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À propos des retraites et de notre force collective en cas de crise financière

par Aline Fares 

Pourquoi le gouvernement français s’acharne-il à imposer cette transformation radicale du système de retraite alors que personne n’en veut ? La journaliste Martine Bulard dans un récent article [1] et le philosophe Jacques Rancière dans une déclaration aux cheminots grévistes [2] donnent une même réponse : “ils veulent qu’il n’y ait plus que des individus”, en d’autres termes, il s’agit principalement de pousser chacun.e à penser sa retraite comme un choix individuel, et de « briser le collectif ». Il y a bien sûr aussi (surtout ?) “les financiers en embuscade” (on a nommé Black Rock qui est emblématique, mais c’est tout l’appareil financier qui se lèche les babines). C’est d’ailleurs dans ces moments où l’on prend le point de vue des puissants et des financiers que tout devient plus clair, que tout ce qui semblait incompréhensible devient logique. Mais il y a autre chose : ces nouvelles avancées du pouvoir vers une destruction du système de retraite par répartition pourraient rendre encore plus difficiles nos choix collectifs en cas de crise financière.

  Sommaire
  • Refuser la construction d’une nouvelle “alternative infernale”
  • Se garder une marge de manœuvre pour le jour où les marchés s’effondreront

 Refuser la construction d’une nouvelle “alternative infernale”

Dans leur ouvrage “La sorcellerie capitaliste”, Isabelle Stengers et Philippe Pignarre nomment “alternatives infernales” “l’ensemble de ces situations qui ne semblent laisser d’autre choix que la résignation (…)” [3]. Une opération de “capture sorcière”.

Comme l’a dit F. Fillon (pas exactement notre allié dans l’affaire, mais bon, pour une fois …), “la retraite par point permet une chose (…) : de baisser chaque année la valeur des points et donc de diminuer le niveau des pensions”. Voilà qui est clair. Et voici ce que cela produit : la perspective d’une retraite insuffisante nous pousse à être toujours plus prévoyant.e.s, individuellement, chacun.e depuis notre place… et si on le peut. Constituer un petit pactole, sous la forme d’un plan d’épargne-pension, comme on les nomme en Belgique. Cela devient un moyen (légitime, ce n’est pas la question) de se rassurer, de se dire que non, ces années qui suivront de longues années d’emploi ne seront pas juste une peine.

Les plans d’épargne-pension ainsi constitués font les choux gras des compagnies d’assurances et des banques qui les vendent, et on peut dire que le secteur financier doit une fière chandelle aux états : en Belgique, par exemple, l’épargne-pension, qui peut paraître incontournable dans bon nombre de situations faute de mieux (travailleur.euse.s indépendant.e.s, artistes, etc.), est aussi allègrement promue par une fiscalité avantageuse. Une petite visite sur des sites des lobbys du secteur permet de constater que ceux-ci ne s’en cachent pas : sans cette fiscalité, la rentabilité de leur activité prendrait un sérieux coup. En somme, les profits de ces banques et assurances sont pleins d’argent public – et c’est loin d’être le seul cas…

Mais il n’y a pas que des revenus de ces banques, assurances et autres fonds dont il faut se préoccuper. Car que se passe-t-il avec cet argent que nous mettrions dans un tel fond chaque mois, chacun.e de notre côté ? Que se passe-t-il avec cet argent qui – contrairement à la cotisation – ne sert pas à payer simultanément les retraites de ceux et celles qui ont cotisé pendant toutes leurs années de travail mais sert à alimenter les fonds et assurances-retraite qui sont ensuite gérés en notre nom ? On connaît la réponse : ils se baladent sur les marchés financiers.

Là où la retraite par répartition créé de la solidarité entre générations, entre actifs et inactifs, les fonds de pension créent un nouveau type de rapport social organisé autour d’une alternative infernale produite de toutes pièces (I.Stengers & P. Pignarre)

Les entreprises et individus en charge de la gestion de ces fonds prennent des décisions, chaque jour, pour “placer” ces masses colossales d’argent récolté. Ils les investissent dans des produits financiers divers : actions (part de capital d’une entreprise), obligations (part de dette d’une entreprise, d’un état, de particuliers), et autres fantaisies financières diverses et variées. Que se passera-t-il alors le jour où les marchés flancheront ?

C’est à cet endroit que l’on constate cette “emprise sorcière” que Stengers & Pignarre tentent de nous rendre visible dans leur livre : on sait que les marchés financiers nous font mal (licenciements boursiers, investissements dans les fossiles et autres pratiques destructrices, coût des crises financière, pour ne prendre que ces quelques exemples) et on peut se prendre à rêver à leur disparition, et pourtant “nous” pourrions bien en devenir une partie dès lors qu’une partie de notre retraite s’y trouve embarquée. Nous voilà coincé.e.s.

En cas de crise financière et donc de risque de dévalorisation des fonds et autres produits d’assurances investis sur les marchés financiers, les personnes qui auront souscrit à ces produits censés leur “garantir une retraite” convenable se retrouveront devant un terrible dilemme – une alternative infernale :

  • soit maintenir leurs “droits” et au passage, défendre des intérêts qui ne sont pas les leurs en maintenant en place un système financier qui profite à une minorité, nourrit les inégalités et détruit le vivant ;
  • soit abandonner ces “droits” et se retrouver avec le minimum garanti par ce qu’il resterait alors du système de retraite par répartition.

Et que se passerait-il alors ?

 Se garder une marge de manœuvre pour le jour où les marchés s’effondreront

Les questions que je me pose aujourd’hui peuvent se résumer ainsi : nos parents nous trahiront-ils le jour où les marchés flancheront de nouveau ? La “classe moyenne” dont on ne sait plus bien ce qu’elle comprend abandonnera-t-elle tou.te.s les autres ? Ceux et celles qui auront pu se constituer un petit pactole via les institutions financières soutiendront-ils un sauvetage massif du système bancaire et financier au nom de leurs retraites, et au prix de l’avenir des générations qui les suivent ? Se désolidariseront-ils de nous lorsque nous nous battrons pour que le coût de ces sauvetages bancaires ne nous soit pas imposé via de nouveaux plans d’austérité destructeurs, et pour que ces coûts soient imposées aux plus riches qui en ont largement les moyens ? Nous soutiendront-ils lorsque nous nous battrons pour restaurer une sécurité sociale digne de ce nom, qui nous permette d’abandonner ceux qui ont tout, et que nous voudrons enfin leur faire porter le coût de leurs violences ? Seront-ils prêts à courir le risque d’un inconfort passager, se mettront-ils à nos côtés, pour eux et elles aussi retourner dans ce système solidaire que constitue la retraite par répartition et dans les communs que nous reconquerrons ? Est-ce qu’ils y croiront, ou est-ce qu’ils se laisseront prendre par le discours du chaos qui ne manquera pas de tenter son retour : “si on ne sauve pas le système financier, TOUT va s’effondrer et il ne vous restera plus rien” ?

S’opposer au démantèlement des systèmes solidaires de retraite et de soins de santé, en France et ailleurs, empêcher coûte que coûte ce démantèlement, c’est se donner la possibilité de résister au discours du chaos et au gouvernement par la peur.

Alors oui l’heure est grave, et l’heure est à la grève, et il nous faut soutenir et amplifier, de là où nous sommes, le magnifique mouvement qui persiste en France.

Source : Chroniques d’une ex-banquière

[Le sujet des crises financières et d’une possible résolution socialement juste de ces crises est détaillé dans un précédent article intitulé “Prochaine crise financière: faire dérailler le scénario du désastre”, daté de Décembre 2019]
Notes

[1Article « Briser le collectif » paru dans Le Monde diplomatique de janvier 2020. Martine Bulard a aussi été interviewée par Là-bas si j’y suis suite à cet article, émission à écouter ici.

[3Citation complète, dans La sorcellerie capitaliste : pratiques de désenvoutement d’Isabelle Stengers et Philippe Pignarre, éditions La Découverte : Les alternatives infernales regroupent “l’ensemble de ces situations qui ne semblent laisser d’autre choix que la résignation (…) ou une dénonciation qui sonne un peu creux, comme marquée d’impuissance, parce qu’elle ne donne aucune prise, parce qu’elle revient toujours au même : c’est tout le système qui devrait être détruit”

Aline Fares 

Conférencière, auteure et militante.
Voir également sa page « Chroniques d’une ex-banquière »

Tribune inter-organisations pour la défense de l’hôpital public

Vous trouverez ci-joint la tribune unitaire pour la défense de l’hôpital public, cosignée par la Coordination Nationale des Comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité.

TRIBUNE UNITAIRE

Tribune inter-organisations pour la défense de l’hôpital public, des établissements de Santé et d’Action Sociale

Par cette tribune, les organisations signataires veulent alerter la population : l’hôpital public est exsangue et n’est plus capable d’assurer son rôle de service public,mettant en cause l’égalité d’accès, d’accueil et une prise en charge de qualité sur tout le territoire.
Aujourd’hui, des pans entiers de l’activité hospitalière et des établissements de santé et de l’Action Sociale s’effondrent et les réponses du gouvernement ne sont absolument pas à la hauteur des enjeux.

Depuis plusieurs mois, les professionnel.le.s tous métiers confondus de l’hôpital public et des établissements de Santé et de l’Action Sociale sont engagé.e.s dans un mouvement social afin d’exiger des pouvoirs publics les moyens nécessaires à une refondation du service public hospitalier, de notre système de Santé et d’Action Sociale. Parti de la mobilisation dans les EHPAD, suivi de celles des services des urgences, ce mouvement atteint aujourd’hui la totalité des secteurs d’activité des établissements du sanitaire, médico-social et social, exsangue après des années de restriction budgétaire.

Nous exigeons les mesures immédiates qui permettront d’endiguer l’hémorragie qui met en péril l’hôpital public, fleuron de notre système de santé, et les missions de services publics dans les autres établissements du sanitaire, médico- social et social :

• L’augmentation du budget consacré à l’hôpital au moins égal à l’évolution naturelle des dépenses (4,4%) ; Il faut un correctif budgétaire sur l’ONDAM dans la loi de la sécurité sociale allant dans ce sens ;

• La reconnaissance et la revalorisation générale des carrières médicales et non médicales, notamment en début de carrière se traduisant par une augmentation salariale ;

• Le recrutement immédiat de professionnel.le.s supplémentaires et plan de formation pluridisciplinaire ;

• La reconnaissance de la pénibilité de nos métiers ;

• L’arrêt des fermetures de services, d’établissements et des réouvertures de lits, partout où cela est nécessaire ;

• Une gouvernance des hôpitaux, des établissements plus ouvertes aux professionnel.le.s , aux personnels et aux usagè.re.s ;

• L’égalité d’accès, d’accueil et de prise en charge de qualité pour la population sur tout le territoire.

Nous exigeons l’ouverture de véritables négociations sur l’avenir de l’hôpital public et des établissements de Santé et de l’Action Sociale avec le Premier Ministre et le Président de la République, seuls capables de débloquer la situation afin de sortir de la crise actuelle.

Les organisations, professionnel.le.s et personnes signataires de cette tribune réaffirment aujourd’hui leur volonté d’avancer ensemble avec au cœur de leurs préoccupations d’assurer la qualité et la sécurité d’accueil, d’accompagnement et de soins de nos concitoyens, cela passe par des nécessaires mesures d’améliorations des conditions de travail de tous les personnels et la prise en compte des besoins de la population .

Elles appellent à une nouvelle journée de grèves et de manifestations le 14 février 2020 pour que le gouvernement réponde concrètement par des actes forts, aux exigences d’ouvertures urgentes de négociations .

En formt pdf tribune_hopital_etablissements_de_sante_et_action_sociale_26500_2

Source http://www.outilsdusoin.fr/

Lesbos : les incidents graves du 3 février 2020

[Migreurop] Lesbos, Grèce: incidents graves lors d’une marche de protestation de demandeurs d’asile

Des incidents graves ont marqué la marche de protestation de deux mille réfugié-e-s, des afghans pour la plupart, qui sont partis ce lundi matin de Moria pour se diriger vers Mytilène, chef-lieu de l’île de Lesbos. La marche de réfugié-e-s qui protestaient contre leur confinement géographique et contre la nouvelle loi sur l’asile qui permet l’examen prioritaire des demandes des nouveaux arrivants, en laissant en attente celles des plus anciens, a été arrêtée par la police qui a fait un usage disproportionné de gaz lacrymogène et a bloqué la route afin d’empêcher les manifestants d’arriver en ville. Un groupe a pu continuer en contournant la route par les collines et quelques-uns ont mis le feu aux champs environnants. Les incidents se sont reproduits à la hauteur du camp de Kara-Tépé où les policiers ont inondé le campement de gaz lacrymogènes, au point de rendre nécessaire l’évacuation du camp des familles qui y résidaient.

Lors de leur arrivée au port, les réfugiés y ont érigé des tentes, tandis qu’un autre groupe s’est dirigé vers le théâtre municipal de Mytilène pour y réclamer leur transfert vers le continent. Le mot ‘Liberté, Freedom, Azadi’ était présent dans tous les panneaux improvisés de demandeurs d’asile.

A ce jour 19.574 personnes s’entassent dans des conditions inhumaines dans le camp de Moria et ses alentours, un camp dont la capacité d’accueil atteint à peine 3.000. 1.150 d’entre eux sont des mineurs isolés. Des milliers de personnes obligées de camper dans la jungle d’oliveraies qui entoure le camp, sont toujours privés d’électricité,  de chauffage et d’eau courante.

sources en grec https://www.efsyn.gr/ellada/dikaiomata/229678_eleytheria-zitoyn-oi-prosfyges-sti-moria et

https://www.stonisi.gr/post/6677/ladi-sth-fwtia-oi-shmerines-diadhlwseis-pics avec un photoreportage

Grèce: Amnesty appelle à une action urgente

Grèce: Les personnes demandeuses d’asile et les enfants de personnes migrantes doivent bénéficier de soins de santé

Depuis juillet 2019, les personnes en quête d’asile et les enfants de personnes migrantes en situation irrégulière ne peuvent accéder au système de santé publique en Grèce. Une loi relative à l’asile introduite en novembre a réglementé la question, mais les mesures d’application font toujours défaut, ce qui met en danger la vie et la santé de milliers d’enfants et d’adulte

PASSEZ À L’ACTION : ENVOYEZ UN APPEL EN UTILISANT VOS PROPRES MOTS OU EN VOUS INSPIRANT DU MODÈLE DE LETTRE CI-DESSOUS ou ici EUR2516832020FRENCH
COMPLEMENT D’INFORMATION

La Grèce est l’un des principaux pays d’accueil des personnes demandeuses d’asile, réfugiées et migrantes qui viennent en Europe. Depuis 2015, avec l’augmentation des flux migratoires et les effets persistants de la crise économique, les systèmes grecs d’asile et de protection sociale sont constamment sous pression. Les efforts consentis parla Grèce méritent d’être salués etil faut reconnaître que les politiques de l’UE n’ont pas apporté un soutien efficace. Cependant, les personnes demandeuses d’asile, réfugiées et migrantes qui se trouvent actuellement dans ce pays vivent souvent dansdes conditions extrêmement difficiles et, sur le long terme, n’ont pasou quasiment pas accès au système social ou à des possibilités d’insertion. Avec l’augmentation des arrivées par la mer à la mi-2019, la population des îles de la mer Égée a atteint un nombre record, avec 42041 personnes présentes au 6 janvier 2020, contre seulement 17 034le 6 juillet 2019. Malgré les efforts qu’a déployés le nouveau gouvernement pour limiter les arrivées et transférer les personnes vers le continent, les camps sont toujours marqués par la surpopulation et par des conditions de vie épouvantables.

En ce qui concerne l’accès aux soins de santé, la Loi grecque 4368 de 2016 (article 33) prévoit un libre accès aux services médicaux et pharmaceutiques pour les membres de « groupes sociaux vulnérables », dont font partie les personnes réfugiées et demandeuses d’asile et les mineurs, indépendamment de leur situation au regard dela loi, y compris les enfants non accompagnés et les enfants en situation irrégulière. En vertu de cette même loi, les personnes relevant de l’article 33 doivent avoir un numéro de sécurité sociale AMKA ») pour accéder à la gratuité des soins au sein du système de santé public. Depuis 2016, les personnes demandeuses d’asile et les autres membres de « groupes vulnérables » qui ne remplissent pas les conditions requises pour obtenir un AMKA ouqui n’ont pasce numéro ont droit à une carte de soins de santé pour étrangers K.Y.P.A ») leur donnant accès à des soins de santé gratuits au sein du système public. Toutefois, le processus d’attribution de la K.Y.P.A. est jusqu’ici resté non opérationnel.
Par une décision de juillet 2019, le ministère du travail a retiré la circulaire qui réglementait les conditions d’attribution de l’AMKA aux ressortissants non grecs. Depuis lors, aucune procédure n’a été mise en place pour accorder l’AMKA aux personnes demandeuses d’asile et aux enfants de personnes migrantes en situation irrégulière. En octobre, il a été annoncé qu’une nouvelle circulaire réglementerait leur situation, mais à ce jour, cette circulaire n’a toujours pas été publiée. Une nouvelle Loi relative à l’asile de novembre 2019 a tenté de remédier à ce problème, en prévoyant que les personnes demandeuses d’asile auraient accès aux soins de santé publics grâce à un « numéro temporaire d’assurance et de soins de santé pour les ressortissants de pays tiers » (PAAYPA). Cependant, les enfants de personnes migrantes en situation irrégulière et les personnes demandeuses d’asile non parvenues au terme de la procédure d’enregistrement de leur demande ne sont pas couverts par le PAAYPA. De plus, deux mois après l’adoption de la loi, le PAAYPA n’est pas encore opérationnel.
Des ONG telles que MSF et les médecins du système public font de leur mieux pour continuer à dispenser des soins de santé et compenser les insuffisances de l’État, mais ils n’ont pas les moyens nécessaires pour répondre à l’ampleur des besoins existants, et des cas graves continuent à être signalés. À Athènes, en novembre 2019, un Pakistanais souffrant d’un cancer n’a pas pu passer de scanner ni entamer une chimiothérapie parce qu’il n’avaitpas réussi à obtenir d’AMKA. Il a finalement pu commencer les traitements grâce à une décision de l’administration de l’hôpital auquel il avait accédé, qui lui a permis d’être soigné gratuitement à titre exceptionnel. Amnesty International a également été informée de plusieurs cas de personnes confrontées à ce type d’obstacles à Athènes et dans les îles de la mer Égée. (voir https://www.amnesty.org/en/documents/eur25/1213/2019/en/).En septembre 2019, Amnesty International s’est entretenue avec les médecins de deux personnes demandeuses d’asile (un homme et une femme) vivant avec le VIH et actuellement soignées dans un grand hôpital d’Athènes. Ils ont expliqué que ces personnes, si elles quittaient l’hôpital, ne pourraient pas avoir accès à leurs médicaments antirétroviraux, car elles n’avaient pas pu obtenir d’AMKA. L’une d’elles, N*, une demandeuse d’asile séropositive originaire d’un pays d’Afrique centrale, est soignée depuis mai 2019 pour une complication de sa maladie à la clinique de l’hôpital ; elle y suit une thérapie antirétrovirale et y a accès à d’autres médicaments essentiels. N* a déposé une demande d’asile mais s’est vu refuser un AMKA. Ses médecins ont essayé, sans succès, de lui trouver un hébergement ; ils craignent que N* ne se retrouve sans abri à sa sortie de l’hôpital et, faute d’accès à ses médicaments antirétroviraux et autres, ne voie son état s’aggraver. Elle n’est pas en mesure de payer des médicaments.
MSF a également signalé une détérioration de la situation dans ses centres de soins à Lesbos, Samos et Athènes, indiquant qu’entre juillet et novembre 2019, son centre de jour à Athènes avait connu une « forte augmentation du nombre de patients cherchant à se faire soigner sans AMKA : de 18 % des patients en janvier à 43 % en novembre ». L’organisation s’est aussi dite préoccupée par le fait que sa clinique de soins primaire ne pouvait dispenser des soins de longue durée ni des soins spécialisés. Les médecins, la société civile, le HCRetle médiateur grec ont appelé à plusieurs reprises les autorités grecques à remédier à la situation, sans réponse efficace. Lors d’une conférence de presse conjointe en décembre, MSF, Amnesty International, le Conseil grec pour les réfugiés (GCR) et ELEDA ont de nouveau exprimé ces préoccupations (voir ici – texte en grec : https://www.amnesty.gr/news/press/article/22824/prosklisi-se-koini-synenteyxi-typoy-gia-tin-prosvasi-stin-ygeia). Dernièrement, le vice-président de la Commission européenne chargé de la « promotion de notre mode de vie européen » a également abordé la question, exprimant son soutien à la recherche d’une solution.
L’ONG grecque Positive Voice, qui s’occupe de patients vivant avec le VIH, a appelé les autorités grecques à permettre aux personnes non grecques d’accéder à des médicaments antirétroviraux, soulignant qu« au cours des dix premiers mois de 2019, 43 % des nouveaux diagnostics de VIH en Grèce concernaient des réfugiés et des migrants (204 personnes) » et que « les services chargés des infections ne peuvent pas mettre de traitements antirétroviraux à la disposition des étrangers qui n’ont pas d’AMKA, ce qui met en danger leur santé et leur vie ».
LANGUE(S) À PRIVILÉGIER POUR LA RÉDACTION DE VOS APPELS : anglais et grec
Vous pouvez également écrire dans votre propre langue.
MERCI D’AGIR DANS LES PLUS BREFS DÉLAIS ET AVANT LE : 28 février 2020.
Au-delà de cette date, vérifiez auprès de votre section s’il faut encore intervenir.
Modèle de lettre
Ministre du Travail et des Affaires sociales
Giannis Vroutsis
Ministry of Labour and Social Affairs
29, Stadiou, PC 10110
Athens, Grèce
Courriel : ypourgos_erg@yeka.gr
Monsieur le Ministre,
Je vous écris au sujet du fait que la Grèce n’accorde toujours pas aux personnes demandeuses d’asile, aux enfants non accompagnés et aux enfants nés en Grèce de parents en situation irrégulière au regard de la législation sur l’immigration un accès sans entrave et gratuit aux soins de santé et aux mmédicaments au sein du système de santé publique.
Le droit grec accorde un accès gratuit aux services médicaux et pharmaceutiques aux membres de « groupes sociaux vulnérables », y compris les personnes réfugiées et demandeuses d’asile et les mineurs, quelle que soit leur situation au regard de la loi. Ce droit doit être appliqué par l’octroi d’un numéro de sécurité sociale (AMKA) ou, pour les personnes qui ne remplissent pas les conditions requises pour obtenir l’AMKA ou qui n’ont pas ce numéro, par l’attribution d’une carte spéciale de soins de santé pour étrangers (K.Y.P.A). Toutefois, depuis la décision de retirer la circulaire qui réglementait l’attribution de l’AMKA aux ressortissants non grecs en juillet 2019, aucune procédure n’a été mise en place pour délivrer ce numéro, et aucune solution n’a été proposée pour accorder un accès gratuit aux soins de santé aux personnes qui relèvent de ces catégories. En octobre, une nouvelle circulaire a réglementé
la situation des personnes reconnues en tant que réfugiées, mais pas celle des personnes demandeuses d’asile et des enfants de personnes migrantes sans statut régularisé. Le processus d’attribution des cartes K.Y.P.A est également resté nonopérationnel jusqu’ici. La nouvelle Loi relative à l’asile de novembre 2019 a proposé une solution de remplacement pour les personnes demandeuses d’asile, le « numéro temporaire d’assurance et de soins de santé pour les ressortissants de pays tiers » (PAAYPA).
Toutefois, cet instrument n’a pas été rendu opérationnel.
En conséquence, des milliers de personnes demandeuses d’asile, dont les quelque 50 000 personnes arrivées en Grèce depuis juillet 2019, ne peuvent de fait accéder aux soins et aux médicaments qui pourraient leur être nécessaires pour soigner des maladies graves et souvent chroniques. En outre, sans AMKA, elles peuvent rencontrer des difficultés pour accéder à d’autres services, notamment pour chercher un emploi et bénéficier d’une aide sociale. J’ai bien conscience du fait que depuis de nombreuses années, en raison du grand nombre d’arrivées de personnes en quête d’asile à ses frontières, la Grèce est soumise à une pression considérable alors que le reste de l’Europe ne fait pas sa juste part. Toutefois, cette situation met en danger la santé et la vie des personnes et constitue une grave violation du droit à la santé internationalement reconnu, que la Grèce est tenue de respecter en vertu du droit national, international et européen.
Compte tenu de ce qui précède, je vous prie instamment de prendre des mesures sans délai pour que les personnes demandeuses d’asile, les enfants non accompagnés et les enfants nés en Grèce de parents en situation irrégulière au regard de la législation sur l’immigration puissent bénéficier de soins de santé gratuits au sein du système public, conformément à la loi grecque 4368 de 2016.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma haute considération

Nous ne sommes plus en démocratie

Non monsieur Macron, nous ne sommes plus en démocratie Mercredi, 29 Janvier, 2020

Texte collectif.

Signataires : Jacques Bidet, philosophe, Christine Delphy, sociologue, Elsa Dorlin, politiste, Jean-Baptiste Eyraud, Droit au Logement, Eric Fassin, sociologue, Bruno Gaccio, artiste, Frédéric Lordon, philosophe, Jean-Luc Nancy, philosophe, Xavier Mathieu, syndicaliste, Gérard Mordillat, écrivain et réalisateur, Willy Pelletier, sociologue, Monique et Michel Pinçon-Charlot, sociologues, Jérôme Rodrigues, gilet jaune, Malika Zediri, association de Chômeurs APEIS.

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On connaît la formule : « la dictature, c’est ferme ta gueule » ; « la démocratie, c’est cause toujours ». Normalement, ce devrait être pour rire. Le problème, depuis longtemps déjà, c’est que beaucoup de supposés « démocrates » se contentent très bien de la formule : causez toujours. Et c’est vrai : trente ans que « ça cause » – dans le vide : aux gouvernements successifs, tous différents paraît-il, mais qui font tous la même chose. Et tous d’aller de stupéfaction en stupéfaction : TCE 2005, FN 2002 et 2017, Gilets Jaunes. Pour tous ces prétendus médiateurs, les alarmes n’auront pourtant pas manqué depuis vingt ans. Qu’ils s’examinent et s’interrogent : « quel compte réel en aurons-nous tenu ? » Et la réponse à la question éclairera aussitôt le présent politique et ses formes.

Du côté des pouvoirs, ce ne sont à l’évidence plus celles de la démocratie. Car il n’y a plus de démocratie là où plus rien de ce qui monte de la population n’est écouté. Il n’y a plus de démocratie quand un projet de loi dont tout atteste qu’il est refusé par une écrasante majorité est maintenu envers et contre tout. Il n’y en a plus quand le gros de la population est voué à l’enfoncement dans la précarité. Quand, les uns après les autres, tous les corps de métier se révoltent contre la destruction de leurs conditions d’exercice, et, pour toute réponse, n’obtiennent que les regards vides de leurs directeurs et la continuation de la destruction sans le moindre temps mort.

C’est pourquoi Emmanuel Macron s’enfonce un peu plus chaque fois qu’il répète que « la démocratie, c’est la parole, pas la violence », quand toute sa pratique du pouvoir atteste que la parole ne sert à rien – et qu’au lieu de son écoute il fait donner la police. Le pays entier gronde, et le pouvoir est sourd – on devrait dire plus exactement : et le pouvoir s’en fout. Ce serait même une définition possible, sinon de la dictature, du moins de la sortie de la démocratie : quand le pouvoir s’en fout.

C’est ce que les Gilets jaunes ont compris : quand toutes les voies de recours offertes à la parole de la population ont été tentées, depuis si longtemps et en vain, alors il ne reste plus d’autre solution que de faire autre chose. Il n’y a pas de violence politique de rue sans une faillite antécédente, abyssale, de la médiation institutionnelle. De la « démocratie », il ne reste alors plus que la forme vide de l’élection, ultime argument des gouvernants sécessionnistes qui ne veulent plus rien avoir à connaître des gouvernés. « Il a été élu régulièrement », « il est légitime ». Formules creuses d’un pouvoir séparé, qui pensait que « ne pas écouter » suffirait, que l’inertie ferait le reste, mais découvre que non, et n’a plus comme réflexe que de constituer ses opposants en « ennemis de l’Etat », pour leur appliquer une violence policière sans précédent depuis 70 ans, et les dispositions de l’anti-terrorisme. Au reste, tout le monde le sait : du moment où la police mettrait casque à terre, ce pouvoir n’aurait pas une semaine d’espérance de vie, et c’est bien à ce genre d’expérience de pensée qu’on connaît la nature réelle d’un régime politique. 

C’est que le « cause toujours » a, ces derniers temps, beaucoup reçu le renfort du « ferme ta gueule ». Oui, les gueules ont été fermées à coups de LBD, de grenades et de matraques. Mais aussi d’interpellations préventives, de directives aux parquets, de surveillance électronique, de versement de l’état d’urgence dans la loi ordinaire, et pour bientôt : de reconnaissance faciale et de lois de censure numérique. Tout ça mis ensemble commence à faire un tableau. « Essayez donc la dictature », nous enjoint par défi Emmanuel Macron. Comment dire… c’est bien, pour notre malheur, ce qu’on nous fait « essayer » en ce moment. Si une part si importante de la population est dans un tel état de rage, c’est d’abord par les agressions répétées qui lui sont faites, mais aussi parce que, précisément, après tant d’années à avoir été réduite à l’inexistence politique, elle aimerait bien « essayer la démocratie ».

Moria 35 audience le 3 février 2020

L’affaire des « Moria 35 » en appel : audience le 3 février 2020 à Lesbos

Lundi 3 février aura lieu le procès en appel de 32 exilés, jugés en première instance, en avril 2018 pour incendie volontaire, rébellion, dégradation des biens, tentative de violences ou de trouble à l’ordre public à la suite d’une manifestation pacifique par laquelle plusieurs centaines de personnes bloquées dans le « hotspot » de Moria, sur l’île de Lesbos, dénonçaient leurs conditions de vie indignes et inhumaines.

Sur 35 personnes poursuivies (les « Moria 35 »), 32 ont été reconnues coupables d’avoir blessé des fonctionnaires de police et condamnées à 26 mois de prison avec sursis par le tribunal de Chios (Grèce) après quatre jours d’une audience dont les membres de la délégation d’observateurs internationaux présents au procès avaient recensé, dans un rapport d’observation paru en juin 2018, les graves entorses au droit à un procès équitable : interprétariat lacunaire, manque d’impartialité des juges, temps limité accordé à la défense, mais surtout absence de preuves des faits reprochés.

Les 32 exilés ont fait appel de leur condamnation. L’audience d’appel aura lieu le 3 février prochain, soit près de 2 ans plus tard, cette fois-ci sur l’île de Lesbos où se sont passés les faits.

Le Gisti sera à nouveau présent à l’audience afin d’achever sa mission d’observation dans cette procédure criminelle visant des exilés.

Le 31 janvier 2020

Pour plus d’informations :

Source https://www.gisti.org/spip.php?article6306

La Grèce est-elle en train de devenir une colonie chinoise ?

Immobilier, énergies, banques, télécommunications… Depuis la crise économique, les investissements de l’empire du Milieu en terre hellène semblent sans limites.

Une réussite. À l’instant même où Xi Jinping pose le pied en terre hellène, le 10 novembre 2019, médias grecs et personnalités politiques se félicitent de ce moment historique. La seule présence du président de la République populaire de Chine ravit, excite et rassure les milieux diplomatiques et économiques. La première visite d’un président chinois en Grèce depuis onze ans constitue un symbole fort des liens entre les deux pays. Une semaine auparavant, c’est le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis qui était en Chine à l’occasion du Forum économique de Shanghaï pour promouvoir son pays, répétant à l’envi que «la Grèce est ouverte pour le business». Le message est passé.

Seize accords bilatéraux ont été signés entre les deux pays à l’occasion de la visite de Xi Jinping à Athènes. L’implantation de la Banque de Chine, l’exportation de kiwis grecs ou l’investissement chinois dans les projets énergétiques viennent, entre autres, s’inscrire dans une dynamique croissante des relations économiques.

Celles-ci ont pris une nouvelle ampleur en 2009 quand la société chinoise Cosco (China Ocean Shipping Company) est entrée au capital du Pirée, premier port de Grèce et l’un des plus importants de Méditerranée. En 2016, la compagnie chinoise en devenait le principal gestionnaire après avoir racheté 51% du port, et en détiendra bientôt 67%. Une implantation croissante et stratégique «gagnant-gagnant» selon les acteurs économiques et politiques du pays.

«La Grèce tire profit de la matérialisation du rêve du président chinois, le Marco Polo du XXIe siècle», se réjouit Nicolas Vernicos, président de la Chambre internationale de commerce en Grèce. «Xi Jinping veut laisser un héritage avec les routes de la soie et la Grèce se trouve sur cette route. Nous sommes une porte d’entrée en Europe.»

Une position géographique favorable évidente pour la Grèce, passerelle naturelle entre l’Orient et l’Occident et première terre européenne pour les navires atteignant la Méditerranée depuis le canal de Suez. Idéal pour écouler de la marchandise sur le vieux continent. En 2018, les exportations chinoises en Europe ont atteint 395 milliards d’euros et rien ne semble indiquer une diminution de ces chiffres.

Des visas d’or

L’objectif est clair pour Cosco: faire du Pirée le premier port commercial en Europe. Au total, les investissements devraient s’élever à plus d’un milliard d’euros, permettant le développement du port et d’infrastructures alentours – centre commercial, marina, hôtels de luxe – au sein d’un ambitieux «Master Plan».

«Le management est meilleur, la productivité plus élevée. Les conséquences sont uniquement positives, personne ne se plaint en Grèce», assure Nicolas Vernicos, balayant d’un revers de main les réserves des riverains, les protestations des syndicats et les objections des archéologues quant à ce développement titanesque.

Pas question de critiquer les investissements chinois non plus dans les bureaux de V2 Development, l’une des principales agences immobilières de Grèce. Celle-ci connaît une croissance remarquable depuis le début du programme «Golden Visa», permettant aux citoyens non-européens de bénéficier d’un visa européen en échange d’un investissement dans l’immobilier à hauteur de 250000 euros. Mis en place en 2014, ces «visas d’or» ont permis de faire entrer des liquidités dans un pays en pleine crise économique et sociale.

«La Grèce a besoin d’argent frais. Qu’il vienne de l’antarctique ou des pingouins, peu importe», tranche Vaggelis Kteniadis, président de V2 Development. Pour l’heure, il vient principalement de Chine. Sur les 17767 permis accordés depuis 2014, 12318 l’ont été à des investisseurs chinois et à leurs familles, d’après les chiffres d’Entreprise Greece, agence gouvernementale en charge des investissements en Grèce. La Chine représente, de loin, le premier pays bénéficiaire de ce programme, devant la Turquie et la Russie.

Face au parlement grec, au cœur d’Athènes, les publicités invitant les investisseurs chinois à devenir propriétaires se sont multipliées. En version originale. «C’est insultant de devoir obtenir un visa pour voyager, estime Vaggelis Kteniadis. Avec ce programme, les gens peuvent ouvrir un business, développer les échanges commerciaux, employer des salariés», défend celui qui rêve de transformer la riviera athénienne en nouvelle Côté d’Azur.

Au risque de faire s’envoler le marché de l’immobilier. «La quantité des Golden visas accordés a considérablement augmenté le prix des loyers», analyse Polyxeni Ntavarinou. Chercheuse au sein du département Asie à l’Institut des relations économiques internationales, elle estime que «ça n’est pas une bonne chose. Dans certains quartiers, les locaux n’ont plus la possibilité de se loger». La transformation du parc immobilier s’accompagne d’une mise en location des biens sur des plateformes locatives courte-durée, faisant là encore grimper les prix. En octobre, la presse grecque révélait l’acquisition d’une centaine d’appartements au cœur d’Athènes par un seul propriétaire chinois, et c’est progressivement toute l’Attique qui se fait racheter.

Un cheval de Troie

Le domaine des énergies et des nouvelles technologies suscite également la convoitise de la Chine, prête à investir dans tous les secteurs de l’économie grecque. De quoi faire grincer des dents dans les capitales européennes, qui voient d’un mauvais œil l’omniprésence de l’empire du Milieu au sein de l’Union européenne.

En juin 2017, la Grèce posait son veto à un communiqué de l’Union européenne dénonçant les atteintes de la Chine aux droits de l’Homme, à l’occasion d’un Conseil de l’ONU. Un précédent qui avait particulièrement agacé et fait craindre une politique diplomatique grecque alignée sur les investissements chinois.

«L’Europe voit la Grèce comme un cheval de Troie chinois», estime Polyxeni Ntavarinou. Dans une période où l’unité européenne s’effrite, l’ouverture des capitaux grecs à la Chine «est mal perçue» selon la chercheuse. «La Grèce s’est sentie valorisée dans un moment où elle était considérée comme la brebis galeuse de l’Europe, où elle se pensait humiliée par ses partenaires européens. En investissant et en jouant sur une approche culturelle, d’une rencontre entre deux grandes civilisations, la Chine a permis à la Grèce de sentir importante. Elle l’a mise en valeur et donc en confiance.»

Alors qu’Emmanuel Macron s’inquiétait récemment, dans une interview à The Economist, de la souveraineté européenne en matière technologique et sécuritaire, la Grèce n’a pas fermé la porte à un accord avec Huawei pour le développement de la 5G dans le pays. «Ces investissements sont comme un don du ciel pour la Grèce, et ceux qui les critiquent en sont jaloux», insiste Nicolas Vernicos. «Pourquoi l’Afrique passe de colonie européenne à colonie chinoise? Parce que les Européens ne comprennent pas l’évolution du monde et se retirent», tente le président de la Chambre internationale de commerce.

Même son de cloche chez Vaggelis Kteniadis, particulièrement remonté: «Il ne faut pas oublier que nous sommes un pays ruiné, et que ces pays qui critiquent les investissements chinois sont les mêmes qui ont gagné des milliards sur notre dos pendant la crise.» En 2018, 589 millions des 4 milliards d’investissements étrangers directs en Grèce provenaient de Chine, faisant du pays asiatique un partenaire économique incontournable.

«Il est normal que l’Union européenne mette la pression car elle veut protéger ses intérêts. La Grèce doit réussir à trouver un équilibre», nuance George Tzogopoulos, chercheur à la Fondation hellénique pour la politique extérieure et européenne (Eliamep). «Ces investissements sont indispensables. Il ne faut pas exclure la Chine mais il faut coopérer avec elle à l’échelle européenne.»

Maintenir l’équilibre entre l’Union européenne et la Chine, mais également les États-Unis, allié historique et partenaire économique majeur, tel est le périlleux objectif de la Grèce, d’autant plus important que la rhétorique agressive et expansionniste du voisin turc attise les tensions en Méditerranée. Pour la souveraineté, on repassera. Mais dans un pays sous domination ottomane pendant quatre cents ans, dirigé par des rois allemand puis danois pendant un siècle, accueillant des bases américaines et soumis aux mémorandums européens, l’établissement chinois n’a finalement rien de surprenant.

Alexandros Kottis — 2 janvier 2020

Source http://www.slate.fr/story/185789/la-grece-est-elle-en-train-de-devenir-une-colonie-chinoise

Une frontière flottante pour stopper les migrants

La Grèce veut ériger une frontière flottante sur la mer pour limiter l’afflux de migrants Par Anne-Diandra Louarn 

Le ministère grec de la Défense a rendu public mercredi un appel d’offres pour faire installer un « système de protection flottant » en mer Égée. L’objectif : réduire les flux migratoires en provenance de la Turquie alors que la Grèce est redevenue en 2019 la première porte d’entrée des migrants en Europe.

C’est un appel d’offres surprenant qu’a diffusé, mercredi 29 janvier, le ministère grec de la Défense : une entreprise est actuellement recherchée pour procéder à l’installation d’un “système de protection flottant” en mer Égée. Cette frontière maritime qui pourra prendre la forme de « barrières » ou de « filets » doit servir « en cas d’urgence » à repousser les migrants en provenance de la Turquie voisine.

Selon le texte de l’appel d’offres, le barrage – d’une “longueur de 2,7 kilomètres” et d’une hauteur de 1,10 mètre dont 50 cm au dessus du niveau de la mer – sera mis en place par les forces armées grecques. Il devrait être agrémenté de feux clignotants pour une meilleure visibilité. Le budget total comprenant conception et installation annoncé par le gouvernement est de 500 000 euros.

“Au-delà de l’efficacité douteuse de ce choix, comme ne pas reconnaître la dimension humanitaire de la tragédie des réfugiés et la transformer en un jeu du chat et de la souris, il est amusant de noter la taille de la barrière et de la relier aux affirmations du gouvernement selon lesquelles cela pourrait arrêter les flux de réfugiés”, note le site d’information Chios News qui a tracé cette potentielle frontière maritime sur une carte à bonne échelle pour comparer les 2,7 kilomètres avec la taille de l’île de Lesbos.

Sur cette photo vous pouvez voir la taille relle
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“Sur cette photo, vous pouvez voir la taille réelle d’un barrage de 2 700 mètres par rapport à l’île de Lesbos”, écrit Chios News. Crédit : Google Maps / ChiosNews.com

La question des migrants et des réfugiés est gérée par le ministère de l’Immigration qui a fait récemment sa réapparition après avoir été fusionné avec un autre cabinet pendant six mois. Devant l’ampleur des flux migratoires que connaît la Grèce depuis 2015, le ministère de la Défense et l’armée offrent un soutien logistique au ministère de l’Immigration et de l’Asile.
Mais la situation continue de se corser pour la Grèce qui est redevenue en 2019 la première porte d’entrée des migrants et des réfugiés en Europe. Actuellement, plus de 40 000 demandeurs d’asile s’entassent dans des camps insalubres sur des îles grecques de la mer Égée, alors que leur capacité n’est que de 6 200 personnes.

Le nouveau Premier ministre Kyriakos Mitsotakis, élu à l’été 2019, a fait de la lutte contre l’immigration clandestine l’une de ses priorités. Il a déjà notamment durci l’accès à la procédure de demande d’asile. Il compte également accélérer les rapatriements des personnes qui « n’ont pas besoin d’une protection internationale » ou des déboutés du droit d’asile, une mesure à laquelle s’opposent des ONG de défense des droits de l’Homme.

Source https://www.infomigrants.net/fr/post/22441/la-grece-veut-eriger-une-frontiere-flottante-sur-la-mer-pour-limiter-l-afflux-de-migrants?fbclid=IwAR222VN34-q3HvqeNk9Yfv_7NkV-N-fgZ_JcNnQLBiTe4z9tnBGz3vSeODw&ref=fb

SOS MEDITERRANEE : Garder le cap en 2020

En ce début d’année, près de 300 personnes ont été secourues par des navires humanitaires en Méditerranée centrale. Dans la zone de recherche et de sauvetage libyenne, le contexte est de plus en plus flou et nos équipes sont la plupart du temps livrées à elles-mêmes dans leurs missions de recherche et de sauvetage. Malgré tout, les marins-sauveteurs de l’Ocean Viking tiennent le cap, car notre présence en mer reste vitale.

Premiers sauvetages de l’année et toujours pas de mécanisme de débarquement  

A peine commencée, l’année 2020 était déjà marquée par de premiers sauvetages en Méditerranée centrale. Les 9 et 10 janvier, tandis que notre navire se trouvait en Sicile pour une courte escale, les navires des ONG espagnole Proactiva Open Arms et allemande Sea Watch, ont porté secours à 237 personnes au cours de cinq opérations de sauvetage. Après deux jours d’attente inutile, deux ports en Italie, Tarente et Messine leurs ont finalement été assignés pour débarquer les rescapés. Deux solutions ad hoc puisqu’il n’existe toujours pas de mécanisme concerté, prévisible et pérenne concernant le débarquement des rescapés secourus en Méditerranée.

Arrivé en zone de recherche et de sauvetage au large des côtes libyennes le dimanche 12 janvier dans la soirée, l’Ocean Viking s’est rapidement trouvé être le seul navire humanitaire présent en Méditerranée centrale. Dans la nuit du jeudi 16 au vendredi 17 janvier, il a reçu une alerte concernant 39 personnes sur une embarcation de bois en détresse. Vers 4h30 du matin, les équipes de SOS MEDITERRANEE ont réussi à mettre toutes les personnes en sécurité à bord de l’Ocean Viking. Parmi ces 39 personnes secourues, 19 d’entre elles sont des mineurs non accompagnés. Autrement dit, 19 mineurs qui auraient pu perdre la vie, dans l’anonymat le plus total, si notre navire n’avait pas été là pour leur porter assistance.

La Libye n’est pas un lieu sûr pour débarquer des rescapés

Et immanquablement, l’histoire se répète : les équipes de l’Ocean Viking, qui ont envoyé une demande pour un lieu sûr afin de débarquer les rescapés, se sont vues assigner Tripoli par les autorités maritimes libyennes. Or, il est inenvisageable de débarquer des rescapés dans un pays en proie aux conflits tel que la Libye. Le droit international est on ne peut plus clair : « Tout rescapé doit être débarqué dans un « lieu sûr » dans les meilleurs délais, où ses droits fondamentaux seront     respectés.[1] »

Le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), tout comme l’Organisation internationale des migrations (OIM) ont d’ailleurs déclaré à plusieurs reprises que ce pays ne peut pas être considéré comme un lieu sûr.
Les équipes de l’Ocean Viking ont donc sollicité une alternative auprès des autorités maritimes compétentes. Lundi 20 janvier dans la soirée, le port de Pozzalo en Sicile a finalement été assigné à notre navire pour débarquer les 39 rescapés.

Au-delà de ce cas précis, comment est-il possible d’envisager de renvoyer des personnes secourues en mer, dans le pays qu’elles ont justement fui au péril de leur vie ? Un pays dans une situation tellement désastreuse, qu’un sommet international pour la paix se tenait à Berlin, ce dimanche 19 janvier. Si les observateurs évoquent un « appel fragile de la communauté internationale pour relancer la paix en Libye », force est de constater que le chemin vers une issue du conflit est long, et que des êtres humains subissent les pires atrocités dans ce pays, comme nous l’ont raconté la plupart des rescapés à bord de l’Aquarius et aujourd’hui de l’Ocean Viking.

Un trou noir en Méditerranée centrale

La situation en mer Méditerranée centrale est aussi à déplorer. Au quotidien, le centre de coordination de recherche et de sauvetage libyen, le JRCC, ne fonctionne pas de manière efficace. La plupart du temps, il ne répond pas aux appels des équipes de l’Ocean Viking et ces dernières ne reçoivent quasiment plus les signalements de cas de détresse connus.

Ce manque de coordination empêche toute prise en charge rapide et efficace des personnes à bord d’embarcations en détresse, et augmente par conséquent le risque de noyade.

Par ailleurs, l’absence de relais de coordination dans cette zone par d’autres centres de coordination compétents, comme ceux de l’Italie et de Malte apparaît également problématique. Il en résulte un trou noir en Méditerranée centrale où les navires humanitaires et les ONG se débattent, avec leurs propres moyens, pour détecter des situations de détresse et réussir à porter secours aux rescapés dans les temps, et à les protéger. Ainsi, plus d’un tiers des opérations de sauvetage menées par l’Ocean Viking ont été repérées par nos équipes à la jumelle.

Si d’autres acteurs sont aussi présents sur cette zone de recherche et de sauvetage au large des côtes libyennes, leur rôle n’est pas le même. En effet, les garde-côtes libyens, qui interceptent régulièrement des embarcations surchargées de personnes qui tentent de fuir l’enfer libyen, les ramènent systématiquement en Libye.
Le 14 janvier 2020, l’OIM annonçait que près de 1000 personnes avaient été interceptées et renvoyées en Libye depuis le début de l’année.

Un triste décompte, qui n’est pas sans rappeler que notre présence en mer, ainsi que celle des autres navires humanitaires, restent indispensables.

En 2020, SOS MEDITERRANEE aura déjà cinq ans. Au commencement, nous n’étions qu’une poignée de citoyens. Nous avons affrété un navire, l’Aquarius, pour débuter notre mission. En 2018, nous avons dû nous en séparer. En 2019, nous avons pu reprendre la mer avec l’Ocean Viking. En 2020, nous sommes plus que jamais mobilisés pour continuer notre mission en Méditerranée centrale.

INFO DE DERNIERE MINUTE 24/01/2020 : l’Ocean Viking vient de secourir 92 personnes, dont 5 femmes enceintes et 38 mineurs, sur un canot pneumatique surchargé à 30 milles nautiques de la Libye. Extrêmement faibles et recouverts d’essence, beaucoup souffrent d’hypothermie et de mal de mer. 


[1] Amendement de 2004 porté à la Convention SAR

Source http://www.sosmediterranee.fr/

 

Retraite : la liberté réduite au portefeuille

Retraite la réforme de trop : La liberté réduite au portefeuille par Martine Bulard,

.Dans l’art de prendre les Français pour des idiots, les syndicalistes pour des courroies de transmission, et les parlementaires pour des pantins, le couple Macron-Philippe est devenu champion. Pour tenter de casser le mouvement social, le premier ministre a annoncé le retrait — très provisoire — de l’« âge pivot ». Mais dans le projet de loi, il a introduit l’« âge d’équilibre », qui lui ressemble de manière troublante. Et il ne s’est pas contenté de le mentionner en passant : l’expression est citée 56 fois et elle constitue l’un des deux piliers de la réforme — avec l’introduction de la retraite par point. L’axe central, scandé tout au long des 145 pages du projet, étant « l’équilibre financier » du système, avec plus de retraités et pas de financements supplémentaires. Comment le patron de la CFDT, M. Laurent Berger, qui a combattu l’âge pivot peut-il défendre l’âge d’équilibre ? Mystère.

Quant aux parlementaires, ils sont appelés à faire de la figuration, chaque décision précise étant systématiquement renvoyée à de futures ordonnances où l’exécutif peut décider ce qu’il veut sans l’aval des élus. Le pouvoir devrait y avoir recours pas moins de 102 fois, si l’on en croit le texte du projet. Ainsi toute la période de transition, entre 2025 et 2037, est renvoyée à une ordonnance et donc au bon vouloir des duettistes de choc.

Difficile de détailler ici tous les articles de ce projet de loi. Certaines dispositions constituent un progrès : 1 000 euros pour une pension complète minimale (même si cette base est assortie de nombre de conditions), l’attribution de points pour les congés maternité (1)… Mais elles se comptent sur les doigts d’une main. Pour le reste, la régression est en marche.

Dès le préambule, après avoir égrené des promesses de justice, le projet rappelle que l’âge légal est maintenu à 62 ans, mais que le gouvernement a fait « le choix de la liberté donnée à l’individu en fonction de son parcours, et en incitant les Français, sans les y forcer, à travailler un peu plus longtemps ». Sa majesté est trop bonne ! Grâce à la « liberté donnée », les Français auront donc le choix entre partir à 62 ans avec une retraite rabougrie ou travailler plus longtemps. Personne ne les forcera… sauf leur compte en banque. Encore faudrait-il qu’ils aient un emploi — ce qui, aujourd’hui, n’est pas le cas pour près d’un Français sur deux au moment où il demande à toucher sa retraite. Ce qui n’empêche pas d’aligner les grands principes dans l’article 1 : régime par répartition maintenu, équité défendue, solidarité assurée, « niveau de vie satisfaisant » garanti (on ne parle pas de pouvoir d’achat chez ces gens-là), liberté de choix renforcée (la liberté réduite au portefeuille) — le tout subordonné à l’objectif suprême : l’équilibre financier.

Tous égaux, mais déjà quelques gagnants…

Dans les articles 2 à 7, les rédacteurs du projet de loi précisent que le système s’appliquera à tous, y compris aux salariés disposant de régimes spécifiques (SNCF, RATP, Opéra de Paris…), selon un calendrier rendu public par le premier ministre : en 2022 pour les actifs nés en 2004 ; en 2025 pour ceux nés après le 1er janvier 1975 (une partie de leur retraite sera calculée selon le système actuel). Pour les fonctionnaires et les agents des régimes spéciaux dont l’âge légal de retraite est 57 ou 52 ans aujourd’hui, la première génération concernée sera celle née en 1980 ou 1985, selon les cas.

Par peur d’une extension du mouvement de protestation, le premier ministre a d’ores et déjà maintenu le système actuel pour les militaires et les policiers, les pilotes et personnels navigants, et presque intégralement pour les contrôleurs aériens ; les danseurs de l’Opéra et les cheminots, les salariés de l’énergie ont obtenu une sorte de clause « du grand père » plus ou moins longue qui diffère la mise en place du nouveau système. Toutefois les articles 38 et 39 autorisent le gouvernement à « organiser par ordonnances », là encore, l’alignement des régimes spéciaux sur le régime général.

Le flou pour les enseignants

Quant aux enseignants, il est stipulé qu’ils bénéficieront « de mécanismes permettant de garantir une revalorisation de leur rémunération leur assurant le versement d’une retraite équivalant à celle perçue par les fonctionnaires appartenant à ces corps comparables de la fonction publique ». On ne peut trouver plus alambiqué, plus vague. « Faut-il comprendre que les primes des enseignants vont passer de 10 % à 40 % de leur traitement » pour s’aligner sur les autres fonctionnaires d’État ?, s’interroge Henri Sterdyniak qui s’est livré à une fine analyse du projet de loi (Alternatives économiques, 13 janvier).

Des comptes d’apothicaires

Comment sera calculée la pension ? Dans cette langue limpide dont M. Phillipe a le secret, l’article 10 stipule que « le système fonctionnera autour d’une référence collective, correspondant à l’âge auquel les assurés pourront partir à “taux plein” et autour de laquelle s’articulera un mécanisme de bonus/malus ». Exit l’âge légal, bonjour la « référence collective » ! Celle-ci fixera l’âge d’équilibre « en fonction des projections financières du système » — étant acté par aillleurs que l’on ne peut « augmenter le coût du travail », traduisez augmenter les cotisations sociales. La situation sera pire encore puisque le pouvoir baisse des cotisations payées par l’entreprise (c’est-à-dire le salaire brut des salariés) sans compenser le manque à gagner par les caisses de retraites. Conclusion : l’âge d’équilibre sera fixé en fonction de la situation financière du système et en fonction de la durée de vie estimée de chaque génération (à raison des deux tiers des gains d’espérance de vie — si les experts estiment qu’une génération a gagné trois mois d’espérance de vie, l’âge d’équilibre sera reculé de deux mois)

Un malus de 5 % sera appliqué pour tous ceux qui, bien qu’ayant le droit à la retraite, partent avant l’âge d’équilibre ; et un bonus de 5 % pour ceux qui partent après ; ce qui accentue encore les inégalités car il est plus facile de prolonger son activité quand on a un travail peu ou pas pénible, intéressant et bien payé que quand on est maçon, infirmière ou caissière… Le pouvoir assure la main sur le cœur qu’il va revoir les critères de pénibilité, mais refuse de revenir sur ceux que les députés avaient voté et qu’il a supprimé d’un trait d’ordonnance. Pour l’heure, le travail de nuit des infirmières, par exemple, leur donnera le droit à prendre leur retraite deux ans plus tôt (au maximum) mais comme l’âge d’équilibre sera reculé d’au moins deux ans… Pour les éboueurs ou les égoutiers, qui ont en moyenne 17 années d’espérance de vie en moins selon l’Inserm, et qui peuvent partir aujourd’hui cinq à dix ans plus tôt, la réforme sonne comme une condamnation : « Vous prenez dix égoutiers qui sont partis à la retraite à 54 ans. Vous revenez dix ans plus tard, y en a à peu près sept ou huit qui sont décédés. On va mourir dans les égouts en fait », résumait l’un d’eux au micro de France Inter ce jeudi 16 janvier.

Une règle d’or qui n’en est pas une

L’article 11 du projet de loi « contient une règle d’or garantissant que le niveau des pensions ne pourra jamais être baissé ». Certes, une fois la retraite liquidée, celle-ci ne pourra être directement diminuée (même si des hausses de cotisations et autres prélèvements peuvent entraîner une baisse du pouvoir d’achat), cependant, elle ne sera pas alignée sur l’évolution moyenne des salaires, contrairement à ce qui avait été indiqué auparavant, mais sur l’inflation (formule nettement moins favorable).

Cette « règle d’or » ne veut donc pas dire qu’il y aura maintien du niveau des retraites par rapport au salaire — ce que l’on appelle le « taux de remplacement ». Du reste l’expression n’existe pas dans le projet de loi. Selon le Conseil d’orientation des retraites, ce taux tomberait au dessous de 50 % en 2025 (49,8 %) contre 51,4 % en 2018 et… 70 % il y a trente ans.

Un coup de pouce à la capitalisation

Pour les hauts salaires, la cotisation sur la part de rémunération qui se situe au dessus de trois fois le plafond de la sécurité sociale, soit 10 000 euros par mois, ne sera plus que de 2,8 % (au lieu de 28,1 %), selon l’article 13. Certes, ces cadres n’auront aucune pension sur cette partie de salaire, mais cela ne compensera pas, loin s’en faut, les pertes pour le système, évaluées entre 5 et 7 milliards d’euros. Et surtout, cette disposition les pousse à opter pour des surcomplémentaires, c’est-à-dire des fonds de pension. C’est une attaque contre le système de répartition, comme l’explique très bien M. François Hommeril, secrétaire général de la Confédération générale des cadres (CFE-CGC). Le coup est d’autant plus important que l’article 15 prévoit que le gouvernement pourra « modifier les règles d’assujettissement à cotisations et contributions sociales ». Autrement dit : le pouvoir pourra baisser le plafond au-dessus duquel les salariés paieront moins de cotisations, à 8 000 euros ou 5 000 euros par mois (au lieu de 10 000). De plus, de nouvelles dispositions sont prévues pour faciliter l’épargne retraite (et notamment des déductions fiscales).

Une étatisation prononcée

Non seulement le recours aux ordonnances est systématique, mais la création d’une Caisse nationale de retraite universelle, fusionnant les caisses actuelles tout en en maintenant certaines (avocats, professions libérales, agriculteurs), sonne la fin du paritarisme. Certes, l’introduction du patronat dans la gestion de ces caisses en 1967, l’attitude de syndicats sensibles à la parole patronale, le poids grandissant des experts de la Commission européenne sur les finances publiques ont pour une part miné le système. Il reste que l’étatisation se renforce. Ce n’est pas la création d’un Comité d’expertise indépendant des retraites qui changera la donne. Au contraire. Il sera composé d’un président nommé par le président de la République, deux membres de la Cour des comptes, le directeur de l’Insee (nommé par le président de la République), trois personnes désignées par les présidents de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil économique, social et environnemental). Pas un seul syndicaliste ! Pas même une petite place pour M. Berger…

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