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Au sujet du film Adults in the room

Nous avons décidé de rassembler dans cet article quelques textes en réaction à ce film (I) mais aussi rappeler que dans la période février 2015 jusqu’à la signature du mémorandum de juillet 2015 il y avait bien des arguments pour refuser le dictat de l’Europe et proposer d’autres alternatives (II)

I. LES RÉACTIONS AU FILM

22/11/2019 Un article d’Eric Toussaint Force et limite du film « Adults in the Room » de Costa-Gavras  .

Dans son dernier film, le réalisateur s’emploie à dénoncer le comportement brutal des dirigeants politiques européens durant la crise grecque de 2015. Une démarche fort louable. Mais il est regrettable qu’il passe sous silence un certain nombre d’éléments marquants de cette période. http://www.cadtm.org/Force-et-limite-du-film-Adults-in-the-Room-de-Costa-Gavras

15/11/2019 Un article de Patrick Saurin  » Jeudi 7 novembre, la rédaction de Mediapart a organisé un live avec Varoufákis et Costa-Gavras, à l’occasion de la sortie du film du cinéaste grec, « Adults in the Room », inspiré du livre de Varoufákis. Les intervenants ont donné de la crise dette une vision grandement tronquée qui m’a amené à faire cette mise au point à partir d’éléments factuels. http://www.cadtm.org/Adults-out-of-the-Room

11/2019 L’entretien sur Médiapart https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/061119/dans-les-coulisses-de-la-crise-grecque-avec-varoufakis-et-costa-gavras

14/11/2019 Un article de Francis Wurtz « Voyage glaçant à l’intérieur de l’Eurogroupe Adults in the room dans l’humanité

14/11/2019 : Cinéma La tragédie grecque de Costa-Gavras Alternative Eco Film Adults sur Alter eco

14/11/2019 : https://npa2009.org/idees/culture/adults-room-de-costa-gravas

16/11/2019 https://www.legrandsoir.info/adults-in-the-room-un-film-engage-estimable-mais-boiteux.html

15/10/2019 Lettre ouverte de Zoé Konstantopulou (ex-présidente du parlement grec) au cinéaste Costa-Gavras en français https://blogs.mediapart.fr/patrick-saurin/blog/151019/lettre-ouverte-de-l-ex-presidente-du-parlement-grec-au-cineaste-costa-gavras en grec  https://www.freedomtv.gr/post.php?p=225

29/1/2019 Par Eric Toussaint Critique de la critique du livre Conversations entre Adultes’ de Yanis Varoufakis dont est tiré le film http://www.cadtm.org/Critique-de-la-critique-critique-du-livre-Conversations-entre-Adultes-de-Yanis

II. REFUSER LE DIKTAT DE L’EUROPE ET PROPOSER D’AUTRES ALTERNATIVES

04/2015 Par Cédric DURAND Economiste à Paris-XIII Razmig KEUCHEYAN Sociologue à Paris-IV et Stathis KOUVÉLAKIS Philosophe au King’s College de Londres sur la rupture avec l’Europe et la faiblesse du soutien à Syriza sur le continent européen  https://www.grece-austerite.ovh/150416-faire-cause-commune-avec-la-grece/

Depuis 5/2015 à 01/2018 Tous les articles en français de la Commission pour la vérité sur la dette grecque  http://www.cadtm.org/Commission-pour-la-verite-sur-la,2224

5/5/2015 Grèce: l’heure de la rupture, par Stathis Kouvelakis L’heure de la rupture

27/8/2015 https://www.humanite.fr/grece-stathis-kouvelakis-aucune-illusion-sur-le-carcan-de-leuro-582336

09/2015 Costas Lapavitsas économiste marxiste de l’Université de Londres, ex-membre de Syriza présente les côtés positifs d’une sortie de la zone euro et les principales étapes de la transition Lapavitsas et la sortie de la zone euro

De 2017 à 2019 : Les 9 articles d’Eric Toussaint avec la série : Le témoignage de Yanis Varoufakis : accablant pour lui-même https://www.grece-austerite.ovh/e-toussaint-au-sujet-de-y-varoufakis-9e-partie/

 07/2017 Par Zoé Konstantopoulou qui préface le livre d’Eric Toussaint et donne sa version de la période  https://www.grece-austerite.ovh/preface-au-livre-deric-toussaint-sur-la-dette-grecque-par-zoe-konstantopoulou/

18/10/2019 Témoignage d’Alexis Cuxier, suivi d’une analyse de ce qui s’est passé en Grèce en 2015 et mettre en discussion quelques-unes des propositions qui auraient permis d’éviter cette catastrophe politique et de mettre en œuvre une politique démocratique et au service des classes populaires https://www.grece-austerite.ovh/grece-2015-une-dystopie-politique/

 

La Grèce et les projets impérialistes EU-OTAN en Crète

Grèce – Modernisation et extension des installations militaires américaines en Crète et sur le continent

L’ implication de la Grèce dans les projets impérialistes des États-Unis et de l’ OTAN augmente à la suite de l’accord entre les gouvernements américain et grec qui modernise et étend les installations militaires américaines dans le pays.

Selon un rapport exclusif publié dans « Rizospastis » lundi dans le cadre de l’ accord de coopération entre la Grèce et les États-Unis dans le domaine de la défense mutuelle (MDCA) , les gouvernements des États-Unis et de la Grèce ont convenu d’étendre la base navale américaine à Souda, Crète , ainsi que de procéder à la création de nouvelles installations militaires. L’accord devrait avoir lieu en 2020.

Comme l’écrit «Rizospastis», il y a quelques jours, le secrétaire américain à la Défense, Mark Esper, a présenté au Congrès américain une liste de 127 plans comprenant l’extension, la modernisation et la construction d’installations militaires américaines dans le pays et à l’étranger. Deux de ces plans font référence à la tristement célèbre base navale de Souda, utilisée par les forces américaines et de l’OTAN dans le cadre de multiples interventions impérialistes, notamment la guerre du Golfe et les attaques impérialistes en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie.

Ensemble, les deux projets d’amélioration et d’extension de la base navale de Souda coûtent environ 48 millions de dollars, équipement non compris.

Le «dialogue stratégique» en cours entre la Grèce et les États-Unis a pour objectif d’adapter «l’accord de coopération entre la Grèce et les États-Unis en matière de défense mutuelle» aux plans impérialistes en cours dans la région de la Méditerranée orientale et des Balkans. Dans ce cadre, les États-Unis s’intéressent à la modernisation des bases militaires existantes ainsi qu’à la construction de nouvelles installations militaires, notamment aux bases de Larissa, Stefanovikio, Araxos (Air Bases) et du port d’Alexandroupolis, dans le nord de la Grèce.

Il convient de noter que le secrétaire d’État américain Mike Pompeo devrait se rendre à Athènes début octobre afin de participer au deuxième cycle des discussions sur la « coopération militaire » entre les deux gouvernements.

Ces discussions – qui ouvrent la voie à une plus grande implication de la Grèce dans les plans dangereux US-OTAN-UE dans la région – ont commencé sous le précédent gouvernement social-démocrate SYRIZA et se poursuivent sous l’administration actuelle du parti conservateur New Democracy .

Dans le cadre de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York cette semaine, le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis et le ministre des Affaires étrangères Nikos Dendias devaient rencontrer des représentants du gouvernement américain.

À cette occasion, le comité grec anti-impérialiste contre «l’accord de coopération entre la Grèce et les États-Unis en matière de défense» a lancé un vaste appel à participer à une manifestation anti-impérialiste le 2 octobre au parc Eleftherias à Athènes. De nombreuses autres activités contraires à l’accord auront lieu dans tout le pays par des comités de paix.

Publié sur http://www.idcommunism.com/2019/09/greece-us-military-installations-in-crete-and-the-mainland-to-be-upgraded-and-extended.html

Grèce : la défaite de la gauche, le gouvernement de droite

Par Antonis Ntavanellos

Traditionnellement, lors de la Foire internationale de Thessalonique (FIT) [1], les gouvernements grecs présentent leurs programmes et leurs perspectives.

Cette année, Kyriakos Mitsotakis [2] était à l’honneur. Le leader ultra-libéral de Nouvelle Démocratie jouit toujours du confort de la victoire politique de son parti lors de l’élection du 7 juillet 2019. Nouvelle Démocratie (ND), avec 39,8% des voix, a élu 158 députés, remportant la majorité des 300 sièges du Parlement et donc la possibilité d’un gouvernement autonome [échappant à la nécessité d’une coalition]. Bien que la perspective de la défaite de Syriza et d’Alexis Tsipras ait été prévisible beaucoup plus tôt, un tel résultat était inimaginable un an auparavant, lorsque la majorité des analystes politiques avaient prédit la victoire de Mitsotakis et de la droite, mais pas une majorité parlementaire autonome pour ND. Cette question se concrétisait par la crainte d’une nouvelle période d’instabilité politique pour le capitalisme grec, éventuellement déclenchée par les difficultés de former un gouvernement de coalition de Nouvelle Démocratie avec l’un des petits partis, notamment avec le Mouvement pour le changement – KINAL –, le petit parti (8,1%) de Fofi Gennimatas [3], une survivance du PASOK d’Andreas Papandreou, jadis tout-puissant mais aujourd’hui effondré.

Lors des élections régionales [26 mai et 2 juin], ND a également remporté 12 des 13 régions du pays. La droite sort donc gagnante incontestée des épreuves électorales de la fin de la période de la gouvernance SYRIZA. L’événement a été accueilli favorablement par toutes les forces du système, qui ont rapidement oublié leur scepticisme sur les capacités de leadership de Kyriakos Mitsotakis et l’efficacité politique de son parti. Rappelons-nous que dans les sondages effectués pendant la tumultueuse année de 2015, ND, en recul plus modéré que le PASOK, avait sombré à 14% des intentions de vote, retenant seulement le noyau dur de la droite historique. Mais aujourd’hui tous les piliers du système saluent de concert «le retour à la normale». Un lecteur attentif fera le constat que ce qui est acclamé dans les pages de la presse bourgeoise «sérieuse» n’est pas la défaite d’Alexis Tsipras – nous démontrerons plus loin qu’on s’efforce de maintenir les perspectives du groupe dirigeant de SYRIZA – mais surtout la défaite du grand mouvement ouvrier et populaire des années 2010-13, qui a conduit à la victoire politique de SYRIZA en janvier 2015. Et, dans la foulée, la naissance d’une force populaire qui, lors du référendum de l’été 2015, réclamait à hauteur de 62% des voix (pour le NON) la fin immédiate de l’austérité et le renversement des contre-réformes néolibérales. Le mot d’ordre présent de «retour à la normale» dénonce justement la «folie» d’une époque où les gens d’en bas avaient espéré pouvoir gagner la bataille politique.

Le gouvernement de droite

Kyriakos Mitsotakis, lorsqu’il était en voie d’accéder au gouvernement, avait utilisé des slogans durs et le langage d’une droite revancharde. Il visait à transformer la défaite politique prévisible de SYRIZA en une défaite stratégique du mouvement ouvrier et de la résistance sociale, cherchant à dévaloriser toutes les idées, les méthodes et même les symboles des luttes populaires. De hauts responsables de Nouvelle Démocratie, tels les actuels ministres Adonis Georgiades et Makis Voridis, issus de l’aile d’extrême-droite du parti, avaient publiquement annoncé l’objectif d’une domination politique de la droite de la même ampleur que celle installée en Grèce après la guerre civile de 1944-1949.

Au cours des deux premiers mois du gouvernement Mitsotakis, des signaux alarmants ont été émis. La police, dirigée par l’ancien social-démocrate Michalis Chrisochoïdis, ami des services américains et très bien noté sous la gouvernance du PASOK pour sa contribution à la «lutte antiterroriste», a attaqué et évacué les squats de réfugiés. Puis elle a déclaré la guerre pour «appliquer l’ordre et la loi» dans le quartier d’Exarchia (à Athènes), lieu emblématique de l’activisme anarchiste, d’extrême gauche et du mouvement de la jeunesse. La ministre ultra-libérale de l’Education, Niki Kerameos, a inauguré son mandat en supprimant «l’asile», l’inviolabilité par la police des sites universitaires, une conquête du mouvement étudiant contre la dictature des colonels qu’aucun gouvernement n’avait jusqu’ici osé remettre en cause. Des cadres dirigeants du parti ND et des représentants du gouvernement parlent des réfugiés et migrants de manière absolument méprisante («déchets humains») légitimant ainsi les actes racistes. L’Eglise orthodoxe grecque a officiellement désigné une journée de «deuil» consacrée aux «enfants qui n’ont pas été nés», inaugurant la remise en question du droit à l’avortement légal et gratuit.

La lutte contre la répression, le racisme et contre l’offensive idéologique conservatrice de la droite constituera une première épreuve pour le mouvement populaire, dont l’issue se dessinera au cours des combats de cet automne.

Toutefois l’histoire de la lutte des classes en Grèce démontre que la répression, à elle seule, n’a jamais suffi à assurer la longévité d’un gouvernement. Le meilleur exemple en est celui du gouvernement de Konstantinos Mitsotakis qui, ayant lancé l’offensive néolibérale de 1989 avec le soutien inconditionnel de toutes les forces du système, a été finalement renversé en 1993, suite à un grand mouvement contre les privatisations, dont les occupations et les confrontations dynamiques dans Athènes n’étaient pas animées par l’extrême gauche ou les anarchistes mais par les travailleurs des banques, des transports et des télécommunications.

Kyriakos Mitsotakis, lors de la FIT de cette année, s’est montré conscient des risques auxquels il serait confronté à moyen terme. A la surprise de la majorité des analystes de presse, il a utilisé un langage «centriste», laissant ainsi de la place pour des négociations politiques et, si nécessaire, des «consensus plus larges». Il est clair que le message s’adressait à la fois au KINAL (Mouvement pour le changement) de Fofi Gennimatas et à SYRIZA d’Alexis Tsipras.

Au cœur de ce choix il y a la crainte des évolutions futures. Tout le monde a conscience que l’accord d’août 2018, entre Tsipras et les créanciers de la Grèce, celui d’une trompeuse «sortie des mémorandums»,  est basé sur le scénario le plus optimiste pour l’économie internationale. Interrogé à Thessalonique sur les conséquences d’un éventuel ralentissement économique international, l’ultralibéral Kyriakos Mitsotakis a écarté de ses conjectures une telle éventualité et a appelé de ses vœux un… virage néo-keynésien de l’UE, en évoquant à titre d’exemple la nécessité de modération des mesures d’austérité en Allemagne.

Certes, derrière de telles hésitations, derrière le langage apaisé de recherche d’un consensus, se profilent tous les choix inflexibles que la classe capitaliste exige de nos jours pour la Grèce:

• Mitsotakis a annoncé l’abrogation immédiate de toutes les restrictions en matière de protection de l’environnement et d’aménagement du territoire qui pourraient gêner les investisseurs, même les contraintes minimales en matière de santé et de sécurité des salarié·e·s, pour toute nouvelle entreprise. Au sein de ce faisceau de mesures, il faut souligner la «flexibilisation» des Conventions collectives permettant aux capitalistes de payer les salariés qualifiés, dans certaines régions ou secteurs, le salaire minimum légal (650 euros par mois) à la place du salaire conventionnel accordé pour ces catégories.

• Annonce d’une accélération galopante des privatisations, à commencer par la conclusion de la vente au rabais d’un énorme terrain côtier, à Elliniko en Attique, au groupe privé immobilier Latsis [la Fondation Latsis Internationale a son siège à Genève], le bradage de l’aéroport d’Athènes, la privatisation de la société publique Greek Petroleum (qui contrôle une des plus grandes raffineries en Méditerranée), la privatisation de la Compagnie publique de gaz naturel. Encore, et ceci n’est un secret pour personne, le projet de privatisation de la grande société publique d’électricité est déjà en préparation, ce qu’aucun gouvernement n’avait jusqu’à présent osé.

• Sur la question brûlante de la fiscalité, Mitsotakis a annoncé une réduction immédiate de l’imposition des bénéfices des entreprises, de 28% aujourd’hui à 24% pour l’année en cours, puis à 20% en 2020, ainsi que des dividendes des actionnaires de 10% à 5%. C’est un cadeau important pour les capitalistes. En même temps les réductions d’impôts pour les simples citoyens seront négligeables. Mitsotakis a annoncé la réduction du taux d’imposition des particuliers, mais uniquement sur les 10’000 premiers euros de revenus, dont les 8648 sont déjà non imposables! Les taux de la TVA, l’impôt qui pèse sur la consommation populaire, resteront inchangés jusqu’à la fin de la période de quatre ans de son mandat.

La question de la taxe foncière spécifique, dite ENFIA, qui pèse fortement sur les charges du logement, est la question sur laquelle Nouvelle Démocratie souhaite fonder son alliance avec la classe moyenne. La réduction progressive de la taxe ENFIA, la cible étant sa réduction finale moyenne de 30%, bénéficiera aux propriétaires des biens d’une valeur élevée, alors que cette mesure n’apportera que des miettes au grand nombre des ménages populaires, qui devront s’acquitter d’une hausse du prix de l’électricité.

• Enfin, sur la question critique de la renégociation des «excédents budgétaires» fort élevés, puisque fixés à hauteur annuelle de 3,5% du PIB, accordés par Tsipras aux créanciers pour le remboursement de la dette publique, Mitsotakis a pris soin de revenir sur ses engagements préélectoraux. Il a reporté le traitement de la question à un avenir indéfini, soulignant qu’il avait l’intention de la remettre sur le tapis uniquement après accord des créanciers et en disant escompter à ce sujet sur le soutien de… Christine Lagarde, nouvelle patronne de la BCE.

Sans surprise, un tel programme a été très bien accueilli par la classe capitaliste. La presse a fait le diagnostic d’une démarche raisonnée, exempte des contradictions idéologiques auxquelles Tsipras était sujet.

Cependant de tels commentaires ne traduisent pas un enthousiasme quelconque ni même un optimisme face à une éventuelle «arrivée de la croissance». Le lendemain des annonces à la FIT le quotidien To Vima, propriété de l’oligarque V.Marinakis (ami de Mitsotakis), a publié un long article de Nikos Christodoulakis, ancien ministre des Finances de l’ancien gouvernement social-libéral de Kostas Simitis [1996-2004, ayant occupé des ministères depuis 1981]. L’ancien «tsar» de l’économie grecque a souligné que les «plaies» essentielles de l’économie grecque ne sont toujours pas traitées: le désinvestissement massif, le très fort pourcentage du chômage réel, la forte baisse de la demande intérieure. Dans ces conditions, écrit-il, seul un programme d’investissement public massif serait susceptible de renforcer la marche du pays vers la «croissance». Or, cela est exclu tant que la cible «insensée» d’excédents budgétaires à hauteur de 3,5% déterminera la politique fiscale et budgétaire. Par ailleurs, Nikos Christodoulakis a plaisanté à propos de «l’optimisme» de Mitsotakis, faisant remarquer que les seuls investissements dont il serait au courant sont des projets de production de médicaments opiacés en Grèce (au moment où le secteur est en crise aux Etats-Unis), ainsi que certains projets de «valorisation» touristique débridée des côtes grecques, menaçant de détruire la dernière «valeur» non entamée encore par la crise grecque. Nikos Christodoulakis a encore suggéré une autre éventualité néfaste: que la réduction de l’impôt sur le capital, associée à la levée des contrôles de capitaux, pourrait conduire à un nouveau cycle de fuite des capitaux à l’étranger et non à une augmentation des investissements privés. De son point de vue, qui n’est aucunement celui de la classe ouvrière, le social-libéral Nikos Christodoulakis est à bien des égards plus pertinent que ceux qui applaudissent Mitsotakis.

La crise et l’instabilité du capitalisme grec ne sont pas terminées. Le destin du gouvernement Mitsotakis sera donc écrit par la résistance ouvrière et populaire (un facteur que personne ne peut sous-estimer en Grèce), mais aussi par les développements économiques internationaux et leurs conséquences sur une économie locale qui reste gravement malade.

SYRIZA

Aussi surprenant que fut l’accès de Nouvelle Démocratie à une majorité parlementaire autonome, tout autant le fut l’obtention par SYRIZA de 31% des suffrages des électeurs.

L’origine de ce résultat est à rechercher du côté de la grande aversion d’une grande partie des travailleurs et de la population paupérisée pour Nouvelle Démocratie, et en particulier pour la famille Mitsotakis. A l’époque du pouvoir du PASOK, son leader Andreas Papandreou utilisait le slogan «Le peuple n’oublie pas ce que signifie la droite» pour renforcer et pérenniser son hégémonie politique. Si ce slogan véhicule de la démagogie et de la confusion, il traduit néanmoins une expérience historique: les lignes de démarcation au sein de la population grecque, creusées au cours du siècle dernier par deux longues dictatures et une guerre civile.

Beaucoup de personnes, appartenant même aux secteurs de l’espace radical politisé n’ayant rien à voir avec le parti d’Alexis Tsipras, ont voté pour SYRIZA «en se bouchant le nez» pour faire contrepoids à Mitsotakis. Mais quand bien même ceci explique le maintien des forces électorales de SYRIZA, ça ne dit absolument rien de ses perspectives politiques. Car la politique actuelle de Mitsotakis avance dans les sillons creusés par Tsipras, à savoir l’imposition du troisième mémorandum.

Sous le gouvernement SYRIZA, la vie des travailleurs et des couches populaires non seulement ne s’est pas améliorée, mais elle s’est davantage détériorée suite à la mise en œuvre du troisième mémorandum. La part des salaires et retraites en pourcentage du PIB a diminué, contrairement à la part des bénéfices du capital. Le salaire réel moyen de la classe ouvrière a diminué malgré l’augmentation du salaire minimum, et les rémunérations d’une partie croissante des salarié·e·s tendent vers le salaire minimum et pour des périodes plus longues de leur vie active. La baisse du chômage est un artifice, les statistiques écartant les centaines de milliers de jeunes forcés d’émigrer et faisant le silence sur l’énorme augmentation du nombre d’emplois précaires. Les privatisations ont été «légitimées» comme inévitables et ont été pour la première fois étendues aux secteurs dits stratégiques (ports, aéroports, grandes infrastructures publiques) épargnés jusqu’ici en grande partie. L’emploi dans le secteur public a diminué et s’est précarisé, avec toutes les conséquences dramatiques pour le fonctionnement des écoles et des hôpitaux publics. La loi Georgios Katrougalos [4] a posé les fondations de la privatisation complète du système public d’assurance.

Sous l’administration Trump (!), le gouvernement Tsipras a été le plus ouvertement pro-américain des gouvernements grecs depuis la chute de la dictature des colonels. Il a amplifié la nouvelle stratégie nationaliste grecque en Méditerranée orientale: «l’axe stratégique» avec l’Etat d’Israël et la dictature d’Egypte, la revalorisation technique et stratégique des bases militaires américaines en Grèce, la mise en œuvre de nouveaux projets d’armement conformément aux vœux du militarisme grec.

Les initiatives du gouvernement Tsipras ont ouvert la voie à Mitsotakis. En décourageant et en frustrant massivement les forces ouvrières et populaires, cette politique a fermé efficacement la fenêtre d’espoir historique ouverte en 2015, sans calculer que cela conduirait à une nouvelle victoire de la droite. La défaite politique de 7 juillet 2019 s’inscrit dans la continuité de la défaite politique de l’été 2015.

Tous ces éléments, au-delà de leur valeur d’interprétation des causes qui nous ont emmenés dans la situation actuelle, déterminent aussi les limites de la future «opposition» politique de Tsipras face à la droite. Les déclarations de SYRIZA, faites le lendemain des annonces gouvernementales à la FIT, étaient un monument d’embarras politique: SYRIZA accusait Mitsotakis de tirer profit des résultats positifs de la politique de Tsipras et de «se servir des acquis» de l’ère SYRIZA! Comment faire la critique de la politique des «excédents budgétaires» alors qu’elle a été mise en place grâce à la signature de SYRIZA? Comment critiquer de réduction de l’imposition du capital alors que c’est bien le gouvernement Tsipras qui l’a initiée? Comment remettre en question la flexibilisation des contrats de travail qu’il a lui-même instituée? Comment s’opposer aux privatisations?

Le projet politique de Tsipras est de conserver des forces électorales dans l’attente de l’usure politique de Mitsotakis. C’est sur cette spéculation que s’appuie l’achèvement du virage social-libéral, annoncé par le projet d’une «Alliance progressiste».

Lors de son congrès prochain, SYRIZA sera un tout «nouveau» parti. Dès à présent Alexis Tsipras parle d’e-SYRIZA, le parti électronique, indiquant la base pour la construction du nouveau pôle de bipartisme, une alternative de type «prêt-à-porter» à Kyriakos Mitsotakis, ayant pour modèles idéologiques Macron et Renzi.

Dans un tel contexte, toute voix à l’intérieur de SYRIZA se désignant «à gauche du groupe Tsipras» est vouée à la défaite humiliante et à la marginalisation. Le mécanisme de communication de Tsipras attaque déjà publiquement Panos Skourletis (secrétaire du parti), Nikos Voutsis (ancien président du Parlement), Nikolaos Filis (ancien ministre de l’Education, démis de ses fonctions suite à la demande de l’Eglise) et parfois même Euclide Tsakalotos (le ministre des Finances signataire du mémorandum, présenté comme une «tendance de gauche»). Mais toutes ces personnes n’appartiennent pas à la gauche radicale, car tous les militants de la gauche radicale, toutes nuances comprises, ont quitté SYRIZA pendant l’été de 2015. Les personnes restées à l’intérieur sont des vétérans du mouvement eurocommuniste et des partisans d’un réformisme «européiste», certains d’entre eux ayant du mal à se laisser écraser au sein d’une mutation pleinement social-démocrate, à l’ère de la soumission de la social-démocratie au néolibéralisme. Les attaques contre ces «dissidents» sont reproduites à volonté par les médias bourgeois, ce qui démontre que le projet pour un SYRIZA «nouveau, plus ouvert et élargi» imposé par le groupe Tsipras est soutenu par plusieurs forces du système néolibéral. Ces forces sont reconnaissantes à Tsipras pour ses services, l’instauration de la «paix sociale» et l’imposition du troisième mémorandum. Elles sont tout aussi conscientes que Mitsotakis pourrait connaître des revers politiques et qu’alors un «consensus plus large» serait utile à la stabilité du système.

L’enjeu est celui des perspectives d’un nouveau «système bipartite», en voie de construction. La Nouvelle Démocratie de Mitsotakis est toujours traitée avec hostilité par un grand nombre de travailleurs et de personnes pauvres (comme en témoignent les résultats des élections du 7 juillet dans les quartiers ouvriers), le nouveau SYRIZA d’Alexis Tsipras est encore loin de la stabilité et de la détermination de l’ancien PASOK de Papandreou et de Simitis. De plus, le capitalisme grec reste faible et envisage avec angoisse la perspective d’une nouvelle crise internationale.

C’est dans ce contexte et dans ces contradictions que la reconstruction nécessaire des forces de la gauche radicale sera mise à l’épreuve dans un proche avenir.

La gauche «au-delà» de SYRIZA

Les développements actuels peuvent prendre un sens seulement sous l’éclairage de l’échec de la gauche «au-delà» de SYRIZA.

Car c’est un fait (inscrit dans les résultats des élections du 7 juillet) que la gauche radicale, dans toutes ses versions, n’a pas été en mesure de construire une alternative crédible et rassembleuse face à la dérive néolibérale austéritaire de SYRIZA et à la menace du retour de la droite.

On peut en trouver des justifications. Les conditions sociales objectives sont devenues particulièrement difficiles, laissant de moins en moins de place à l’action politique des travailleurs et des jeunes. La frustration liée à la défaite de 2015 a joué un rôle paralysant. Une fois de plus dans l’histoire, les effets paralysants de la défaite ont eu un impact plus négatif sur celles et ceux qui se sont battus contre l’orientation qui a produit la défaite, et qui avaient mis en garde contre cette dérive.

Mais le débat sur les circonstances atténuantes n’a plus vraiment d’importance. Il faut se tourner vers les problèmes politiques se profilant, car c’est seulement en orientant le débat dans cette direction que la possible reconstruction se fera.

Les élections du 7 juillet étaient pour le KKE (Parti communiste de Grèce) une rare opportunité politique. Des centaines de milliers de personnes étaient prêtes et volontaires pour quitter SYRIZA. A sa gauche, il n’y avait pas de menace sérieuse, au contraire, des centaines de militants de sensibilités différentes ont étoffé ses listes de candidats. Le résultat (5,3%) n’a pas répondu aux attentes, en dépit des 10 ans de crise et de grandes luttes sociales. L’encastrement dans l’immobilisme révèle le conservatisme de sa ligne politique (évitement de toute initiative politique en le justifiant par des conditions encore pas assez «mûres») et le sectarisme de ses méthodes d’action, d’évitement de toute forme d’unité tant dans le mouvement qu’au niveau de la gauche politique. Pour la première fois depuis des années, les divergences au sein de la direction du KKE apparaissent dans le débat public. Entre ceux qui insistent sur la «résilience» du parti et ceux qui commencent à soutenir certaines «ouvertures» dans le but de revendiquer une influence plus large pour le parti.

ANTARSYA, qui avait rejeté pour la deuxième fois (après les élections de 2015) des propositions de coopération politique et électorale avec l’Unité Populaire (LAE), a sombré dans l’échec obtenant seulement 0,41% des voix. A l’intérieur de cette coalition, les tendances centrifuges sont devenues intenses. Il sera difficile de combler la divergence entre ceux qui insistent sur le caractère «frontal» d’ANTARSYA (principalement le Parti socialiste ouvrier – SEK) et ceux qui cherchent une voie vers «un nouveau parti communiste» (principalement le Courant de Nouvelle Gauche – NAR), notamment suite aux conflits et divisions déclarés aux niveaux local et régional.

Unité Populaire (LAE) a subi une défaite écrasante en obtenant seulement 0,28% des voix aux élections nationales, après le 0,6% obtenu aux élections européennes. C’est la fin d’un parcours et d’un projet inaugurés en 2015 par la scission de SYRIZA et le départ de la «plate-forme de gauche». La plus importante composante interne de LAE (le courant de gauche, dirigé par Panagiotis Lafazanis), assaillie par les difficultés politiques de la période 2015-2019, est revenue aux traditions «front-populistes» et à une vision centraliste des problèmes organisationnels et politiques avec la personnalité du chef pour pivot. Une vision héritée des années de sa constitution première à l’intérieur du KKE. Le problème essentiel du «front-populisme» dans la conjoncture actuelle de la Grèce est son approche «amicale» du nationalisme grec intégrée dans une stratégie de lutte supposée pour «l’indépendance nationale». Cette ligne politique a échoué. Elle a été condamnée à la fois par la majorité de celles et ceux qui ont suivi LAE en 2015, et aussi par celles et ceux qui recherchaient une alternative après leur désenchantement par SYRIZA.

Cet échec général crée dans tous les cas des conditions nouvelles. La reconstruction de la gauche radicale aura pour préalable une liaison nouvelle avec les mouvements de résistance sociale, sur les lieux de travail, dans le mouvement antifasciste-antiraciste, le mouvement des femmes, les actions contre l’extractivisme et la menace du changement climatique, ainsi que dans la mobilisation contre la répression, etc. La reconstruction consiste à rassembler des forces autour d’un cadre politique radicalement de gauche, et en même temps rassembleur, concret, incisif… En ce sens, la reconstruction est liée au renforcement d’une vision unitaire de l’action et du fonctionnement. Cette vision semble acquise pour un large secteur de militants. Une tendance qui s’est exprimée par les organisations de gauche radicale qui, il y a quelques semaines, ont rendu publiques leurs intentions, dans un texte commun signé par DEA (Gauche ouvrière internationaliste), ARAN (Reconstruction à gauche), «Confrontation», «Rencontre» [5].

La reconstruction de la gauche radicale en Grèce pourrait prendre du temps et nécessitera des efforts conscients et organisés. Mais il s’agit d’une affaire qui concerne de vraies ressources militantes (plus importantes peut-être que dans divers autres pays d’Europe), un potentiel qui a accumulé une expérience précieuse au cours des dernières années.

C’est cela qui nous permet d’espérer que, dans un avenir proche, nous pourrons de nouveau renvoyer des messages optimistes à nos camarades à l’échelle internationale. (Texte transmis par l’auteur et traduit pour A l’Encontre par Emmanuel Kosadinos)

________

[1] C’est un «forum» d’hommes d’affaires, d’hommes politiques et d’invités internationaux, organisé tous les mois de septembre à Thessalonique, sur les développements économiques, politiques et géopolitiques. Ndt

[2] La famille Mitsotakis est l’une des grandes «familles» politiques en Grèce. Konstantinos Mitsotakis, le père du Premier ministre actuel, était membre de l’Union du Centre, qu’il avait quittée en 1965 pour rejoindre les intrigues politiques du roi. Selon le PASOK, cette «trahison» préparait l’imposition de la dictature en 1967. Après 1977, Mitsotakis a rejoint la droite et est devenu le chef de l’aile néolibérale de ND. Kyriakos Mitsotakis était un cadre d’importance moyenne des gouvernements de droite. Il est devenu le chef de ND en 2015, lorsque la victoire de SYRIZA a entraîné l’éviction de l’extrême droite d’Antonis Samaras et de l’aile de «droite populaire» de Kostas Karamanlis. Ndt

[3] Fille de Yorgos Gennimatas, cadre historique du PASOK. Elle est aujourd’hui à la tête d’un petit parti social-démocrate instable, le KINAL – Mouvement pour le changement – qui représente la continuation du PASOK alors qu’il est plus largement perçu comme un parti «de transition». Une grande partie de l’ancienne direction du PASOK est déjà passée à SYRIZA, une minorité d’anciens ministres ayant rejoint la ND. Ndt

[4] Georgios Katrougalos, ancien dirigeant du KKE, était le ministre du Travail de SYRIZA. L’instigateur d’une loi extrêmement néolibérale sur les retraites. Après le tollé général, il est passé vice-ministre des Affaires étrangères. Aujourd’hui il fait partie du cercle des dirigeants autour de Tsipras. Ndt

[5] DEA et ARAN ont agi au sein du LAE. «Confrontation» vient d’ANTARSYA, il s’agit principalement de la branche de jeunesse d’une scission anticapitaliste venant de NAR. «Rencontre» est composée de militants de la gauche radicale qui ont quitté SYRIZA en 2015 et qui n’ont jamais pris part à LAE. Ndt

Source http://alencontre.org/laune/grece-la-crise-la-defaite-de-la-gauche-le-gouvernement-de-droite.html/attachment/hellinikon-post

 

Soutien aux VioMe

Des soutiens européens à une coopérative grecque

À Thessalonique, l’usine ­Vio.Me devait fermer, mais ses ouvriers l’ont reprise et continuent de la faire tourner. Avec l’appui d’autres pays…

« Cela fait presque sept ans que l’on fait des rondes toutes les nuits, dit-il riant, mais là, on ouvre les yeux plutôt deux fois qu’une ! » Le rire de Makis Anagnostou, la cinquantaine bien tassée, résonne dans le hangar de l’usine ­Vio.Me située dans les faubourgs de Thessalonique, dans le nord du pays. Il vérifie que toutes les portes sont bien fermées, les lève-palettes garés, les stocks de produits prêts à partir à l’exportation rangés, et sourit de satisfaction. « Ola kala », tout va bien.

Enfin presque. Il redoute une coupure du courant qui arrêterait cette expérience d’usine autogérée, qui dure depuis plus de six ans. « Depuis l’arrivée au pouvoir de Nouvelle Démocratie (parti conservateur qui a remporté les législatives), en juillet dernier, on s’attend d’un moment à l’autre à ce qu’ils coupent l’électricité », explique Makis, qui fait office de porte-parole de ­Vio.Me, avant d’assurer : « C’est la première chose qu’ils feront pour arrêter la production. »

La barbe poivre et sel, ses mains calleuses dans les poches de son bleu de travail, il a du mal à cacher son inquiétude : « On reçoit via les réseaux sociaux des menaces de leurs députés, du type : ”Vous allez dégager ! La fête est finie, vous n’aurez ni eau ni courant”. Des tas de choses comme ça. On s’y attendait mais quand même, ça fait bizarre. »

Un symbole au-delà des frontières grecques

Du coup, un appel a été lancé sur tous les réseaux sociaux d’Europe, cet été, pour trouver un générateur d’électricité  de 120 kW. But de l’opération : faire tourner l’usine, même en cas de coupure de courant définitive. Une délégation de ­Vio.Me est attendue en Allemagne dès le 15 octobre prochain pour une tournée d’information dans sept villes, et des réseaux solidaires français recherchent aussi activement une solution pour aider ­Vio.Me. Car cette usine est devenue un symbole bien au-delà des frontières grecques.

En France, elle fait rêver les nombreux collectifs de soutien aux Grecs qui se sont créés dès le début de la crise, en 2010. Ainsi Claudine et Hervé Ricou, deux Bretons retraités, qui font régulièrement le trajet de Rennes (Ille-et-Vilaine) à Thessalonique pour s’approvisionner. Lorsque Claudine parle de ­Vio.Me, elle se met à rêver : « À l’époque de Lip, j’avais acheté des actions. Nous sommes les derniers à avoir acheté un Solex à notre fils, quand on espérait encore que l’usine allait s’en sortir. Maintenant j’achète des savons et du liquide vaisselle. C’est le même combat. »

Même mobilisation à Paris et dans le sud de la France, (*) à Montpellier notamment, où les collectifs locaux approvisionnent toute la région et achètent des médicaments qu’ils envoient aux dispensaires grecs, avec les bénéfices engrangés. Idem à Berlin, ou trois boutiques en ligne relaient les produits ­Vio.Me.

En Grèce, de nombreux volontaires vont, à leur frais, chercher ces produits à Thessalonique pour les déposer dans des épiceries alternatives. Bien sûr, il n’y a pas une fête populaire, pas un marché, pas un festival sans ces petites savonnettes bio sur les étalages. « On ne vend pas que des savons », souligne Makis avec un grand sourire, avant de préciser : « On vend une part d’utopie qui peut devenir réalité. Dans tous nos produits, nous mettons une petite note qui explique ce que l’on fait et quels sont les enjeux de notre travail. » Et, de fait, l’enjeu est de taille.

« Quand on a commencé, on espérait tenir six mois, grand maximum »

Au départ, en 1961, ­Vio.Me était une usine de colle à carreaux qui marchait bien, mais la concurrence chinoise a changé progressivement la donne : « Il était impossible de concurrencer leurs prix », se souvient Christina Philippou, ancienne patronne de l’usine. Puis la crise de 2010 est arrivée. Les commandes baissaient et la famille Philippou, lâchée par les banques et ses partenaires britanniques, songeait à se déclarer en faillite pour se délocaliser en Bulgarie.

Les nouvelles lois d’austérité qui venaient d’être votées lui donnaient ce droit, sans avoir à dédommager les salariés. Dimitris Kourmatsiolis, 49 ans, ouvrier depuis l’âge de 14 ans, s’en étrangle encore : « Nous avions accepté d’abord une baisse des salaires, puis pendant plusieurs mois on a continué à travailler sans être payés, pour sauver l’usine. Les commandes arrivaient et les nouvelles machines avaient même été commandées… »

Alors, un soir, la grande décision de l’occupation de l’usine a été prise. Dimitris a encore du mal à y croire : « Vous vous rendez compte ? Cela fait presque sept ans que nous nous battons, que nous maintenons cette usine ouverte, que nous faisons vivre nos familles. Jamais on n’aurait cru tenir aussi longtemps ! » La voix de Makis est plus grave : « Quand on a commencé, on espérait tenir six mois, grand maximum, car on voulait toucher nos salaires impayés. Mais alors qu’on attendait qu’une solution vienne d’en haut, on s’est dit : et pourquoi ne pas se prendre en main ? »

Le terrain de l’usine de nouveau mis aux enchères

La première décision prise collectivement a été de payer les machines qui devaient venir, puis d’honorer les commandes. « On paniquait, se souvient Makis. On n’avait jamais vu des livres de comptes, ni fait des bilans, mais on a appris. Des camarades d’autres expériences autogérées, d’Europe et même d’Amérique latine, sont venus nous apprendre. Et on a prouvé que si nous, des ouvriers qui ont à peine terminé l’école primaire, avons réussi, alors tout le monde peut le faire. »

Pour Christina Philippou, ces arguments n’ont aucune valeur : « ­Vio.Me a un permis pour faire de la colle, pas pour fabriquer des savons. Ils ne payent pas l’électricité, ils occupent mon usine depuis presque sept ans… Comment est-ce possible ? » Même si elle est aigrie, l’ancienne patronne de l’usine affirme avoir tourné la page, ajoutant même : « Il faut qu’une solution soit donnée aux ouvriers, et à moi qui ai tout perdu. J’ai payé pour les autres. On m’a condamnée à dix ans de prison pour quatre millions de dettes envers la Sécurité sociale, alors qu’en Grèce, même si tu tues ta mère, tu n’as pas une telle peine. Cette histoire est politique… »

Sur ce dernier point, Makis est d’accord, mais pas pour les mêmes raisons. Malgré tout le soutien international et un succès commercial inespéré, tout peut encore s’écrouler. Le 19 octobre prochain, le terrain de l’usine sera de nouveau mis aux enchères. « On fera capoter la vente, comme on a fait capoter toutes les autres, même s’ils ne cessent de baisser les prix pour trouver des acheteurs. On va résister jusqu’au bout. Notre succès les gêne, mais on tiendra le coup. »

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Des produits locaux, bios et coopératifs

Comment ?

Vio. Me emploie 15 salariés à temps plein, qui touchent tous le même salaire, environ 500 €. Tout le monde tourne sur tous les postes de production. Les décisions sont toutes prises collectivement le matin, autour d’un café. Les ouvriers produisent 1 600 savons par semaine et en gardent 3 000 en stock. En 2014, ils créent une société coopérative dotée d’un compte en banque, mais ils ne sont pas propriétaires de leurs actifs.

Pourquoi ?

En 2011, la maison mère de Vio. Me, Phillkeram Jonhson, entreprise gréco-britannique de carrelage, dépose le bilan. Les 70 salariés de la filiale, qui fabriquait de la colle pour carrelage, sont licenciés sans indemnités. Ils décident, pour éviter que les machines ne soient vendues au poids ou délocalisées, d’occuper l’usine. Avec un seul mot d’ordre, devenu leur logo : « Occuper, Résister, Produire. »

En 2012, ils décident, sous l’impulsion d’autres coopératives autogérées, notamment d’Argentine, de produire seuls des produits d’entretien écologiques, car le BTP s’est écroulé et que personne n’achetait plus de la colle à carreaux. Ils travaillent dès lors avec des produits locaux, dont l’huile d’olive bio, qui proviennent de régions économiquement sinistrées.

Et vous ?

Quelque 60 % de la production de Vio. Me part à l’exportation (Allemagne, France, Italie, Espagne, Suisse, Roumanie, Bulgarie) et ses produits sont disponibles au supermarché parisien La Louve, par exemple.

et bientôt dans le  nouveau supermarché coopératif parisien » Les grains de sel « dans le 13ème  http://www.lesgrainsdesel.fr/

Thomas Jacobi, correspondant à Thessalonique (Grèce),


(*) Le collectif de Grenoble continue à soutenir la lutte des VioMe en organisant pour la 4eme année une commande groupée de leurs produits. Une projection-débat est en cours de programmation dans la 1ere quinzaine d’octobre pour le lancement de la commande.Les informations seront données prochainement sur ce site.

Huiles essentielles La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque. Il évoque la fermeture programmée de 2750 moulins à huile grecs avec le projet d’installation des multinationales américaines.

Huiles essentielles

L’été, ses baraquements sur les rivages, ses souvenirs. De Thessalonique à Athènes en passant par les plages du vieux Péloponnèse, on salue tristement l’été 2019, si bref il faut dire pour la majorité, déjà des Grecs. Nos touristes auront tant admiré et photographié la Garde Evzone place Sýntagma au cœur de la capitale avant leur propre rentrée. Sinon, rien de très nouveau du côté des gouvernants actuels comme passés. Pays mis sur pilote automatique lorsque ses réalités substantielles sont délestées dans la hâte pour ne rien laisser d’elles au bout du processus que l’on dénomme alors… crise.

La Garde Evzone. Athènes, place Sýntagma, août 2019

L’été, celui des médias et de la publicité comme de leur atmosphère pressentie aurait pu être celui d’une prétendue légèreté ou encore le soi-disant grand moment du souvenir commercialisé. Or il n’en est rien. Les plages ont été certes remplies en Attique fin août par ce pays réel, largement, trop largement même populaire, mais en même temps certains murs expriment autant de douleur face aux touristes: “Vivre la vraie expérience grecque. Salaires à 500 euros, loyers à 400. Airbnb fait augmenter les loyers.”

Et ce n’est qu’un exemple, une facette des mutations en cours. Le pays se transforme et d’ailleurs violemment en espace administré, colonisé pour tout dire, d’en haut par les “investisseurs”, et d’en bas, par les migrants déracinés que la programmation en cours projette d’installer chez les acculturés locaux ou en phase de l’être. Les récalcitrants, autrement-dit, les esprits encore logiques et enracinés dans leur culture et leur territoire seront par la même occasion traités de tous les noms. Déjà en Grèce centrale, élus locaux et une partie des habitants manifestent contre l’installation des migrants chez eux, presse du 5 septembre. Erdogan et les passeurs mafieux compatibles Sóros ont ouvert les vannes de la misère provoquée et instrumentalisée; les migrants arrivent ces dernières semaines par milliers sur les côtes des îles grecques de la mer Égée, le calendrier semble donc s’accélérer. J’ouvrirai toutes portes vers l’Europe déclare encore Erdogan, exigeant entre autres le contrôle d’une partie de la mer Égée et des hydrocarbures qui s’y trouvent, pourtant tout cela du côté grec, Chypre comprise, presse du 5 septembre. Les migrants, leur instrumentalisation surtout, c’est autant une arme… géopolitique massive.

Et comme par hasard, le gouvernement Mitsotákis, déjà pour désengorger les îles, car il est vrai que la situation dans les campements de Lesbos notamment est plus qu’explosive, les installe en Macédoine grecque, très exactement près de la frontière avec les pays slaves et voisins, très exactement au cœur géographique, voire géopolitique de la “restructuration” que l’Allemagne et les États-Unis imposent une fois de plus en cette région des Balkans. Les Grecs des contrées concernées sont très en colère d’après les reportages, et il y a de quoi, presse de la semaine. Car il faut rappeler qu’ils ont déjà été trahis par l’accord Macédonien de Tsípras et que Mitsotákis ne remettra aucunement en cause, d’après la presse allemande, telle fut la condition nécessaire pour qu’il puisse être reçu la semaine dernière à Berlin, chez la Chancelière… du énième Reich.

D’après les médias allemands, de surcroît parmi les plus officiels, “les réticences allemandes s’expliquent notamment par la pratique de la Nouvelle Démocratie de Mitsotákis de ne pas adopter les mesures des mémorandums en tant qu’opposition officielle, ainsi que par le refus obstiné devant l’accord de Macédonien de Tsípras, dans lequel Berlin avait tant investi. Car pour l’Allemagne, il ne s’agissait pas d’un simple accord pour résoudre un problème de la périphérie européenne. La résolution du problème du nom de ce pays a été jugée essentiellement nécessaire car elle a créé les conditions permettant à la Macédoine du Nord de rejoindre l’OTAN et de rester sur la voie européenne, empêchant ainsi la Russie, la Chine ou même la Turquie d’essayer d’accroître leur influence dans ce pays. L’assurance reçue entre-temps à Berlin par le nouveau gouvernement grec, considérant que dans le cas de cet accord précisément, le principe de pacta sunt servanda s’applique, a constitué un premier geste important pour instaurer entre nous une relation de confiance”, presse allemande, fin août 2019. Rajoutons que certains projets disons parallèles, feront de cette partie du Nord de la Grèce où les migrants nouveaux sont en phase d’être installés, une zone économique et industrielle… hors sol au profit des dits acteurs économiques mondialisateurs.

Atmosphère pressentie. Athènes, été 2019
La vraie expérience grecque. Athènes, septembre 2019
Plage en Attique, fin août 2019
Autre… pays réel. Athènes, septembre 2019

Dans la foulée, la Nouvelle Démocratie et son gouvernement poursuivent dans le chemin des “gouvernements” mémorandaires et ainsi… mutants, que le pays connaît à ses dépends depuis 2010. Comme l’écrivent parfois certains vieux militants issus de la gauche, autant sortie de l’histoire politique pour les mêmes raisons, “depuis dix ans maintenant, la Grèce se meurt lentement, privée des derniers retranchements de sa souveraineté nationale et populaire. Cependant, le premier article de la Constitution stipule que: La souveraineté populaire est à la base de l’État. Tous les pouvoirs découlent du peuple, s’exercent en faveur de celui-ci et de la nation, et sont exercés conformément à la Constitution.”

“Les gouvernements se succèdent depuis 2010, les uns après les autres, comme des trains dans les gares, mais de plus en plus, ces gouvernements sont assujettis aux pouvoirs étrangers. Ils arrivent comme ils partent, en promettant divers procédés, allant de la suppression des mémorandums à la réduction des excédents primaires et des taxes, puis ils appliquent une politique économique opposée à leurs proclamations préélectorales, une politique qui est bien sûr imposée par Berlin. Au niveau géopolitique, le pays est autant subordonné à la puissance des États-Unis, semble-t-il davantage que du temps de la junte des colonels.”

“C’est le déclin final de la démocratie parlementaire. Par exemple, et c’est autant un signe des temps, la ‘politique’ est devenue une sorte de profession lucrative et du marketing, alors que la vraie politique économique du pays est pratiquée depuis la chancellerie allemande”, texte de Papoúlis sur le site du Plan-B.

“Décombres ainsi absolus de la République hellénique abolie” d’après Papoúlis, c’est un constat largement partagé, mais je dirais de plus accepté, un constat lequel échappe par ailleurs aux médias. Ces derniers font alors tout et même souvent en rajoutent, pour faire croire qu’il y a toujours ici bas une vie politique, des partis, des débats et des querelles. Heureusement, le pays réel arrive parfois à se rendre inquiet pour d’autres enfin bonnes raisons, la disparition de Lora comme celle de Yannakis en font par exemple partie, autant que les séismes d’ailleurs. Le récent séisme du mois d’août aura fait disparaître une partie des installations industrielles datant d’environ un siècle et situées à l’entrée du grand port. Signes sans doute des temps!

Disparition de Lora. Athènes, septembre 2019
Disparition de Yannakis, il nous manque énormément. Athènes, août 2019
Entrée du port du Pirée. Septembre 2019

Dans la vraie vie aussi, c’est l’Institut Goethe qui engage des travaux d’envergure sur son bâtiment à Athènes, histoire de renforcer sa résistance aux séismes. Finalement, nul n’est à l’abri, de certains séismes en tout cas. En face de l’Institut, c’est sur les vitres de la librairie allemande qu’une affichette fait la promotion d’un séminaire d’écriture en allemand entre août et septembre, “dans le cadre idyllique de l’île d’Égine”. Pour ne pas… perdre le nord, allons donc au sud.

Dans la vraie vie toujours, les derniers vacanciers du mois d’août quittent alors Égine, l’été prend fin… mais pas les affaires. D’après le reportage, lors de la visite de Mitsotákis à Berlin, il a été annoncé de manière volontairement vague, qu’un projet d’envergure dans le domaine de l’énergie dite verte sera inauguré, voire renforcé sur une période de vingt ans. On comprendra alors comment et combien, les montagnes du Pinde comme Agrafa finiront défigurées à jamais du fait des éoliennes fabriquées et imposées par la… métropole, vieille méthode.

Il en va de même pour ce qui est de la production d’huile au pays de l’olivier, comme on aime dire parfois. D’après une source mentionnée et surtout traduite par Constant Kaimakis (et nous le remercions tous), la fermeture de 2750 moulins à huile grecs serait déjà programmée, sur Facebook également, dont celui de mon ami, historien et écrivain, Olivier Delorme.

“Le ‘trésor national’ de l’huile d’olive sera ainsi livré à des multinationales américaines. Ces dernières pressent le gouvernement grec pour mettre un terme à ces 2750 unités grecques. Début janvier, le célèbre syndicaliste paysan de Fthiotida Vaios Ganis a révélé à newx.gr que des propositions de construction de trois ‘méga usines’ d’olives et d’huile d’olive avaient été déposées dans des régions spécifiques au cours des quatre dernières années. En effet, la Banque nationale semble soutenir cet effort, selon M. Ganis. Quel sera l’impact de la construction des trois ‘méga usines’? Vaios Ganis décrit la situation, dans la plus sombre des couleurs, en déclarant:”

L’Institut Goethe en travaux. Athènes, août 2019
Séminaire d’écriture en allemand à Égine. Athènes, septembre 2019
Embarquement. Égine, septembre 2019

“2750 petits pressoirs seront effacés en une nuit dans les zones où les méga usines seront implantées. Les trois zones ciblées par la multinationale américaine sont la Grèce occidentale, le Péloponnèse et la Crète. Alors imaginez la richesse de l’olive, l’huile sera concentrée dans une multinationale. Il n’y aura pas d’intermédiaire, il n’y aura rien. Un petit oléiculteur ne pourra pas survivre en raison de conditions telles que la gestion des déchets et la purification biologique, qui ne peuvent être satisfaites en raison de la taille accrue de l’économie. En une nuit, les petites entreprises auront disparu. Imaginez ce qui va se passer, a souligné Vaios Ganis. Aujourd’hui, une nouvelle ‘pierre’ dans l’édifice des révélations provient du président de GEOTEE – Institution Géotechnique, Spýros Mamalis, qui a déclaré à newx.gr qu’il était au courant du problème et qu’il fournissait des informations supplémentaires sur l’effort pour l’effacement de la carte des 2750 moulins. Selon M. Mamalis, la multinationale américaine aurait trouvé des ‘alliés’ parmi les universitaires grecs, dont les noms seront publiés prochainement.”

“Il y en a pas mal de monde autour du ministère, entre certains cadres officiels, voire des individus qui cherchent simplement à faire valoir leur point de vue auprès du gouvernement pour ainsi fermer ces petites unités actuelles sous prétexte d’économies d’échelle et de taille plus grande qu’une telle offre apporterait-elle. Ils sont Grecs et ils ont même leur bonne place dans les universités.”, l’article en grec c’est ici.

L’article souligne en conclusion que toute réticence locale ou régionale devient de fait caduque, dès que le montant global de l’investissement proposé dépasse les 100 millions d’euros, telle est la loi-cadre mémorandaire des pseudo-gouvernements qui… gouvernent surtout depuis dix ans, en réalité, depuis je dirais 1831, et ceci à de très rares exceptions près.

En attendant, on se consolera des petits trésors quotidiens, chez les bouquinistes par exemple entre la Civilisation Égyptienne et les Annales de l’ethnographie de Giuseppe Pitré et de sa collection au Musée Ethnographie de Palerme qui porte alors son nom.

On peut encore voyager en Septembre, même pour le travail, ou admirer le vieux bateau Liberty transformé en musée dans le port du Pirée. Notons que de nombreux armateurs, la plupart grecs comme Aristote Onassis ou Stávros Niárchos, ont accru leur fortune en achetant des Liberty ships du surplus des inventaires pour faire du cabotage, avant de se lancer dans le transport pétrolier.

Chez les bouquinistes. Athènes, septembre 2019
Voyageurs. Golfe Saronique, septembre 2019

Pays ainsi mis sur pilote automatique colonial. Le terroir, ses rivages, son souvenir et ses restes que les visiteurs ne peuvent guère voir, l’acculturation surtout des plus jeunes rend autant la réalité brouillée pour une partie de la population déjà. Et quant aux migrants, de par leur situation savamment provoquée, ils feront semble-t-il le même usage du pays que les prédateurs mondialistes. Le pays est un “topos”, un lieu à mettre à profit sans histoire, ni passé, ni racines, sans parler de la perte de sa souveraineté laquelle les laisse froidement indifférents. Voilà pour le vaste programme.

Car ce qui est en œuvre c’est la suppression pure et simple d’un peuple en s’en prenant à tout ce qui fait son existence propre, et le démembrement de son territoire, après celui de son identité et de son histoire à commencer par des institutions sous contrôle totalitaire et autant financier, à savoir le système éducatif et bien entendu les universités, sans oublier les médias et leur soupe à poison tétanisant.

Le Liberty-ship. Le Pirée, septembre 2019

De Thessalonique à Athènes en passant par les plages du vieux Péloponnèse, on salue alors tristement l’été 2019. Donc rentrée. La presse mainstream nous informe que dans la ville de Bach en Allemagne, personne n’a peur des investisseurs Chinois, s’agissant d’Arnstadt, où Jean-Sébastien Bach il se forge une solide réputation d’organiste à l’église de la ville, quotidien “Kathimeriní” du 4 septembre 2019. Nous voilà… rassurés autant chez nous.

Rentrée, et ce blog salue et alors remercie de tout cœur ses ami(e)s. Sans eux, sans leur soutien moral et matériel, il serait déjà avalé par le néant environnant.

L’automne en vue, entre espoir et ténacité, comme pour ce matou que mon ami Aristote a recueilli chez lui en quelque part en Attique, ou pour ces autres chats recueillis par mon ami Olivier Delorme à Nisyros.

Beau pays, vraiment !

Le matou recueilli par Aristote. En Attique, août 2019
* Photo de couverture: Souvenirs. Thessalonique, août 2019
5 septembre 2019

Lesbos, Samos des conditions de vie inimaginables

Lesbos, Grèce : Des centaines de mineurs protestent contre les conditions de vie à Moria  –

Le reportage du quotidien grec Efimerida tôn Syntaktôn donne plus des précisions sur les incidents qui ont éclaté hier mercredi au hot-spot de Moria à Lesbos.  Il s’agissait  d’une mini-révolte des mineurs bloqués sur l’île, qui demandaient d’être transférés à Athènes ou du moins d’être logés à l’hôtel. Même après le transfert 1.500 personnes , il y a actuellement à Moria 9.400 personnes dont 750 mineurs pour une capacité d’accueil de 3.000.

Les mineurs qui arrivent depuis quelques jours sont entassés dans une grande tente qui servait jusqu’à maintenant de lieu de Premier Accueil, une sorte de réception-desk pour tous les arrivants, qui s’est transformé en gîte provisoire pour 300 mineurs.  Hier,vers midi, un groupe de mineurs ont cassé la porte de la tente et ont essayé de mettre le feu à des poubelles, tandis qu’un deuxième groupe de mineurs avait bloqué la route vers la porte du camp en criant Athens-Athens et Hotel-Hotel, faisant ainsi comprendre qu’ils réclament leur transfert à Athènes ou à défaut  à des chambres d’hôtel. La police est intervenue en lançant de gaz lacrymogènes, et une fois le calme répandu ; des pourparlers se sont engagés avec les deux groupes. Il n’y a pas eu ni arrestations ni blessés.

En même temps la situation est encore plus désespérante au hot-spot de Samos  où pour une capacité d’accueil de 648 personnes y sont actuellement entassées presque 5.000 dans des conditions de vie inimaginables……

Des scènes qui rappellent l’été 2015 se passent actuellement à Lesbos. 

Le nombre particulièrement élevé d’arrivées récentes à Lesbos (Grèce) – plus que 3.600 pour le seul mois d’août- a obligé le nouveau gouvernement de transférer 1.300 personnes vulnérables vers le continent et notamment vers la commune Nouvelle Kavalla à Kilkis, au nord-ouest du pays. Il s’agit juste d’un tiers de réfugiés reconnus comme vulnérables qui restent bloqués dans l’île, malgré la levée de leur confinement géographique. Jusqu’à ce jour le gouvernement Mitsotakis avait bloqué tout transfert vers le continent, même au moment où la population de Moria avait dépassé les 10.000 dont 4.000 étaient obligés de vivre en dehors du camp, dans des abris de fortune sur les champs d’alentours. Le service médical à Moria y est désormais quasi-inexistant, dans la mesure où des 40  médecins qui y travaillaient, il ne reste actuellement que deux qui ne peuvent s’occuper que des urgences – et encore-, tandis qu’il n’y a plus aucune ambulance disponible sur place. Ceci a comme résultant que les personnes qui arrivent ne passent plus de contrôle médical avec tous les risques sanitaires que cela puisse créer dans un camp si surpeuplé.

Le nouveau président de la Région de l’Egée du Nord, M. Costas Moutzouris, de droite sans affiliation, avait déclaré que toutes les régions de la Grèce doivent partager le ‘fardeau’, car « les îles ne doivent pas subir une déformation, une altération raciale, religieuse, et ethnique ».

C’est sans doute l’arrivée de 13 bateaux avec 550 personnes à Sykamia (Lesbos) samedi dernier, qui a obligé le gouvernement de céder et d’organiser un convoi vers le continent. Mais l’endroit choisi pour l’installation de personnes transférées  est un campement déjà surchargé – pour une capacité d’accueil de 700 personnes, 924 y sont installés dans de containers et 450 dans des tentes. Avec l’arrivée de 1.300 de plus ni le réseau d’eau potable, ni les deux générateurs électriques ne sauraient tenir. La situation risque de devenir totalement chaotique, d’autant plus que le centre d’accueil en question est géré sans aucune structure administrative par une ONG, le Conseil danois pour les Réfugiés. En même temps, l’endroit est exposé aux vents et les tentes qui y sont montés pour les nouveaux arrivants risquent de s’envoler à la première rafale.  D’après le quotidien grec Efimerida tôn Syntktôn toutes les structures du Nord de la Grèce ont déjà dépassé la limite de leurs capacités d’accueil.

VS

Grèce Résistance à la frénésie pétrolière

En Grèce, face à la frénésie pétrolière, la résistance s’organise

6 juillet 2019 / Andrea Fuori et Raphaël Goument (Reporterre)

Depuis 2014, 72 % des eaux et 13 % des terres de la Grèce sont destinées à la recherche et l’exploitation des hydrocarbures, bien souvent à l’insu des populations locales. Mais, avec l’aide d’associations environnementales, la résistance s’organise, notamment dans l’Épire.

  • Région de Ioannina (Grèce), reportage

« C’est impossible que ça arrive pour de vrai. Non, je ne peux pas imaginer qu’il n’y ait plus d’arbres ici. Si les travaux se font vraiment, s’ils commencent à sortir du pétrole de la terre, nous les bloquerons. Nous n’avons pas le choix. » Costas, prof de maths à la retraite, nous dit ça tout en déchargeant d’énormes sacs d’engrais et de terre de sa voiture. Et, comme chaque jour, pose la même question à sa fille, qui gère le commerce : « Et les ouvriers de la prospection, on a eu des nouvelles aujourd’hui ? » Son visage est doux, son front cuivré luit sous le soleil. « Non rien. Je crois qu’ils ont été aperçus ce matin vers Zagori [un village voisin d’une trentaine de kilomètres], mais le maire est venu protester en personne, les ouvriers ont tout replié et sont partis. »

Costas, prof de maths à la retraite : « Tout le monde a peur de ce changement, pas juste nous, les retraités. »

Difficile d’imaginer que leur village, Zitsa, petit bourg d’environ quatre-cents habitants perdu dans un massif montagneux de l’Épire, soit au cœur des appétits de grands groupes pétroliers. Et pourtant, le sous-sol de cette région du nord-ouest de la Grèce, la plus pauvre du pays, pourrait regorger d’hydrocarbures (pétrole, gaz et gaz de schiste). Tout comme un gros tiers du pays, à la fois dans les terres et en milieu marin. « Le gouvernement a ouvert tout l’ouest du pays aux compagnies pétrolières, il y en a pour des années, nous en sommes encore aux toutes premières phases », se désole Takis Grigoriou, chargé de mission chez Greenpeace Grèce. L’ONG, après un engagement historique contre l’extraction du lignite, a décidé de placer le pétrole au cœur de ses activités fin 2017. « C’est devenu clair qu’il fallait s’en soucier, que ça devenait un enjeu majeur. »

Vingt « blocs » ont été délimités comme on coupe un gâteau, le long de la côte occidentale, des Balkans à la Crète

L’hypothèse de présence d’hydrocarbures dans les sous-sols de l’Épire n’est pas nouvelle. L’armée italienne fut la première à y mener des recherches durant la Seconde Guerre mondiale, avant qu’Athènes ne reprenne le flambeau dans les années 1960, puis 1980. Mais le paysage, difficile et escarpé, avait rendu les prospections infructueuses. Les récentes innovations technologiques, notamment le traitement des données sismiques, ont rebattu les cartes. La seule concession de Ioannina, qui couvre une partie de l’Épire, promet ainsi aujourd’hui de produire entre 3.000 et 10.000 barils par jour.

 

Zitsa, bourg de 400 habitants, en Épire, dans le nord-ouest de la Grèce.

À en croire les déclarations en 2014 d’Antonis Samaras, alors Premier ministre (droite) : en 30 ans, pas moins de 150 milliards d’euros d’entrées fiscales pourraient bénéficier à la Grèce. Une manne pour un État qui peine toujours, neuf ans plus tard, à sortir son économie du marasme dans lequel l’a plongée la crise de la dette publique, qui lui a fait perdre près du tiers de son produit intérieur brut (PIB).La suite est connue : 20 « blocs » ont été délimités comme on coupe un gâteau, le long de la côte occidentale, des Balkans à la Crète. Les sites en mer couvrent au total 58.000 km2, soit 72 % des eaux grecques. À terre, 17.000 km2 sont concernés, soit 13 % du territoire. Tous les blocs ont été attribués ou sont en cours d’attribution sous la forme de concessions de 25 ans. Au rendez-vous, deux compagnies nationales : Hellenic Petroleum et Energean. Mais aussi des grandes compagnies occidentales : Total, ExxonMobil, Repsol ou encore Edison, une filiale d’EDF.

Carte des « blocs » attribués et en voie d’attribution.

Pour l’instant, au cœur des massifs épirotes, ni forage ni puits de pétrole, seulement la chaleur et les nuées de papillons. Pour apercevoir les travaux préparatoires, une seule solution : suivre les pistes. Costas, le vieux prof de maths, ne se fait pas prier. Petrus, son vieux copain, un ancien boulanger à Athènes, insiste pour nous accompagner. Il faut s’éloigner du village, quitter la route et ralentir l’allure sur les chemins rocailleux, s’enfoncer à pied dans le maquis escarpé, traverser les forêts de noyers et de châtaigniers. « Peu de gens viennent jusqu’ici. » La zone est reculée, à peine parcourue par les chasseurs, qui y traquent lièvres et sangliers. Difficile de comprendre comment les ouvriers peuvent l’atteindre.

Petrus, l’ami de Costas. Boulanger à la retraite, il est lui aussi revenu couler ses vieux jours dans les montagnes de l’Épire.

Soudain, le vrombissement d’un hélicoptère se répand dans le ciel. À basse altitude, il hélitreuille des caisses volumineuses. « C’est comme ça qu’ils transportent leur matériel et tous leurs outils, certaines zones ne sont même pas accessibles par la route », précise Costas, visage tourné vers les cimes. Lorsqu’on lui demande comment il peut être sûr qu’il s’agit bien d’ouvriers de la compagnie pétrolière, il rit jaune. « Pourquoi y aurait-il un hélicoptère ici autrement ? » Son copain rigole à son tour.

Un des hélicoptères utilisés pour déplacer outils et matériel dans le maquis de Zitsa, une zone escarpée et difficile d’accès.

Après un bon moment à crapahuter, le vieux professeur s’immobilise. Il pointe du doigt un petit ruban jaune qui flotte au vent, noué à la branche d’un arbuste. « C’est comme ça qu’ils balisent leurs chemins jusqu’aux zones où ils font leurs explosions. » Effectivement, tous les 20 mètres, un ruban conduit à un autre. À la fin du jeu de piste, des trouées artificielles autour desquelles la végétation a été arrachée. Au milieu, des sacs de sable couvrent les orifices qui ont servi à introduire des explosifs dans le sol. Depuis un an, des milliers de ces trouées clairsèment la région.

Des sacs de sables ont été déposés à l’endroit ou les explosifs ont été utilisés.

« D’ici un an, ils auront fini les tests sismiques, ensuite ce sera le moment des premiers forages » 

Les habitants des dizaines de hameaux dispersés dans le massif de l’Épire semblent parfois à peine au courant du destin qui a été négocié pour eux, à des centaines de kilomètres de là, à Athènes. C’est le cas de Stavros, originaire de Kalahori, patelin d’une quarantaine d’âmes. « J’ai découvert ce projet seulement fin 2016, en tombant sur un reportage sur Alpha [une télévision privée] qui vantait les aspects positifs de l’exploitation pétrolière de Prinos [l’ancienne et unique exploitation grecque, dans l’est du pays, exploitée depuis le début des années 1970]. La seconde partie du reportage, c’était mon village ! Tu imagines ? Il montrait les traces de pétrole qui remontent à la surface, près de la rivière. » Personne alors, dans les communautés locales, ne se soucie réellement du problème. C’est seulement l’année suivante, avec l’arrivée des premiers ouvriers et le lancement des recherches à l’automne 2017, que les locaux prennent conscience de la situation, sans n’avoir jamais vu l’esquisse d’une consultation publique.

Les massifs montagneux proches de Zitsa.

La région abrite pourtant un des blocs à l’agenda le plus avancé. Le Parlement grec a ratifié le lancement des opérations dans la zone en octobre 2014. 4.187 km2 sont concernés, faisant craindre un désastre écologique d’ampleur. Pas moins de 20 espaces naturels protégés pourraient être touchés, rien que pour ce bloc. Deux autres sites, cette fois dans le Péloponnèse, inquiètent aussi les ONG : Katocolo (cinq millions de barils espérés) et le golfe de Patras (200 millions de barils espérés). « L’extraction pétrolière est un danger imminent. D’ici un an, ils auront fini les tests sismiques, ensuite ce sera le moment des premiers forages », dit Takis, de Greenpeace.

Vassiliki, 65 ans, née à Zitsa, où elle ouvert une boulangerie en 1992. Avec l’exploitation pétrolière, « il y aura du travail seulement pour quelques-uns et pour quelques temps, ça ne changera rien au problème du chômage dans notre village ».

Aucun des partis politiques représentés à la Vouli (le Parlement grec) ne semble désireux de remettre en question cette frénésie pétrolière. Ni même la formation de gauche radicale Syriza, au pouvoir depuis 2015, qui s’était pourtant fait élire avec un programme ne laissant guère de place à l’extractivisme. « C’est une trahison inacceptable, ils étaient contre. Une trahison qui aura des conséquences désastreuses sur l’économie locale et l’environnement ! » dit Dimitris Ibrahim, engagé avec WWF. Et d’ajouter : « Les seuls qui nous soutiennent, c’est le MeRA25 et Varoufakis [le Front réaliste européen de la désobéissance, formation fondée en 2018 par l’ancien ministre des Finances du premier gouvernement Tsipras]. » Après avoir approché les 3 % aux élections européennes, la jeune formation pourrait espérer faire son entrée à la Vouli lors des élections anticipées le 7 juillet prochain.

« Il y a toujours eu ici un sens très fort de la communauté, de l’attachement à la terre » 

Au cœur des maquis, les communautés épirotes se sont faites à l’idée qu’il fallait s’organiser sans rien attendre de personne. En 2017, Lila, une habitante de la région lance le premier groupe Facebook dédié au sujet. Deux ans plus tard, Save Epirus compte plus de 16.000 membres des quatre coins du pays. « Il n’y avait aucune information pour les habitants. On a créé ce groupe pour informer et aussi pour s’organiser. C’est compliqué de se croiser ici, il n’y a pas forcement beaucoup de contacts entre les communautés », explique Lila. Âgée de 44 ans aujourd’hui, elle a quitté Athènes en 2007 pour se lancer dans les chambres d’hôtes. Comme elle, les jeunes de la capitale ou de Thessalonique, la deuxième ville la plus peuplée du pays, sont nombreux à envisager de s’installer dans le massif de l’Épire, reprenant parfois des terres familiales. Sans compter les retraités, comme Costas ou Petrus, qui reviennent au village pour leurs vieux jours. « Il y a un réseau de la diaspora épirote en Grèce. Il y a toujours eu ici un sens très fort de la communauté, de l’attachement à la terre. Les jeunes reviennent tous passer l’été dans leur village », nous confirme Anastasis, un jeune étudiant investi dans l’opposition au projet à Ioannina, chef-lieu de l’Épire adossée au lac Pamvotis. « Cette région fait office de laboratoire pour les industries pétrolières : si le projet parvient à être accepté ici, alors ils pourront le faire partout », analyse le jeune homme.

Le lac Pamvotis, que borde Ioannina.

Dans les villes d’Athènes, de Thessalonique ou encore de Ioannina, les milieux militants et écologistes grecs se sont rapidement mobilisés. L’Alimura, centre social autogéré au cœur de la petite capitale régionale, accueille chaque semaine depuis février 2018 une assemblée ouverte. Jusqu’à 60 ou 70 personnes font parfois le déplacement, parfois de communes éloignées. Un rôle de relais essentiel, mais que Dimitris Ibrahim, de la WWF, veut nuancer : « Ils [les réseaux anarchistes et antiautoritaires grecs] sont très actifs, ils ont des réseaux très développés, mais ils ne touchent pas tout le monde, les Grecs ne s’y retrouvent pas forcement. »

Vassilis, 85 ans, né à Zitsa : « Je suis tout de même inquiet pour la pollution, est-ce qu’ils maitrisent vraiment ce qu’ils font ? »

Les petits villages semblent en tous cas mobiliser au-delà de leurs maquis. Les premières manifestations organisées à Ioannina ont fait le plein de soutiens. Plus de 2.000 personnes défilaient en mai 2018 dans le chef-lieu de l’Épire, qui ne compte que 65.000 habitants. Puis, à nouveau en juin 2019. Un exploit sans le soutien d’un parti politique. La manifestation organisée à Athènes, en février, n’a en revanche rassemblé que quelques centaines de personnes. « Ils doivent prendre conscience que ce problème nous concerne tous, il faut que tout le monde se rende compte et se mobilise », dit Lila.

« Tout le monde est d’accord pour travailler ensemble. On se structure peu à peu » 

Des réunions publiques et des assemblées se multiplient un peu partout sur les territoires concernés. L’idée émerge d’une grande coordination de toutes les assemblées contre les exploitations pétrolières de Grèce pour le mois de septembre. Un mouvement vu avec enthousiasme par les ONG. « Bien sûr que nous y participerons, si nous avons la chance d’être invités. Mais ce sont des mouvements citoyens, portés par des collectifs très divers, cela n’a rien à voir avec nos structures, notamment en matière d’organisation, il ne faut pas tout mélanger », dit le chargé de mission de la WWF.

L’Alimura, centre social de Ioannina, accueille chaque soir des discussions et des assemblées, notamment celle des opposants à l’extraction pétrolière.

Bien qu’elles tiennent à s’afficher en retrait, les organisations Greenpeace et WWF demeurent très actives et cherchent à faire décoller le mouvement. Samedi 22 juin, 13 délégations de dix différentes zones promises à l’exploitation d’hydrocarbures se sont ainsi rendues à bord du mythique Rainbow Warrior afin de tenter de coordonner les différents collectifs. « Je pense que c’était un succès, tout le monde est d’accord pour travailler ensemble. On se structure peu à peu. Maintenant, comment trouver des idées concrètes rapidement ? » résume Takis, chargé de mission de Greenpeace.Les deux organisations ont aussi essayé d’emmener la bataille sur le terrain juridique, sans guère de garantie de succès. Deux recours déposés par les ONG sont en cours d’examen par les plus hautes institutions du pays. L’un a été lancé en 2018 et concerne le bloc de Ioannina, l’autre, cette année, pour le bloc marin au sud-ouest de la Crète. À chaque fois, les organisations mettent en cause des infractions à la législation existante sur les études des conséquences environnementales. Les décisions sont attendues pour la rentrée. Ni le ministère grec de l’Environnement et de l’Énergie ni l’entreprise Repsol, qui gère les recherches dans le bloc de Ioannina, n’ont pas pour l’instant donné suite à nos sollicitations.

Grèce Le projet de mine d’or de Skouries

« Enthousiasme chez Eldorado pour le « changement de climat » en Grèce

Selon un reportage de capital.gr, la prise de contrôle du gouvernement par Mitsotakis, associée à la hausse importante du prix de l’or et à l’achèvement du refinancement, ont créé un élan positif pour le groupe canadien.

Selon le directeur général de la société, le ministère de l’environnement a mis en place un comité mixte avec la société, le dialogue entre les deux parties étant positif.
« La décision de mettre en place un comité conjoint entre le ministère et l’entreprise témoigne d’une volonté de coopérer, d’une manière mutuellement acceptable. «Nous sommes déterminés à créer un investissement sûr, moderne et de classe mondiale en Grèce. Cela inclut l’application des meilleures technologies disponibles, telles que la méthode des résidus secs en tas à Skouries, qui réduit l’empreinte environnementale de 40%. Nos investissements créeront des emplois bien rémunérés pour les familles et les entreprises locales, conduiront à la responsabilité sociale des entreprises, paieront des taxes importantes et généreront des revenus d’exportation pour des générations. Le gouvernement partage ces objectifs avec nous « , a déclaré en particulier le chef de la division Eldorado Gold.

« Nous sommes vraiment enthousiasmés par le changement de climat », a déclaré George Burns dans son message.

Toutefois, il convient de rappeler que la société canadienne utilise des filiales à l’étranger depuis des années pour éviter toute imposition via les Pays-Bas et, par la suite, jusqu’aux îles de la Barbade. Cette pratique a été divulguée depuis 2014 avec les recherches de l’ONG néerlandaise SOMO, tandis que les documents de Paradise Papers ont confirmé que ces sociétés restaient actives, au moins jusqu’en 2016. »

source : thepressproject.gr

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L’histoire de Konstantína Koúneva

L’histoire de Konstantína Koúneva, militante syndicale défigurée fin décembre 2008 dans un quartier d’Athènes à la suite d’une attaque à l’acide, est traversée par l’histoire grecque de ces dix dernières années et la traverse en retour d’une façon oblique, singulière et sensible.

Travail, non féminin Publié le par dimitris alexakis sur Ou la vie sauvage

à Nádia, Vásso, Beáta, Sýlvia, Christína et Yánnis

« Cet événement m’a marquée à vie. Il a mutilé mon visage, mon corps et a fait de moi quelqu’un d’autre. Il a plongé ma famille dans la peine ; pour mon fils, il a marqué la fin de l’enfance. Mais je ne me suis pas arrêtée là, je n’ai pas été neutralisée, je vis en en portant les conséquences et j’avance. » [1]

L’histoire de Konstantína Koúneva, militante syndicale défigurée fin décembre 2008 dans un quartier d’Athènes à la suite d’une attaque à l’acide, est traversée par l’histoire grecque de ces dix dernières années et la traverse en retour d’une façon oblique, singulière et sensible.

Elle invite à repenser cette séquence de dix ans à partir de l’expérience de celles et ceux qui sont en apparence sans pouvoir et relègue au second plan le vocabulaire économique ou financier qui en a dominé la lecture.

Elle lie la question de la violence à celle du travail précaire. Malgré sa gravité, l’acte dont elle a été victime n’est pas un cas à part. Sous des formes multiples (insultes sexistes, racistes, chantage au licenciement, au non-renouvellement de la carte de séjour et à l’expulsion, pressions diffuses, menaces, passages à l’acte…), la violence est le mode par lequel les entrepreneurs du nettoyage ont cherché à imposer en Grèce une précarité proprement invivable.

La violence était présente avant le début officiel de la crise de la dette et a été chaque fois une réponse opposée à des pratiques de résistance — dans les secteurs du nettoyage, du bâtiment ou de l’agriculture saisonnière, sur des quais de métro, des chantiers ou dans les champs de fraises de la région d’Ilía, à l’ouest du Péloponnèse.

Elle jette un jour cru sur la collusion entre entreprises privées d’une part, services étatiques et personnes morales de droit public de l’autre : avant d’être portés par un « projet » politique, la flexibilité, la précarisation, le démantèlement du cadre législatif et des autorités de contrôle sont d’abord apparus sous une forme presque nue, sans oripeaux ou apparats idéologiques, et ne se sont développés que parce que certains, à l’intersection des secteurs privé et public, y trouvaient intérêt.

les mobilisations du prolétariat largement féminin et immigré auquel elle appartient ont joué un rôle essentiel dans la dynamique qui a porté la « gauche radicale » au pouvoir en janvier 2015

Elle invite à penser le contournement et l’évidement des garanties légales à partir des pratiques de sous-traitance et d’externalisation. L’expérience de Konstantína Koúneva, employée immigrée en Grèce dans le secteur du nettoyage, est solidaire de celle des couturières de Dacca, Bengladesh, qui peuvent apparaître comme des « travailleuses immigrées employées à domicile » : il s’agit toujours de découvrir ou de créer des zones de non-droit, d’externaliser la production là où un certain état du droit n’a pas ou n’a plus cours.

Elle rappelle que les mobilisations du prolétariat largement féminin et immigré auquel elle appartient ont joué un rôle essentiel dans la dynamique qui a porté la « gauche radicale » au pouvoir en janvier 2015 et signale que le courage et l’initiative politiques ont à des moments-clefs été le fait de celles et ceux qui étaient le plus vulnérables ; elle marque une autre dette.

Le parcours de Konstantína, passée en 2014 du terrain syndical à une action politique plus institutionnelle, éclaire aussi l’histoire de la gauche radicale grecque, marquée coup sur coup par le succès d’un référendum d’opposition aux plans d’austérité (5 juillet 2015) puis par la ratification de ces plans (13 juillet 2015). Elle invite ainsi à interroger, sous l’angle de la sous-traitance et du travail précaire, la stratégie et les actes du gouvernement d’Alèxis Tsípras dont le mandat, avec la tenue d’élections législatives anticipées, le 7 juillet 2019, arrive aujourd’hui à son terme.

« Tu n’es pas seule »

Autour de 2012, mon cousin, Yánnis, s’est trouvé à quelques pas d’elle dans un wagon de métro et l’a reconnue avec une sorte d’effroi et de respect silencieux ; le terme qu’il emploie pour décrire la rencontre, δέος, traduit le sentiment éprouvé face à ce qui relève du sacré. Sans l’avoir jamais vue, il a immédiatement mis un nom sur ce visage séparé des autres par ses lunettes noires et sa peau abîmée. Il l’a regardée descendre du train avec l’aide d’une femme plus âgée, se mêler à la foule sur le quai de Sýntagma et l’a suivie des yeux jusqu’à ce qu’elle disparaisse. Il était à deux doigts de lui parler ou de lui adresser un geste de sympathie mais est resté immobile. La femme qui, 4 ans auparavant, avait suscité un élan de solidarité sans pareil et cette silhouette anonyme étaient la même personne. Il s’est remémoré la phrase qui était apparue sur les murs et avait été criée par des dizaines d’inconnus sous les fenêtres de l’hôpital où elle a été conduite dans la nuit du 22 au 23 décembre : « Konstantína, tu n’es pas seule. »

En grec, le travail, η εργασία, est un mot féminin. Travail précaire se dit : επισφαλής εργασία, et le travail en alternance : εκ περιτροπής εργασία. Le mot μετανάστευση, « immigration », est féminin dans les deux langues. Le mot « enfant », lui, est du genre neutre, το παιδί.

Tous les mots qui concernent le visage sont neutres, eux aussi : το μάτι, l’œil, το στόμα, la bouche, το πρόσωπο, le visage, το δέρμα, la peau.

Le liquide qu’on lui a lancé au visage et qu’on lui a fait ingérer de force porte le nom d’acide sulfurique concentré, θειικό οξύ, et est le plus souvent désigné sous son nom archaïque, vitriol.

L’infinitif ayant à peu près disparu de la grammaire grecque, le nom des verbes se formule à la première personne : « lutter » se dit « je lutte » (αγωνίζομαι), « survivre » « je survis » (επιβιώνω).

Son prénom, Костадинка, est toujours prononcé ici à la manière grecque. Elle choisit, elle — sur son compte Twitter, sur la page du Parlement européen qui lui est consacrée — de restituer la prononciation bulgare en l’écrivant Kostadinka.

Son nom est parfois associé dans la presse au mot « affaire », υπόθεση, qui ravale l’événement au rang d’une procédure. Quelque chose pourtant résiste. On ne se débarrasse pas comme ça de la violence, du désir de vivre, des mots, des sujets, des histoires, des corps et des visages et des blessures qu’ils portent.

La phrase « Konstantína, tu n’es pas seule » avait, à l’hiver 2008, plusieurs sens. Elle suggérait que la violence dont elle avait été victime n’était pas un cas isolé ni un accident ; qu’elle était en passe de se généraliser sous une forme ou une autre à l’ensemble de ce « monde du travail » qui n’est justement plus un monde mais une multitude de trajectoires diffractées. Elle signifiait à rebours que Konstantína faisait partie d’une société qui pouvait sortir de l’ombre pour la défendre — et se défendre elle-même — en affirmant un « nous ». C’était aussi une phrase qui venait après-coup : il est probable que l’attaque n’aurait pas eu lieu si Konstantína n’avait pas été laissée seule face aux menaces et à la violence patronales. « Tu n’es pas seule » était l’expression d’un monde qui se ressaisissait, prenait ou reprenait conscience de lui-même à partir d’un défaut, d’un manque (de solidarité, de présence, d’attention, de réflexes ou d’humanité, de temps à consacrer à l’autre), d’un vide qui se serait ouvert à la surface du monde et à travers lequel on aurait aperçu, un bref instant, l’horreur.

Cette phrase renfermait ainsi, comme en creux, un « nous » ; c’est singulièrement à partir de la mort d’un adolescent de 15 ans tué par la police le 6 décembre de la même année et de la tentative de meurtre perpétrée contre elle que ce « nous », en Grèce, a commencé à prendre forme. Le collectif est apparu pour s’adresser à celui et à celle qui en avaient été séparés ; ce « nous » n’a pas commencé par dire « nous », mais « tu » : un « nous » sous-entendu, à la deuxième personne.

Comme l’a pressenti Yánnis quelques années plus tard, cette phrase était aussi un slogan qui, 4 ans après avoir été scandé, semblait être retourné à l’indifférence initiale.

« Τu n’es pas seule » se dit en grec δεν είσαι μόνη. La deuxième personne est fréquemment employée pour s’adresser aux inconnus comme si la langue grecque incitait à briser la glace. « Où vas-tu ? » demande volontiers le conducteur du taxi ou le chauffeur du bus à celle ou celui qui vient d’y monter. L’oralité prime en grec jusque dans l’écriture romanesque — chez Kavvadías, Tachtsís, Tsírkas, Míssios. Les luttes de ces dernières années ont partie liée à cette manière de se défaire des formules et clivages faits pour tenir l’autre à distance ; il y a dans la langue une résistance à la ville où personne ne se parle. L’assemblée de la place Sýntagma, en 2011, a été par excellence un lieu de parole, de rupture de l’anonymat. « Tu n’es pas seule » vient aussi de là : même écrite sur les murs, c’est une phrase parlée, qui convoque l’autre de manière physique, où le tutoiement marque un rapport au corps.

Le souvenir de la petite foule rassemblée en décembre 2008 sous les fenêtres de sa chambre évoque d’autres rassemblements, comme cette veillée sur le parvis d’un hôpital aux fenêtres grillagées organisée à la fin de l’année 2014 en soutien à Níkos Romanós, emprisonné à la suite d’une tentative de braquage, arbitrairement privé de son droit aux études et en grève de la faim. « Tu n’es pas seule » est une injonction à tenir, à ne pas basculer de l’autre côté. Il s’en faut parfois d’un message ou d’un geste.

Les deux slogans les plus marquants de cette période de violence patronale, de violence policière et d’émeutes — Αυτές οι μέρες είναι του Αλέξη (« Ces journées sont celles d’Alèxis »), Κωνσταντίνα, δεν είσαι μόνη (« Konstantína, tu n’es pas seule ») — sont ainsi liés par deux prénoms.

« Location d’ouvrières »

Le début remonte à 1989 et à l’effondrement du Mur ; à l’entrée de la Grèce, pays de quelque 11 millions d’habitants, moins industrialisé que ses voisins du Nord et à la monnaie infiniment moins forte, dans le concert des pays de l’euro (2002) puis dans le cercle restreint des nations olympiques.

À la veille de 2004, le pays est à la fois censé renouer avec son héritage antique (« Les Jeux reviennent à la maison ») et être reconnu comme une nation du XXIe siècle — en se pliant aux méthodes de management contemporaines, en lançant une politique de grands travaux dispendieux et sans utilité sociale, en faisant des termes de croissance et d’investissements le fin mot de toute politique, en favorisant la collusion entre responsables politiques locaux et dirigeants de grandes multinationales et en démultipliant sa dette.

Pour soutenir sa « modernisation », le pays fait appel en masse à une main-d’œuvre venue en particulier de l’ancien bloc de l’Est (Albanie, Bulgarie, Géorgie, Pologne, Russie, Ukraine, Moldavie, Roumanie…). Konstantína, qui est née en 1964 dans la ville bulgare de Silístra, entre en Grèce en 2001.

Elle a fait des études d’histoire et d’archéologie à l’université Cyrille et Méthode de Velíko Tírnovo et travaillé dans une boutique de vêtements et une usine de papier. Les problèmes de santé de son fils, qui doit depuis l’âge de deux ans subir une opération de cœur indéfiniment reportée, ont joué un rôle déterminant dans sa décision de partir s’installer en Grèce.

L’enfant a 4 ans, et elle 37, lorsqu’ils arrivent à Athènes.

Elle intègre OIKOMET, une société de nettoyage et de « location d’ouvriers », autrement dit de sous-traitance, qui a décroché l’appel d’offres pour l’entretien de la ligne de métro reliant Kifissiá au Pirée, la plus ancienne de la capitale.

Les services de nettoyage d’hôpitaux, de tribunaux, d’aéroports, d’installations portuaires, d’universités et d’écoles, de dépôts de bus ou de trains sont depuis le début des années 90 confiés par des administrations étatiques, des collectivités territoriales ou des entreprises d’intérêt public à des sociétés privées employant tantôt une petite dizaine, tantôt plus d’un millier de personnes. Cette tendance à l’externalisation (outsourcing) s’accélère au tournant des années 2000. La société anonyme OIKOMET, qui compte plusieurs centaines de personnes, est alors une des plus importantes du secteur.

Konstantína travaille beaucoup plus que les huit heures légales et est fréquemment appelée, dans la même journée, sur 2 ou 3 sites.

« Elle avait encore du mal à parler le grec, au début, se souvient une collègue, mais elle lisait beaucoup. »

Dans un texte publié quelques années plus tard, elle se souvient qu’elle conduisait son fils sur la colline de Philopáppou qui fait face à l’Acropole ; ils pique-niquaient, l’enfant faisait ses devoirs, l’enfant et la mère discutaient au retour avec des inconnus qui promenaient leurs chiens, « c’était comme un conte ».

Syndiquée depuis 2002, elle est deux ans plus tard élue secrétaire de l’Union des employées de maison et de nettoyage de la région d’Attique — une de ces unions professionnelles qui se développent alors dans le monde du travail précaire et dont le nombre, quelques années plus tard, s’élèvera à plus de 60.

Le secteur du nettoyage compte des employé·e·s de deuxième, de troisième voire de quatrième catégorie. Une femme seule avec enfants est plus susceptible d’y être soumise à la pression patronale, un homme parlant mal le grec plus souvent pressé de signer un contrat dont il ne comprend pas les termes ; dans certains dépôts de bus, les femmes de ménage immigrées sont systématiquement harcelées. Il est quelquefois demandé à celle ou celui qui ne parle pas ou ne sait pas lire le grec de signer un contrat en blanc. En conditionnant le droit au séjour à l’emploi, les textes qui régissent le séjour des étrangers en Grèce accroissent leur vulnérabilité.

Konstantína est bien placée pour le savoir : dépendante du renouvellement de ses titres de séjour, elle a débuté son activité syndicale à l’insu de ses employeurs, de manière quasi-clandestine, par crainte des représailles.

Elle étudie les pratiques et les textes, repère la façon dont les employeurs enfreignent la loi ou mettent à profit ses lacunes et ses imprécisions — en maintenant notamment les heures de travail déclarées en-dessous du taux obligeant au versement des cotisations liées à l’exercice d’un « métier pénible et à risque ».

Elle recense les heures supplémentaires impayées, les omissions et négligences en matière de sécurité, le non-acquittement des cotisations de Sécurité sociale, les accidents du travail camouflés, dénonce le manque de contrôles, pointe les risques que fait peser sur la santé la manipulation de certains produits et les cas d’agressions sexuelles dont les employées femmes, dispersées dans la ville et souvent isolées, font l’objet. Elle dénonce l’existence de « listes noires » visant à exclure de la branche tout·e employé·e récalcitrant·e. Elle documente la pratique du « clonage » : sur un chantier donné, une entreprise déclare employer 20 personnes alors qu’elle n’en emploie que 10 ; en cas de contrôle de la Sécurité sociale ou de l’Inspection du travail, les 10 employé·e·s manquant·e·s sont réquisitionné·e·s et transféré·e·s sur place depuis un autre site. La pratique a pour effet de gonfler artificiellement la facture des appels d’offres ; des milliers d’euros s’évaporent ainsi dans une zone grise, à l’intersection des secteurs privé et public.

Konstantína réagit, écrit, interroge : son travail constituera la base de l’enquête publiée en 2009 [2] par l’Institut du travail sous l’égide du syndicat GSEE [3] et qui lui est dédiée.

Identifiée comme déléguée syndicale à la suite d’une tentative de licenciement, elle est consignée aux horaires de nuit alors qu’elle a un jeune garçon entièrement à sa charge. Elle touche un peu moins de 600 euros par mois.

« Nous ne sommes pas en Colombie »

Sa mère déclare lors d’un entretien : « Parce que j’étais malade, Konstantína me cachait ses soucis, mais je n’étais pas dupe. De temps en temps, elle sortait pour un travail et revenait très angoissée. »

Son activité syndicale a une incidence directe sur le quotidien de son fils et les conditions de travail de sa mère :

« Lorsqu’ils ont appris son activité syndicale, ils m’ont déplacée jusqu’à la gare de Rèndi. Nettoyer simultanément les trains, les toilettes, les bureaux : j’ai eu droit à tout. Lorsque je faisais mine de protester, c’étaient immédiatement des mises en demeure. Les courriers prétendaient que je n’avais pas fait du bon travail, que j’avais par exemple oublié de nettoyer un WC. Je refusais de signer. La responsable me disait : “Je te virerai et tu ne trouveras de travail nulle part.” Je lui répondais : “Je le sais, je suis une femme âgée.” »

À la station de Maroússi, un chef d’équipe tire un jour Konstantína par les cheveux en gueulant :

« Tu n’as pas de papiers, tu n’as rien à faire ici, retourne dans ton pays. »

L’Union des employées de maison et de nettoyage contraint le gouvernement grec à prendre position. Le ministre du Travail publie en mai 2006 une circulaire rendant tout organisme public comptable de la légalité des sociétés de nettoyage avec lesquelles une convention de sous-traitance est signée.

Face à la pression syndicale, les employeurs de l’OIKOMET déposent en mai 2007 les statuts d’un syndicat d’employé·e·s devant le Tribunal de première instance d’Athènes ; « contre-syndicat » dont les membres fondateurs sont des cadres, des chefs de service et des surveillants — certains liés à la direction par des liens de parenté.

Le 20 novembre 2008, une rencontre tripartite réunit au ministère de l’Emploi le syndicat, l’État et la société sous-traitante. À l’extérieur du bâtiment, plusieurs de ses confrères conspuent les syndicalistes femmes : « Elles vont fermer l’entreprise et nous faire perdre notre emploi. » Dans la foule se trouve un immigré, qui hue avec les autres ; il sera pourtant licencié au premier de l’An sans préavis ni prime de Noël. À la fin de la rencontre, quelques manifestants s’en prennent à elle et commencent à la malmener. Elle fuit, se réfugie dans les ruelles voisines et, quelques jours plus tard, reçoit de nouvelles menaces anonymes.

Ses alarmes ne sont pas prises au sérieux par les directions syndicales ni — moins étonnant — par la direction d’OIKOMET, qui rejette ses demandes visant à passer sur la grille du matin et à être réaffectée à la station de Thisseío, plus proche de chez elle et de son fils.

« Elle avait en permanence un surveillant sur les talons, se souvient une militante syndicale. Ça devenait de plus en plus pénible. On ne savait pas qu’elle recevait des menaces de mort, seulement qu’un homme avec une petite moustache la suivait lorsqu’elle prenait le train pour rentrer : il lui arrivait de changer de wagon. Elle n’allait pas bien, était à bout, faisait de l’hypertension ; ça se voyait. On se dit aujourd’hui qu’elle nous dissimulait, pour nous protéger, une partie de la vérité. Beaucoup, à son travail — surtout des surveillants — disaient qu’elle était folle. Ils étaient parvenus à la culpabiliser. Elle pensait peut-être que personne ne la croirait. »

Le 26 novembre 2008, elle rencontre le journaliste belge Jacky Delorme, missionné par le Bureau international du travail. Sur l’enregistrement, la voix de Konstantína déclare distinctement : « Ils me disent qu’ils vont me tuer. »

L’interview, se souvient Delorme, n’a pas été réalisée sans mal car « elle pensait être surveillée ». Il termine l’entretien, prend discrètement une photographie d’elle à la station de Maroússi avant de partir poursuivre son enquête dans d’autres pays. La référence aux menaces ne retient pas davantage l’attention du traducteur de l’entretien, spécialiste du droit du travail :

« Je n’y ai pas fait plus attention que ça car c’était quelque chose qu’elle répétait souvent. Je n’ai pas cru qu’ils oseraient s’attaquer à une syndicaliste. Nous ne sommes pas en Colombie, me disais-je. »

Le 6 décembre 2008, Alèxandros Grigorópoulos, 15 ans, est tué sous les yeux de son meilleur ami, Níkos Romanós, qui l’avait invité pour sa fête à boire un coup dans le quartier d’Exárcheia. Alèxandros est assis sur un plot au moment où la balle tirée par un policier l’atteint à la poitrine. Une foule où on note pour la première fois la présence de très jeunes adolescents se déverse dans le centre d’Athènes, prenant pour cibles les vitrines, les guichets bancaires et les commissariats, enflammant voitures et poubelles. L’émeute durera un mois et marque un moment de cassure.

Le 23 décembre, Konstantína revient chez elle de nuit, comme à son habitude, dans le quartier d’Àno Pètrálona. Aux pieds de son immeuble, elle aperçoit un homme appuyé à un mur et qui semble être pris d’un malaise. Elle s’approche de lui pour lui venir en aide. L’homme se retourne, projette en direction de son visage le contenu d’une bouteille, l’immobilise, l’oblige à avaler le reste du liquide puis prend la fuite. La scène, se souviendra-t-elle dix ans plus tard, dure « deux ou trois secondes ». Elle tente de poursuivre l’agresseur, d’apercevoir son visage, de noter le numéro de la mobylette sur laquelle il s’éloigne. Les premiers témoins rapportent qu’elle parle encore mais que des lambeaux entiers se détachent de sa peau. Des voisins balancent un tuyau par-dessus un balcon, descendent, l’aspergent d’eau, l’entourent d’une couverture. On attend l’ambulance.

Sa mère, Èlèna, est confrontée en arrivant à l’hôpital au milieu de la nuit à un visage détruit.

Dans les jours qui suivent, elle décline la demande des journalistes qui souhaitent publier des photographies de sa fille : « Cela ne fera qu’attiser la haine. »

Lors de la manifestation organisée aux Propylées par les syndicats de base, le jeudi 22 janvier 2009, Èlèna marche en tête de cortège derrière une banderole qui réclame la fermeture des « entreprises esclavagistes ».

Delorme, bouleversé, envoie ses enregistrements aux médias grecs en leur enjoignant de les publier : « Je pensais qu’elle exagérait. » La police, de son côté, s’évertue à présenter l’attaque comme un crime passionnel, passe au crible sa vie personnelle à la recherche de l’amant éconduit qui aurait cherché à attenter à ses jours — pratique comparable à celle qui suivra l’assassinat de Zak, activiste LGBTQI, en septembre 2018 [4].

Amnesty International dénonce le caractère lacunaire et partial de l’enquête. Selon son avocate, plusieurs témoins cruciaux n’ont pas été interrogés ou l’ont été à la va-vite. Dans un entretien accordé 9 ans après les faits, Konstantína dira :

« L’enquête a été close précipitamment. Les enregistrements des caméras de surveillance n’ont pas été examinés, aucun prélèvement biologique n’a été effectué, les appels téléphoniques et les comptes bancaires de suspects n’ont pas été contrôlés. »

Le propriétaire d’OIKOMET, qui dirige également une société de surveillance, se tait.

Konstantína est hospitalisée au neuvième étage de l’hôpital Evanguèlismos et communique avec le monde extérieur par l’intermédiaire de notes manuscrites, souvent destinées aux femmes du syndicat, qu’elle transmet à sa mère. Sur un bout de papier qu’elle griffonne alors qu’elle est encore en soins intensifs, elle indique la couleur du vêtement d’hiver que portait son agresseur : gris. Une note à l’intention de journalistes porte simplement les mots : « J’ai vu. »

Elle ne disparaît pas.

Elle a presque perdu la vue — aucune vision d’un œil, moins de 30% de l’autre.

Plusieurs opérations lui permettent peu à peu d’améliorer son état, mais son œsophage est détruit et elle respire difficilement. Les cordes vocales ont été atteintes ; sa voix porte jusqu’à aujourd’hui les marques de l’attaque.

Les premières interventions de chirurgie plastique donnent forme à un semblant de visage ; les médecins l’invitent à ne pas en espérer plus. Le fait qu’elle ait survécu et que les fonctions corporelles essentielles aient pu être rétablies tient déjà du miracle. En dépit de la reconnaissance qu’elle voue aux membres de l’équipe soignante de l’hôpital Èvanguèlismos, elle décide de poursuivre ailleurs sa lutte pour la réappropriation du visage.

« Amis inconnus » et collègues se relaient pour garder l’enfant et permettre à Èlèna de rendre visite à sa fille. L’enfant « sait presque tout », rapporte sa grand-mère. « Il reste silencieux et réfléchit. Il essaye de comprendre. »

Elle est soutenue au long de cette période par un immense mouvement de solidarité ; les fonds collectés lui permettront, en 2012, de s’installer en France, où une chirurgienne esthétique a accepté de poursuivre les soins.

Après la tentative d’assassinat dont elle a été victime, le gouvernement de l’époque précise en 2010 le cahier des charges auquel devront se tenir les sous-traitants [5] et annonce la création d’un registre des sociétés en infraction.

Mais les services de l’Inspection du travail ne sont pas renforcés et les entrepreneurs continuent de contourner la loi en intimidant les employé·e·s. D’autres mesures prises un peu plus tard leur seront par ailleurs favorables : la durée maximale d’emploi en continu d’une personne « prêtée » par une société de location de main-d’œuvre au même « employeur indirect » sera bientôt étendue de 12 à 36 mois.

Mémorandums

Les années 2010 – 2014 sont marquées par l’adoption de deux mémorandums qui, à la faveur de la crise de la dette, généralisent le démantèlement du droit du travail — et par une série de mobilisations et de scandales dans le secteur du nettoyage. Un dimanche de décembre 2010, Aziz Emad, ouvrier égyptien, perd la vie à la suite d’une chute dans l’enceinte du ministère du Travail, alors qu’il nettoyait des vitres. Les femmes de ménage d’un hôpital athénien découvrent que l’entreprise qui les employait ne leur doit pas d’indemnités de licenciement et qu’elles ne peuvent s’inscrire au chômage : l’employeur a fait d’elles, à leur insu, des actionnaires de la société. La nouvelle secrétaire de l’Union des employées de maison et de nettoyage dénonce la pression à laquelle sont soumises les femmes de service des hôpitaux sommées, pour pallier le manque de personnel, de passer « des toilettes aux cuisines puis aux salles d’opération ».

Suite à la publication d’un appel d’offres par le ministère de la Santé, la question de la transparence des appels d’offre, du clientélisme et de l’influence des « cartels » (groupements illicites d’intérêts entre grandes entreprises du secteur) est posée en septembre 2012. Loin d’être périphérique, la question de la sous-traitance met en cause le fonctionnement même des services de l’État, des municipalités et des collectivités locales, comme celui des partis : le personnel d’une société de sous-traitance est réquisitionné, un soir, pour faire la claque et remplir la salle d’un meeting où une personnalité de droite s’exprime.

Konstantína refait une apparition publique à Athènes au mois de mai 2014 pour soutenir l’occupation symbolique du ministère des Finances par les 595 femmes de ménage licenciées un an plus tôt [6].

On apprend qu’elle a porté plainte contre la société OIKOMET au titre des articles sur les accidents du travail, signifiant ainsi que son agression est indissociable des violences moins visibles ou de plus basse intensité qui caractérisent le secteur.

Elle se présente peu après aux élections européennes en tant que candidate indépendante associée au parti Syriza, et est élue — première femme immigrée d’un pays de l’Union à accéder à cette fonction. De 2014 jusqu’aux élections récentes, elle siège à Strasbourg au sein du groupe de la Gauche unitaire (GUE/NGL).

Les dossiers qu’elle défend sont liés à son expérience de femme, d’immigrée, d’employée du nettoyage, de mère et de personne handicapée. Rapporteuse devant la Commission des droits de la femme et de l’égalité des genres, elle porte un projet de résolution sur « les femmes employées de maison, auxiliaires de vie et gardes d’enfants » et est associée au rapport « pour une meilleure égalité des genres » dans le cadre des services de soins. Elle formule des propositions visant à rétablir l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, défend la création d’une plateforme européenne de lutte contre le travail non déclaré, promeut l’application au niveau européen de la Convention de l’ONU sur les droits des personnes handicapées et fait campagne en faveur d’une extension du congé maternité. Ses responsabilités lui permettent aussi de promouvoir l’interdiction de la vente libre d’acide sulfurique. [7]

Elle est confrontée aux limites de son mandat et à celles du Parlement qui, malgré une préséance toute protocolaire, dispose de pouvoirs législatifs moins importants que le Conseil de l’Union. Elle se conforme aussi à la discipline de parti — comme lors du vote de la directive européenne sur le droit d’auteur (mars 2019), ratifiée à Strasbourg en l’absence des députés grecs de Syriza, au grand dam de celles et ceux pour qui elle demeure une référence éthique, la seule figure peut-être de la « gauche radicale » ayant échappé au désaveu qui a suivi le revirement de juillet 2015.

Les gants jaunes

La fin de l’externalisation et l’embauche des employé·e·s de service par des contrats à durée indéterminée constitue un des engagements du gouvernement de « gauche radicale » élu en janvier 2015. Face au vide juridique dans lequel se déploient les pratiques du secteur, Pános Skourlètis, nouveau ministre de l’Emploi, déclare en avril 2015 que son administration s’apprête à « mettre en place des règles strictes, à interdire les pratiques illégales, à introduire une législation rétablissant les conventions collectives et à renforcer les mécanismes de contrôle, indépendamment des négociations en cours » — quelques mois avant que son gouvernement ne revienne sur le résultat sans appel du référendum de juillet et ne ratifie le troisième mémorandum.

Le 7 mai 2015, l’Union des employées de maison et de nettoyage adresse au gouvernement grec un ensemble de revendications articulées autour de l’intégration des personnels de nettoyage à la fonction publique. Ces revendications, qui se heurtent à une disposition centrale des mémorandums (le gel des embauches par l’État, les collectivités locales ou les organismes de droit public), sont en phase avec les efforts alors déployés par ce gouvernement pour libérer le marché du travail local du carcan des politiques d’austérité (négociations à l’Eurogroupe) et seront reprises par l’ensemble des collectifs de la période.

Les mobilisations de « gants jaunes » ne sont pas freinées par le tournant « réaliste » du gouvernement Tsípras : lutte des employées de nettoyage du ministère du Travail, grève et fondation du syndicat des employées chargées de l’entretien des bus, mobilisation dans les hôpitaux Sismanógleio, Metaxás et Dromokaïteio, soutien des enseignants et des agents administratifs de l’Université Capodistrienne au personnel de la société MyServices, lutte des employées de ménage des écoles publiques et de l’école Polytechnique, campagne en faveur de la libération d’une femme de ménage condamnée à 10 ans de prison pour avoir déclaré un niveau scolaire supérieur d’une année au sien.

Les employées de nettoyage, souvent impayées depuis des mois, dénoncent les ponctions arbitraires de salaire, l’obligation qui leur est faite de nettoyer toujours plus de véhicules ou de mètres carrés, l’absence de gants, de masques, de blouses et de chaussures de travail et même de sacs poubelle pour collecter les déchets, l’insuffisance des contrôles, l’absence de droits au chômage, le manque de formation et de prévention, l’indifférence et l’inaction des donneurs d’ordre. Elles constatent qu’un abîme les sépare de ces derniers (« Comment ce responsable pourrait-il comprendre ce que signifie de ne pas être payée pendant 4 mois ? Son salaire à lui n’est pas de 450 euros. Nous vivons dans des mondes entièrement différents… ») et témoignent de l’invisibilisation particulière qui découle de la sous-traitance :

« Tandis que les sociétés auxquelles l’ouvrage est sous-traité changent, les travailleuses qui nettoient les bus restent les mêmes. Nous sommes nombreuses ici à nettoyer depuis 15 ans les bus d’une entreprise de transports dont nous ne faisons pas partie. »

Cette invisibilisation se traduit fréquemment par la non-reconnaissance des années travaillées.

Leurs actions sont à plusieurs reprises réprimées par les forces de l’ordre mais enregistrent aussi quelques victoires. Depuis l’attaque de décembre 2008, aucun gouvernement — a fortiori de « gauche radicale » — ne peut sans risques réprimer les luttes des employées du nettoyage. En 2016, le financement de l’entretien des écoles publiques est rehaussé de 18%. Les employées du nettoyage du ministère du Travail sont réembauchées par l’État à l’issue de la convention de sous-traitance. La femme de ménage de Vólos est libérée au bout de quelques jours et la décision à son encontre finalement annulée par la Cour de cassation.

La loi 4430/2016, qui autorise l’État et les personnes morales de droit public à conclure des contrats individuels à durée déterminée dans « des circonstances exceptionnelles, imprévues et urgentes » et en présence « de dysfonctionnements graves affectant l’attribution et l’exécution des marchés publics » est la première mesure prise par le gouvernement Syriza en matière de sous-traitance. Son application est aussitôt bloquée par les entrepreneurs du secteur, qui contestent en justice les embauches décidées par les conseils d’administration de deux hôpitaux publics.

L’affaire est portée devant le Conseil d’État grec puis devant la Cour de justice européenne, qui conclut le 25 octobre 2018 que ces contrats peuvent être « exclus du champ d’application » de la directive européenne en vigueur sur la passation des marchés publics. L’arrêt rappelle cependant que ces contrats ne pourront être transformés en contrats à durée indéterminée et que cette exclusion ne constitue donc pas une entorse au cadre mémorandaire (« l’impossibilité de créer des postes statutaires conformément à l’article 103, paragraphe 2, de la Constitution, en raison de la crise économique en Grèce et des engagements internationaux de celle-ci »). L’affaire est indicative des biais que le gouvernement en exercice doit emprunter pour contourner l’esprit et la lettre des mémorandums et de l’étroitesse de sa marge de manœuvre.

la singularité de Konstantína est de se trouver, tout au long de cette période, des deux côtés, au plus près de la faille qui traverse la gauche

En 2018, 260 femmes de ménage — dont la plupart travaillaient jusqu’alors pour la société de sous-traitance locale — intègrent l’hôpital Evanguèlismos, le plus grand du pays. Le changement de statut marque une amélioration nette de leurs salaires et de leurs conditions de travail.

Si elles obtiennent l’assurance orale que leur contrat sera renouvelé au bout de 12 mois, le gouvernement renvoie à plus tard la création de postes à durée indéterminée tout en faisant de leur embauche un cas emblématique de sa capacité à changer les choses et à rester fidèle à ses promesses initiales : l’heure est venue, pour le gouvernement Tsípras, d’envoyer des signes à la « majorité sociale ». Mais ce nouveau cadre, circonscrit au secteur public, n’est appliqué que partiellement, essentiellement dans des unités dépendant du ministère de la Santé, et dépend largement de décisions prises par les conseils d’administration de chaque établissement ; précaire, il est à la merci d’un changement de majorité. Les mémorandums, eux, sont sanctuarisés par des lois-cadres et des articles constitutionnels.

La question de la fin de la sous-traitance se pose dans de nombreux autres domaines liés à l’administration publique ou relevant du privé : dans les transports, l’université, la construction routière, le tourisme — qui ne réunit pas moins, selon une organisation syndicale du secteur, de 14 formes d’emploi précaire —, l’énergie, les banques — où les exemples de travail dissimulé sont légion —, la téléphonie, les compagnies pétrolières mais aussi les ports, comme celui du Pirée, dont la privatisation a été parachevée par le gouvernement en place, ou les aéroports : l’énorme majorité des employé·e·s présent·e·s à l’aéroport d’Athènes travaillent eux aussi pour des sous-traitants. Si la fin du mandat de la « gauche radicale » est marquée par une baisse des chiffres du chômage, elle voit aussi une recrudescence de l’emploi précaire [8], une augmentation du nombre de travailleurs pauvres et une augmentation des accidents du travail. [9]

Le projet de loi soumis à l’Assemblée en mai 2019 a pour ambition proclamée de corriger certaines des mesures austéritaires les plus injustes en matière de droit du travail et de réaffirmer l’existence d’une ligne de démarcation — entre « droite et « gauche » — devenue indiscernable sur la question de la dette, du modèle de développement ou en matière de politique étrangère. [10] Comme l’affirme la ministre en charge du projet, la question des droits du travail est celle qui, à l’approche des élections, pourrait permettre au gouvernement Tsípras de rappeler sa différence. Trop tard : la loi est votée à quelques jours des scrutins européens, régionaux et municipaux de mai 2019 qui voient le parti au pouvoir subir une défaite écrasante.

Malgré quelques dispositions positives (mesures techniques en faveur des livreurs-coursiers, mesures plus substantielles sur les salaires impayés [11] et les heures supplémentaires, « coresponsabilité » du donneur d’ordre et du sous-traitant, renforcement des services de l’Inspection du travail [12]), la stratégie du gouvernement qui, au bout de quatre ans d’exercice, prétend que « tout commence aujourd’hui » suscite plus de perplexité, d’incrédulité ou de colère que de reconnaissance ; difficile d’oublier que ce même gouvernement a, un peu plus d’un an auparavant, fait voter des mesures restreignant drastiquement le droit de grève au niveau des syndicats d’entreprise et vient de refuser que les employé·e·s de la sous-traitance puissent être couvert.e.s par la convention collective de branche à laquelle leur activité devrait les rattacher.

La démarche consistant à articuler l’action gouvernementale en deux temps contradictoires, dissociés ou désaccordés (un premier consacré à la signature et l’application des plans d’austérité, un second consacré à la « défense du monde du travail » et des plus précaires) ne convainc pas. Ce qui manque, entre le premier et le deuxième temps du gouvernement Tsipras, ce qui a disparu, c’est la dimension même de la rupture — comme si le gouvernement grec feignait de se persuader que la « défense du monde du travail » pouvait se passer du conflit, voire résulter de l’application des « programmes d’aide » européens.

La singularité de Konstantína est de se trouver, tout au long de cette période, des deux côtés, au plus près de la faille qui traverse la gauche ; députée européenne associée au parti Syriza, elle continue de se définir comme une syndicaliste immigrée et confie qu’elle souhaite maintenir le lien entre « ceux qui sont restés » et « ceux qui sont partis » — réparer les blessures.

Strasbourg, Bruxelles, Athènes, Paris

Entre Strasbourg, Bruxelles, Athènes et Paris, son action se développe désormais sur trois plans : celui d’une politique de parti et de groupes, avec ses concessions, ses alliances, sa bureaucratie et son isolement singulier, à l’échelle supranationale et dans le contexte inédit créé par la capitulation de l’été 2015 ; celui du procès en cours et d’une exigence de réparation symbolique ; celui de la réhabilitation au point le plus intime de l’identité et du corps : le visage à restaurer, à récupérer, à soigner, opération après opération — plus de 30.

En juillet 2013, le tribunal de première instance du Pirée condamne les responsables de l’ancienne OIKOMET à lui verser une indemnité de 250 000 euros. La tentative de meurtre est reconnue comme un accident du travail et la société sous-traitante taxée de « négligence » pour avoir refusé de prendre en compte ses cris d’alarme répétés. Le jugement de première instance est annulé en février 2016 par la Cour d’appel du Pirée qui la somme de rembourser les sommes déjà perçues. Elle porte l’arrêt devant la Cour de Cassation qui confirme le jugement d’appel ; elle décide alors de saisir la Cour européenne des droits de l’homme.

« Je me bats, déclare-t-elle neuf ans après les faits, pour qu’aucun patron ne puisse plus menacer ses employées en leur disant : Souvenez-vous de ce qui est arrivé à Koúneva. »

Le fait est que ces menaces, proférées à l’hôpital psychiatrique Dromokaïteio en juillet 2014 ou, autour de 2016, dans l’enceinte de la Cité universitaire, sont devenues monnaie courante.

Dix ans après les faits, elle confie qu’elle commémore chaque année le 23 décembre comme « le jour où j’ai survécu ; j’aurais pu ne jamais atteindre 55 ans, j’aurais pu perdre la vie il y a 10 ans. »

L’auteur de l’agression n’a pas été identifié. « Le mal dont je souffre est visible, dit-elle, celui dont il souffre est invisible. Je suis certaine que cette histoire le tourmente plus que moi ». Elle note : « Ce qui m’est arrivé aurait pu se produire dans n’importe quel pays. » Elle se souvient de la mobylette et « des vêtements du jeune homme », en employant une expression typiquement grecque et étrangement tendre. [13] Elle s’efforce de décrire ses difficultés sensorielles : ayant perdu l’essentiel de sa vision, il lui faut faire effort pour comprendre son environnement ; elle ne sait pas toujours d’où viennent les sons. Son sens du goût et son sens du toucher ont été considérablement réduits. Elle ne peut avaler qu’un petit nombre d’aliments, et toujours avec peine. Elle dort assise dans un fauteuil ou sur une chaise pour éviter que les sucs gastriques ne l’étouffent. Elle se sent plus forte quand elle marche. Elle doit encore, dit-elle, « s’apprendre elle-même » : « J’observe mon corps, j’apprends à le diriger. »

La musique l’accompagne. Elle écoute du disco, de la musique classique, des chorales et du jazz dans le train qui la conduit à Strasbourg. Elle danse un peu le matin en guise de gymnastique. Elle déclare élever son fils « avec humour, comme j’ai grandi moi-même. » Elle ne croit pas en Dieu mais « en la nature ». « Nous faisons tous partie d’elle ; nous y avons tous la même part. »

« Konstantína, tu n’es pas seule » : la phrase de décembre 2008 réapparaît ces jours-ci, au lendemain du scrutin qui voit le parti au pouvoir perdre une grande partie de ses sièges à la tête des régions et des villes et subir un net recul au Parlement européen. Konstantína n’est pas reconduite. Dans un tweet publié le 28 mai dernier, un responsable du parti de droite Nouvelle Démocratie déclare après l’annonce de sa défaite que cette nouvelle tombe à pic, qu’il cherchait justement une boniche — les mots « je cherche une femme », Ψάχνω γυναίκα, sont en grec d’une violence presque invisible, tant elle est quotidienne ; « une femme », dans ce contexte, c’est « une femme de ménage » — inutile de le préciser.

en Grèce, les luttes des employé·e·s de la sous-traitance continuent

Le fait que cette agression verbale intervienne au lendemain de sa défaite, à un moment où Konstantína peut doublement apparaître comme une « femme battue », ne doit rien au hasard.

Un ami écrit peu après :

« Hier soir, dans le centre d’Athènes, j’ai dépassé Konstantína Koúneva. Elle était seule et marchait tout près de l’endroit où l’agression contre elle a eu lieu. Il y avait de la solitude dans cette image. Le fait que quelqu’un ait pu tenir sur elle aujourd’hui des propos orduriers n’a aucune importance ; ce qui compte, c’est qu’elle était debout. »

La citoyenneté grecque lui a été accordée par décret en décembre 2018. La cérémonie a lieu à Athènes le 31 mai 2019, quelques jours après les élections, dans un petit bureau : « Les événements les plus importants ont parfois lieu dans les lieux les plus humbles », note-t-elle. Au moment de prononcer les 24 mots du serment, les personnes présentes se touchent l’une l’autre à l’épaule.

De 2008 jusqu’à ces derniers jours, elle s’est constamment efforcée de contourner le statut d’héroïne, d’icône, de femme exemplaire, de mère courage ou de victime médiatisée auquel beaucoup ont voulu l’assigner et de déjouer les pièges d’une visibilité et d’une exposition imposées. Cette position émerge dès ses premières prises de paroles, quelques semaines après l’attaque : l’attention du public ne doit pas se concentrer sur elle ni sur la cruauté inédite de l’attaque mais sur le sort commun des femmes qu’elle représente. Elle ne veut pas plus, selon ses propres mots, devenir un emblème qu’un repoussoir ; elle cherche à définir elle-même sa propre place. La lutte consiste toujours à « reprendre le contrôle de sa vie ». Inutile d’être d’accord en tous points avec elle et avec son action pour percevoir qu’elle a ainsi donné à la représentation politique une vérité et une consistance singulières.

En juillet 2018, Danièla Prèlorèntzou, 62 ans, qui travaillait pour la municipalité de Zográfou, à l’Est d’Athènes, « une municipalité de gauche », a perdu connaissance au lendemain de la grève des éboueurs, dans le local réservé au personnel de nettoyage, et n’est pas revenue à elle.

En Grèce, les luttes des employé·e·s de la sous-traitance continuent.

Dimitris Alexakis, 5 juillet 2019 // première publication: Vacarme, édition en ligne, 6 juillet 2019

Notes

[1] Konstantína Koúneva, Dix ans après

[2] https://www.inegsee.gr/ekdosi/OiErgasiakesSxeseisstonKladotoyKatharismoy/

[3] Confédération générale des travailleurs de Grèce (secteur privé).

[4] https://vacarme.org/article3181.html

[5] Nombre d’employé·e affecté·e·s sur chaque chantier, jours et heures de travail, montant des salaires et des cotisations sociales, surface dévolue à chaque employé·e, bénéfice escompté.

[6] Leur réintégration sera une des mesures-phares du gouvernement Syriza élu en janvier 2015.

[7] Lire aussi la Pétition n° 0368/2015, présentée par Patricia Lefranc, de nationalité belge, sur l’interdiction de la vente d’acide sulfurique (vitriol) aux particuliers.

[8] L’emploi à temps partiel, de 5% avant la crise, dépasse aujourd’hui les 25%.

[9] L’année 2017 constitue une année record pour les accidents du travail ; 7 357 — chiffre le plus élevé depuis 2000 —, dont 76 mortels.

[10] Accords de « coopération stratégique » avec le gouvernement d’extrême-droite de Benyamin Netanyahou.

[11] Mais qui ne s’appliquent qu’aux petites et moyennes entreprises et laissent hors champ les grandes entreprises anonymes et leurs actionnaires.

[12] Conséquent si on se réfère à la destruction de l’Inspection du travail opérée par les gouvernements précédents, insuffisant eu égard à la situation du marché du travail après 8 ans de crise et de programmes d’austérité…

[13] Τα ρούχα του παιδιού signifie, littéralement, « les vêtements de l’enfant ».

Source https://oulaviesauvage.blog/2019/07/28/travail-nom-feminin/?fbclid=IwAR0y8qndjZ30lyoH8KVhQhmJT0R7Nc94zK5Dk3I0EaV0AQsnWPMy88P-dkY

Ballon gonflable pour surveiller les migrants

Zeppelin sur l’île de Samos pour surveiller le trafic de migrants

Les autorités grecques et le Frontex vont lancer un énorme Zeppelin au-dessus de l’île de Samos afin de surveiller les migrants qui tentent illégalement d’atteindre la Grèce et l’Europe. L’installation du ballon menaçant sera certainement une attraction grotesque pour les touristes qui visitent l’île dans l’est de la mer Égée.

Le vice-ministre des Politiques migratoires, Giorgos Koumoutsakos, a déclaré à la télévision privée ANT1 que le Zeppelin entrerait en service la semaine prochaine.

«À Samos, je pense que dans quelques jours ou une semaine, un ballon Zeppelin sera installé en coopération avec FRONTEX, qui prendra une photo d’un vaste espace. Qu’est-ce que ça veut dire? Tout d’abord, vous savez à quelle heure le bateau s’éloigne des trafiquants, vous informez la partie turque, vous vous approchez, c’est un ensemble d’actions », a déclaré Koumoutsakos.

Le Zeppelin sera surveillé par l’unité radar GNR du Frontext située dans le port de Karlovasi, note Samiakienimerosi , ajoutant: «Cela donnera une image des mouvements de la côte turque à Samos pour une protection plus efficace de nos frontières maritimes. »

Le vice-ministre n’a pas précisé ce que l’autorité portuaire grecque pouvait faire exactement quand elle « s’approchait » des bateaux de réfugiés et de migrants.

Selon le quotidien efimerida ton syntakton, l’ONG norvégienne Aegean Boat Report a révélé une vidéo tournée le 17 juillet. Cette vidéo montre comment un navire des garde-côtes grecs s’approche d’un bateau avec 34 personnes à bord et les laisse au grand large  » recueillies »par les autorités turques, tandis que les passagers, dont 14 enfants, criaient désespérément » Pas en Turquie! « 

Vidéo: tourné le 17 juillet 2019 – sud-est de l’îlot Agathonissi – les migrants sont arrêtés par les garde-côtes turques

Il est difficile de savoir si le navire des garde-côtes grecs se trouve dans les eaux internationales, car il ne pénètre pas dans les eaux territoriales turques. Selon le droit international, les passagers doivent être sauvés. Les garde-côtes grecs ne se sont pas encore prononcés sur la question, affirmant qu’ils devront d’abord évaluer la vidéo, note Efsyn .

«Il n’y a pas de refoulement. Tout se fera conformément au droit international. La Grèce ne fera rien au-delà du droit international », a souligné Koumoutsakos.

PS Je suppose que les touristes seront encouragés à faire surveiller leurs activités de vacances par un Big Brother en plastique. N ‘est-ce pas?

La Grèce utilisait pour la première fois un Zeppelin pour des raisons de sécurité lors des Jeux olympiques de 2004.

Source https://www.keeptalkinggreece.com/2019/07/26/zeppelin-samos-migrants-refugees/

 

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