59 20 00 26
  • Hôtel Valencia, 29 bd Mer, 64700 HENDAYE
    1,8 km de Hendaye – Tél : 05 59 20 01 62
  • Hôtel Lafon, 99 bd Mer, 64700 HENDAYE
    1,5 km de Hendaye – Tél : 05 59 20 04 67
  • Hôtel/Restaurant Ibaïa, 76 av Mimosas, 64700 HENDAYE
    1,4 km de Hendaye – Tél : 05 59 48 88 88
  • Hôtel Restaurant Bergeret-Sport
    4 r Clématites, 64700 HENDAYE – Tél : 05 59 20 00 78
  • Hôtel Villa Goxoa, 32 av Magnolias, 64700 HENDAYE
    Tél : 05 59 20 32 43
  • Résidence Orhoitza, 1 r Oliviers, Vacances Bleues Résidences, 64700 HENDAYE
    1,4 km de Hendaye – Tél : 05 59 48 80 00
  • Hôtel Restaurant Campanile, 102 rte Béhobie, 64700 HENDAYE
    Tél : 05 59 48 06 48
  • Hôtel Restaurant Ibaïa, Pont de Sokoburu 76 av Mimosas, 64700 HENDAYE
    Tél : 05 59 48 88 88
  • Hôtel Uhainak, 3 bd Mer, 64700 HENDAYE
    Tél : 05 59 20 33 63
  • Les Jardins de Bakéa, Quart Bourg, 64700 BIRIATOU
    3,9 km de Hendaye – Tél : 05 59 20 02 01
  • Mer & Golf Résidence Soko, Eder, Route Kattalin Aguirre, 64500 CIBOURE
    7,8 km de Hendaye – Tél : 05 59 51 72 00

Si vous ne trouvez pas de place en hôtel ou hébergement militant, veuillez nous contacter à hebergementg7@attac.org et nous essayerons dans la mesure de nos moyens de vous aider.

2. Dans le « camp »

Nous disposerons de plusieurs grands espaces répartis dans le camp où vous pourrez poser vos tentes et matériels de campings et d’un parking pour vos véhicules (nous sommes en train de déterminer son emplacement). Nous essayerons aussi de fournir, dans la mesure de nos moyens, des espaces de couchages en dur pour ceux ou celles qui en auraient le plus besoin.

Dans la mesure du possible selon les places disponibles sur le campement lors de votre arrivée, un point de ralliement a été déterminé pour regrouper les ami·e·s d’Attac (avec notamment Droit au logement, Solidaires ou encore la Confédération Paysanne, etc…) dans la deuxième partie du campement comme indiqué dans l’image ci-dessous en rouge à droite :
Cliquez sur l’image pour voir l’image en grand.

Des modules de douches et de toilettes sèches seront disposés dans tout le camp. Par ailleurs, nous fournirons des repas (végétariens) à prix libres pour toutes et tous. Des associations et fermiers locaux proposeront aussi des repas variés.

Plusieurs bars seront ouverts en soirée, notamment dans l’espace concert. Durant les trois jours de forums du Contre-Sommet (21, 22, 23 Août) les activités/concerts/débats/ateliers seront répartis entre « le village des alternatives » dans le centre d’Hendaye, le FICOBA à Irun de l’autre côté du fleuve et sur le camp lui-même. Des navettes régulières permettront de rejoindre le village des alternatives, le FICOBA et le camp.

Virage à droite en Grèce

Virage à droite en Grèce

13 août par Stathis Kouvelakis , Eva Betavatzi , Emilie Chaudet , Tiago Moreira Ramalho  

Ce samedi 10 août, Eva Betavatzi, membre du CADTM Belgique était l’invitée de l’émission Le Magazine du Weekend sur France Culture, présentée par Emilie Chaudet, au côté de Stathis Kouvelakis, philosophe et politologue, et Tiago Moreira Ramalho, doctorant en sciences politiques, pour discuter de la Grèce après Tsipras.

http://www.cadtm.org/Podcast-Virage-a-droite-en-Grece

 Kyriakos Mitsotakis, premier ministre grec entré en fonction il y a un peu plus d’un mois, se présente comme le « sauveur » de la classe moyenne en promettant une réduction d’impôts, la libéralisation de l’économie et la négociation d’une réduction des exigences des créanciers vis-à-vis de l’excédent budgétaire primaire de 3,5% que le précédent gouvernement avait promis d’atteindre lors du dernier accord sur la dette publique grecque, signé en 2018. Pourtant dès le début de son mandat, Mário Centeno, président de l’Eurogroupe, et Klaus Regling, directeur général du MES (Mécanisme européen de stabilité financière), avaient prévenu Mitsotakis qu’aucune exigence ne serait revue à la baisse et que la Grèce devait se tenir à l’accord signé. Les promesses du nouveau premier ministre grec ne sont donc pas prêtes d’être tenues. Mais la Grèce, qui connaît une crise économique et humanitaire depuis 10 ans, a vu nombre de ses dirigeants ne pas tenir leurs promesses.

Tsipras avait quant à lui promis de mettre fin au cercle infernal de l’austérité pour finalement capituler en juillet 2015 plongeant la Grèce et toute la gauche européenne dans une profonde déception. Mitsotakis lui se trouve dans une situation avantageuse puisqu’il n’a plus à discuter de la dette, ni des mémoranda. Les médias dominants et la plupart des partis politiques, en ceux compris Syriza, ont assez menti sur le dernier accord pour qu’il apparaisse comme une « victoire » alors qu’il n’est en réalité que l’étalement de la crise et la tutelle de la Grèce par l’UE sur de longues années. Le pays ne pourra donc pas échapper à l’austérité qui lui est imposée ni à la surveillance de ses créanciers si le dernier accord signé par Tsipras en 2018 est respecté. C’est ainsi que les électrices et électeurs, déçu·e·s des gouvernements successifs de droite ou dits de « gauche », ont revu leurs exigences à la baisse et sont allé·e·s aux urnes au début du mois de juillet sans grande conviction. Le fort taux d’abstention aux élections (42%) et les évolutions au sein du parti Syriza (la moitié des eurodéputé·e·s élu·e·s un peu plus tôt la même année viennent de partis de droite) en attestent.

La victoire de Nouvelle Démocratie ne présage rien de bon, au contraire. Mitsotakis veut instaurer un gouvernement autoritaire en concentrant des pouvoirs sur son poste (il a placé sous son contrôle personnel et par simple décret ERT (la radiotélévision publique grecque), l’Agence de Presse nationale et les services secrets du pays), en annonçant l’embauche de plus de 2000 policiers, en multipliant les attaques contre des squats de réfugié·e·s (à Exarcheia notamment), etc… L’asile universitaire, qui n’est autre que l’interdiction d’entrer sur les lieux universitaires par les forces de l’ordre sans l’accord du recteur, a été une des premières cibles du gouvernement Mitsotakis. Son annulation constitue un acte très fort pour celles et ceux qui se souviennent de l’attaque contre l’école polytechnique d’Athènes en 1973 par l’armée contre des étudiant·e·s, évènement extrêmement important puisqu’il a marqué le début de la fin de la dictature des colonels. Mitsotakis et son gouvernement de droite, dont certains membres hauts placés sont issus de l’extrême droite, ont déjà profité de la crise grecque pour toucher aux symboles les plus forts de la démocratie et porter atteinte au peu d’espace démocratique qui subsistait encore en Grèce.

Lettre ouverte des employés de l’hôpital de Rhodes

« Lettre ouverte des employés : Voici la situation catastrophique de l’hôpital de Rhodes

L’hôpital de Rhodes a fait l’actualité récemment à plusieurs reprises pour sa dotation en personnel médical et pour la situation de la clinique pédiatrique. Bien sûr ce n’est pas la première fois. Ces problèmes ne sont pas non plus uniques.

La vérité est que la situation à l’hôpital de Rhodes est bien pire. Sa sous-utilisation est le problème principal. Les pénuries de personnel infirmier médical et paramédical sont telles qu’elles créent des situations dangereuses pour le personnel hospitalier et les patients.

Nous sommes incapables d’obtenir nos congés, notre salaire et les emplois proportionnés à la charge de travail à laquelle nous devons faire face. Par exemple, deux infirmières de la clinique traitent jusqu’à 35 patients lorsque l’OMS nomme une infirmière pour 3,5 patients. En réanimation, cela devrait correspondre à une infirmière par patient. Aujourd’hui, il y en a deux pour un maximum de six patients.
Surtout en été, période de repos ailleurs, réservée aux travailleurs, aux travailleurs des hôpitaux et des autres travailleurs de l’île, nous devons faire face à l’énorme augmentation du volume de travail due au trafic touristique et la surpopulation. Toute personne raisonnable comprend que cela a des conséquences sur la santé du personnel hospitalier et sur le niveau des services hospitaliers fournis aux patients et à leurs proches.

Cependant, à la pénurie de personnel, il faut également ajouter des machines obsolètes et sans assistance. Anciennes machines radiologiques, unités de dialyse, fours de stérilisation, chariots, lave-vaisselle et blanchisseries, carences en consommables, nécessaires à notre travail, dont nous manquons souvent. Nous avons des lacunes dans les cardiographes et les pompes à transfusion. Carences dans les réactifs utilisés dans des tests plus spécifiques.

Le bâtiment lui-même est insoutenable. En hiver, nous avons froid, en été, la chaleur est insupportable pour les patients et les travailleurs. Dans les sèche-linge de l’hôpital, vous ne pouvez même pas respirer en été. Les services techniques sont complètement dégradés depuis des années. Tous les travaux effectués ont été sous-traités. Désormais, le financement des hôpitaux ayant été considérablement réduit, l’hôpital de Rhodes est incapable de gérer les tâches les plus simples, telles que la peinture du bâtiment.

La liste de ces carences mentionnée ci-dessus, bien que incomplète, pour un hôpital situé sur une île aussi vaste et surpeuplée et si éloignée du continent pose un gros problème. Les habitants de Rhodes doivent recourir soit à des laboratoires privés pour des problèmes mineurs et à payer des examens et traitements onéreux, soit aux hôpitaux d’Athènes pour parler de problèmes plus graves, tels que des interventions chirurgicales difficiles, qui peuvent coûter vraiment une fortune.

Cependant, cette situation n’est pas tombée soudainement du ciel. Ce n’est pas non plus quelque chose que nous devrions considérer comme acquis et accepter qu’il ne peut en être autrement. C’est un choix politique conscient que les gouvernements ont fait au fil du temps, sans exception. Les chiffres eux-mêmes le prouvent.

Le financement dans les hôpitaux publics, dont on doit dire qu’il n’a jamais totalement répondu aux besoins, a baissé de 30% de 2013 à 2019. Cette année, qui est censée être la première année sans mémorandums, comme l’a dit le gouvernement précédent, la baisse s’est poursuivie, 65 millions de moins étant alloués aux hôpitaux publics ….

Les grandes entreprises du secteur de la santé, qui réalisent d’énormes profits, exigent qu’elles obtiennent une plus grande part du gâteau.

C’est l’objectif des directives de l’Union européenne sur la santé, les directives des gouvernements que le suivant complète toujours là où le précédent s’est arrêté. Le contenu de base de cette politique, quelle que soit la fréquence à laquelle elle est exprimée et mise en œuvre, est d’une part de fournir un espace vital pour le développement des entreprises dans le secteur de la santé et d’autre part d’économiser des fonds du budget de l’État, qui pourraient être alloués. pour la santé, mais finissent par subventionner des groupes d’investisseurs, pour servir des emprunts publics, etc. Il ne leur reste pas d’argent pour répondre aux besoins de la population à concurrence de 55 milliards d’euros Alors que le budget de l’Etat tire ses recettes des impôts, les grandes entreprises paient moins de 3 milliards (!), Le reste est à la charge de la population.

Surtout sur l’île de Rhodes, cette énorme contradiction se voit à l’«œil nu». Chaque année, des unités hôtelières modernes et gigantesques sont construites, coûtant des millions d’euros, dont beaucoup sont subventionnées de différentes manières. Mais rien pour la santé publique de l’île, ainsi que d’autres infrastructures liées aux besoins populaires créant des risques inutiles pour la vie humaine.

Dans ce contexte, le syndicat des employés de l’hôpital général de Rhodes estime qu’il est nécessaire que le peuple rhodésien lutte pour la santé publique, à la hauteur de nos besoins modernes. À cet égard, il poursuivra avec un travail plus systématique l’effort qui a commencé à soulever les problèmes de l’hôpital, département par département. Nous poursuivons nos revendications:
• pour un financement généreux des hôpitaux
• Fourniture d’équipements modernes
• contrats permanents, recrutement de personnel médical et paramédical permanent en fonction des besoins modernes de l’île
• Fournir gratuitement des services de santé de qualité à tous, sans conditions à tous les habitants de la Rhodésie.

Nous appelons toutes les parties prenantes de l’île à prendre position publiquement sur la question des soins de santé sur l’île. Nous nous adressons principalement aux syndicats des secteurs public et privé, au Centre des travailleurs de Rhodes, mais également aux associations sportives et culturelles, aux autorités municipales et à la région, aux partis politiques qui ont demandé notre vote lors des élections précédentes. »

source ; iskra.gr Ανοιχτή επιστολή εργαζομένων: Ιδού τα χάλια του Νοσοκομείου της Ρόδου

France : Le recours à la violence de l’Etat

“L’État a recours à des répertoires de violence qui montent en intensité jusqu’à ce qu’il ait réussi à écraser ou discipliner ce qui gêne les classes dominantes” 

Le corps du jeune Steve récemment retrouvé dans la Loire, Zineb Redouane morte après le tir d’une grenade lacrymogène, 24 gilets jaunes éborgnés et cinq mains arrachées, des supporters algériens matés pendant la Coupe d’Afrique des nations (CAN) jusqu’à en perdre un oeil, des militants écolos gazés … non non, on n’est pas à Hong-Kong ou dans l’abominable Russie, mais bien en France, ce qu’ont d’ailleurs parfois tendance à oublier certains de nos médias mainstreams préférés. Depuis le mouvement insurrectionnel des gilets jaunes, notre police, en roue libre, se lâche complètement : elle cogne, éborgne et provoque, protégée par le gouvernement, et se fait la garante du maintien de l’ordre économique, social et politique en France. A un point tel que même la presse étrangère tendance conservatrice comme le quotidien britannique The Independent pointe du doigt le “maintien de l’ordre” à la française. Comme nous le rappelle la marche organisée à Beaumont-sur-Oise il y a maintenant plus d’une semaine en hommage à Adama Traoré et à d’autres victimes de brutalités policières, cette répression systémique en toute impunité existe depuis très longtemps dans les quartiers populaires. Avec le sociologue Mathieu Rigouste, auteur du livre La domination policière, une violence industrielle en 2014 aux éditions La Fabrique, nous avons souhaité en savoir plus et y voir un peu plus clair sur notre État policier, dans un contexte d’une ampleur telle que l’expression “tout le monde déteste la police” n’aura jamais été aussi pertinente. 

Peux-tu te présenter et expliquer d’où tu parles ? Qu’est ce qui t’a amené à effectuer des recherches indépendantes sur la police française ?

Chercheur indépendant en sciences sociales, je travaille sur la construction du système sécuritaire et de ce que font les institutions policières et militaires françaises. Au départ, je travaillais sur leurs actions en Afrique puis dans les quartiers populaires. J’ai par la suite élargi mes recherches à l’ensemble des classes populaires. Cela m’intéresse de fabriquer des outils pour permettre aux luttes sociales de s’armer elles-mêmes. Cela doit avoir un lien avec le fait d’avoir grandi en quartier populaire et de s’être construit face à la multiplicité des violences d’Etat et en observant, au quotidien, le système des oppressions et des injustices.

Entretiens-tu des rapports plutôt conflictuels avec la police d’une manière générale ?

J’ai grandi en banlieue parisienne, je ne suis jamais sorti de la précarité mais j’ai une gueule et un nom considérés comme blancs par le système raciste. Dans ces quartiers, si tu traînes dehors, tu subis le contrôle policier aussi mais ce n’est jamais la même violence selon que tu sois considéré comme blanc ou non. Si t’as une capuche et que tu traînes avec des Noirs et des Arabes, tu es traité pareil, jusqu’à ce qu’ils découvrent ou reconnaissent ta gueule ou ton nom. Leur regard change et leur comportement aussi. J’ai vu fonctionner la configuration raciste et systémique de la violence d’Etat au quotidien.

D’un autre côté, je participe à différentes luttes sociales qui ont toutes en commun de subir des pratiques de contrôle, de surveillance et de répression de plus en plus féroces. Je me suis fait tabasser à l’intérieur du commissariat central de Toulouse en 2013, des flics m’ont mis la tête dans les murs, menotté, puis m’ont laissé étalé par terre dans le couloir des gardes à vue, au vu et au su de tous les fonctionnaires en poste cette nuit-là. On ne saura jamais s’ils m’ont tabassé en tant que militant ou parce qu’ils m’ont attrapé dans un quartier populaire où ils ont l’habitude d’aller chasser. Il y a peut-être eu un mélange de tout cela. Cette histoire n’a pas l’air de déranger l’institution judiciaire, justement parce que, comme mes travaux le montrent, c’est le travail normal de la police de distribuer la férocité des classes dominantes. C’est ce que le pouvoir attend d’elle.

Pourquoi le mouvement social des gilets jaunes est-il autant réprimé selon toi ? Est-ce du jamais vu ?

Ce mouvement social est, de base, du jamais vu, de part sa composition sociale et son intensité, sa durée, etc. Des gens ont l’air d’oublier que, depuis le début, c’est un mouvement investi et porté par les différentes strates des classes populaires, des habitant.e.s des quartiers populaires sont présent.e.s et impliqué.e.s, depuis l’origine, et selon les endroits, assez massivement et en première ligne. A Paris et à Toulouse, de décembre 2018 à aujourd’hui, j’ai vu des cortèges propulsés par toutes ces colères associées. C’est un mouvement qui s’est donné des formes ingouvernables et incontrôlables, qui a conçu des capacités d’auto-défense, de contre-attaque, et qui a mis en place des formes de démocratie directe. Il a également critiqué de manière de plus en plus radicale le pouvoir et la société et commencé à imaginer d’autres formes de vie sociale.

Sur ce sujet, je crois que l’État ajuste le niveau de violence précisément, rationnellement et techniquement, face à ce qu’il considère comme menaçant pour lui. Quand il est face à des manifestations auto-encadrées par des bureaucraties syndicales qui ont complètement pacifié et rendue inoffensive la prise de la rue, il n’y a pas besoin d’user de la violence. Dès que l’Etat est confronté à des formes de lutte qu’il n’arrive pas à maîtriser ou à soumettre, il a recours à des répertoires de violence qui montent en intensité jusqu’à ce qu’il ait réussi à écrasé ou discipliner ce qui gêne les classes dominantes.

“’Il y a une utilisation de pratiques militaro-policières dans les quartiers populaires, mais les institutions expérimentent en fait partout leur déploiement : aux frontières, dans les prisons, dans les stades, au sein des gilets jaunes, même dans les quartiers chics.”

La police s’en prend de plus en plus à des personnes non racisées, au moins depuis les manifestations contre la loi travail en 2016. Depuis le mouvement des gilets jaunes, on a le sentiment que ces problématiques sortent enfin des quartiers populaires. Penses-tu qu’il y ait une prise de conscience générale sur l’état de notre police ? 

Cela a obligé les gens qui niaient les faits dénoncés par les luttes contre les violences d’Etat à constater le fonctionnement et la production de la violence policière. Mais il y a eu aussi automatiquement des réactions des strates privilégiées des classes populaires et des classes moyennes blanches afin de rendre inoffensive cette critique systémique. Ils ont fait émerger un nouveau discours, affirmant que les violences policières sont expérimentées dans les quartiers pour ensuite être appliquées à la “vraie population” ou aux “vrais mouvements sociaux”. Or, la vie dans les quartiers populaires est traversée de mouvements sociaux, tout le temps. Il y a certes une utilisation de pratiques militaro-policières dans les quartiers populaires – c’est en partie l’objet de mon travail – mais les institutions expérimentent en fait partout leur déploiement. Tous les terrains d’exercice des forces de l’ordre servent à faire des retours d’expérience pour restructurer le pouvoir sécuritaire : aux frontières, dans les prisons, dans les quartiers populaires, dans les stades, au sein des gilets jaunes, même dans les quartiers chics. 

Le discours qui consiste à dire que les violences policières sont passées des quartiers au « reste de la population » est très problématique. Il y a une différence fondamentale entre le système de violences d’Etat déployé dans les quartiers populaires et contre le mouvement des gilets jaunes par exemple. Dans les quartiers, c’est un système quotidien, local, permanent, avec de nombreux dispositifs : quadrillage du quartier, surveillance et contrôle du quotidien, humiliations, chantages et provocations répétitives, parechocages [plaquer quelqu’un contre un pare-choc], étranglements, tirs à balles réelles, mises à mort, etc. Il y a effectivement des dispositifs qui ont été transférés d’un champ vers l’autre, comme l’utilisation du LBD (lanceur de balle de défense) en tir tendu ciblé haut du torse ou visage, qui existe de façon industrielle dans les quartiers populaires et qui a été employée contre le mouvement des gilets jaunes. Même chose pour le gazage systématique ou l’emploi des grenades de désencerclement pour mutiler… on retrouve ces dispositifs contre les supporters, dans les contre-sommets internationaux, contre certaines mobilisations comme les luttes des migrant.e.s, etc.

Comment interprètes-tu le comportement des policiers envers les supporters d’origine algérienne, issus majoritairement des quartiers populaires, lors de la CAN ? Beaucoup ont, par exemple, écopé de grosses amendes, et l’un d’eux a eu un œil éborgné. 

Bien entendu, le traitement policier de supporters considérés comme algériens n’est pas le même que lorsqu’il s’agit d’encadrer la victoire de la France en Coupe du monde. Le racisme d’Etat structure le pouvoir policier, depuis les état-majors politiques jusque dans les gestes des agents sur le terrain. Il y a eu une préparation idéologique intense dans les médias dominants. On a semé l’idée que des hordes sauvages allaient tout brûler pour mieux légitimer un schéma répressif conçu pour taper fort. La représentation de ceux qu’on a prévu d’écraser comme des corps à la fois barbares et sacrifiables est une technique fondamentale dans l’histoire des sociétés impérialistes.

« Aussi incroyable que cela puisse sembler, la police française a le droit d’utiliser des substances qui brûlent les yeux, la bouche et les poumons de leur population civile, que les traités internationaux interdisent en revanche aux militaires », nous explique The Independent. Comment est-ce possible ?

Les journalistes de The Independent ont une mauvaise analyse de ce qu’est l’Etat et semblent mal connaître l’histoire de l’impérialisme français. Les Etats ne respectent que les lois qu’ils veulent et la base d’une loi, c’est que ceux qui la produisent n’aient pas à s’y soumettre. Ce qu’on appelle la « raison d’Etat » permet aux classes dominantes, dans ou en dehors du droit, de justifier, selon les époques, l’emploi de la torture, l’esclavage, la colonisation, le commerce des armes, l’enfermement, le génocide… La société impérialiste française s’est constituée en déployant des fictions universalistes pour mieux répandre le carnage, le pillage et l’oppression partout autour de la planète. La capacité de ces armes à asphyxier, mutiler et terroriser, c’est exactement ce pourquoi le ministère de l’intérieur dépense des millions d’euros. Je crois que tous les Etats menacés d’être renversés par les classes dominées en viennent tôt ou tard à employer la coercition de masse puis des violences extrêmes et finalement la guerre contre le peuple, s’ils ne sont pas destitués avant par ce peuple.

“Il y a une impunité policière réelle, programmée par les hiérarchies politiques et mise en œuvre par l’institution judiciaire.”

Après un long silence, les grands médias français ont essentiellement mis la focale sur l’usage des LBD. Pour quelles raisons ? 

A partir du moment où cela a commencé à toucher les corps de personnes plus proches de la classe des journalistes, on a commencé à parler des « violences policières » dans les médias dominants. D’autre part, le rapport de force établi par les luttes des gilets jaunes ont forcé les directions de rédaction à évoquer le sujet. Puis lorsqu’un média a vu que ça buzzait, les autres se sont jetés dessus. La thématique « violences policières » est devenu une marchandise en soi.

Mais se pose aussi la question de comment les médias dominants vont se servir du sujet. Avoir réussi à faire surgir le terme « violences policières » dans les médias mainstream, c’est une véritable victoire obtenue par la lutte, mais il faut voir comment le sujet est traité. Et ce qu’on observe évidemment, c’est que les institutions le recodent pour servir les intérêts et les objectifs de leurs états-majors. La « violence policière » est alors décrite comme accidentelle, résiduelle, elle serait le fruit d’un dysfonctionnement, une anomalie, alors qu’elle est la norme. Et on la replie sur le seul sujet du LBD. L’étape suivante a été, pour une partie de la gauche institutionnelle, de proposer l’interdiction du LBD seulement dans ce qu’ils appellent les « mouvements sociaux », donc d’en conserver l’emploi dans les quartiers populaires, les lieux d’enfermement et aux frontières

Tu évoques l’expression “violence policière”, mais la police détient le monopole de la violence légitime. L’expression est-elle donc si pertinente ?

En fait, la thèse du sociologue Max Weber, c’est que l’État revendique le monopole de la violence légitime, justement parce qu’il n’en dispose jamais complètement. Les classes dominées ne se laissent jamais gouverner sans résistances et sont indisciplinées. La police est une institution chargée d’employer la coercition pour maintenir l’ordre social, économique et politique. Elle est violente par principe. Si on te crie « Police ! » dans la rue, ton corps se raidit. Le seul mot de « police » fait violence. L’idée même de pouvoir être contrôlé est un régime de pouvoir particulièrement violent. Perso, quand je dis “violence policière”, c’est pour qualifier ce type de violence d’État, la distinguer de violences judiciaires, militaires… mais pas pour faire comme s’il pouvait exister une police non-violente.

Qu’est-ce qui légitime la manière de se comporter de la police, sa violence exercée avec un tel sentiment d’impunité : le ministère de l’intérieur, la justice ou l’administration ?

Il y a une impunité réelle, programmée par les hiérarchies politiques et mise en œuvre par l’institution judiciaire. Mais toute l’idéologie policière est construite sur une posture victimaire selon laquelle les flics seraient maltraités par l’État. Dans l’ère sécuritaire, cette posture leur permet de réclamer sans cesse plus de moyens, d’argent, d’armes et d’impunité, tout en dissimulant leur statut de milices privilégiées par l’État.

L’interpellation des lycéens de Mantes-la-Jolie le 6 décembre 2018 a finalement donné lieu à un classement sans suite de l’IGPN (Inspection générale de la police nationale). Pour Steve, leur enquête “n’établit aucun lien entre l’intervention de la police et les chutes de personnes dont Steve, dans la Loire.” Mais à quoi sert l’IGPN ?

L’IGPN et les services internes de la police ne travaillent pas à lutter contre les violences policières, qui sont le produit du travail policier pour lequel l’État dépense beaucoup d’argent. Ces structures travaillent à encadrer et discipliner le corps policier pour qu’il produise ce qu’on attend de lui. Comme la violence fait structurellement partie de ce travail, la plupart du temps, ces structures récompensent les policiers impliqués dans des affaires de violences. Ils obtiennent les mutations attendues, des avancements de carrière… Ces institutions sont elles-mêmes composées et dirigées par des policiers qui renforcent encore l’esprit de corps très puissant dans ce milieu.

C’est plutôt l’institution judiciaire qui pourrait théoriquement contrôler ces pratiques policières. Mais pour les mêmes raisons, elle les valide la plupart du temps, chaque fois que ces pratiques n’entrent pas en contradiction avec les intérêts du pouvoir et des classes dominantes. Quand on rend un non-lieu sur l’affaire des lycéens, on valide des pratiques d’humiliations et de punition collectives – dont on connaît pour certaines la généalogie coloniale et militaire. Pour tous les policiers de France, il est désormais autorisé de faire ces choses-là, c’est validé. Pour Steve, c’est “homicide involontaire” qui a été retenu, ce qui revient à construire sa mort comme un accident, un dysfonctionnement. Alors que la socio-histoire de la police montre justement que ce sont des pratiques rationnellement et techniquement organisées par l’État qui produisent toutes ces violences.

Plusieurs figures des gilets jaunes ont été arrêtées lors du 14 juillet, et il y a eu des milliers d’arrestations préventives pendant tout le mouvement des gilets jaunes. Cela illustre t-il la symbiose parfaite entre les pouvoirs policier et judiciaire ?

La chaîne de commandement théorique part du politique, passe par le judiciaire et aboutit au policier. Mais chacun de ces champs dispose aussi d’une autonomie relative et dans l’ère sécuritaire, le pouvoir policier tend de plus en plus à vouloir ordonner les pouvoirs judiciaires et politiques. Je ne crois pas qu’il y ait une symbiose parfaite mais plutôt une collaboration constante entre des institutions dont les fractions dirigeantes peuvent aussi s’opposer et se concurrencer. D’autre part, il y a toujours une différence majeure entre le mythe de la séparation des pouvoirs et le fonctionnement réel du champ judiciaro-politique.

Sur l’affaire de Jérôme Rodriguez [figure des gilets jaunes qui a perdu un oeil lors d’une manifestation], il peut sembler évident qu’une fraction politique demande à une fraction judiciaire de se saisir du dossier pour criminaliser le personnage. Mais au fond, il n’y a même pas vraiment besoin de demander. Les agents des pouvoirs politiques, judiciaires et policières appartiennent à une même classe sociale. Il y a de nombreuses situations dans lesquelles ils n’ont même pas besoin de se coordonner, dans la mesure où ils pensent de la même manière et ont des intérêts convergents. Et là, de toute évidence, ils pensent qu’ils peuvent en finir avec le mouvement de cette façon.

“Une société capitaliste sans police, cela n’existe pas. Une société égalitaire n’a pas besoin de police.

Le corps de Steve vient d’être retrouvé dans la Loire et l’enquête sur Zineb Redouane n’avance pas. Dans les deux cas, de nombreuses zones d’ombre demeurent. Avons-nous affaire ici à des mensonges d’État ?

Oui, mais je cherche en vain des contextes dans lesquels l’État dirait la vérité au « peuple », disons une vérité appuyée sur de l’enquête sincère, honnête et rigoureuse qui servirait à rendre la justice sociale… Il semble que dans l’ère néolibérale-sécuritaire, le prince n’a plus le temps de faire semblant. Mais à chaque époque, les politiques publiques sont structurées par des fictions et des discours mystificateurs. De la politique énergétique à la politique étrangère, dans les domaines économiques, juridiques ou militaires, en fait dans tous les domaines, l’État ment, ça fait partie de sa mission auprès des classes dominantes. Il n’est sans doute pas possible de gouverner une société inégalitaire sans produire des imaginaires chargés de légitimer les injustices. Les classes dominantes racontent ce qu’elles veulent aux classes dominées, c’est la base. L’idéologie dominante, c’est l’idéologie des dominants et donc l’idéologie de leur domination, expliquait Marx.

Est-ce que, selon toi, une police juste, garante de la sécurité des citoyens, serait possible en France et pourrait trouver grâce à tes yeux ? Comme la police de proximité, supprimée par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur du gouvernement Jean-Pierre Raffarin, en 2003, par exemple ?

Il y a dans l’histoire beaucoup d’exemples de « polices de proximité ». Ce sont des dispositifs d’occupation des territoires populaires, de contrôle local et intime des classes pauvres. C’est encore une fiction de croire que ce serait la gentille police avec qui on joue au foot. Ces polices ont pour objectif de pénétrer la vie quotidienne de tout le monde dans un quartier. Ces dispositifs servent à alimenter les tribunaux en comparution immédiate, et donc les prisons et le néo-servage carcéral. Historiquement, la police émerge avec l’esclavage, le capitalisme et le colonialisme. Ce sont des systèmes qui se sont construits et ont toujours fonctionné ensemble. Une société capitaliste sans police, cela n’est pas possible parce que les misérables ne se laissent pas faire. Et une société égalitaire n’a pas besoin de police. Peut-être que dans une société d’émancipation, on peut admettre des manières de faire respecter les règles que les habitant.e.s se sont donné.e.s eux-mêmes, mais ce n’est, justement, plus une police.

Interview réalisé par Selim Derkaoui

https://www.frustrationlarevue.fr/letat-a-recours-a-des-repertoires-de-violence-qui-montent-en-intensite-jusqua-ce-quil-ait-reussi-a-ecraser-ou-discipliner-ce-qui-gene-les-classes-dominantes/?fbclid=IwAR0x03LYBOHZncGE2rIil2BKW1gPIa88L_FxHdh6Sr3MTI4q9dE2WIEMWh8

Grèce Résistance à la frénésie pétrolière

En Grèce, face à la frénésie pétrolière, la résistance s’organise

6 juillet 2019 / Andrea Fuori et Raphaël Goument (Reporterre)

Depuis 2014, 72 % des eaux et 13 % des terres de la Grèce sont destinées à la recherche et l’exploitation des hydrocarbures, bien souvent à l’insu des populations locales. Mais, avec l’aide d’associations environnementales, la résistance s’organise, notamment dans l’Épire.

  • Région de Ioannina (Grèce), reportage

« C’est impossible que ça arrive pour de vrai. Non, je ne peux pas imaginer qu’il n’y ait plus d’arbres ici. Si les travaux se font vraiment, s’ils commencent à sortir du pétrole de la terre, nous les bloquerons. Nous n’avons pas le choix. » Costas, prof de maths à la retraite, nous dit ça tout en déchargeant d’énormes sacs d’engrais et de terre de sa voiture. Et, comme chaque jour, pose la même question à sa fille, qui gère le commerce : « Et les ouvriers de la prospection, on a eu des nouvelles aujourd’hui ? » Son visage est doux, son front cuivré luit sous le soleil. « Non rien. Je crois qu’ils ont été aperçus ce matin vers Zagori [un village voisin d’une trentaine de kilomètres], mais le maire est venu protester en personne, les ouvriers ont tout replié et sont partis. »

Costas, prof de maths à la retraite : « Tout le monde a peur de ce changement, pas juste nous, les retraités. »

Difficile d’imaginer que leur village, Zitsa, petit bourg d’environ quatre-cents habitants perdu dans un massif montagneux de l’Épire, soit au cœur des appétits de grands groupes pétroliers. Et pourtant, le sous-sol de cette région du nord-ouest de la Grèce, la plus pauvre du pays, pourrait regorger d’hydrocarbures (pétrole, gaz et gaz de schiste). Tout comme un gros tiers du pays, à la fois dans les terres et en milieu marin. « Le gouvernement a ouvert tout l’ouest du pays aux compagnies pétrolières, il y en a pour des années, nous en sommes encore aux toutes premières phases », se désole Takis Grigoriou, chargé de mission chez Greenpeace Grèce. L’ONG, après un engagement historique contre l’extraction du lignite, a décidé de placer le pétrole au cœur de ses activités fin 2017. « C’est devenu clair qu’il fallait s’en soucier, que ça devenait un enjeu majeur. »

Vingt « blocs » ont été délimités comme on coupe un gâteau, le long de la côte occidentale, des Balkans à la Crète

L’hypothèse de présence d’hydrocarbures dans les sous-sols de l’Épire n’est pas nouvelle. L’armée italienne fut la première à y mener des recherches durant la Seconde Guerre mondiale, avant qu’Athènes ne reprenne le flambeau dans les années 1960, puis 1980. Mais le paysage, difficile et escarpé, avait rendu les prospections infructueuses. Les récentes innovations technologiques, notamment le traitement des données sismiques, ont rebattu les cartes. La seule concession de Ioannina, qui couvre une partie de l’Épire, promet ainsi aujourd’hui de produire entre 3.000 et 10.000 barils par jour.

 

Zitsa, bourg de 400 habitants, en Épire, dans le nord-ouest de la Grèce.

À en croire les déclarations en 2014 d’Antonis Samaras, alors Premier ministre (droite) : en 30 ans, pas moins de 150 milliards d’euros d’entrées fiscales pourraient bénéficier à la Grèce. Une manne pour un État qui peine toujours, neuf ans plus tard, à sortir son économie du marasme dans lequel l’a plongée la crise de la dette publique, qui lui a fait perdre près du tiers de son produit intérieur brut (PIB).La suite est connue : 20 « blocs » ont été délimités comme on coupe un gâteau, le long de la côte occidentale, des Balkans à la Crète. Les sites en mer couvrent au total 58.000 km2, soit 72 % des eaux grecques. À terre, 17.000 km2 sont concernés, soit 13 % du territoire. Tous les blocs ont été attribués ou sont en cours d’attribution sous la forme de concessions de 25 ans. Au rendez-vous, deux compagnies nationales : Hellenic Petroleum et Energean. Mais aussi des grandes compagnies occidentales : Total, ExxonMobil, Repsol ou encore Edison, une filiale d’EDF.

Carte des « blocs » attribués et en voie d’attribution.

Pour l’instant, au cœur des massifs épirotes, ni forage ni puits de pétrole, seulement la chaleur et les nuées de papillons. Pour apercevoir les travaux préparatoires, une seule solution : suivre les pistes. Costas, le vieux prof de maths, ne se fait pas prier. Petrus, son vieux copain, un ancien boulanger à Athènes, insiste pour nous accompagner. Il faut s’éloigner du village, quitter la route et ralentir l’allure sur les chemins rocailleux, s’enfoncer à pied dans le maquis escarpé, traverser les forêts de noyers et de châtaigniers. « Peu de gens viennent jusqu’ici. » La zone est reculée, à peine parcourue par les chasseurs, qui y traquent lièvres et sangliers. Difficile de comprendre comment les ouvriers peuvent l’atteindre.

Petrus, l’ami de Costas. Boulanger à la retraite, il est lui aussi revenu couler ses vieux jours dans les montagnes de l’Épire.

Soudain, le vrombissement d’un hélicoptère se répand dans le ciel. À basse altitude, il hélitreuille des caisses volumineuses. « C’est comme ça qu’ils transportent leur matériel et tous leurs outils, certaines zones ne sont même pas accessibles par la route », précise Costas, visage tourné vers les cimes. Lorsqu’on lui demande comment il peut être sûr qu’il s’agit bien d’ouvriers de la compagnie pétrolière, il rit jaune. « Pourquoi y aurait-il un hélicoptère ici autrement ? » Son copain rigole à son tour.

Un des hélicoptères utilisés pour déplacer outils et matériel dans le maquis de Zitsa, une zone escarpée et difficile d’accès.

Après un bon moment à crapahuter, le vieux professeur s’immobilise. Il pointe du doigt un petit ruban jaune qui flotte au vent, noué à la branche d’un arbuste. « C’est comme ça qu’ils balisent leurs chemins jusqu’aux zones où ils font leurs explosions. » Effectivement, tous les 20 mètres, un ruban conduit à un autre. À la fin du jeu de piste, des trouées artificielles autour desquelles la végétation a été arrachée. Au milieu, des sacs de sable couvrent les orifices qui ont servi à introduire des explosifs dans le sol. Depuis un an, des milliers de ces trouées clairsèment la région.

Des sacs de sables ont été déposés à l’endroit ou les explosifs ont été utilisés.

« D’ici un an, ils auront fini les tests sismiques, ensuite ce sera le moment des premiers forages » 

Les habitants des dizaines de hameaux dispersés dans le massif de l’Épire semblent parfois à peine au courant du destin qui a été négocié pour eux, à des centaines de kilomètres de là, à Athènes. C’est le cas de Stavros, originaire de Kalahori, patelin d’une quarantaine d’âmes. « J’ai découvert ce projet seulement fin 2016, en tombant sur un reportage sur Alpha [une télévision privée] qui vantait les aspects positifs de l’exploitation pétrolière de Prinos [l’ancienne et unique exploitation grecque, dans l’est du pays, exploitée depuis le début des années 1970]. La seconde partie du reportage, c’était mon village ! Tu imagines ? Il montrait les traces de pétrole qui remontent à la surface, près de la rivière. » Personne alors, dans les communautés locales, ne se soucie réellement du problème. C’est seulement l’année suivante, avec l’arrivée des premiers ouvriers et le lancement des recherches à l’automne 2017, que les locaux prennent conscience de la situation, sans n’avoir jamais vu l’esquisse d’une consultation publique.

Les massifs montagneux proches de Zitsa.

La région abrite pourtant un des blocs à l’agenda le plus avancé. Le Parlement grec a ratifié le lancement des opérations dans la zone en octobre 2014. 4.187 km2 sont concernés, faisant craindre un désastre écologique d’ampleur. Pas moins de 20 espaces naturels protégés pourraient être touchés, rien que pour ce bloc. Deux autres sites, cette fois dans le Péloponnèse, inquiètent aussi les ONG : Katocolo (cinq millions de barils espérés) et le golfe de Patras (200 millions de barils espérés). « L’extraction pétrolière est un danger imminent. D’ici un an, ils auront fini les tests sismiques, ensuite ce sera le moment des premiers forages », dit Takis, de Greenpeace.

Vassiliki, 65 ans, née à Zitsa, où elle ouvert une boulangerie en 1992. Avec l’exploitation pétrolière, « il y aura du travail seulement pour quelques-uns et pour quelques temps, ça ne changera rien au problème du chômage dans notre village ».

Aucun des partis politiques représentés à la Vouli (le Parlement grec) ne semble désireux de remettre en question cette frénésie pétrolière. Ni même la formation de gauche radicale Syriza, au pouvoir depuis 2015, qui s’était pourtant fait élire avec un programme ne laissant guère de place à l’extractivisme. « C’est une trahison inacceptable, ils étaient contre. Une trahison qui aura des conséquences désastreuses sur l’économie locale et l’environnement ! » dit Dimitris Ibrahim, engagé avec WWF. Et d’ajouter : « Les seuls qui nous soutiennent, c’est le MeRA25 et Varoufakis [le Front réaliste européen de la désobéissance, formation fondée en 2018 par l’ancien ministre des Finances du premier gouvernement Tsipras]. » Après avoir approché les 3 % aux élections européennes, la jeune formation pourrait espérer faire son entrée à la Vouli lors des élections anticipées le 7 juillet prochain.

« Il y a toujours eu ici un sens très fort de la communauté, de l’attachement à la terre » 

Au cœur des maquis, les communautés épirotes se sont faites à l’idée qu’il fallait s’organiser sans rien attendre de personne. En 2017, Lila, une habitante de la région lance le premier groupe Facebook dédié au sujet. Deux ans plus tard, Save Epirus compte plus de 16.000 membres des quatre coins du pays. « Il n’y avait aucune information pour les habitants. On a créé ce groupe pour informer et aussi pour s’organiser. C’est compliqué de se croiser ici, il n’y a pas forcement beaucoup de contacts entre les communautés », explique Lila. Âgée de 44 ans aujourd’hui, elle a quitté Athènes en 2007 pour se lancer dans les chambres d’hôtes. Comme elle, les jeunes de la capitale ou de Thessalonique, la deuxième ville la plus peuplée du pays, sont nombreux à envisager de s’installer dans le massif de l’Épire, reprenant parfois des terres familiales. Sans compter les retraités, comme Costas ou Petrus, qui reviennent au village pour leurs vieux jours. « Il y a un réseau de la diaspora épirote en Grèce. Il y a toujours eu ici un sens très fort de la communauté, de l’attachement à la terre. Les jeunes reviennent tous passer l’été dans leur village », nous confirme Anastasis, un jeune étudiant investi dans l’opposition au projet à Ioannina, chef-lieu de l’Épire adossée au lac Pamvotis. « Cette région fait office de laboratoire pour les industries pétrolières : si le projet parvient à être accepté ici, alors ils pourront le faire partout », analyse le jeune homme.

Le lac Pamvotis, que borde Ioannina.

Dans les villes d’Athènes, de Thessalonique ou encore de Ioannina, les milieux militants et écologistes grecs se sont rapidement mobilisés. L’Alimura, centre social autogéré au cœur de la petite capitale régionale, accueille chaque semaine depuis février 2018 une assemblée ouverte. Jusqu’à 60 ou 70 personnes font parfois le déplacement, parfois de communes éloignées. Un rôle de relais essentiel, mais que Dimitris Ibrahim, de la WWF, veut nuancer : « Ils [les réseaux anarchistes et antiautoritaires grecs] sont très actifs, ils ont des réseaux très développés, mais ils ne touchent pas tout le monde, les Grecs ne s’y retrouvent pas forcement. »

Vassilis, 85 ans, né à Zitsa : « Je suis tout de même inquiet pour la pollution, est-ce qu’ils maitrisent vraiment ce qu’ils font ? »

Les petits villages semblent en tous cas mobiliser au-delà de leurs maquis. Les premières manifestations organisées à Ioannina ont fait le plein de soutiens. Plus de 2.000 personnes défilaient en mai 2018 dans le chef-lieu de l’Épire, qui ne compte que 65.000 habitants. Puis, à nouveau en juin 2019. Un exploit sans le soutien d’un parti politique. La manifestation organisée à Athènes, en février, n’a en revanche rassemblé que quelques centaines de personnes. « Ils doivent prendre conscience que ce problème nous concerne tous, il faut que tout le monde se rende compte et se mobilise », dit Lila.

« Tout le monde est d’accord pour travailler ensemble. On se structure peu à peu » 

Des réunions publiques et des assemblées se multiplient un peu partout sur les territoires concernés. L’idée émerge d’une grande coordination de toutes les assemblées contre les exploitations pétrolières de Grèce pour le mois de septembre. Un mouvement vu avec enthousiasme par les ONG. « Bien sûr que nous y participerons, si nous avons la chance d’être invités. Mais ce sont des mouvements citoyens, portés par des collectifs très divers, cela n’a rien à voir avec nos structures, notamment en matière d’organisation, il ne faut pas tout mélanger », dit le chargé de mission de la WWF.

L’Alimura, centre social de Ioannina, accueille chaque soir des discussions et des assemblées, notamment celle des opposants à l’extraction pétrolière.

Bien qu’elles tiennent à s’afficher en retrait, les organisations Greenpeace et WWF demeurent très actives et cherchent à faire décoller le mouvement. Samedi 22 juin, 13 délégations de dix différentes zones promises à l’exploitation d’hydrocarbures se sont ainsi rendues à bord du mythique Rainbow Warrior afin de tenter de coordonner les différents collectifs. « Je pense que c’était un succès, tout le monde est d’accord pour travailler ensemble. On se structure peu à peu. Maintenant, comment trouver des idées concrètes rapidement ? » résume Takis, chargé de mission de Greenpeace.Les deux organisations ont aussi essayé d’emmener la bataille sur le terrain juridique, sans guère de garantie de succès. Deux recours déposés par les ONG sont en cours d’examen par les plus hautes institutions du pays. L’un a été lancé en 2018 et concerne le bloc de Ioannina, l’autre, cette année, pour le bloc marin au sud-ouest de la Crète. À chaque fois, les organisations mettent en cause des infractions à la législation existante sur les études des conséquences environnementales. Les décisions sont attendues pour la rentrée. Ni le ministère grec de l’Environnement et de l’Énergie ni l’entreprise Repsol, qui gère les recherches dans le bloc de Ioannina, n’ont pas pour l’instant donné suite à nos sollicitations.

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