Coralie Delaume et David Cayla viennent de publier un petit livre intitulé 10 questions + 1 sur l’Union européenne[1]. Ce livre vient à point à la veille des élections européennes. Il présente, sous une forme simple mais jamais simpliste, d’une manière très pédagogique les problématiques et les enjeux de cette élection. Ce livre fait suite à un autre ouvrage que ces deux auteurs avaient publié en 2017 : La fin de l’Union européenne[2] et dont on avait rendu compte en son temps. Le présent livre va constituer une lecture indispensable pour tous ceux qui veulent comprendre à la fois le processus que l’on appelle la « construction européenne » et qui se réduit de fait à la construction de l’UE, et qui voudront agir en conséquence lors des élections. C’est donc un petit livre fort utile, et fort bien écrit que nous livrent les deux co-auteurs. La meilleure chose que l’on peut faire est donc de le lire. La seconde meilleure chose et de tenter de réfléchir à partir de ce livre, et pour cela d’en rendre compte. C’est ce que l’on se propose de faire ici.
De l’Union européenne et de la démocratie
Ce livre est donc constitué de 11 chapitres, mais il couvre en réalité 4 grands thèmes. Le premier est bien entendu la question de l’Union européenne et de son rapport à la démocratie. Car, et ce depuis les années 1970, un débat constant existe sur la question de la réalité démocratique du processus de construction de la CEE puis de l’UE. Ce débat a connu bien entendu de nombreux tournant, que ce soit lors de l’adoption du fameux « Acte unique » dans les années 1980, lors du traité de Maastricht et bien entendu lors du référendum de 2005 sur le projet de traité constitutionnel.
Il convient de rappeler que les élections européennes sont des élections au Parlement européen, élu au suffrage universel depuis 1979. Mais de quels pouvoirs disposent donc ce Parlement ? Coralie Delaume et David Cayla montrent de manière très convaincante que ce Parlement n’est pas, et ne peut être un « législateur » au sens entendu par Carl Schmitt dans son ouvrage Légalité, Légitimité[3]. Nos deux auteurs montrent qu’il partage largement ce pouvoir de législation avec deux autres organismes, le Conseil européen, où les Etats sont représentés, et la Cour de Justice de l’Union Européenne. Il peut même être considéré comme un « Parlement croupion » justement car il n’a ni l’initiative ni le dernier mot en matière de réglementation européenne. Ils insistent avec raison sur le rôle extrêmement important de la CJUE qui, depuis ses premiers arrêts en 1963 et 1964 s’est symétriquement auto-instituée en juge constitutionnel et en législateur[4]. De fait, la CJUE a joué un rôle tout à fait déterminant dans la dérive de l’Union européenne d’une organisation internationale à une organisation supranationale[5]. On sait que c’est le projet d’Emmanuel Macron de renforcer cette dérive, et de faire faire à l’UE le saut vers le « fédéralisme », comme le montre la tribune qu’il fit publier dans la presse[6]. On sait aussi que ceci est fermement refusé par les dirigeants allemands et en particulier par Mme Annegret Kramp-Karrenbauer, la présidente de la CDU[7].
Mais, si l’UE tend désormais vers l’organisation supranationale elle n’en a pas les moyens financiers. Ceux-ci restent largement l’apanage des Etats, et le budget de l’UE n’est alimenté que par les contributions des Etats membres, contributions que dans le cas de l’Allemagne, de la France et de l’Italie sont des contributions nettes (les pays donnent plus qu’ils ne reçoivent de l’UE). De fait, le Parlement européen reste largement dépourvu des attributs logiques d’un Parlement, et ceci s’explique par le fait qu’il ne représente pas un « peuple », au sens d’une communauté politique, mais qu’il représente des peuples, avec chacun sa singularité et son histoire politique propre. Cette réalité a été reconnue d’ailleurs par l’équivalent allemand de la Cour Constitutionnel, la Cour de Karlsruhe. Lors de son arrêt du 30 juin 2009 la Cour de Karlsruhe a stipulé, en effet, qu’en raison des limites du processus démocratique en Europe, seuls les États-nations sont dépositaires de la légitimité démocratique[8].
Qui dirige l’UE ?
Nos deux auteurs posent alors la question de savoir qui dirige l’Union européenne[9]. Et c’est là que le problème de la structure de l’UE se révèle, à la fois dans sa nature technocratique et dans sa logique de « gouvernement des juges ». De fait, c’est bien M. Barroso qui en 2014 a craché le morceau. En affirmant péremptoirement que l’UE est un projet « sui generis »[10], M. Barroso cherche à s’exclure de tout contrôle démocratique, et veut supprimer la possibilité d’une contestation en légitimité, et enterrant ainsi le principe de souveraineté nationale, mais sans le remplacer par un autre principe. C’est le fait du Prince dans toute sa nudité, certes caché dans une formule dont Jean de La Fontaine[11] apprécierait l’hommage (involontaire) à sa fable de la Chauve Souris et des Deux Belettes : « Je suis Oiseau : voyez mes ailes; Vive la gent qui fend les airs !…. Je suis Souris : vivent les Rats; Jupiter confonde les Chats ». Ce délitement de la souveraineté nationale s’est mis en place avec le traité de Maastricht. Il s’est amplifié par petit pas. Il est devenu évident lors du référendum de 2005 sur le projet constitutionnel et dans le déni de justice qui suivit et qui conduisit au Traité de Lisbonne. Victor Hugo le disait déjà[12], et comme en son temps on peut écrire que l’on «nous retire petit à petit tout ce que nos quarante ans de révolution nous avaient acquis de droits et de franchises.(…) Le lion n’a pas les mœurs du renard [13] ».
Nos deux auteurs ont amplement raison d’insister sur ce point[14]. Ils auraient cependant pu évoquer la tentative de constituer un droit européen en dehors de toute souveraineté, tentative dont le meilleur représentant est Andras Jakab. Ce dernier se livre à une réfutation du rôle fondateur de la Souveraineté, tel qu’il émerge des travaux de Bodin et de Jean-Jacques Rousseau. Cette démarche est en réalité parfaitement convergente avec le discours tenu par l’Union Européenne. Il convient de s’y arrêter un instant pour chercher à comprendre de quoi il retourne en la matière. Jakab, après une analyse comparée des diverses interprétations de la souveraineté, avance pour le cas français que : « La souveraineté populaire pure fut compromise par un abus extensif de referenda sous le règne de Napoléon Ier et de Napoléon III, la souveraineté nationale pure ayant été perçue comme insuffisante du point de vue de sa légitimation[15] »
C’est soutenir qu’un abus pervertirait le principe ainsi abusé. Mais il ne peut en être ainsi que si l’abus démontre une incomplétude du principe et non de sa mise en œuvre. Viendrait-il à l’esprit des contemporains de détruire les chemins de fer au nom de leur utilisation par le Nazis dans la destruction génocidaire des Juifs et des Tziganes ? Or, ceci est bien le fond du raisonnement tenu par Jakab. Pourtant, il est loin d’être évident dans l’usage politique fait du plébiscite que cet usage soit le seul possible. Si un plébiscite est bien un instrument non-démocratique, tout référendum n’est pas un plébiscite. La confusion établie par l’auteur entre les deux notions est très dangereuse et pour tout dire malhonnête. La pratique qui consiste à assimiler référendum et plébiscite, car c’est de cela dont il est question dans le texte, est une erreur logique[16]. On pratique de manière volontaire la stratégie de la confusion. Ce que reconnaît le Conseil Constitutionnel, en l’occurrence, c’est la supériorité logique de la Constitution sur la Loi. Ce n’est nullement, comme le prétend à tort Jakab l’enchaînement de la souveraineté. En fait, dire que le processus législatif doit être encadré par une Constitution ne fait que répéter le Contrat Social de Rousseau[17]. Ce qui est en cause est bien le parti pris de cet auteur est de refuser ou de chercher à limiter le concept de Souveraineté.
Quitte à mettre deux pages de plus dans l’ouvrage, une critique au fond de l’idéologie portée par le discours de Jakab et par celui des institutions européennes aurait été éclairant pour ce qui suit.
L’UE et la question sociale
Car, dans la suite de leur ouvrage nos deux auteurs vont discuter de l’inexistence d’un couple franco-allemand, un point déjà traité par Coralie Delaume dans un ouvrage de 2018[18], mais aussi interroger le drame de la Grèce et l’exemple du Portugal. Ce qui les conduits au deuxième thème structurant de l’ouvrage, l’UE et la question sociale. Sur la Grèce, beaucoup de choses ont été dites. On peut regretter que nos deux auteurs accordent tant de poids au témoignage de Varoufakis, témoignage certes incontestablement important, mais témoignage biaisé car l’ancien ministre cherche aussi, et cela se voit, à se donner le beau rôle.
Sur la question du Portugal, Coralie Delaume et David Cayla analysent en quelques pages de manière très intéressante à la fois le succès (relatif) de la stratégie du gouvernement portugais et sa limite. Ils montrent de manière convaincante que ce que l’on appelle aujourd’hui dans les cercles de « gauche » une « réussite » repose en réalité sur une émigration massive et sur une stratégie de dumping social et fiscal éhontée[19]. La conclusion à laquelle ils aboutissent est que le Portugal a adopté une stratégie de « parasite »[20], stratégie que l’on appellerait en langage d’économiste (et d’adepte de la théorie des jeux) une stratégie de passager clandestin.
Cela conduit alors nos deux auteurs à discuter de l’impact de l’UE sur la question sociale. Ils montrent de manière très pertinente que l’harmonisation sociale et fiscale au sein de l’Union européenne est un leurre[21]. Cette dernière a été conçue assez explicitement pour mettre en concurrence les pays les uns contre les autres. D’autres l’avaient déjà dit, et il est dommage qu’ils ne soient cités[22]. Notons ici une petite erreur de présentation. Cayla et Delaume construisent leur démonstration sur la base du salaire horaire. Mais, cette même démonstration aurait été bien plus percutante, et plus juste, s’ils l’avaient faite sur le coût salarial réel, autrement dit sur le salaire horaire compensé par la productivité. Ils auraient pu ainsi montrer que l’écart s’accroît et ne se réduit pas, dans la mesure où la productivité augmente bien plus vite dans les pays nouvellement entrés dans l’UE que le salaire horaire[23].
Cette critique n’enlève rien cependant à la démonstration de Coralie Delaume et David Cayla, qui apparaît solide et bien argumentée. Personne ne peut aujourd’hui contester que la pratique du dumping, que ce dernier soit fiscal ou social, fait partie intégrante de l’Union européenne. L’un des aspects les plus importants de ce livre est justement de le rappeler et de montrer qu’il ne peut y avoir une « Europe sociale » dans le cadre de l’UE.
L’UE et l’euro
Un troisième thème important, auquel un chapitre est consacré mais qui court en réalité tout au long d’une partie du livre est la question de l’euro. On trouve cette question abordée dans les chapitres consacrés à la Grèce et au Portugal. De fait, les conditions mises en place par l’euro se font sentir dans de nombreux domaines. Ce point est souligné à de nombreuses reprises dans différents chapitres de l’ouvrage.
Le chapitre qui est spécifiquement dédié à l’euro reprend bien l’ensemble des inconvénients de la monnaie unique. Il analyse les conséquences des imbrications bancaires et financières et pointe que la zone euro est en fait largement ouvertes aux crises spéculatives provenant de l’extérieur. Mais, dans ce chapitre, on aurait aimé voir citer les études du Fond Monétaire International, études qui justement apportent de l’eau au moulin de nos deux auteurs[24], et qui ont été confirmées par un article de 2018 dans la revue de l’OFCE[25]. Plus regrettable, le livre oublie de citer l’ouvrage de Joseph Stiglitz, qui reprend l’ensemble de ces points[26]. Les deux ouvrages qui sont alors cités sont celui de James Galbraith et celui de Yannis Varoufakis, deux ouvrages dont il ne s’agit pas ici de nier les qualités mais qui sont bien plus centrés sur la crise grecque que sur l’euro, et qu’il aurait été logique de citer plus largement dans le chapitre consacré justement à la crise grecque. Plus globalement, les références sont nombreuses sur les inconvénients de l’euro. On pense ici aux travaux de l’économiste allemand Jorg Biböw qui, dès 2007, attirait l’attention de ses collègues sur les risques que la zone euro faisait courir à l’économie européenne, mais aussi à l’économie mondiale[27].
Il y a un autre problème plus grave. Dans ce chapitre, les deux auteurs (et ce n’est pas faire injure à Coralie Delaume que de penser que ce fut David Cayla qui, étant économiste, a tenu la plume), analysent les conséquences financières d’une possible sortie de l’euro[28]. Ils affirment que cette sortie peut poser des problèmes à certains acteurs. Or, ils ne citent pas le travail réalisé par Cédric Durand et Sébastien Villemot, travail publié par l’OFCE, et qui analyse de manière très précise les conséquences financières d’une telle sortie[29]. Il est ici important de rappeler que Durand et Villemot aboutissent à des résultats qui montrent que pour les pays du Sud de la zone euro, à l’exception de l’Espagne, les effets financiers d’une sortie seraient au pire négligeables au mieux favorables. De même, on aurait aimé que l’attitude des autres pays de l’UE qui ne sont pas membres de l’UEM, c’est à dire de la zone euro, soit mieux analysée.
Disons le, ces problèmes n’affectent pas le contenu général du livre. Mais ils sont irritants car des critiques de la thèse général de l’ouvrage peuvent s’en servir pour chercher à minorer son importance.
Que faire de l’UE ?
Le quatrième thème qui traverse cet ouvrage n’est autre que l’attitude que l’on peut avoir par rapport à l’UE. C’est une question politiquement sensible, dans la mesure où certains mouvements se prononcent pour une sortie de l’UE (ce que l’on appelle un « FREXIT ») et que d’autres ont des positions que l’on pourra considérer comme plus nuancées ou comme plus ambivalentes.
Ce que cet ouvrage montre, de manière particulièrement claire, c’est que l’UE entraîne une course au « moins disant » social et fiscal et qu’elle ne peut pas être changée sur ce point de l’intérieur. En effet, il faut avoir une unanimité pour changer les traités. La question des travailleurs détachés est ici exemplaire. Le gouvernement français prétend avoir obtenu des modifications substantielles, mais on constate rapidement qu’il n’en est rien. De ce point de vue, les différentes prises de position invitant à faire, ou à voter pour, une « autre Europe » ne sont ni sérieuses ni crédibles, du moins si par « autre Europe » on entend « autre UE ». De la même manière, les propositions de « désobéissance » aux traités existants ne peuvent être assimilées à ce que l’on appelle « l’opting-out » car ce dernier exige en réalité un traité. Il convient de savoir que dire que l’on ne veut pas appliquer un traité, ou que l’on veut « sortir » d’un traité, ne pourra pas se faire dans le cadre légal de l’UE. Cela ne veut pas dire, naturellement, que cela ne pourra pas se faire, mais cela implique que pour pouvoir le faire il faudra violer la légalité de l’UE et imposer d’autres normes légales. Rares sont ceux qui parlent de « désobéissance » et qui évoquent cette réalité et qui tirent toutes les conséquences d’une sortie de la légalité de l’UE, et donc du rejet de la CJUE. Cette ambiguïté des positions est particulièrement claire en ce qui concerne la « France Insoumise ».
Quelle que soit la manière dont on prend le problème, on voit bien que la sortie de l’UE est au bout. Cette sortie peut être en réalité un éclatement généralisé, comme elle peut prendre la forme d’une crise entraînant certains pays à rompre avec l’UE tandis que d’autres choisiraient de rester en son sein.
Mais, d’un autre côté, les deux auteurs de l’ouvrage analysent très clairement l’autre ambiguïté qui consiste à mettre en avant l’article 50 du TFUE. En effet, et les péripéties du Brexit le montrent de manière de plus en plus claire, l’article 50 n’a pas été écrit pour être appliqué. Il revient à placer le pays qui veut sortir de l’UE entre les mains de cette dernière. C’est une vision profondément technocratique et apolitique du problème de la sortie de l’UE. Or, justement, la logique de l’UE a été de chercher à dépolitiser des questions politiques, de les réduire à des questions purement techniques[30]. On le voit, il est illusoire de vouloir sortir de l’UE par des procédures que l’UE elle-même a fixées, de vouloir sortir de l’UE tout en se pliant aux normes même qu’elle a fixées.
Sur cette question on ne pourra donc pas faire l’économie d’une réflexion sur l’action exceptionnelle, une action qui est prévue dans la Constitution en particulier par l’article 16.
Le référendum et l’article 16
Nous sommes donc renvoyés à la question de l’action exceptionnelle. Il nous faut à nouveau revenir à Carl Schmitt[31]. Quand ce dernier invoque le décisionisme, soit cette capacité de l’Etat de prendre des décisions en dehors de tout cadre juridique, il indique qui est le « souverain ». C’est dans l’état d’exception, principe reconnu par tout juriste conséquent, que s’affirme et se révèle la souveraineté. On sait que pour Carl Schmitt « Est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle »[32]. Cette définition est importante. Pourtant, il convient de s’arrêter aux mots. Schmitt n’écrit pas « dans la situation » mais « de la situation ». C’est le fait de dire qu’une situation est exceptionnelle qui établirait le souverain. Emmanuel Tuchscherer fait alors justement remarquer que ceci « marque en effet le lien entre le monopole décisionnel, qui devient la marque essentielle de la souveraineté politique, et un ensemble de situations que résume le terme Ausnahmezustand, celui-ci qualifiant, derrière la généricité du terme « situation d’exception », ces cas limites que C. Schmitt énumère dans la suite du passage sans véritablement distinguer : « cas de nécessité » (Notfall), « état d’urgence » (Notstand), « circonstances exceptionnelles » (Ausnahmefall), bref les situations-types de l’extremus necessitatis casus qui commandent classiquement la suspension temporaire de l’ordre juridique ordinaire »[33].
Il est ici important de comprendre que cette suspension de «l’ordre juridique ordinaire » n’implique pas la suspension de tout ordre juridique. Bien au contraire. Le Droit ne cesse pas avec la situation exceptionnelle, mais il se transforme. Le couple légalité et légitimité continue de fonctionner mais ici la légalité découle directement et pratiquement sans médiations de la légitimité. L’acte de l’autorité légitime devient, dans les faits de la situation exceptionnelle, un acte légal. Et l’on peut alors comprendre l’importance de la claire définition de la souveraineté.
Seule la communauté politique, ce que l’on appelle le peuple, est en mesure de définir l’intérêt général et nul ne peut prétendre orienter ou limiter cette capacité à le faire. Mais, le peuple le fait à un moment donné. La définition de l’intérêt général ne peut, de plus, qu’être contextuelle, sauf à prétendre que le peuple, ou ses représentants, serait capable d’omniscience. Ce point de vue est une condamnation radicale de toutes les tentatives pour naturaliser la logique politique, en fixant des limites et des « intérêts » hors de tout contexte.
La décision souveraine nous éclaire un peu plus sur ce que C. Schmitt désigne par situation d’exception. Si celle-ci se déploie en marge de l’ordre juridique normalement en vigueur, elle n’échappe donc pas complètement au droit, puisqu’il n’y a d’exception qu’expressément qualifiée comme telle. L’exception suspend l’ordre juridique ordinaire, celui qui fonctionne dans les circonstances normales. Mais, l’exception ne s’affranchit pas de tout ordre juridique. Elle ne désigne nullement un néant ou une pure anomie. L’exception manifeste au contraire la vitalité d’une autre variante de cet ordre. On peut le considérer comme l’ordre politique ou souverain habituellement dissimulé derrière le cadre purement formel et procédural de l’ordre normatif de droit commun : « Dans cette situation une chose est claire : l’État subsiste tandis que le droit recule. La situation exceptionnelle est toujours autre chose encore qu’une anarchie et un chaos, et c’est pourquoi, au sens juridique, il subsiste toujours un ordre, fût-ce un ordre qui n’est pas de droit. L’existence de l’État garde ici une incontestable supériorité sur la validité de la norme juridique »[34].
Il existe donc deux voies possibles pour sortir de l’UE, deux voies qui seront appelées à être combinées : le référendum et l’article 16. Ces deux voies devront donc être utilisées. Telle est la conclusion que l’on peut tirer de ce livre que l’on doit à Coralie Delaume et David Cayla.
[1] Cayla D., Delaume C., 10 questions + 1 sur l’Union européenne, Paris, Michalon, 2019.
[2] Cayla D., Delaume C., La fin de l’Union européenne, Paris, Michalon, 2017.
[3] Schmitt C., Légalité, Légitimité, traduit de l’allemand par W. Gueydan de Roussel, Librairie générale de Droit et Jurisprudence, Paris, 1936; édition allemande, 1932.
[4] Cayla D., Delaume C., 10 questions + 1 sur l’Union européenne, op. cit., p. 13.
[5] Idem, p. 14.
[6] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/03/04/pour-une-renaissance-europeenne
[7] https://www.cdu.de/artikel/faisons-leurope-comme-il-faut-getting-europe-right
[8] Voir H. Haenel, « Rapport d’information », n° 119, Sénat, session ordinaire 2009-2010, Paris, 2009.
[9] Cayla D., Delaume C., 10 questions + 1 sur l’Union européenne, op. cit., p. 21.
[10] Barroso J-M., Speech by President Barroso: “Global Europe, from the Atlantic to the Pacific”, Speech 14/352, discours prononcé à l’université de Stanford, 1er mai 2014
[11] Et avant lui Esope, mais ceci est une autre histoire….
[12] Voir sa plaidoirie devant le Tribunal de commerce, lors du « Procès de Monsieur Victor Hugo Contre le THEÂTRE-FRANCAIS, et Action en Garantie du THEÂTRE-FRANCAIS Contre le Ministre des Travaux Publics» en 1832. http://librairie.immateriel.fr/fr/read_book/9782824701387/chap_0035
[13] http://librairie.immateriel.fr/fr/read_book/9782824701387/chap_0035
[14] Cayla D., Delaume C., 10 questions + 1 sur l’Union européenne, op. cit., p. 21-22.
[15] Jakab A., « La neutralisation de la question de la souveraineté. Stratégies de compromis dans l’argumentation constitutionnelle sur le concept de souveraineté pour l’intégration européenne », in Jus Politicum, n°1, p.4, URL : http://www.juspoliticum.com/La-neutralisation-de-la-question,28.html
[16] Décision 85-197 DC 23 Août 1985, Voir : Jacques Ziller, « Sovereignty in France: Getting Rid of the Mal de Bodin », in Sovereignty in Transition. éd. Neil Walker, Oxford, Hart, 2003.
[17] Rousseau J-J., Du Contrat Social, Flammarion, Paris, 2001.
[18] Delaume C., Le Couple Franco-Allemand n’existe pas, Paris, Michalon, 2018.
[19] Cayla D., Delaume C., 10 questions + 1 sur l’Union européenne, op. cit., p. 60-61.
[20] Idem, p. 62.
[21] Idem, p. 70 et ssq.
[22] Denord F. et Schwartz A., L’Europe Sociale n’aura pas lieu, Paris, Raisons d’agir, 2009.
[23] Cayla D., Delaume C., 10 questions + 1 sur l’Union européenne, op. cit., p. 71.
[24] Voir http://www.imf.org/en/Publications/Policy-Papers/Issues/2017/07/27/2017-external-sector-report et http://www.imf.org/en/Publications/Policy-Papers/Issues/2016/12/31/2016-External-Sector-Report-PP5057
[25] Villemot, S, B Ducoudre et X. Timbeau. 2018. “Taux de change d’équilibre et ampleur des désajustements internes à la zone euro.” In Revue de l’OFCE, no. 155, pp. 303-334.
[26] Stiglitz J.E., L’Euro : comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2016.
[27] Bibow J. et A. Terzi (dir.), Euroland and the World Economy: Global Player or Global Drag?, New York (N. Y.), Palgrave Macmillan, 2007
[28] Cayla D., Delaume C., 10 questions + 1 sur l’Union européenne, op. cit., p. 101.
[29] https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/effets-de-bilan-dun-eclatement-de-leuro/ Ce papier fut publié en 2018 sous la forme d’un article, Durand, C. and S. Villemot. 2018. “Balance sheets after the EMU : an assessment of the redenomination risk.” in Socio-Economic Review
[30] Bellamy R., « Dirty Hands and Clean Gloves: Liberal Ideals and Real Politics », European Journal of Political Thought, Vol. 9, No. 4, pp. 412–430, 2010
[31] Scheuerman W.E., « Down on Law: The complicated legacy of the authoritarian jurist Carl Schmitt », in Boston Review, vol. XXVI, n° 2, avril-mai 2001
[32] Schmitt C., Théologie Politique, traduction française de J.-L. Schlegel, Paris, Gallimard, 1988; édition originelle en allemand 1922, p.16.
[33] Tuchscherer E., « Le décisionnisme de Carl Schmitt : théorie et rhétorique de la guerre » in Mots – Les langages du Politique n°73, 2003, pp 25-42.
[34] Schmitt C., Théologie politique I, op.cit. p.22.