Grèce : En finir avec les dettes illégitimes

Véronique Laurent 

C’est un cheval de Troie juridique. Le Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM ) fournit une arme pour tenir tête aux créanciers : le concept de « dette odieuse ». Qui pourrait servir à la Grèce à genoux. Le Belge Éric Toussaint, historien et docteur en sciences politiques, et Zoé Konstantopoulou, juriste et ancienne présidente du Parlement grec, en décortiquaient l’historique et les enjeux durant la dernière Université d’été du CADTM, à Namur, en juillet dernier. axelle (http://www.axellemag.be/) y était.

La plupart des États s’endettent pour financer leurs dépenses : ils émettent des « bons du trésor » ou des « obligations souveraines » pour équilibrer leur budget – les États-Unis, la Belgique le font. La Grèce le faisait. Ces bons sont achetés par des organismes sur des marchés financiers : ces acheteurs touchent alors les intérêts de ces emprunts.

Retour sur la dette grecque

Fin 2009, le gouvernement grec fraîchement élu annonce que le déficit du pays est en fait deux fois plus élevé que ce qui avait été présenté auparavant. L’origine de ce déficit est par ailleurs au cœur d’un débat politique. À la suite de cette annonce fracassante, c’est l’engrenage infernal. Les agences qui notent la « fiabilité financière » d’un pays dévalorisent la Grèce. Tout le monde essaie de revendre ses bons du trésor grecs dont le prix a dégringolé ; plus personne ne veut prêter d’argent au pays, ou alors à des taux totalement démesurés. Bref, la Grèce n’arrive pas à boucler son budget et, en avril 2010, demande une aide internationale.

Une dette pourrait être répudiée si elle va à l’encontre de l’intérêt général et si ses créanciers sont conscients de son impact néfaste au moment du prêt.

Se sentant encore fragiles après la crise de 2008, les États de la zone euro et le FMI (Fonds Monétaire International) craignent de nouvelles faillites bancaires ; des pays comme l’Italie, le Portugal ou l’Espagne sont également touchés par une hausse des taux d’intérêt que leur imposent les marchés financiers, échaudés par l’exemple grec. Les États de la zone euro et le FMI se mettent à racheter les titres grecs afin d’arrêter l’effondrement de leur prix, faisant ainsi passer la dette grecque dans les mains publiques (alors qu’auparavant, elle était détenue sur des marchés financiers privés). La « Troïka » (FMI + Commission européenne + Banque centrale européenne) impose alors à la Grèce de prendre toujours plus de mesures d’austérité afin de rembourser sa dette ; mais depuis sept ans, la dette a explosé, forçant la Grèce à rembourser toujours plus et plongeant les citoyen-nes dans une terrible crise économique et sociale (voir les portraits dans ce dossier). À l’image de pays qui ont refusé de payer leur dette financière envers leurs ex-colonisateurs, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer une « dette odieuse », et la remettre en question.

« Répudier » la dette, un concept politique

Au 19e siècle, le nouvel État mexicain « répudie » sa dette envers le Portugal, parce qu’il estime que cette dette ne respecte ni le bien commun ni l’intérêt du peuple. Cuba, avec le soutien financier et militaire des États-Unis, fera de même vis-à-vis de l’Espagne. Avec l’argument supplémentaire selon lequel la dette était d’autant plus injuste que les banquiers prêteurs savaient bien que le remboursement était impossible.

En 1917 en Russie, le règne des tsars se termine dans le sang. Le gouvernement provisoire répudie les dettes du tsar Nicolas II. Alexander Nahum Sack, ancien ministre tsariste, théorise en 1927 cette répudiation. Il la soumet à deux premières conditions principales : une dette pourrait être répudiée si elle va à l’encontre de l’intérêt général et si ses créanciers sont conscients de son impact néfaste au moment du prêt. C’est la naissance du concept de « dette odieuse » : la « doctrine » de Sack sort ainsi la dette du domaine purement économique. Une troisième condition est encore théorisée au niveau du droit international : le caractère despotique du régime en place.
Et quand on veut, on peut : en 2004, par exemple, suite à la défaite de Saddam Hussein, la dette de l’Irak se voit réduite de 80 %. Mais, aux yeux des États-Unis, qui ont mené les négociations financières, il s’agissait d’un pays hautement stratégique… Contrairement aux pays pauvres très endettés (dits « PPTE »), dont le remboursement de la dette contribue à plomber le développement et qui bénéficient d’allègements de dette bien moindres.

La Grèce sous tutelle ?

En 2010, afin de rembourser la dette publique, le gouvernement grec signe donc un accord avec la Troïka qui l’oblige à instaurer de sévères politiques d’austérité. Selon le CADTM et de nombreux-ses économistes |1|, ces mesures n’ont pas aidé au redressement de l’économie. « Le programme d’ajustement auquel la Grèce a été soumise était, et reste dans son intégralité, un programme politiquement orienté », dénonce en juin 2015 la Commission pour la vérité sur la dette grecque, créée par le Parlement grec et sa présidente d’alors, Zoé Konstantopoulou, et coordonnée par Éric Toussaint. Au contraire, les mesures qui se sont succédé depuis 2010 ont porté atteinte aux droits fondamentaux des citoyen-nes, détruisant les droits sociaux et vendant les biens publics à des sociétés privées (acier, eau, électricité, aéroports, infrastructures…). Du vol pur et simple, dénonce Zoé Konstantopoulou.

Les mesures qui se sont succédées depuis 2010 ont porté atteinte aux droits fondamentaux des citoyen-nes, détruisant les droits sociaux et vendant les biens publics à des sociétés privées.

Des millions de chômeurs/euses, 300.000 entreprises fermées, 300.000 scientifiques envolé-es vers l’étranger, un taux de suicide élevé, des milliers de foyers sans électricité, la pauvreté généralisée allant jusqu’à la famine… « L’austérité tue », assène encore Zoé Konstantopoulou.

Peut-on parler d’une stratégie d’oppression systématiquement appliquée ? Zoé Konstantopoulou en est persuadée, en particulier depuis que la Commission pour la vérité sur la dette grecque a révélé des documents confidentiels du FMI, prouvant que l’instance connaissait l’impact que les mesures d’austérité allaient provoquer. Et depuis juillet 2015, le doute n’est plus possible ; la volonté populaire, exprimée lors du référendum – une majorité pour le « non » aux « mémorandums », c’est-à-dire aux plans d’austérité successifs –, n’a pas été respectée.

Les Nations Unies mobilisées

Le CADTM demande, avec d’autres instances et associations, la création d’un Tribunal international de la dette, à même de juger ce type de conflits, et où la doctrine de la dette odieuse pourrait s’appliquer. Ce combat avance. En septembre 2015, à l’Assemblée générale des Nations Unies, une majorité de pays a voté une résolution visant à établir neuf principes applicables aux questions de dette souveraine. Vous savez quoi ? La Grèce s’est abstenue, suivant le mot d’ordre des pays de l’Union européenne… Sauf l’Allemagne et le Royaume-Uni qui ont fait cavaliers seuls (avec les États-Unis, Israël, le Canada et le Japon) en votant contre, sous prétexte que les Nations Unies n’étaient pas le bon endroit pour discuter de dettes : ces pays aimeraient le faire hors instance régulatrice démocratique !

Les Nations Unies, avec le principe d’une voix par pays (ce qui donne du poids aux plus petites puissances), instaurent un rapport de force un peu plus équilibré. Et même si les neuf recommandations ne vont pas encore assez loin pour le CADTM (qui propose que les pays débiteurs puissent prendre certaines mesures d’autodéfense minimums face à des créanciers abusifs), leur adoption prouve, dans cette lutte aux intérêts politiques et économiques immenses, que la démocratie existe encore et qu’il faut continuer à l’activer.


Cet article est extrait du magazine Axelle n°202 qui consacre un dossier spécial « La Grèce sous l’austérité ».

Notes

|1| Relire notamment cette tribune de 300 économistes de tous les continents appelant les gouvernements grec et européens à « engager des négociations de bonne foi avec le nouveau gouvernement grec pour résoudre la question de la dette », dans « Nous sommes avec la Grèce et l’Europe », www.blogs.mediapart.fr, 5 février 2015.

Grèce : Trois femmes sous l’austérité

10 octobre par Katja Lihtenvalner , Kostis Ntantami

En Grèce, la vie se conjugue au présent, pas au futur. À Athènes, axelle (www.axellemag.be) a rencontré trois femmes qui nous ont confié leur quotidien. Leurs témoignages permettent d’incarner concrètement les conséquences des mesures d’austérité, prises sous la pression des institutions internationales européennes et financières.

La crise touche sévèrement la Grèce depuis 2010. Le taux de chômage est de 22 % : 26 % chez les femmes et 18 % chez les hommes. Ces chiffres ont certes diminué récemment, mais la réalité sociale demeure inchangée. Les femmes que nous avons rencontrées avaient des rêves ; elles les ont enterrés le long du chemin, à force de perdre leurs illusions, de serrer les dents pour se débrouiller jour après jour. Elles ne pensent plus à demain.

Piereta

Piereta Petani (Crédits photo Kostis Ntantamis)

Piereta Petani a 21 ans. « Cela fait deux mois que je cherche un travail. Je vais attendre que la saison d’été se termine, et je serai ensuite peut-être plus chanceuse », nous explique-t-elle lorsque nous la rencontrons dans le quartier touristique de Plaka, au cœur d’Athènes.

Après ses études secondaires, Piereta a travaillé dans un café. « J’ai toujours rêvé de devenir photographe. Pour me former, il fallait que je m’inscrive dans une école privée, car les institutions publiques n’ont aucun équipement : j’aurais eu l’impression de perdre mon temps. » Les parents de Piereta ne pouvant pas l’aider, elle a dû travailler pour financer ses études.

En Grèce, le taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans est le plus élevé de l’Union européenne : 44,4 %. « Je n’avais pas d’expérience : être serveuse était l’un des seuls jobs auxquels je pouvais prétendre », se souvient Piereta. Elle a travaillé deux ans dans un café de Cholargos, une banlieue d’Athènes. « Quand j’ai commencé les études, je travaillais d’arrache-pied pour gérer les deux. Dès le matin, pendant huit heures, je servais au café, et puis j’allais à l’école de 17h à 20h. Heureusement, j’ai réussi mes examens », dit-elle fièrement.

On recherche une femme attirante

« Les cafés, les bars et les restaurants sont les seuls endroits où vous pouvez trouver du boulot actuellement. Mais les annonces sont humiliantes », explique Piereta. Parfois, les employeurs/euses indiquent rechercher une employée « jeune et attirante ». « Si une femme n’est ni jeune ni attirante aux yeux de l’employeur, elle aura beaucoup de difficultés à trouver du travail dans ce domaine », déplore-t-elle.

Si une femme n’est ni jeune ni attirante aux yeux de l’employeur, elle aura beaucoup de difficultés à trouver du travail comme serveuse.

Cela fait maintenant trois ans que Piereta travaille comme serveuse : « Il y a un modèle standard que les patron•nes suivent, ici. On nous promet 300 euros par mois pour cinq jours de travail par semaine. Et puis ces cinq jours se transforment rapidement en six. Et puis on commence à parler des difficultés financières de l’établissement et on réduit petit à petit ton salaire. Un jour, tu atteins tes limites et tu t’en vas. Ils trouvent une autre fille. C’est un cercle sans fin. »

Dans tous les bars où Piereta a travaillé, elle était officiellement employée à mi-temps. Ainsi, les employeurs/euses échappaient à l’inspection du travail, dotée de peu de moyens. Et, au fait, pour quel salaire ? « Trois euros de l’heure. C’est standard. On gagne environ 25 euros par jour. Ce n’est pas un salaire : personne ne peut vivre comme un•e adulte indépendant•e avec cette somme. »

Piereta a terminé son école de photographie et, pour l’instant, est sans emploi. « J’ai travaillé régulièrement depuis trois ans, mais officiellement je n’ai travaillé que quelques mois, puisque mes patrons m’ont forcée à signer un engagement soi-disant à mi-temps. En conséquence, je n’ai pas droit aux allocations de chômage », explique-t-elle.

Après 20 ans, toujours étrangère

Une autre difficulté pour Piereta est sa nationalité : ses parents albanais-es se sont installé-es en Grèce au début des années 90. « J’avais deux ans. Vingt ans plus tard, je n’ai toujours pas de papiers grecs », explique-t-elle, décrivant la manière dont la bureaucratie la force à payer sans cesse des frais de traduction et de documentation. Sa nationalité est une source de discrimination dans sa recherche d’emploi : « L’employeur/euse me demande d’où je viens, mais, après ma réponse, il/elle n’est plus intéressé-e. »

Piereta reste persuadée qu’elle réalisera son rêve : « C’est vrai que la vie pour nous est catastrophique en ce moment, mais je crois toujours que je serai photographe », fait-elle, déterminée. Elle collabore à différents médias sociaux, et essaie de promouvoir son travail personnel en ligne.

Irini

Irini Papachrisostomidou (Crédits photo Kostis Ntantamis)

Irini Papachrisostomido, 38 ans, vient de Naoussa, au nord du pays. « Dans une communauté aussi petite [la population est d’environ 19.000 habitant-es, ndlr], les femmes peuvent uniquement travailler en tant que serveuses », explique-t-elle en nous racontant son histoire dans le petit appartement qu’elle loue à Exarchia, au centre d’Athènes. « À la campagne, si une femme est célibataire, elle vivra très certainement chez ses parents. Si elle a une relation, elle se mariera et vivra une vie de famille. » Mais Irini attendait autre chose de la vie. Après des années de travail comme serveuse dans sa ville natale, elle décide donc en 2015 de déménager à Athènes. « Je ne me faisais pas d’illusions. Je sais très bien qui je suis. Une femme d’une trentaine d’années, sans diplôme universitaire, n’a pas beaucoup d’opportunités », dit-elle.

Déçue par Syriza

Irini raconte que son déménagement a été favorisé par la crise des réfugié-es et la déception vis-à-vis de Syriza, le parti de gauche au pouvoir depuis janvier 2015. « J’ai vu la situation des réfugié-es à la télévision et j’ai décidé de rejoindre des initiatives de solidarité. Je ne pouvais pas regarder tout cela de loin. » Elle pense que le gouvernement n’a offert aucune solution concrète. Et cette déception rejoint celle qu’elle ressent à l’égard de Syriza, qu’elle soutenait depuis des années. « Je ris, maintenant, quand je repense à la façon dont je croyais au système social que Syriza défendait, se souvient-elle. Comment peut-on rêver autant ? Et à quel point peut-on tomber de haut face à la réalité ? »

Quand j’ai vu qu’il n’y avait plus aucune raison de continuer à croire au rêve que vendait Syriza, j’ai pris mes affaires et je suis partie.

Irini admet que, jusqu’à maintenant, elle n’a toujours pas « fait le deuil » de Syriza. « C’est l’une des raisons qui m’empêche d’être active en ce moment, et je peux très bien comprendre la passivité et l’apathie de beaucoup de gens. Quand j’ai vu qu’il n’y avait plus aucune raison de continuer à croire au rêve que vendait Syriza, j’ai pris mes affaires et je suis partie. »

Pas de vacances

Irini vit désormais dans un petit studio qu’elle partage avec une colocataire et travaille dans un magasin d’art. « Au début, on m’a promis de me faire travailler huit heures par jour et cinq jours par semaine. Les cinq jours sont devenus six et, jusqu’à présent, mon contrat est à mi-temps. Mon salaire me permet de payer mon loyer, mais rien d’autre », raconte-t-elle. Alors que certain-es de ses ami-es lui envoient des messages depuis leurs vacances, Irini, elle, est restée à Athènes cet été. « Je n’ai pas les moyens de partir en vacances. Je travaille quasiment tous les jours. »

« J’aimerais être mère, confie enfin Irini. Mais dans ces conditions, je n’ose pas imaginer à quoi va ressembler mon avenir. Chaque mois, c’est la lutte. Pas pour vivre, mais pour survivre. »

Katerina

Katerina Karneri (Crédits photo Kostis Ntantamis)

Katerina Karneri a 62 ans ; elle est née et a grandi à Athènes. « J’ai enseigné le théâtre toute ma vie », nous explique-t-elle au début de notre entretien, dans son appartement de Kipseli, un quartier central de la capitale. Katerina travaille encore : elle enseigne le théâtre dans une école privée deux fois par semaine, et elle essaie de vendre des bijoux qu’elle fabrique elle-même. « Auparavant, j’avais une vie de qualité. Je travaillais dans trois écoles publiques différentes, pour un salaire décent », sourit-elle en repensant à ce temps passé.

Katerina, son mari Stefanos et leur fils Aris vivaient dans un petit rez-de-chaussée, mais étant donné qu’à la fin des années 2000, leur situation était stable, la famille a décidé d’acheter un appartement. « Je n’oublierai jamais 2010, l’année où ma vie a changé, confie Katerina. Nous avons pris un crédit pour notre appartement et, dans les jours qui ont suivi, mon mari est tombé gravement malade. Quelques mois plus tard, j’ai perdu mon travail dans chacune des trois écoles où j’enseignais. Ma vie s’est effondrée. »

L’austérité détruit tout

En 2010, après avoir demandé l’aide internationale (voir les articles suivants), la Grèce s’est vu imposer de prendre toujours plus de mesures d’austérité afin de rembourser sa dette. Ces mesures – qui se sont encore aggravées depuis – ont particulièrement impacté les citoyen-nes, comme Katerina.

« Les écoles voulaient employer des enseignant-es au rabais et se passer des ateliers théâtre. Je me suis tout à coup retrouvée sans emploi, avec mon mari malade et un emprunt à rembourser. » Katerina pense que sa vie s’est effondrée à cause des mesures d’austérité, qui l’ont laissée totalement sans soutien de la société. « J’étais déprimée, je voulais mourir. Heureusement, mon fils avait un emploi et a pu nous aider », se souvient-elle.

Mais vivre avec l’argent de son fils mettait Katerina mal à l’aise. Dès que son mari s’est rétabli, elle a cherché des solutions. « Sur internet, j’ai découvert la technique du macramé. Je m’y suis mise en me disant que je pouvais le faire toute seule. » Ce travail créatif lui a aussi permis de se remettre moralement sur pied. En vendant ses productions sur des marchés, elle a fait de nouvelles connaissances. « J’ai rencontré une personne qui est maintenant mon patron à l’école de théâtre où je travaille. Je suis payée 300 euros, au moins j’ai un petit salaire », explique Katerina. Elle exerce huit mois par an, mais quand l’école est fermée, elle ne touche rien.

Ne pas penser à la pension

Katerina est une ancienne marathonienne ; elle aime nager. « Je n’ai pas d’argent pour partir en vacances, alors cinq fois par semaine, en transports en commun, je vais à la plage aux alentours d’Athènes », dit-elle. Elle avait toujours pensé qu’à son âge, elle serait plutôt en train de faire du tourisme dans les îles grecques. Cet été, Katerina s’est aussi occupée en créant de nouveaux bijoux, notamment à partir de capsules Nespresso usagées. Le soir, elle s’installe dans une petite rue touristique proche de l’Acropole et elle vend ses réalisations. Même si elle ne gagne pas beaucoup d’argent, elle dit que cela la tient en vie.

J’essaie de ne pas penser à ma pension. Je dois au moins travailler jusqu’à mes 65 ans. Mais avec mon revenu actuel, ma retraite sera limitée.

« J’essaie de ne pas penser à ma pension. Je dois au moins travailler jusqu’à mes 65 ans. Mais avec mon revenu actuel, ma retraite sera limitée », précise-t-elle. La plupart des amies de Katerina, du même âge qu’elle, ont décidé de prendre leur retraite de manière anticipée par crainte d’être coincées par la crise économique. « Elles vivent maintenant avec 300 ou 400 euros de retraite, en devant aussi soutenir des enfants ou des petits-enfants sans emploi. C’est la réalité de l’austérité en Grèce », conclut Katerina en préparant son petit sac de bijoux pour les vendre, ce soir, dans les rues d’Athènes.


Cet article est extrait du dossier « La Grèce sous l’austérité », magazine axelle, n° 202, octobre 2017.

Source Axelle

Iles grecques à vendre

PLUS DE QUARANTE ILES GRECQUES SONT A VENDRE

Plus de 40 îles grecques sont actuellement en vente à des prix ridiculement bas en raison des effets de la crise financière et des mesures fiscales accrues mises en place par le gouvernement.

Les prix ont diminué de plus de 60% dans la plupart des cas, les professionnels de l’immobilier notent que l’offre a même doublé.

Selon un professionnel du secteur, les îles proposées à la vente 70 millions d’euros avant la crise s’offrent maintenant entre 10 à 15 millions d’euros.

Les experts précisent cependant que le marché de l’île grecque est concurrentiel par rapport à celui d’autres pays. Mais les ventes restent difficiles à concrétiser en raison des formalités administratives, des autorisations de construction, des accords des services archéologiques et forestiers, des avals donnés par le Ministère de la Défense, et dans de nombreux cas le classement des îles en zones naturelles protégées.

L’île de Scorpios qui appartenait au magnat grec Aristote Onassis a été cédée avec son ilot voisin Sparti, à un milliardaire russe pour 117 millions d’euros, le prix de vente d’origine, fixé en 2008 avoisinait les 200 millions d’euros.

Oxia près de  Zakynthos s’est vendue pour un peu moins de 5 millions d’euros  (7 millions d’euros au départ) à l’ancien émir du Qatar.

Le profil des acheteurs s’est quelque peu modifié. Les investisseurs se sont détournés des îles au profit de propriétaires privés.

https://lepetitjournal.com/athenes/plus-de-quarante-iles-grecques-sont-vendre-158331

Migrants cibles de groupuscule fasciste

Le samedi 7 octobre, à Aspropyrgos, petite ville à l’ouest d’Attique, deux ouvriers agricoles pakistanais  ont été la cible d’une agression violente par un groupe de 5 hommes qui les ont frappés avec une brutalité particulière  avec de poings américains en concluant leur agression avec un coup de couteau. La victime la plus grièvement blessé, Asfak Mahmud, portait de blessures très importantes au visage et fut hospitalisé d’urgence.  Cet ouvrier pakistanais, installé en Grèce depuis dix ans, était devenu la cible du groupuscule fasciste à cause de ses activités antifasciste et antiraciste : il avait participé aux manifestations antiracistes organisées sur place en mai et juin dernier.

 C’est la énième agression des migrants dans cette petite ville où le taux de chômage atteint de records et une partie de la population habite dans des favelas ; selon les organisations antiracistes, on y dénombre une soixantaine d’attaques racistes depuis un an. Non seulement des personnes ont été grièvement blessés mais aussi  des maisons arbitrant des migrants attaquées en pleine nuit en mettant ainsi la vie de leurs habitants en danger. Les agresseurs sont connus des autorités, car leur groupe se promène en ville à visage découvert en proférant des injures racistes et en semant la terreur. D’ailleurs plusieurs d’entre eux ont été formellement identifiés par des victimes des agressions précédentes, mais malgré cela, aucun d’eux n’a   été  jusqu’à maintenant inquiété par la police. D’après Petros Konstantinou du KEERFA (Mouvement united Against racisme and fascist threat)  il s’agit du  même groupe qui avait attaqué la manifestation antiraciste du 17 juin dernier. Leur impunité ne saurait persister sans la connivence de la police et des autorités municipales. A chaque agression raciste, les premiers à être arrêtés sont les victimes, surtout s’il s’agit des sans-papiers, tandis que les agresseurs jouissent de la protection des forces de l’ordre.

Samedi dernier, les agresseurs après avoir lacéré  avec des poings américains et un couteau le visage de leurs victimes, ils ont menacé de les brûler vives si ils ne quittaient pas le pays. Les deux victimes ont reconnu deux de leurs agresseurs qui pour l’instant n’ont pas été arrêtés. Asfak Mahmud a confirmé avoir reçu à plusieurs reprises des menaces par des membres de l’Aube Dorée (nazis grecs)  qui très probablement est l’auteur de cette attaque, malgré un communiqué de démenti que l’organisation nazie a publié.

 Une deuxième agression raciste a eu lieu dans un quartier populaire d’Athènes à peine quelques heures après.  Un groupe de 15 a failli lyncher un ouvrier pakistanais qui rentrait chez lui après la fin de son travail tard dans la nuit du samedi au dimanche. Ils l’ont encerclé et n’arrêtaient de lui donner de coups de pied au visage et au corps jusqu’à ce quil perde connaissance. La victime, grièvement blessé, a été hospitalisée d’urgence; il devrait subir une opération nécessitant plusieurs jours d’hospitalisation. Le ministre de Protection du Citoyen (euphémisme pour l’Ordre public) Toskas après avoir reçu des représentants de la communauté pakistanaise a confirmé sa détermination de poursuivre les auteurs de ses actes odieux.  Sauf qu’il avait déjà affirmé la même chose en juin dernier sans que le régime d’impunité de sections d’assaut anti-immigré et de policiers qui les couvrent change d’un iota.

(source –en grec- Efimerida tôn Syntaktôn, )

Entretien avec Emmy Koutsopoulou

Dans un précédent article nous faisions état d’une mesure de licenciement à l’encontre d’Emmy Koutsopoulou, http://www.infoadrets.info/grece/solidarite-avec-emmy-koutsopoulou/psychiatre grecque, responsable de l’unité d’addictologie à l’hôpital oncologique d’Athènes, limogée de son poste par la direction de l’organisme grec de lutte contre la drogue – OKANA .

Il apparait que les décisions administratives prises à son encontre relèvent du domaine de la persécution politique, syndicale et professionnelle.

Pour connaitre son engagement voici une vidéo d’un entretien suite à une rencontre avec elle réalisée en été 2016 à Athènes. 

Grèce : 3eme mémorandum un programme de ruine et de punition

Grèce : Troisième mémorandum – Le renversement d’un renversement  par Marie-Laure Coulmin Koutsaftis 4/10/17

Députée depuis mai 2012, réélue en juin 2012 et en janvier 2015, Nadia Valavani était vice-ministre du budget lors du premier gouvernement Syriza-Anel. Elle a démissionné de son poste de ministre le 13 juillet 2015, au lendemain de la signature par le Premier Ministre Tsipras de l’accord menant à un troisième mémorandum, ces listes de mesures d’austérité qui conditionnent les emprunts ou plans de « sauvetage »gérés par la Commission européenne, la Banque centrale européenne, le Mécanisme européen de stabilité et, jusqu’en 2015, le Fonds monétaire international. Après qu’elle ait été calomniée suite à sa démission, comme tous les anciens députés et ministres qui ont quitté Syriza à ce moment-là, N. Valavani a choisi d’écrire un livre pour rétablir sa version des faits. Son titre donne le ton : Troisième mémorandum : Le renversement d’un renversement. Preuves personnelles d’un démenti collectif. Elle y détaille la loi qu’elle a fait adopter en mars 2015, aménageant les principales mesures contre la pauvreté prises pendant les six premiers mois du gouvernement de Syriza, et elle commente les grandes mesures du 3e Mémorandum.

Les « 100 versements », mesure vitale pour la population grecque

En effet, N. Valavani a mis en place un dispositif dit des 100 versements, dont l’objectif était de régler, en partie, les dettes des particuliers et des entreprises vis-à-vis du secteur public. Et cela en permettant, d’étaler le paiement des dettes en 100 versements de 20 € minimum combiné à un effacement des pénalités pour ceux qui y souscrivaient. Il s’agissait de régler ainsi des situations fiscales que la baisse des revenus, le chômage et les hausses d’impôts avaient rendu désespérées |1|. Les enjeux étaient énormes, puisque de nombreuses démarches administratives rendent obligatoire en Grèce le « certificat fiscal » un certificat qui indique le statut fiscal quant au paiement des impôts : tous les achats et ventes mais aussi, avant 2015, l’accès aux bons de santé pour les démunis. La dette des particuliers et entreprises envers le Secrétariat général des recettes publiques représentait en février 2015 près de 74 milliards d’Euros, soit 40 % du PNB, dus par environ 3,9 millions de contribuables (dont 400 000 entreprises) |2|. En fait, un tiers de la population grecque était endetté auprès des impôts pour moins de 3 000€ majorations comprises. À l’autre bout, 60 milliards étaient dus par 6 500 contribuables, dont 4 000 entreprises (certaines fermées depuis longtemps) avec une dette supérieure à 1 million d’€, datant parfois des années 70 ou 80.

Malgré l’hostilité des Institutions, ce dispositif des 100 versements est resté en place 3 mois, de mi-avril à mi-juillet 2015, concernant plus d’un million de débiteurs à hauteur de 7,5 milliards de dettes. Entre le 28 juin et le 15 juillet 2015, malgré la fermeture des banques et le contrôle des capitaux, 600 millions d’euros de dettes ont encore pu être arrangés. Mais de nombreux contribuables n’ont pas pu en bénéficier dans ce court laps de temps. Le 3e mémorandum a interrompu les 100 versements et les conditions générales de maintien dans le dispositif ont été durcies au point qu’en juin 2016, 250 000 personnes en avaient été éjectées.

Le premier avantage de cette mesure était le soulagement social apporté. Le deuxième était l’apport régulier d’argent frais dans les caisses de l’État, à un moment où le gouvernement était confronté au blocage des liquidités par la Banque centrale européenne. « Tsipras s’en est vanté lors de sa campagne de septembre 2015, sans avouer qu’il avait lui-même signé leur annulation le 13 juillet 2015. »

Les mémorandums ont créé un énorme endettement fiscal

« Les créanciers considèrent que l’économie grecque doit être saignée à blanc et que les contribuables sont des machines à payer, tels les condamnés d’une colonie de la dette ». En fait une grosse part de la dette fiscale, 47 milliards sur 74 milliards, a été créée après 2010, début des mémorandums. Par exemple si en 2013 la dette fiscale s’élevait à 8 milliards, en 2014 elle pesait 14 milliards, soit une augmentation de 60 % de la dette fiscale annuelle.

Les créanciers considèrent que l’économie grecque doit être saignée à blanc et que les contribuables sont des machines à payer.

Or le FMI s’est farouchement opposé à cet aménagement en 100 versements, d’abord parce qu’il contredit le principe de « super-seniority » qui donne la priorité aux banques privées dans l’ordre des remboursements. Ensuite le FMI considérait que ces versements s’opposaient à la « pédagogie fiscale » censée réduire la fameuse « culture du non-paiement » attribuée aux Grecs. « En 2000, la dette des contribuables grecs envers les impôts était seulement de 3,5 %, c’était le bon moment pour faire de la pédagogie et encourager la culture du paiement de l’impôt. Mais avec 40 % du PNB fin 2014, il y avait d’autres urgences et priorités que la « pédagogie fiscale » prônée par le FMI » proteste Nadia Valavani. Alors que 20 milliards d’euros et 500 000 endettés fiscaux supplémentaires ont été créés pendant ces deux années par les nouvelles mesures d’austérité du troisième mémorandum, Tsipras et les chiffres officiels annoncent en janvier 2017 que les objectifs fiscaux ont été atteints pour 2015 et en 2016. Où mèneront les mesures annoncées de nouvelle hausse des taxes, qui menacent retraités et salariés ?

L’Agence Indépendante des Recettes Publiques

Parmi les nouvelles atteintes à la souveraineté grecque imposées par le 3e mémorandum, Nadia Valavani dénonce l’abandon de la fonction régalienne de recettes et d’attribution budgétaire. Obligation mémorandaire, une « Agence autonome des recettes publiques |3| » s’empare depuis le 1er janvier 2017 de la collecte des impôts et des recettes publiques. Désormais géré par cet organisme affilié directement aux créanciers étrangers, les institutions européennes, tout le mécanisme des recettes publiques sort ainsi de la juridiction du ministère des Finances et échappe à tout contrôle démocratique, constitutionnel ou administratif. Spécialement créé pour exercer un contrôle accru sur l’exécutif grec et visiblement testé en Grèce en vue d’imposer ce type d’Agence indépendante dans tous les pays de l’Union, ce néoplasme néolibéral confisque la fonction régalienne des recettes et du budget de l’État. Le ministère n’aura plus aucun pouvoir, ni même celui de peser sur l’interprétation de lois importées. Il ne sera renseigné que mensuellement sur une base statistique. En outre, 36 000 affaires fiscales qui allaient arriver à expiration, concernant l’argent noir des partis politiques, les bakchichs, les pots de vin de l’armement, d’énormes fraudes, etc. sont prescrites d’office à cause de la suppression des instances de poursuites fiscales. Ces dispositions ont été instituées par une loi votée en mai 2016 par l’ensemble mémorandaire de l’assemblée. Le portefeuille de secrétaire aux recettes devient inutile, puisque toutes les lois sont rédigées à l’étranger.

Le super-fonds de privatisation

Le 3e Mémorandum a aussi supprimé l’article 24 de la loi Valavani qui attribuait tous les bénéfices du Fonds de privatisation TAIPED aux caisses publiques d’assurance sociale. Le TAIPED est remplacé par un Super-fonds de privatisation sous contrôle des créanciers, qui brade irréversiblement toute la Grèce pour 99 ans. De plus ce super-fonds a été adopté par un article dont le contenu n’a été publié – en allemand et dans la presse – que plusieurs semaines après le vote et l’adoption de la loi. Le super-fonds inclut aussi le Fonds de stabilité financière hellénique, chargé de la recapitalisation des banques grecques. « Privé de toute velléité de souveraineté nationale, le gouvernement va vendre les îles rocheuses, comme prévu depuis 2013, et toutes les marinas, ce qui remet en question la sécurité même du pays. Nous n’avons pas réussi à protéger nos lignes côtières. »

Désormais en Grèce, le mécanisme des recettes publiques sort de la juridiction du ministère des Finances et échappe à tout contrôle démocratique, constitutionnel ou administratif.

La recapitalisation des banques

À cause des recapitalisations successives, en 2015 le Fonds de stabilité financière hellénique possédait l’essentiel des actions des banques grecques, réduites à quatre, mais en novembre 2015 elles ont été rachetées par des fonds étrangers pour 5 milliards d’euros à un prix ridicule : trois actions de la Piraeus Bank valaient alors moins d’un cent d’euro. Pourtant cette banque détient les hypothèques de 75 % des terres agricoles du pays.

La Task force et ses tentatives de vendre « des petits produits » à la ministre

Depuis 2012, tous les étages du ministère des Finances sont occupés par la task-force, constituée d’experts de l’Union européenne, nommés pour « aider l’administration grecque ». Les employés de la task-force insistaient pour rencontrer la ministre pendant sa fonction, en lui proposant l’achat de logiciels de gestion des impôts et taxes.

Un programme de ruine et de punition

Indépendamment de toute logique économique qui viserait à réellement rembourser des créanciers, le 3e mémorandum semble dicté par une volonté de dépecer la Grèce, au bénéfice des intérêts privés liés directement aux représentants des « Institutions » créancières. La formulation bienveillante des articles ajoute à la cruauté paradoxale des mesures. C’est particulièrement sensible avec le Super-fonds qui permet la liquidation à très bas prix de tous les actifs publics, dans des conditions qui vont encore appauvrir ce qui reste de l’État grec (entretien des installations à sa charge pendant 40 ans, exemptions de TVA et autres taxes pour les investisseurs, etc.). Le 1er janvier 2017, le Gouverneur de l’Agence autonome des recettes qui représente la Commission Européenne a pris ses fonctions et il a tout pouvoir, dont celui de saisir et liquider les biens hypothéqués, accélérant ainsi la précarité des ménages grecs.

« Les créanciers savent que la dette grecque est impossible à rembourser. Ils s’occupent d’abord de brader les propriétés publiques ; désormais, ils visent aussi la liquidation de la petite propriété privée en Grèce, avec la suppression de la protection des résidences principales depuis janvier 2017. Quand il ne restera qu’un pays à l’économie exsangue avec une dette ingérable, ils s’occuperont d’aménager la dette grecque. »

Troisième mémorandum – Le renversement d’un renversement
Nadia Valavani, Éditions Livani,
Athènes, 2016.


Cet article est extrait du magazine du CADTM : Les Autres Voix de la Planète

Notes

|1| Rappelons qu’en Grèce, 80 % de la population, retraités et employés du privé et du public se voient ponctionner leurs impôts à la source.

|2| Parmi eux, correspondant à 3 % de la dette fiscale totale, 3,7 millions de contribuables devaient moins de 5 .000€, majorations et pénalités comprises, dont 3,3 millions devaient moins de 3 000€ (dont 357.000 PME).

|3| Cette agence récupère la majorité des compétences du ministère du budget et de l’économie : politique fiscale, gestion des ressources, moyens fiscaux et instruments d’investigation, émission et application des mesures fiscales, douanières et budgétaires, mais aussi « l’élaboration et la mise en place des mesures de protection de la santé publique, de l’environnement, des intérêts des consommateurs, son soutien au bon fonctionnement du marché, à la compétitivité de l’industrie chimique (sic) et le soutien aux services juridiques, policiers et autres autorités, … l’élaboration et la gestion du budget de l’État… ». Cette agence disposera aussi, selon le nouveau Code pénal, des compétences pour mettre en vente les habitations principales des débiteurs en suspension de paiement. Outre les biens publics, ce sont désormais les biens privés grecs qui sont dans le collimateur des créanciers.

http://www.cadtm.org/Grece-Troisieme-memorandum-Le

Grèce : génération 400 euros

« GENERATION400 » Christos Xagoraris  Par Lepetitjournal Athènes | Publié le 02/10/2017

Christos Xagoraris est membre du collectif « Generation400 ». Âgé de 25 ans, ce diplômé en droit vit chez ses parents. Contraint et forcé par son salaire de 400 euros. Comme beaucoup de jeunes grecs. Depuis la crise économique : il lutte contre les mesures d’austérité

Pourquoi avez-vous créé le groupe « Generation400 » ?

Depuis le début de la crise économique en Grèce, il y a eu une réduction significative des salaires et une forte hausse du chomage. Le premier signe de la force de cette crise intervient en 2008. De nombreuses discussions ont lieu autour de la génération qui aura un salaire de 700 euros par mois. Progressivement, après l’intervention de la Commission européenne et du Fond monétaire international sur la dette grecque, en 2010, et les mesures d’austérité, le revenu mensuel des jeunes travailleurs a atteint les 400 euros, une fois les taxes payées.

En conséquence, les conditions de travail et le niveau de vie des jeunes sont devenus des sujets brûlants. Tout le monde parle de cette fameuse génération 400 euros.

Nous avons débuté « Generation400 », sur internet et sur le terrain, à travers l’activisme et le tractage. Nous avons voulu mettre le sujet en avant, lui donner plus d’importance, Tout le monde peut comprendre que les mesures et la politique d’austérité en Grèce menacent les espoirs, les rêves, la motivation, la créativité. Le niveau de vie est très bas. Et ce, tout spécialement pour les jeunes grecs, pour cette fameuse génération qui vit avec seulement 400 euros par mois.

La situation en Grèce est donc très difficile pour la jeune génération. Qu’est-ce qui a vraiment changé depuis la crise économique ?

Comme expliqué avant, depuis la crise économique, les facteurs qui affectent les conditions de travail et le niveau de vie des jeunes, c’est la crise de l’emploi. Il y a 50% de chomage chez les jeunes à l’heure où nous parlons. La diminution du revenu mensuel, autour de 400 euros, à temps plein, et bien moins à temps partiel. Les emplois à temps partiels représentent 60% des emplois, alors qu’il est de 40% à temps plein. Ce sont les estimations depuis les recrutements de fin d’année 2016. Nous subissons aussi la déréglementation agressive du droit du travail. En particulier depuis l’accord signé en 2012. Le plus visible, c’est l’augmentation du taux de chomage chez les jeunes diplômés, les jeunes scientifiques. Ce facteur contribue à la « fuite des cerveaux« , c’est-à-dire à l’immigration massive de jeunes gens instruits dans d’autres pays du centre de l’Europe : Allemagne, France, Pays-Bas. On estime qu’environ 500 000 jeunes gens instruits, âgés de moins de 35 ans, ont migré vers d’autres pays, à la recherche d’emplois dans leur domaine d’études.

« Il y a 50% de chomâge chez les jeunes à l’heure où nous parlons »

Sur la page facebook Generation400, vous critiquez le Premier ministre Alexis Tsipras. Pour vous, qui sont les vrais coupables de cette situation ?

Pour nous, il est clair que le cas grec est un « crime organisé« , avec de nombreux auteurs. Chaque gouvernement grec, qui a signé des mesures d’austérité et des accords depuis 2010, y compris le gouvernement Syriza et Alexis Tsipras, est responsable de la situation actuelle. Avec eux, l’Union europénne et le Fond monétaire international sont également coupables. Ils ont promu des politiques d’austérité, demandant le paiement intégral de cette dette nationale. Cherchant à satisfaire d’énormes bénéfices pour les marchés financiers. Il a été prouvé que les pratiques de l’Union européenne, soit les inspirations du Fond monétaire international, entraînent l’étouffement de l’économie nationale, de la productivité, de la motivation, et de la créativité de notre population. Leur expérience a échoué encore et encore, mais cela ne semble pas les inquiéter, tant que l’austérité en Grèce continue.

Comment peut-on s’en sortir avec 400 euros par mois en Grèce ?

Personne ne peut vivre avec un tel revenu. Vous pouvez survivre avec un niveau de vie de base, un confort de base, satisfaisant tout au plus vos besoins vitaux. En un mot, vous ne pouvez pas vivre avec dignité. Permettez-moi de vous donner un exemple. En supposant que vous avez un revenu mensuel de 400 euros, que vous quittez le foyer familial et devez payer un loyer. Un loyer ne coûte pas moins de 200 euros. Si vous partagez ce loyer avec une autre personne, dans un appartement plus grand, vous ne payez pas moins de 125 euros. Vous payez 50 euros vos factures d’électricité, 10 euros pour vos factures d’eau, minimum 20 euros pour votre téléphone portable, 30 euros pour une carte mensuelle de transports publics.

En fin de compte, il vous reste de 90 euros à 165 euros pour satisfaire d’autres besoins. Chaque jour, vous pouvez dépenser de 3 euros à 5,50 euros. Ce montant équivaut à une tasse de café et un sandwich ou à moins d’un repas complet. Vous pouvez acheter des produits de base dans un supermarché, pour 50 euros.

Après avoir calculé, il est clair qu’il n’y a aucun moyen de satisfaire vos envies, en tant que jeune personne. Simplement vos besoins vitaux. Vous ne pouvez pas vous permettre de boire un verre, de faire un voyage, d’acheter un cadeau à un ami, d’aller au cinéma, de bien manger. Sinon, vous aurez des ennuis financiers pendant un ou plusieurs jours.

En tant que jeune grec, parlez-nous de votre situation personnelle.

Pour le moment, je suis diplômé de la faculté de droit d’Athènes. Je suis avocat stagiaire, dans un bureau d’avocats. Je vis avec moins de 400 euros par mois. Heureusement, ou pas, je vis toujours avec mes parents, à Athènes. Je n’ai donc pas à payer de loyer ou d’autres biens de base, bien sûr. Je suis capable de faire face à mes dépenses chaque mois. Généralement, avec une petite aide financière de mes parents. Bien qu’il soit clair pour moi que, sans cette aide de mes parents, je n’aurais pas le moindre espoir de payer un loyer, la nourriture, les factures, et d’autres dépenses.

« Vous ne pouvez pas vivre avec dignité »

Face à la crise économique, les Grecs font preuve d’une grande solidarité, à l’image de « Generation400 ». Pensez-vous que cette solidarité vous aide à supporter la situation ?

La solidarité entre amis et l’aide familiale sont définitivement un facteur crucial. Je l’ai souligné en ce qui concerne ma propre situation. Donc, c’est une des raisons de la survie de nombreux jeunes, comme moi. Après avoir fait les calculs, il n’y a aucune chance de vivre en Grèce aujourd’hui, avec 400 euros ou moins, sans l’aide financière de sa famille ou de ses amis.

Cependant, même cette aide est de plus en plus courte. Les politiques d’austérité persistantes ont peu à peu raccourci les revenus de la majorité des familles grecques, y compris les salaires des parents et les pensions des grands-parents. Une chose est certaine : il existe une « bombe temporelle sociale« , dans ce modèle d’organisation des conditions de travail et des salaires en Grèce.

Gardez-vous espoir pour l’avenir de la Grèce ?

Comme je l’ai dit, la solidarité entre les gens est une arme contre la pauvreté, la solitude et la dépression massive. D’autant que nous avons besoin de plus que cela si nous voulons vivre des jours meilleurs dans notre pays. Il faut un mouvement massif, une action. Nous devons nous battre, aujourd’hui et maintenant, contre les politiques de notre gouvernement, contre les accords et les plans de l’Union européenne. Ainsi que contre le reste des technocrates qui cherchent à appauvrir la vie des gens. Personnellement, je n’ai pas perdu espoir. Je crois que les Grecs, et surtout les jeunes grecs, finiront par s’opposer à la situation actuelle.

Mais nous aurons besoin de beaucoup de force et de courage. Notre initiative, « Generation400 », essaie de jouer son rôle dans cette direction. Bien sûr, nous aurons besoin de soutien ! C’est là que la solidarité entre les personnes de différents pays peut jouer un rôle crucial. Il est très important pour les peuples d’Europe de connaître la situation réelle que nous vivons, ici en Grèce. Savoir que les gens, et surtout les jeunes, souffrent de ces politiques. Nous travaillons beaucoup. Tout ce que nous voulons, c’est vivre dans la solidarité, l’égalité et la justice sociale. Satisfaire les besoins de la grande majorité des travailleurs de ce pays. Non les désirs des banques et des gouvernements européens.

Plus d’infos sur Generation400 :

Site : http://g400.gr/

Facebook : https://www.facebook.com/400generation/

Twitter : https://twitter.com/generation400

https://lepetitjournal.com/athenes/generation400-christos-xagoraris-157461

A bord de l’Aquarius : témoignage

Dix jours à bord de l’Aquarius, un bateau qui sauve les migrants au large de l’enfer libyen par Marie Nennès

Depuis février 2016, l’Aquarius sillonne la mer, au large de la Libye, pour porter secours aux migrants qui tentent la traversée. L’une des routes les plus meurtrières au monde : plus de deux milles personnes s’y sont déjà noyées en 2017. Le bateau est l’un des huit présents sur la zone – et le seul à y patrouiller toute l’année. Son équipage recueille des migrants dévastés par leur passage en Libye. Le journal CQFD, partenaire de Basta !, a pu embarquer à son bord pendant une dizaine de jours.

Cet article a initialement été publié dans le mensuel CDFD (voir sa présentation en dessous de l’article).À l’Est, les premières lueurs se dessinent. Il est 5 h 30. Depuis la passerelle, Basile scrute l’horizon aux jumelles depuis une bonne heure déjà. En vain. L’Aquarius est de retour dans la « search and rescue zone » – qui commence à 12 miles des côtes libyennes, à la limite des eaux internationales – Après douze jours de cale sèche. Tout le monde est tendu. Pour un peu, on se sentirait coupables d’avoir été absents. Quelque part devant, un point noir perdu dans la nuit attend peut-être désespérément du secours. Un canot pneumatique gris, sans lumière, invisible pour les radars à moins de cinq miles, avec à son bord des centaines de personnes, sans eau, et de plus en plus souvent sans moteur.La mer est mauvaise, le vent souffle du nord. « Il ne se passera rien aujourd’hui, estime Andreas, le second. Les canots ne peuvent pas quitter la côte par ce temps, ils n’arrivent pas à franchir les premières vagues. »

« Je ne pouvais pas rester les bras croisés »

Bénévole pour SOS-Méditerranée, l’association qui affrète le bateau, Basile poursuit tout de même sa veille, bientôt relayé par James, puis Svenja. Et ainsi de suite, toutes les deux heures, jusqu’à la nuit. « Ce qui était encore vrai l’année dernière l’est de moins en moins, explique Alain, solide Martiniquais ayant déjà une dizaine de rotations derrière lui. Avant, les trafiquants attendaient que la mer soit belle pour lancer les bateaux. Certains passagers étaient équipés de gilets de sauvetage. Aujourd’hui, des pneumatiques achetés 130 euros sur Alibaba (équivalent chinois d’Amazon, ndlr) ont remplacé les barques de pêche. Et ils prennent la mer même par mauvais temps. Ceux qui ne veulent pas monter sont flingués dans les broussailles au bord de la plage. Les passeurs disent aux autres : « L’Italie, c’est tout droit, vous y serez dans trois heures ! » Les moteurs pourris calent souvent au bout de quelques heures, faute de carburant. Ou alors, d’autres truands viennent voler le moteur, et laissent les migrants à la dérive. »Pour la dizaine de bénévoles de SOS-Méditerranée, la journée se passe en exercices de sauvetage : il faut roder les nouveaux, créer des automatismes. Les bénévoles de SOS-Méditerranée s’engagent pour trois rotations de trois semaines chacune. Après quoi ils doivent faire une pause. Certains rempilent, d’autres non. Ce ne sont pas des novices, la plupart ont déjà une expérience de marin, mais ce travail est particulier. Face à des gens paniqués et à leurs propres émotions, ils doivent savoir réagir, calmer, rassurer.« Je me souviendrai toujours de mon premier sauvetage, raconte Stéphane Broc’h. J’ai pris une grosse claque. » Ce breton un brin taciturne coordonne les secours sur l’eau. Il est la première main que saisit le naufragé. Il y a plusieurs mois déjà qu’il a quitté son boulot de mécanicien de marine dans le Pacifique pour s’engager avec SOS. « Je ne pouvais pas rester les bras croisés, j’avais besoin d’agir, pour dormir en paix, pouvoir me regarder dans une glace. J’avais les compétences, donc je suis venu. » Plus tard dans l’après-midi, c’est l’équipe de Médecins sans frontières (MSF) qui assurera la formation aux premiers secours, expliquant comment prendre en charge à bord les réfugiés et à quels symptômes porter attention.

Ce qui les hante, c’est la Libye

Midi, le lendemain. Depuis la passerelle, Alexander Moroz, le capitaine biélorusse, prévient : il vient de recevoir un appel du MRCC, le centre de secours maritime italien qui coordonne les actions des navires présents sur zone. Rien ne se fait sans leur aval. Un canot est en perdition à cinq heures de navigation à l’est. L’Aquarius est le bateau de sauvetage le plus proche, il faut y aller. La tension monte : arriverons-nous à temps ? Puis elle retombe un peu : un cargo turc est à proximité, il va recueillir les naufragés, qui seront ensuite transférés sur notre navire.Il fait nuit quand le transbordement commence. Pendant deux heures, le zodiac de sauvetage multiplie les allers-retours d’un bateau à l’autre, transportant quinze personnes à chaque fois. Hagards, les premiers rescapés posent un pied hésitant sur le pont, hissés par les bras et les sourires de Charly et Christina : « Bienvenue, mon frère, welcome, salam aleikoum. » Une seule femme, enceinte, au milieu de 117 hommes. Maliens pour la plupart, mais aussi Ghanéens, Gambiens, Sénégalais : presque toute l’Afrique de l’Ouest est représentée.Tous sont pieds nus, certains même torse nu. Leurs habits empestent le gasoil, la merde, la sueur et la peur. On les fait se déshabiller, se laver, se changer. Tous reçoivent le même kit : des habits propres, une couverture, de l’eau et des biscuits hypercaloriques. Le médecin repère les blessés, organise les premiers soins. Certains s’effondrent de fatigue, d’autres tremblent sur leurs deux jambes. Peu à peu, les visages se détendent. Ce n’est qu’au bout de quelques heures qu’ils commencent à raconter. La peur lors de la traversée, celle de se noyer sur cet esquif surchargé. Mais ce n’est pas elle qui tire les visages, creuse les orbites. Non, ce qui les hante, c’est la Libye.

« Ils m’ont vendu comme une chèvre ! »

Bouba, un Gambien costaud d’une trentaine d’années, bonnet en laine vissé sur la tête et sourire inoxydable, raconte : « Je suis venu en Libye pour travailler. Je pensais y trouver un futur, mais c’était une mauvaise idée. J’y suis resté un an. C’est court, un an, mais là-bas ça m’a semblé très long : la vie était très difficile. » Le sourire s’efface. « J’ai été kidnappé dès mon arrivée à Sabha [1]. Le passeur libyen rencontré à Agadès m’avait vendu à une bande de Bani Walid [2]. Ils m’ont enfermé avec plusieurs centaines de personnes, hommes et femmes, jeunes et vieux. Je ne sais pas si c’était une prison officielle, il y avait des prisonniers avec des papiers en règles, permis de travail et tout. On ne m’a donné aucune explication. »Le récit se fait difficile, Bouba a du mal à déglutir : « Leur seule motivation, c’est l’argent. Ils te prennent tout ce que tu as, ils te mettent même à poil pour vérifier que tu ne caches rien. Ensuite, ils te demandent d’appeler ta famille pour qu’elle envoie de l’argent. Si tu n’en as pas, ils te frappent. Si tu en as, ils te frappent aussi, pour que les tiens entendent tes cris au téléphone. Moi, je suis seul, je n’ai personne, alors j’ai dû travailler en esclave. Ils voulaient 3 500 dollars pour ma liberté ! Et puis, un jour, ils m’ont laissé partir, sans que je sache pourquoi. »Omar, jeune Sénégalais de 19 ans, raconte une histoire semblable : « Je voulais aller en Europe, mais ils m’ont vendu. Comme une chèvre ! J’ai retrouvé la liberté contre de l’argent, mais j’ai été de nouveau capturé quelques jours plus tard. Ils me frappaient tous les jours, ne me donnaient pas à manger et m’ont obligé à appeler ma famille. Et même après le versement d’une rançon, ils ne m’ont pas libéré. Une nuit, j’ai gâté la porte et j’ai fui. »

Conditions de détention effroyables.

Les histoires se suivent et se ressemblent, avec plus ou moins de violences, plus ou moins de chance. Beaucoup arborent de vilaines cicatrices, causées par des menottes trop serrées aux poignets et aux chevilles. Certains souffrent de plaies infectées et de brûlures, d’autres de maladies de peau contractées dans la promiscuité des centres de détention. Près de la moitié d’entre eux n’avait aucune intention de passer en Europe au départ, mais ils n’ont eu d’autre choix que d’embarquer pour fuir le chaos libyen et sauver leur peau.D’après MSF, il existe 42 centres de détention officiels en Libye, où sont enfermés les immigrés clandestins. L’ONG n’a accès qu’à huit d’entre eux. « Il n’y a pas de registres d’entrée ni de sortie, raconte une chargée de mission de MSF en Libye [3], en visite sur le bateau. On ne peut pas effectuer de véritable suivi. Un matin, tu te pointes, et il manque 300 personnes par rapport à la veille… Impossible de savoir ce qu’ils sont devenus, s’ils ont été tués, libérés, transférés dans un autre centre ou mis dans des bateaux. Les prisonniers ne se plaignent pas, pour ne pas être battus, mais les conditions de détention sont effroyables. » Personne ne sait combien de prisons clandestines viennent s’ajouter aux 42 officielles.Enroulés dans leurs couvertures, les réfugiés dorment en sécurité pour la première fois depuis longtemps. Toute la nuit, des bénévoles veillent, discutent avec ceux qui n’ont pas trouvé le sommeil, posent une main bienveillante sur une épaule, offrent un sourire. Demain matin, les réfugiés seront transférés sur le bateau d’une autre ONG qui rentre en Italie.

Ibrahim, deux mètres, 40 kilos

L’Aquarius a repris sa veille à l’ouest de Tripoli, dans les eaux internationales. La majorité des départs se fait depuis cette portion de côte, au large de Sabratha. Cette fois, la radio crachote un appel, mentionnant trois embarcations. Un autre navire est déjà sur place, mais il a besoin de renforts.Sur place, une embarcation manque à l’appel. Les passagers des autres bateaux expliquent que son moteur est tombé en panne et qu’ils l’ont perdue de vue. Ont-ils fait demi-tour, se sont-ils noyés, dérivent-ils encore ? Comment savoir ? Il faut se concentrer sur ceux qui sont là, entassés dans un bateau en bois et un canot pneumatique à moitié dégonflé. La ronde des canots de sauvetage reprend. Cette fois, il y a des femmes, des enfants, un bébé d’un mois. Pakistanais, Bengalis, Éthiopiens, Soudanais, Marocains… Beaucoup de mineurs non accompagnés. En tout, 266 personnes. Et Ibrahim.Quand il monte à bord, le silence se fait. Il est grand, pas loin de deux mètres. Et d’une maigreur irréelle, à peine 40 kilos. On dirait qu’il sort d’un camp de concentration. Il a de la fièvre, peut à peine marcher, parle dans un souffle. Le médecin Craig Spencer l’emmène dans la clinique. Il nous apprendra plus tard que le jeune homme est gambien, qu’il a seize ans, et souffre d’une septicémie. Il est en train de mourir de faim. Détenu pendant sept mois dans une prison clandestine de Sabratha, il est tombé malade après avoir dû cohabiter une semaine avec le cadavre en décomposition d’un compagnon d’infortune. À deux reprises, il a payé pour monter dans un canot. Deux échecs. La troisième, c’est le trafiquant lui-même, voyant qu’il allait mourir, qui l’a jeté dans la barque que l’Aquarius vient de secourir.

Séquestrations, viols, rackets.

À bord, les femmes sont regroupées dans un abri spécifique. Elles peuvent sortir sur le pont, mais aucun homme n’a le droit d’entrer dans leur refuge. C’est le royaume d’Alice, la sage-femme. Comme souvent, la majeure partie de ces femmes sont nigérianes, destinées aux réseaux de prostitution européens. Parfois, la « madame » – mère maquerelle – voyage avec elles. Certaines savent ce qui les attend, d’autres croyaient qu’elles seraient coiffeuses ou stylistes en Italie. Aucune n’a plus de vingt-cinq ans.Ce qui arrive aux femmes africaines en Libye, c’est Koubra, une Togolaise voyageant avec son mari, qui le raconte : « Il suffit qu’un Libyen te repère dans la rue, qu’il t’attrape, te mette dans sa voiture, puis te ramène chez lui et t’enferme. Il appelle alors ses copains et leur dit : « J’ai gagné une femme ». Que tu sois enceinte ou non, seule ou avec ton enfant dans le dos, ils s’en moquent. Ils viennent à cinq ou six, te menacent avec un fusil, puis te violent un à un. Quand ils ont fini, ils te demandent d’appeler ton mari pour qu’il paye la rançon. S’il manque quelques dinars ou que le mari n’est pas à l’heure, ils te gardent encore. »Elle décrit un enfer sur terre. « Tu ne peux te fier à personne. Certains chauffeurs de taxi t’obligent à les sucer, puis t’abandonnent dans la rue. Et les Libyennes ne se comportent pas mieux. J’ai travaillé pour une mère de famille qui, après m’avoir payé ce qu’elle me devait, a envoyé son fils me couper la route. Il m’a tout repris. » Après ce qu’elle a vécu, comment demander à Koubra de faire dans la nuance ? « Un bon Libyen, ça n’existe pas. Un bon Libyen, c’est celui qui te laisse la vie sauve, qui se contente de te torturer. »

Souffler, reprendre des forces.

L’Aquarius a reçu l’ordre de déposer ses naufragés à Pozzalo, en Sicile. Deux jours de navigation, avec seulement 267 réfugiés à bord – aberrant en terme de coût, mais c’est le MRCC qui décide. L’Italie veut garder la main sur la gestion de cette vague ininterrompue de réfugiés.Sur le pont arrière, Alice a mis de la musique. Une battle de danse s’improvise entre un jeune bengali et un marocain, tout à leur joie d’être en sécurité. Nombreux sont qui rient, tapent dans leurs mains, esquissent quelques pas. Mais beaucoup d’autres ont le regard perdu et se taisent, le visage fermé. Dans quelques heures, ils seront en Europe.Comment vont-ils être accueillis ? « On les prévient que ça ne va pas être facile, mais on ne brise pas tous leurs espoirs. Les trois jours qu’ils passent sur le bateau doivent constituer un répit : ils peuvent souffler, reprendre des forces. On ne peut pas leur dire crûment ce qui les attend », explique Marcella Kraay, chef de mission pour MSF.

« Les pays européens piétinent les droits de l’homme »

Tous sur le bateau, bénévoles de MSF et de SOS-Méditerrannée, ont bien conscience qu’ils combattent les symptômes, et non les causes. Que la solution est entre les mains des politiques, qui détournent la tête. Combien de noyés faudra-t-il encore ? « Je ne comprends pas que les États européens ne prennent pas la mesure de ce qui se passe en Méditerranée et qu’ils s’obstinent à financer un soi-disant État libyen [4], s’énerve Stéphane. Comme cet État libyen n’existe pas, ils financent peut-être les passeurs, peut-être les milices qui organisent ce trafic humain. Pourquoi est-ce que cela s’arrêterait ? C’est trop rentable. Les gens payent entre 500 et 2 500 euros leur passage sur des bateaux de la mort. »Le bénévole ne décolère pas : « Nous, ONG, sommes financés à 99 % par la société civile. Nous faisons le boulot des gouvernements et ils nous crachent à la gueule en nous accusant d’être de mèche avec les passeurs. Les pays européens prétendent se soucier des droits de l’homme, porter des valeurs humanistes, mais ils les piétinent allègrement. »Enfin les côtes siciliennes. Presque plus personne ne parle. Les formalités de débarquement prendront plusieurs heures, sous un soleil de plomb. Accueillis sur le quai par des silhouettes en combinaisons blanches, masquées, les réfugiés seront triés, numérotés, passés au détecteur de métaux, puis convoyés en bus vers des centres de rétention. Sur le bateau, tout le monde leur serrera une dernière fois la main. Alice se cachera pour pleurer. Les jointures de James blanchiront sur le bastingage. Les dents d’Anton grinceront d’impuissance. Puis ils se remettront au travail, nettoieront le bateau, prendront une cuite et repartiront le lendemain matin. Avec en tête cette phrase d’Albert Einstein : « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire. »Marie Nennès CQFD est un mensuel de critique et d’expérimentation sociale, disponible en kiosque le premier vendredi du mois. Pour découvrir quelques-uns de ses articles, rendez-vous sur son site Internet.

Notes

[1Oasis située à 600 kilomètres au sud de Tripoli, porte d’entrée pour ceux qui arrivent par le désert et plaque tournante du trafic humain.
[2Ville libyenne tenue par la tribu des Warfalla, souvent associée au régime du colonel Kadhafi, tombé en 2011.
[3Pour des raisons de sécurité, nous ne mentionnons pas son nom.
[4Trois gouvernements se disputent le pouvoir en Libye. S’y ajoutent un certain nombre de milices plus ou moins indépendantes.

 

Aider un migrant un acte de défense des droits humains

Amnesty international | Condamnation d’une défenseuse des migrants tessinoise « Ni trafiquante, ni délinquante, mais défenseuse des droits humains! »

Suite au jugement rendu par le Tribunal pénal jeudi 28 septembre, qui condamne une défenseuse des migrants tessinoise, Amnesty International s’inquiète de la condamnation de personnes dont la seule motivation est de porter assistance aux personnes migrantes et réfugiées sans rechercher d’autre contrepartie que de voir les droits humains respectés.

Selon le droit international, le trafic de migrants implique d’en retirer un bénéfice matériel ou financier, pas moral. Et selon ces mêmes règles internationales, qui lient les autorités suisses, l’État doit prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les personnes ou associations qui œuvrent à la protection des droits humains et qui en dénoncent les violations. Dans son rapport « Italie : Expulsions illégales et violences à l’égard de migrants », publié en 2016, Amnesty International a fait état des pressions de l’Union européenne (UE) visant à inciter l’Italie à durcir le ton contre les personnes réfugiées et migrantes. Or, ces pressions ont débouché sur des expulsions illégales et des mauvais traitements susceptibles de constituer des actes de torture dans certains cas. Malgré ces carences du système d’asile italien dénoncées par Amnesty International, des organisations de la société civile ont indiqué que durant la seconde moitié de 2016, les autorités suisses avaient procédé à des renvois forcés illégaux vers l’Italie, qui concerneraient plusieurs milliers de demandeurs d’asile, dont plusieurs centaines de mineurs non accompagnés. Certaines de ces personnes avaient des proches établis en Suisse.

C’est dans ce cadre-là qu’Amnesty International s’inquiète du jugement rendu par le Tribunal pénal de Bellinzona ce jeudi 28 septembre, qui a reconnu Lisa Bosia Mirra coupable d’incitation répétée à l’entrée illégale et l’a condamnée à une peine pécuniaire avec sursis. Ce jugement ouvre la voie à la condamnation de multiples personnes dont la seule motivation est de porter assistance aux personnes migrantes et réfugiées sans autre contrepartie que de voir les droits humains respectés.

« Ni trafiquante, ni délinquante, Lisa Bosia Mirra est avant tout une défenseuse des droits humains », souligne Denise Graf, experte asile pour Amnesty International en Suisse. « Car il s’agissait bien de protéger les droits violés des mineurs et autres personnes vulnérables, qui étaient confrontés à l’inaction, aux défaillances et même aux atteintes à ces droits, portées par les autorités suisses et italiennes. » Lisa Bosia Mirra a porté assistance, avec son association Firdaus, à des migrants et des migrantes qui étaient bloqués dans le parc devant la gare S. Giovanni à Côme en raison des contrôles de frontière systématiques introduits par les autorités suisses. L’aide consistait à leur apporter de la nourriture, à établir des dossiers pour les mineurs non accompagnés en vue d’une entrée en Suisse, en contactant des membres de leur famille basés en Suisse, et à un soutien à des personnes particulièrement vulnérables pour entrer en Suisse ou se rendre en Allemagne.

Nadia Boehlen Porte-parole d’ Amnesty International Section suisse

Retrouvez ici  l’article “Les critères éthiques de la résistance”, qui présente une réflexion sur les problèmes liés à nos engagements en matière d’asile, et en particulier sur la question de l’attitude à adopter à l’égard du cadre que nous impose la politique de l’État dans ce domaine. Cet article de Pierre Bühler, professeur à la faculté de théologie à l’université de Zurich, est paru dans le numéro 130 de la revue Vivre Ensemble.

Pour info, Lisa Bosia Mirra organise une longue « Marche pour les droits et la dignité humaine » en Suisse, qui débutera en octobre. Plus d’informations ici:

http://www.sosf.ch/fr/sujets/divers/informations-articles/bainvegni-fugitivs-marsch.html

Jugement des conditions de détention dans les hotspots grecs

La Cour européenne des droits de l’homme va juger les conditions de détention dans les hotspots grecs

La Cour européenne des droits de l’homme vient d’annoncer qu’elle allait examiner la requête déposée voici plus d’un an par 51 personnes, demandeuses d’asile, de nationalités afghane, syrienne et irakienne (parmi lesquelles de nombreux mineurs) alors qu’elles étaient maintenues de force dans une situation de détresse extrême dans le hotspot de l’île de Chios, en mer Egée. [1]

Dans leur requête, ces personnes ont mis en évidence l’insuffisance et le caractère inadapté de la nourriture, les conditions matérielles inhumaines et dégradantes, voire dangereuses auxquelles elles étaient soumises, les grandes difficultés d’accès aux soins, la non prise en compte de situations de particulière vulnérabilité – femmes enceintes, enfants en bas âge, mineurs isolés -, mais aussi l’arbitraire administratif et le maintien dans un état d’incertitude angoissante dont elles étaient victimes. Et cela, alors qu’elles étaient interdites de quitter l’île de Chios, devenue prison à ciel ouvert.Tous ces éléments sont documentés dans le rapport rendu public par le Gisti après la mission qu’il a effectuée dans les hotspots de Chios et de Lesbos, au mois de mai 2016, au cours de laquelle il a rencontré les 51 plaignants : Accord UE-Turquie : la grande imposture.

Cette annonce de la Cour intervient au moment même où, dans un rapport du 26 septembre 2017, dont les observations convergent avec celles du rapport du Gisti, le Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du Conseil de l’Europe critique sévèrement la façon dont sont traités les ressortissants étrangers dans les hotspots sur les îles de la mer Egée, pointant notamment la « surpopulation combinée à un niveau accru de violence entre personnes retenues, à des soins de santé de base insuffisants, à une aide aux personnes vulnérables non appropriée et à des garanties juridiques déficientes », qui, selon le CPT, « a créé une situation hautement explosive ».

Elle coïncide également avec le terme de l’opération de « relocalisation », dans les différents États membres de l’Union européenne (UE), des demandeurs d’asile arrivés dans les hotspots de Grèce et d’Italie depuis le mois de septembre 2015. Une opération dont l’échec patent (moins du quart de l’objectif fixé a été atteint), faute de volonté politique et de solidarité au sein de l’UE, renvoie la Grèce et l’Italie, qu’elle était censée soulager, à leur rôle de gardes-frontières de l’Europe, avec toutes les conséquences dramatiques que cette situation entraîne pour les personnes qui se trouvent bloquées dans ces deux pays.

Dans sa communication sur le cas des 51 demandeurs d’asile de Chios, la Cour européenne des droits de l’homme interroge les conditions matérielles de leur détention et leur conformité avec les règles posées par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CEDH) (pas de détention arbitraire, droit d’être informé des raisons de sa détention, droit de former un recours pour qu’il y soit mis fin). Elle a en revanche écarté les risques invoqués par les requérants pour leur droit à la vie, également protégé par la CEDH. On peut certes considérer que dans leur cas, ce droit n’était pas violé à la date de la requête. Cependant, le caractère chronique des très mauvaises conditions d’« accueil » des personnes confinées dans les hotspots grecs, qui s’est confirmé au fil des mois, a entraîné le décès de plusieurs d’entre elles, soit de froid, soit de maladie, soit par suicide. Des morts qu’on ne saurait imputer à la fatalité ou la malchance, mais bien aux effets directs, bien que discrets, d’une politique inhumaine.

Voir le rapport de mission du Gisti dans les hotspots de Lesbos et Chios « Accord UE-Turquie, la grande imposture », juillet 2016

Version en anglais : mission report in the Greek hotspots in Lesvos and Chios « EU-Turkey statement : the great deception », july 2016

[1Requête n° 34215/16, AK et autres contre la Grèce

27 septembre 2017 http://www.gisti.org/spip.php?article5739

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