L’impact de la crise Covid19 sur le sauvetage en Méditerranée

Cette conférence, diffusée le 26 mai 2020 en direct sur nos réseaux sociaux, revient sur la pandémie mondiale de #COVID19 et ses fortes conséquences sur les opérations de recherche et de sauvetage en Méditerranée. Cela entraîne de graves perturbations, notamment pour l’accès aux services médicaux et logistiques dans la plupart des pays européens, désorganise profondément le secteur maritime et contraint l’action des navires humanitaires de sauvetage en Méditerranée centrale.

Nos intervenants apportent un éclairage sur ce contexte mouvant, donnent des nouvelles de nos opérations maritimes et répondent aux questions des internautes connectés en direct.

Avec :

  • François THOMAS, président de SOS MEDITERRANEE France
  • Sophie BEAU, Directrice Générale et co-fondatrice
  • Frédéric PENARD, directeur des opérations maritimes
  • Bérengère MATTA, déléguée à la mobilisation citoyenne

Source http://www.sosmediterranee.fr/journal-de-bord/conference-live-26052020

En Grèce, la bourse ou la vie

Épargné par la crise sanitaire, le pays n’échappe pas à la crise économique et sociale, dont entend profiter le gouvernement de droite. Le virus, lui, pourrait bien arriver cet été… avec les touristes.

En direct à la télévision grecque le 8 avril dernier, Adonis Georgiadis, ministre grec du Développement, est interrogé sur l’octroi d’une aide éventuelle aux ménages les plus touchés par le confinement : « Pour quoi faire ? répond-il. Ils ne peuvent pas voyager, ils ne peuvent pas aller au restaurant, ils ne peuvent pas aller dans des boutiques, ils en feraient quoi, de cet argent ? » « Manger… », lâche timidement le présentateur. « Pour peser 300 kilos ! » s’exclame le ministre, soulevant un tollé sur les réseaux sociaux. Six jours plus tard, il récidive : « Si vous êtes chômeur de longue durée depuis dix, vingt, trente mois et que vous arrivez à vivre, c’est que vous travaillez au noir. Pas besoin d’allocations. » Un raisonnement pour justifier le fait que, sur les 570.000 chômeurs de longue durée recensés par l’Institut des statistiques (Elstat), seuls 155.000 vont toucher une indemnité pour le temps du confinement. En Grèce, un chômeur perçoit 380 euros par mois, durant un an seulement, indépendamment de son ancien salaire, d’où une nouvelle levée de boucliers.

Peu lui chaut. Une fois lancé, Adonis Georgiadis, ministre aux convictions d’extrême droite des plus décomplexées, ne s’arrête pas. Et pour cause, il est le fer de lance du gouvernement ultra-néolibéral de Kyriakos Mitsotakis. Un gouvernement qui, certes, a très bien géré la crise sanitaire du coronavirus jusqu’à présent, mais qui en a profité pour mettre le pays au pas à tous les niveaux, à commencer par les salaires. « La première chose qu’ils ont faite, c’est de s’attaquer aux heures supplémentaires, explique Nikos Antoniou, du Syndicat des relieurs et libraires. Avant, l’employeur devait les déclarer en amont, de façon que l’inspection du travail puisse vérifier. Désormais, il le fait en aval, et plus aucun contrôle n’est possible. »

Ainsi, les dénonciations d’heures supplémentaires non déclarées et non payées se sont multipliées sur des pages spécialement créées sur les réseaux sociaux, mais elles sont pour la plupart anonymes. « Avec le spectre de la récession et du chômage qui se pointe, qui va prendre le risque de dénoncer son employeur ? » demande Alekos Gatrinos, électricien, qui s’estime privilégié car il est payé avec « seulement » deux semaines de retard. Manolis, jeune cuistot de 23 ans, n’y pense même pas. « Pour quoi faire ? s’interroge-t-il. Si je suis viré, je ne retrouverai pas de travail. Les restaurants vont employer moitié moins de personnel, alors, même si le salaire baisse, je vais rester. »

De fait, la baisse éventuelle, probable même, des salaires est dans la tête de tous les Grecs. L’alerte a été donnée par des « fuites organisées » dans la presse, immédiatement dénoncées par le gouvernement, preuve, pour la professeure Irini Kondaridou, que « c’est vraiment dans les tuyaux ».

Le processus s’est déroulé en deux temps. D’une part, on a suspendu tous les contrats de travail et les conventions collectives ; d’autre part, sous couvert de soutien aux entreprises obligées de fermer à cause du confinement, le gouvernement a octroyé une allocation de 800 euros aux salariés pour les huit premières semaines de confinement. « Cette indemnité est en fait une baisse de salaire déguisée, explique Despina Koutsouba, archéologue et syndicaliste. Cela correspond à 534 euros par mois, soit moins que le Smic, qui venait d’être augmenté à 650 euros par le gouvernement précédent. » Et qui dit moitié moins de salaire dit aussi moitié moins de salariés. Désormais, les entreprises peuvent employer à volonté leur personnel deux semaines par mois pour un salaire réduit de 50%, et ce pendant neuf mois – soit moins de 300 euros, auxquels ne peut s’ajouter aucune indemnité chômage.

« Cela va entraîner tous les salaires vers le bas », prédit Nikos Antoniou, qui s’inquiète surtout de voir cette loi s’installer « pour de bon » dans le code du travail : « Elle est faite sur mesure pour le patronat, il y a peu de chances qu’après la crise elle disparaisse. Ici, c’est la loi de la jungle qui prévaut désormais. »

Même constat pour Savas Robolis, professeur émérite à l’université Panteion d’Athènes, qui prévoit une récession bien plus importante que celle annoncée par le FMI, et pas uniquement à cause du coronavirus. Pour cet ancien directeur de l’Institut du monde du travail, le problème majeur vient du refus du gouvernement grec de toucher aux 29 milliards de réserves engrangées par l’État sous le précédent gouvernement Syriza (1) via l’impôt, « d’où la nécessité de baisser les dépenses publiques, donc de baisser les retraites et les salaires ». Et ce chercheur d’enfoncer le clou : « Les dirigeants ont annoncé un gel des licenciements pendant le confinement, mais que va-t-il se passer après, quand la récession sera là, quand la consommation va chuter, quand le tourisme sera en chute libre ? »

Justement, conscient de l’importance vitale du tourisme, le gouvernement Mitsotakis a déjà annoncé l’ouverture de la saison pour le 1er juillet. Haris Theocharis, ministre du Tourisme, espère « 10 millions de visiteurs », sur les 33 millions attendus avant la crise du coronavirus. C’est peu, reconnaît le ministère, mais cela permettra de contenir le chômage, que le patronat prévoit à presque 20 % dès l’automne.

C’est là que se pose un problème de taille. Le pays a été épargné par le virus (2), car le confinement a commencé très tôt. Sa population n’a donc pas été exposée, contrairement aux visiteurs potentiels qui viennent essentiellement de pays très touchés, comme la France, le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne ou les États-Unis. Pour Andreas Mentis, directeur de l’Institut Pasteur d’Athènes, cela soulève un dilemme : « Le problème pour la Grèce est surtout le tourisme d’été, qui génère des revenus sans lesquels nous aurons un hiver difficile. Et si vous vivez dans un pays meurtri par le virus, vous allez vouloir venir dans un pays épargné, comme la Grèce. Nos îles peuvent être protégées facilement par des mesures de quarantaine ou un confinement, mais si vous avez des -visiteurs, il n’y a pas grand-chose que vous puissiez faire. » En outre, dans les îles grecques, la population est vieillissante, donc fragilisée, et les structures sanitaires spartiates. La question se pose de façon encore plus aiguë pour les trente îles avec moins de 500 habitants, les plus prisées, telle Tilos, dans le Dodecanèse. La maire de l’île, Maria Kama, tire le signal d’alarme : « Nos maisons sont mitoyennes, nos cours se touchent, nous allons tous dans la même boulangerie, le même supermarché, le même café. Un seul malade et c’est la contamination générale. Or nous n’avons pas d’hôpital, juste un dispensaire, et il n’y a qu’un seul hélicoptère d’évacuation pour tout le pays. »

D’où le choix difficile qui se pose au gouvernement : protéger sa population ou laisser libre cours au tourisme, qui emploie une personne sur cinq et participe pour plus de 20% au PIB. La logique de l’économie a prévalu et, dès le week-end des 16 et 17 mai, les plages aménagées ont de nouveau été accessibles. Dans la même logique, le gouvernement vient d’ouvrir un boulevard aux investisseurs, colonne vertébrale de sa politique de relance. Alors que la contestation est réduite à son minimum, il a choisi de faire adopter une loi très attendue par les multinationales énergétiques, mais dénoncée par toutes les ONG de protection de l’environnement. Cette loi promeut les exploitations d’hydrocarbures en mettant en danger les zones Natura 2000 de protection de la biodiversité.

Mais il n’y a pas que les atteintes au droit du travail ou à l’environnement. Comme au pire moment de la crise de la dette, le Parlement grec ne légifère plus. Toutes ces mesures ont été prises par décrets, sans débat ni discussion possible. À tel point que le Journal des rédacteurs titrait en une le 11 avril : « Ouvrez le Parlement ». « Le gouvernement ne veut plus la moindre opposition ou remise en question », souligne la sociologue Alexandra Koronaiou. « Nous l’avons vu dès son arrivée au pouvoir, avec la répression dans le quartier d’Exarchia. Maintenant, le coronavirus lui donne l’occasion de légitimer ce qu’il fait au nom de la protection de la population. » Stathis Gothis, secrétaire général du syndicat des employés du ministère de la Culture, va plus loin : « Cette répression qui s’exerce tous les jours sur les places publiques, contre les réfugiés, les manifestants, sous prétexte de coronavirus, n’est que la répétition générale de ce qui va se passer quand les Grecs, à bout, descendront dans la rue. Deux crises coup sur coup, c’est trop, même pour eux. »

(1) Le gouvernement Syriza, dirigé par Alexis Tsipras, a été au pouvoir de janvier 2015 à juillet 2019.

(2) Au 19 mai, le pays comptait officiellement 156 décès dus au Covid-19.

par Angélique Kourounis

Source https://www.politis.fr/articles/2020/05/en-grece-la-bourse-ou-la-vie-41907/

La guerre de la Grèce contre les migrants

Alors que le monde se bat contre COVID-19, la guerre de la Grèce contre les migrants fait rage

Par Spyros Galinos, ROAR Magazine.

Les migrants coincés dans des camps surpeuplés sur les îles grecques sont confrontés à la colère locale, à des obstacles juridiques et à un État qui semble déterminé à faire de leur vie un enfer.

Pendant de nombreuses années, une guerre silencieuse a été menée le long des frontières de l’Europe, mais cette guerre a laissé la majorité de la population du continent apparemment intacte. Ce contraste est devenu encore plus frappant à l’époque de la pandémie COVID-19, au cours de laquelle il est apparu clairement que la sensibilité à la vie tant vantée ne s’étend pas à tout le monde ; les milliers de migrants amassés de part et d’autre de la frontière européenne en sont apparemment exemptés.

Ceux qui parviennent à entrer en Europe se retrouvent confinés dans les camps de concentration modernes. Soumis à des conditions de vie épouvantables, ils sont confrontés à une totale incertitude quant à l’avenir et sont, en outre, privés de leurs droits les plus fondamentaux. Dans le même temps, leur présence est utilisée par les gouvernements pour faire passer des politiques qui galvanisent l’unité nationale et la concurrence interétatique au sens large.

Les politiques qui sont actuellement mises en œuvre dans le cadre de la campagne mondiale contre COVID-19 traitent les migrants comme des dommages collatéraux. Il est évident que les mesures de protection contre la « menace » du virus ne concernent pas la santé de tous, mais seulement celle de certains. Alors que le discours public est inondé de discours toujours plus haineux et xénophobes, des mesures autoritaires et répressives visant les migrants sont mises en place.

L’État grec a une longue tradition de politiques anti-migratoires. Située le long de la principale route migratoire de la Méditerranée orientale, la Grèce a pris l’initiative de déshumaniser et de discipliner les migrants qui tentent de traverser le territoire européen. Malgré la diversité des politiques mises en place par les gouvernements successifs au fil des ans, certains aspects essentiels sont restés inchangés : le détournement des routes migratoires des frontières terrestres vers des traversées maritimes dangereuses, qui a fait plus de 1 600 morts depuis 2015 ; l’incarcération et la dévaluation violente de la vie de ceux qui parviennent à traverser et leur marginalisation ultérieure dans des camps et des ghettos urbains ; la création de divisions au sein des populations migrantes par des catégorisations légales ou autres (réfugié contre migrant, vulnérable contre non vulnérable, travailleur qualifié contre travailleur non qualifié, etc. ) et enfin, la pratique consistant à traiter la migration comme une question de sécurité plutôt que comme un problème social.

L’accord UE-Turquie de mars 2016 a permis de canaliser de vastes ressources vers l’État grec et les entreprises, afin de transformer les cinq îles de l’est de la mer Égée – Lesvos, Chios, Samos, Kos et Leros – en sites de territorialisation des politiques frontalières anti-migratoires. La frontière terrestre avec la Turquie à Evros a été fortifiée dans le cadre de la même stratégie, et un grand nombre de forces militaires et de police ont été déployées le long des frontières navales.

Les garde-côtes et la marine grecque, ainsi que les forces de Frontex et de l’OTAN, effectuent des patrouilles frontalières et dissuadent activement les bateaux transportant des migrants qui tentent de rejoindre la Grèce. Dans le même temps, la Turquie s’est vu offrir des incitations politiques et économiques en échange de la réduction des migrations et de la réadmission de certains de ceux qui avaient réussi à passer en Grèce.

Cet accord constitue toutefois un autre exemple de bras de fer diplomatique entre la Grèce et la Turquie, dans lequel les migrants continuent d’être instrumentalisés dans le conflit interminable entre les deux États, à la recherche de bénéfices accrus auprès des alliés et des organisations internationales.

La crise à la frontière gréco-turque

Fin février, les tensions frontalières entre la Grèce et la Turquie ont atteint des niveaux dangereusement élevés. Le gouvernement du président turc Recep Tayyip Erdoğan a transporté des milliers de migrants à la frontière avec la Grèce, sous la fausse promesse que le passage vers l’Europe était ouvert. Cela a entraîné de violents affrontements dans la zone frontalière qui ont fait au moins deux morts par balles, un enfant qui s’est noyé en mer Égée et des dizaines de migrants blessés. D’importants contingents de forces militaires et de police, avec le soutien de milices armées, ont pris position « pour protéger les frontières ».

Les forces de sécurité grecques ont utilisé des gaz lacrymogènes, des canons à eau et des munitions réelles pour « contenir » la foule qui tentait de traverser la frontière dans la région d’Evros. Dans le même temps, l’armée grecque a annoncé que pour la première fois depuis de nombreuses années, elle utiliserait des balles réelles dans le cadre de l’entraînement, à la fois d’armes légères et lourdes, dans la mer entre les îles de la mer Égée et la Turquie.

Ces opérations à la frontière ont été largement soutenues : Les entreprises grecques ont fourni un soutien matériel et financier, les groupes civils et les églises ont offert leurs « bénédictions » et les médias sympathisants les ont qualifiées de réponse légitime à une menace asymétrique à laquelle la Grèce était confrontée dans le contexte d’une « guerre hybride » avec son « ennemi éternel », la Turquie.

Arguant que le transfert organisé d’un grand nombre de migrants vers la frontière grecque était une tentative de violer à la fois la souveraineté territoriale du pays et celle de l’UE, le gouvernement grec n’a pas perdu de temps pour suspendre certaines parties de la Convention de Genève pendant un mois, et pour refuser toute nouvelle demande d’asile par les nouveaux arrivants – une décision qui a dû être retirée par la suite en raison de la forte opposition des groupes de solidarité et des groupes juridiques.

Entre-temps, il a reçu un soutien politique, économique et opérationnel total de l’UE, qui a promis une aide financière de 700 millions d’euros et a immédiatement déployé l’équipe d’intervention rapide de Frontex (RABIT) le long des frontières terrestres et maritimes. La Turquie a toutefois reçu une compensation substantielle, sous la forme de récompenses politiques et économiques, en échange de l’engagement de désamorcer les tensions à la frontière et d’expulser les milliers de migrants qui ont installé des camps de fortune le long de sa frontière terrestre.

Le conflit dans les îles

Ces escalades à la frontière sont arrivées au bon moment pour le gouvernement grec. Quelques semaines avant ces événements, une décision du gouvernement de poursuivre la construction de nouveaux centres de détention pour migrants sur les îles a provoqué une rupture totale avec les communautés locales. Lorsque le gouvernement a réquisitionné les zones destinées à la construction des nouveaux centres, le mécontentement local s’est transformé en troubles violents, le gouvernement ayant envoyé la police pour s’assurer que la construction pouvait avancer comme prévu.

Trois jours d’affrontements sans précédent se sont ensuivis entre les insulaires et la police, forçant le gouvernement à suspendre temporairement la construction de nouveaux centres de détention sur les îles de Lesvos et de Chios, ainsi qu’à ouvrir un nouveau cycle de consultations pour trouver d’éventuelles solutions alternatives.

Ces affrontements ont provoqué une grave rupture dans les relations entre le gouvernement et les communautés insulaires dont il dépend pour la bonne mise en œuvre de ses politiques frontalières autoritaires. Il est devenu prioritaire pour le gouvernement de réparer cette relation brisée dès que possible, et la crise frontalière qui a été rapidement suivie par la crise sanitaire provoquée par COVID-19 a fourni une ample occasion de le faire.

La résistance des communautés locales a peut-être été intense et à grande échelle, mais elle s’est avérée trop réactive et trop fugace pour constituer un jalon significatif sur la voie de l’émancipation sociale. En outre, le langage utilisé par de nombreux habitants a montré que leur priorité était de « récupérer » leurs îles auprès des migrants ; leur opposition aux nouveaux centres était fondée sur la perception qu’ils augmenteraient le nombre de migrants sur les îles.

Malgré la présence d’un mouvement international de solidarité des migrants dans les îles, en particulier à Lesvos, qui a participé au « soulèvement de trois jours », les troubles ont été marqués par des accents conservateurs, racistes et xénophobes. En outre, les migrants eux-mêmes ont été empêchés de participer à la lutte, et il y a eu un revirement contre toute protestation préalable des migrants pour leur libération de l’île.

Conditions de vie sur les îles

En tant que zones frontalières, les îles ont toujours été des « zones sensibles » dans lesquelles la vie quotidienne est imprégnée de différentes formes de militarisation. La foi dans la nation et ses intérêts est obligatoire, et quiconque remet en question cet état de fait doit être prêt à faire face à un ostracisme et une persécution instantanés en tant que membre étranger et hostile du corps national homogène.

Les luttes de solidarité des migrants contre les frontières et le nationalisme sont des drapeaux rouges, tant pour les organismes officiels que pour leurs alliés civils. Les attaques contre les migrants et les militants de la solidarité ne sont pas un phénomène nouveau en Grèce. La tolérance politique, policière et judiciaire et la dissimulation des attaques, ainsi que le soutien dont bénéficient les attaques dans de larges pans de la société, offrent un terrain fertile aux groupes de raid pour se renforcer et opérer sans retenue.

Les profits générés par les vastes secteurs de la surveillance et de la protection des frontières et de la gestion des populations migrantes incitent fortement les communautés insulaires locales à se conformer aux politiques de lutte contre l’immigration. Cependant, dans ces petites communautés fermées, les choses sont plus complexes. Les mauvaises conditions de vie dans les camps ont également commencé à affecter négativement les communautés environnantes.

Les communautés locales entourant les camps ainsi que la population insulaire en général étaient mécontentes des changements qu’elles percevaient comme ayant un impact négatif sur leur vie quotidienne. Mais plutôt que de se rendre compte des points communs qu’ils partagent avec les communautés de migrants dans ce contexte, les insulaires les ont plutôt identifiés comme la source du problème. Au fil des ans, une colère frémissante a été cultivée, trouvant un terrain fertile dans les cercles localistes, populistes et d’extrême droite.

Pendant les trois jours de conflit entre les insulaires et les forces de sécurité, cette rage a été un moteur, et elle a rapidement été redirigée de la police vers les migrants, les activistes de la solidarité et les journalistes. Les travailleurs des ONG ont été parmi les principales cibles, car ils ont été tenus pour responsables de la détérioration de la situation dans les îles.

L »humanitarisme professionnel » a joué un rôle clé dans la normalisation des conditions exceptionnelles des centres de détention. Depuis la « crise » de 2015 jusqu’à aujourd’hui, les ONG ont joué un rôle de plus en plus actif dans la gestion et le fonctionnement des centres de détention. Nombre d’entre elles ont aidé l’UE et le gouvernement grec dans leur politique de lutte contre l’immigration.

Pourtant, dans le même temps, beaucoup d’entre elles fournissent une aide médicale et juridique indispensable aux migrants, ainsi que de la nourriture et un abri. En outre, un nombre important d’employés et de bénévoles d’ONG participent et renforcent les mouvements de solidarité qui sont actifs dans ces îles éloignées. Il semble que ce soit la raison pour laquelle le personnel des ONG a été ciblé à la fois par les institutions publiques et par divers groupes d’extrême droite.

Encouragées par le soutien politique du gouvernement local de Lesvos, les actions des groupes locaux d’extrême droite se sont intensifiées depuis le début de l’année 2020. En Moria, des barrages routiers et des attaques ont empêché les migrants et les travailleurs des ONG de passer par les zones adjacentes au centre de détention. Dans le même temps, les migrants qui protestent contre leur enfermement et leurs mauvaises conditions de vie ont été sévèrement réprimés, tant par la police que par les « citoyens indignés ».

Le climat d' »urgence » qui s’est formé à l’origine autour des protestations et, plus tard, de la « crise frontalière » avec la Turquie, a donné aux milices locales d’extrême droite l’espace et le temps nécessaires pour se renforcer encore et continuer à s’en prendre à la fois aux migrants et aux structures de solidarité. D’autres barrages routiers ont été mis en place entre le centre de détention et la ville de Mytilène, ciblant toute personne perçue comme « étrangère ». Les migrants épuisés qui atteignaient les côtes des îles en bateau ont été empêchés de débarquer, et à Chios et Lesvos, des incendies criminels ont eu lieu contre des bâtiments et des structures appartenant à des ONG ainsi qu’au HCR.

Les dégâts matériels causés par ces attaques ont été importants et ont entravé la distribution de l’aide aux migrants. Mais le climat de peur qui a suivi a eu un effet encore plus dévastateur. L’espace et le discours publics ont été dominés par le racisme et la xénophobie, ce qui a exercé une pression considérable sur les mouvements de solidarité. De nombreuses organisations ont été contraintes de suspendre leurs activités et de nombreux travailleurs ont quitté l’île. Les centres de détention, qui « accueillent » beaucoup plus de personnes que leur capacité officielle, ont vu leurs services et leurs infrastructures, déjà inadéquats, s’affaiblir encore davantage. Les migrants ont été, comme toujours, les victimes.

Comme un grand nombre de travailleurs et de bénévoles sont contraints de quitter les îles en raison de la pandémie COVID-19, la situation continue de se détériorer.

Les migrants dans la ligne de mire

Pour les migrants des îles, la situation est de plus en plus grave. Plusieurs milliers d’entre eux ont déjà passé l’hiver dans des conditions infernales, confrontés à des pénuries de nourriture, de services médicaux, de sécurité et d’hygiène. Malgré les nombreux rapports qui ont tiré la sonnette d’alarme sur les conditions inhumaines dans le centre de détention de Moria à Lesvos, il n’y a pas eu la moindre amélioration de la situation, ni aucune réduction de la surpopulation. Rien que l’année dernière, 12 personnes ont perdu la vie dans le centre de Moria, dont cinq mineurs. En effet, le gouvernement grec semble utiliser cette situation dystopique comme un moyen de dissuader les nouveaux arrivants et d’exercer une pression sur les migrants et les communautés locales pour qu’ils acceptent de nouveaux centres supplémentaires. Au niveau institutionnel, une série de mesures ont rendu difficile pour les migrants de faire valoir leurs droits à la protection internationale. Problématiques dès le départ, ces procédures n’offraient pas aux demandeurs les conditions préalables de base, comme les procédures d’information et d’examen dans leurs langues et dialectes parlés ou l’accès à un soutien juridique.

La nouvelle loi sur l’asile, qui est en vigueur depuis janvier 2020, est de nature clairement punitive et dissuasive. Ses dispositions fondamentales accélèrent l’examen des demandes d’asile au détriment d’une recherche adéquate sur l’essence des demandes. En même temps, les modifications des critères de reconnaissance de la vulnérabilité excluent essentiellement un grand nombre de migrants des dispositions de protection spéciales. Le SSPT n’est pas reconnu, par exemple, et des obstacles sont mis sur la voie de l’examen des victimes de la torture.

L’expulsion des migrants devrait s’accélérer, avec la possibilité d’expulser des migrants vers des pays tiers alors que leurs procédures légales sont encore en cours.

De nouveaux obstacles ont rendu encore plus difficile l’accès au marché du travail, aux services de santé et à l’éducation. La loi étend la limite de la détention administrative des demandeurs d’asile et renforce les exigences en matière de respect des ordres des autorités. Ceux qui ne s’y conforment pas peuvent se voir refuser l’examen de leur demande d’asile. Ainsi, le droit d’exiger un traitement et une enquête équitables des demandes d’asile est pénalisé, et les migrants deviennent encore plus précaires face aux actions arbitraires des autorités.

La dernière attaque de l’État grec, cependant, ne vise pas seulement les migrants enfermés dans des centres de détention. Il continue à poursuivre ceux qui, par le biais de divers programmes, ont été transférés hors des centres de détention, et même ceux qui ont été reconnus en vertu des conventions de protection internationale. En vertu d’une loi récente, tous les migrants et demandeurs d’asile bénéficiant d’un statut de protection internationale ou subsidiaire, logés dans des appartements ou des chambres d’hôtel dans le cadre du programme ESTIA du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), ont été invités à quitter leur domicile dans un délai d’un mois à compter de la décision du service d’asile.

En plus des expulsions, le paiement de leur allocation mensuelle sera également interrompu. Alors que le processus de leur intégration continue à être douloureusement lent, l’accès au marché du travail est presque impossible pour la majorité des migrants, ce qui entraîne une insécurité encore plus grande et le risque d’exploitation.

Toute forme d’auto-organisation, de protestation ou de résistance de la part des migrants se heurte à de graves violences policières et à des arrestations arbitraires. Des squats accueillant des migrants dans le centre d’Athènes ont été expulsés, et plus de 900 anciens résidents ont été transférés dans des cellules et des centres de détention déjà surpeuplés.

Survivre dans le cadre de l’état d’urgence COVID19

Les mesures restrictives utilisées pour empêcher la propagation de COVID-19 ont conduit à de nouvelles restrictions des droits et libertés des migrants. Il semble que dans le cadre de l' »état d’exception », il y ait place pour d’autres exceptions encore. De nouvelles lois puant l’autoritarisme sont adoptées sans que personne n’ait la possibilité de les contester. Les migrants sont confinés dans des centres de détention très peuplés dans lesquels ils ne peuvent mettre en œuvre aucune des mesures de protection préventive comme l’isolement ou la distanciation sociale. Pendant ce temps, ils sont dépeints comme une menace pour la santé publique sur les médias sociaux, dans la presse grand public ainsi que dans les institutions publiques officielles.

Le même récit a également été utilisé pour justifier l’abandon des nouveaux arrivants, qui se sont vus interdire de quitter la plage et obligés de rester sur les rivages de l’île pendant plus d’un mois avec peu de provisions et d’assistance. Lorsqu’un cas de COVID-19 est identifié dans les différents centres d’hébergement temporaire en Grèce continentale, il est utilisé comme prétexte pour confiner et enfermer les migrants, tandis que les forces de police et les forces militaires sont appelées à assurer le respect des règles. En enregistrant les cas des migrants et d’autres communautés marginales comme les Roms comme étant distincts de ceux de la population autochtone, les médias appliquent un récit de séparation et d’exclusion.

Les migrants eux-mêmes semblent terrifiés par les répercussions de la transmission du virus dans les centres de détention, car la plupart sont visiblement épuisés et ont des problèmes de santé sous-jacents. L’information qui leur est fournie sur la maladie et les mesures de prévention est minimale, ce qui provoque la peur et la panique. Cette peur est encore exacerbée sur les îles en raison du manque de personnel et de la dégradation des services de santé.

Le jour d’après

Les changements qui ont déjà eu lieu et ceux qui seront probablement provoqués par la pandémie de COVID-19 sont importants. La conception revigorée de l’État-nation, la restriction des mouvements transfrontaliers et la récession économique qui s’annonce sont autant de facteurs qui vont exercer une pression encore plus forte sur des populations migrantes déjà précaires et vulnérables.

La montée du racisme et de la xénophobie, tant au niveau institutionnel que social, restreindra encore davantage leurs droits et libertés, ce qui soulève d’importantes questions sur la direction que devraient prendre les mouvements de solidarité.

Le temps semble actuellement condensé, et les mouvements doivent trouver un moyen de briser le plâtre dans lequel ils sont enfermés. Un vaste mouvement de solidarité internationale est actif dans les îles de la mer Égée, fournissant de nombreux services, allant des opérations de sauvetage et d’accueil en mer à l’alimentation, la santé et l’hébergement – ainsi que des actions directes antifascistes et antiracistes. Les restrictions mises en œuvre dans le cadre de la « situation d’urgence » COVID-19 ont imposé des obstacles encore plus importants dans l’organisation et les pratiques de ces groupes.

Le soutien aux migrants et aux groupes de solidarité dans les régions frontalières de l’Europe est vital. Nous devons reconnaître que leurs luttes sont un élément clé de la lutte internationaliste plus large contre le totalitarisme rampant aujourd’hui, en particulier sous le régime d’urgence COVID-19.

Traduction du grec par Saskia Fischer.

Spyros Galinos est un résident de l’île de Lesvos et un membre de groupes horizontaux et auto-organisés qui participent aux luttes contre le monde du nationalisme, des frontières et de l’exploitation.

puis en français par deepl

Source https://roarmag.org/essays/as-the-world-battles-covid-19-greeces-war-on-migrants-wages-on/

Libérer les enfants de migrants détenus dans des cellules

Grèce : Mettre les enfants migrants en sécurité  – 276 enfants non accompagnés derrière les barreaux

(Athènes) – Les autorités grecques devraient libérer les 276 enfants migrants non accompagnés actuellement détenus dans les cellules de la police et les centres de détention en Grèce, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui dans une lettre au Premier ministre Kyriakos Mitsotakis. La libération de ces enfants est d’autant plus urgente que la pandémie de Covid-19 est en cours.
« Le Premier ministre devrait tenir sa promesse de protéger les enfants non accompagnés et s’assurer que des centaines d’enfants vulnérables soient libérés des cellules sales et surpeuplées, parfois aux côtés d’adultes, où ils sont exposés aux risques d’infection par Covid-19 », a déclaré Eva Cossé, chercheuse sur la Grèce à Human Rights Watch. « Il n’y a aucune excuse pour ne pas donner à ces enfants les soins et la protection dont ils ont besoin ».
Selon le Centre national pour la solidarité sociale, un organisme gouvernemental, au 30 avril 2020, on estime que 276 enfants étaient en garde à vue en attendant d’être transférés dans un centre d’accueil. Cela représente 19 enfants de plus derrière les barreaux que lorsque Mitsotakis a annoncé, en novembre 2019, le plan « No Child Alone » pour protéger les enfants non accompagnés.
Les recherches de Human Rights Watch ont documenté la détention arbitraire et prolongée d’enfants migrants non accompagnés [cf. https://www.hrw.org/report/2016/09/08/why-are-you-keeping-me-here/unaccompanied-children-detained-greece] dans les cellules de la police et d’autres centres de détention, en violation du droit international et grec. Selon la loi grecque, les enfants non accompagnés doivent être transférés dans des logements sûrs, mais la Grèce manque de place dans des installations appropriées.
En attendant leur placement dans un centre d’accueil, les enfants non accompagnés peuvent être détenus pendant des semaines ou des mois dans des conditions surpeuplées et insalubres, parfois avec des adultes sans lien de parenté, dans de petites cellules de commissariat et des centres de détention où il est impossible de suivre les directives de distanciation sociale. Ils ont souvent peu accès aux soins de santé et autres services de base, aux produits d’hygiène, ou même à la lumière naturelle. Dans de nombreux cas, ils ne reçoivent pas d’informations sur leurs droits ou sur la manière de demander l’asile, et beaucoup éprouvent une détresse psychologique.
La récente diminution de la durée de détention préventive d’un enfant non accompagné, qui est passée de 45 à 25 jours, est un pas dans la bonne direction. Mais les normes internationales en matière de droits de l’homme considèrent que la détention liée à l’immigration, y compris la « détention préventive », n’est jamais dans l’intérêt supérieur de l’enfant et devrait être interdite en raison du préjudice qu’elle cause, a déclaré Human Rights Watch.
La Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant interdit la détention d’enfants pour des raisons liées à l’immigration. Une étude mondiale de l’ONU sur les enfants privés de liberté (2019) [cf. https://undocs.org/A/74/136 ] a indiqué que même si les conditions de détention sont bonnes, la détention des enfants exacerbe les problèmes de santé existants et en provoque de nouveaux, notamment l’anxiété, la dépression, le stress post-traumatique et les pensées suicidaires.
L’étude a souligné que les gouvernements ont trouvé des solutions non privatives de liberté pour les enfants non accompagnés, telles que des logements ouverts et adaptés aux enfants, des rapports périodiques et des familles d’accueil. Il existe toujours des options autres que la détention des enfants pour des raisons liées à la migration, a déclaré l’étude des Nations unies, et la détention des enfants pour leur « protection », même si une prise en charge alternative fait défaut, « ne peut jamais être une justification ».
L’UNICEF, l’agence des Nations unies pour l’enfance, a déclaré que tous les gouvernements devraient libérer les enfants de leur détention, y compris ceux qui sont détenus pour des raisons d’immigration, en raison de la pandémie Covid-19.
Le 14 avril, Human Rights Watch a lancé une campagne pour #FreeTheKids [cf. https://www.hrw.org/FreeTheKids ], exhortant les gens à faire pression sur le Premier ministre Mitsotakis pour qu’il libère immédiatement les enfants migrants non accompagnés de leur détention et les transfère dans des établissements sûrs et adaptés aux enfants. Les options de transition pourraient inclure des hôtels, des foyers d’accueil et des appartements dans le cadre d’un programme de vie indépendante soutenue pour les enfants non accompagnés âgés de 16 à 18 ans.
La Commission européenne devrait aider financièrement la Grèce à créer des places supplémentaires de placement à long terme pour les enfants non accompagnés. Les autres membres de l’Union européenne devraient accélérer le regroupement familial pour les enfants ayant des parents dans d’autres pays de l’UE et devraient proposer de reloger les enfants demandeurs d’asile non accompagnés – même s’ils n’ont pas de liens familiaux.
Selon les dernières données du gouvernement, depuis le 30 avril, seuls 1 477 des 5 099 enfants non accompagnés en Grèce ont été hébergés dans des établissements adaptés et de longue durée. Les autres sont laissés à eux-mêmes dans des camps surpeuplés sur l’île ou dans la rue, ou sont confinés dans des cellules de police et des centres de détention sur le continent grec.

Source https://www.hrw.org/news/2020/05/19/greece-move-migrant-children-safety

La “réforme” environnementale en Grèce

La “réforme” environnementale en Grèce | F. Bendali, J. Ganoulis

Une loi dite de modernisation de la législation sur l’environnement a été votée le 5 mai dernier en Grèce, et elle a soulevé contre elle une centaine d’organisations environnementales.

Il faut, tout d’abord, signaler que le moment et la manière choisis font partie des raisons pour lesquelles ces organisations sont vent debout: le texte de 272 pages n’a tenu aucun compte des 1579 commentaires négatifs pendant la consultation publique (où il manquait la moitié des artices) et sa délibération au parlement n’a eu que 8 jours. C’est bien sûr le moment où la pandémie du coronavirus restreint  fortement le fonctionnement de l’assemblée nationale et les capacités de mobilisation des citoyens. M. le Ministre aurait-il lu « La stratégie du choc » de Naomi Klein?

Le contenu de la loi concerne, entre autres, deux axes importants de changement:  les procédures d’évaluation des impacts des activités sur l’environnement et le niveau de protection des zones  Natura 2000.

L’évaluation des études d’impact ne passera plus par le gouvernement. Elle se fera par un bureau d’étude inscrit sur une liste, différent de celui qui a fait l’étude elle-même, le tout payé par  l’entrepreneur (qui paye déjà les études d’impact depuis longtemps). On voit là la continuité du processus d’externalisation des actes publics. Bien entendu, l’évaluation de l’étude sera quand même déposée  au ministère concerné pour approbation. Il devrait, en tout cas, y rester quelqu’un qui sache lire une étude d’impact. Celle-ci devrait être consultable par le public, comme cela c’est passé jusqu’à présent sauf si une loi, transposant la directive européenne sur le secret des affaires, l’en empêche.

La protection des zones Natura 2000 est déjà à un niveau faible sauf lorsque la zone Natura correspond à un parc national, voire régional, auquel cas sa protection est assurée par une loi difficilement contournable. C’est d’ailleurs le cas aussi en France, où Natura 2000 ne veut pas dire non plus grand chose (l’implication d’un nombre maximum de corps et d’organisations font des zones un machin difficile à gérer). Avec la nouvelle loi, le plan communal d’occupation des sols primerait sur la qualification Natura 2000. Autrement dit, si une route passe dans une zone Natura, ou si un champ de betteraves pas du tout bio y sont et qu’ils sont dans le plan, leur usage prime sur la protection de la nature. Pour relativiser la gravité de cela, il faut signaler qu’ un tiers du territoire grec à peu près, est en zone Natura, ce qui tend à banaliser la situation citée plus haut. Des zones de protection graduelles (protection totale, zones d’interdictions spécifiées, zones d’éco-développement etc.) sont prévues par la loi concernant les sites Natura, à l’instar des parcs, mais c’est la délimitation de ces zones qui pose problème. On peut supposer que ceux qui décideront de cette délimitation auront les « businessmen » penchés sur leurs épaules. En tout cas il ne faudra plus compter sur les offices de gestion des sites, ils sont en train d’être abolis.

Le monde des affaires, qui est aux gouvernes dans l’Union Européenne au moins depuis Thatcher, et qui est donc responsable de la situation environnementale actuelle, juge que la nature n’est pas assez détruite. Ce monde est donc pour le moins climatosceptique et indifférent à la perte de la biodiversité, pourtant indispensable au bon fonctionnement des écosystèmes, y compris quand ces écosystèmes sont primordiaux pour l’alimentation et la santé publiques.

La meilleure chance d’arrêter la dégradation de l’environnement dans un contexte encore un peu démocratique est la possibilité donnée aux populations locales d’avoir leur mot à dire dans la gestion de leur propre environnement.

Frédéric Bendali, Ingénieur d’étude en environnement
et Jacques Ganoulis, Docteur d’Etat en Hydraulique

Confédération Internationale Solidaire et Ecologiste

Source http://www.defenddemocracy.press/la-reforme-environnementale-en-grece-f-bendali-j-ganoulis/

Big Brother dans les classes

Contre l’œil de Big Brother dans les salles de classes en Grèce ! par A. Sartzekis sur NPA

Au concours des ministres les plus réacs du gouvernement de droite de Kyriakos Mitsotakis, la ministre de l’Education (et des Cultes) Niki Kerameos est assurément parmi les mieux placées : avec son obsession de (re)mettre les valeurs traditionnelles orthodoxes (la religion d’état) au centre de l’enseignement, son rêve est de mettre au pas les jeunes et les enseignants -dès l’été dernier, le gouvernement a supprimé l’asile universitaire, et on a pu voir depuis la police intervenir violemment dans les facs. En même temps, le projet éducatif est peu ou prou le même que celui poursuivi par Blanquer en France, avec le même mépris pour les élèves et les enseignants : « Nous ne laisserons pas des intérêts bassement politiques et syndicalistes faire obstacle à la progression de nos enfants ».

Coup double contre l’école

La période de confinement se termine, avec un bilan de l’épidémie sans rapport avec celui de France ou d’Italie, ce que Mitsotakis tente d’exploiter comme preuve de ses compétences (cf article : « Démasquer le mythe de la bonne gestion du coronavirus en Grèce »). Et depuis une semaine, le début du retour dans les salles s’effectue, avec les mêmes inquiétudes qu’en France devant les risques évidents et la même logique du pouvoir de se défausser sur la responsabilité individuelle des parents et des personnels. Au moins la démarche est-elle quelque peu plus logique : cette semaine, ce sont les élèves de Terminale qui sont retourné-e-s en salles, la semaine prochaine ce seront les autres niveaux du lycée et les collégien-ne-s. Mais la ministre a osé profiter de la période de confinement pour tenter d’imposer 2 mesures, comptant sur les difficultés à organiser une riposte. La première mesure, c’est un amendement passé en douce dans un projet de loi sans rapport (sur les fonds secrets dont pourrait disposer le ministère des migrations…) : profitant de « l’enseignement à distance », cette mesure a pour but de donner une suite légale à cette forme et institue … le placement de caméra dans la salle pour que les élèves absents puissent ne pas perdre le bénéfice de la leçon ! Evidemment, quand l’amendement a été découvert, ç’a été un tollé : contre le caractère prétendument moderne de la mesure, les enseignants dénoncent un évident contre-sens pédagogique, une aberration quant à la connaissance de ce qu’est une classe, et ils soulignent le caractère clairement fliquant de cette mesure : pas de Big Brother dans les salles de classe, c’est le mot d’ordre qui a été illico et unanimement mis en avant ! Qui plus est, Kerameos et le porte parole du gouvernement ont été pris en flagrant délit de mensonge public : ils ont fait croire que l’Autorité de Protection des Données Personnelles avait donné son accord à la mesure, ce que son président a formellement démenti ! Pas joli ce mensonge pour une défenseuse de la morale religieuse !

La colère qui a saisi la communauté éducative est d’autant plus grande que cette mesure s’ajoute à un projet de loi de « refondation » de l’école, présenté bien sûr comme visant à « améliorer » le système. Cette loi, présentée lors du confinement, vise l’ensemble de la scolarité de la maternelle à la terminale, avec entre autres mesures l’augmentation au primaire du nombre d’élèves par classe (à 26), l’apprentissage par coeur avec une logique « d’arène examinatoire » au secondaire, le principe devenant encore davantage celui du bachotage au détriment de la formation générale. L’objectif est comme en France celui de favoriser le privé – le bachotage va pousser encore plus fort les familles à payer des cours privés de préparation aux examens, qui existent dans tout le territoire – et d’opérer une plus forte sélection sociale à l’entrée de l’université, le principe régnant devant être celui de la concurrence. De plus, les établissements seraient évalués, avec risque de fermeture d’écoles jugées en dessous des critères fixés par on ne sait quel « expert »…

Cerise symbolique sur le gâteau : le rétablissement en force du latin, qui ne serait pas enseigné dans un esprit d’approche comparative linguistique et culturelle, mais plus proche de ce qu’on appelait le « latin d’église », qui doit tellement plaire à cette ministre réactionnaire. Comme l’explique au site TVXS une responsable d’OLME en Attique, « le résultat sera la création d’écoles à plusieurs vitesses, le découpage catégoriel, le lien entre évaluation et subventions, la fermeture d’écoles et l’étouffement de l’éducation de masse. »

Une mobilisation très déconfinée

Face à ce qui relève et de la provocation et d’un projet de société illustrant très bien le libéralisme an 2020, la colère s’est fait entendre avant même le début de déconfinement, avec un premier rassemblement il y a 2 semaines à Athènes. Mais mercredi 13 mai c’est dans de nombreuses villes de Grèce que de belles vraies manifs et rassemblements ont eu lieu, à l’appel des syndicats OLME (secondaire), DOE (primaire), OIELE (syndicat du privé), des parents d’élèves et des lycéen-ne-s rejoints par les étudiant-e-s. A Athènes, la manif a réuni bien plus de 5000 personnes, bien déterminées à obtenir le retrait de la loi et de la mesure Big Brother.

Un débat a été engagé sur cette mesure : en effet, si tout le monde refuse l’enregistrement filmé des cours (pour sauver sa mesure, Kerameos explique maintenant qu’il n’y aura aucun moyen d’enregistrer, que tout sera « en direct » et détruit ensuite !…), les cours à distance sont promus par certains : d’un côté, la droite, qui y voit la possibilité d’éviter des recrutements d’enseignant-e-s, de l’autre, la gauche réformiste, dans une vision scientiste très classique et peu critique. Face à cela, la mobilisation doit donc affirmer clairement : pas question d’institutionnaliser le cours à distance !

Mais à partir de là, une partie de la gauche anticapitaliste se saisit de ces positions pour dénoncer le « syndicalisme de soumission patronal et gouvernemental », comme l’écrit Prin, le journal de NAR (17 mai), mettant en cause ici un arc qui va de la droite à Syriza et au KKE (PC grec). Or, autant il est effectivement indispensable de mener une bataille intransigeante autour des revendications pédagogiques d’une école pour toutes et tous, fonctionnant autour de la notion du cours dans la classe, avec tous les moyens matériels et humains nécessaires, autant il faut prendre en compte dans cette situation

– le rôle très important des unions locales des syndicats enseignants (en particulier dans le secondaire) dans la mobilisation

– la situation paradoxale de la direction d’OLME : dirigée actuellement par le courant de la droite gouvernementale, elle est là en opposition à « son » gouvernement. C’est l’une des contradictions dont on avait dit dès l’été dernier que la politique de Mitsotakis ne manquerait pas de les faire surgir. Dès lors, la priorité doit être aujourd’hui à l’élargissement d’un mouvement qui peut obtenir un large soutien. Et devant le refus de Kerameos de céder – elle refuse même de recevoir la Fédération des parents d’élèves, qui représente 300 000 familles – les syndicats appellent à poursuivre la mobilisation la semaine prochaine, ce qui peut être l’occasion de faire le lien avec la politique « tout pour le privé » et anti-jeunes du pouvoir (des rassemblements « d’après confinement » de jeunes dans différents quartiers ont eu droit à une violente répression, comme à Kypseli, quartier populaire d’Athènes ou hier soir à Thessalonique) et de faire reculer ce gouvernement, avec retrait des mesures et si possible démission de la ministre, ce qui serait un coup bien plus dur pour la droite que le nécessaire remaniement ministériel en vue (4 ministres visés pour cause d’incompétence trop voyante) ! Organiser le « toutes et tous ensemble » – avec les précautions sanitaires indispensables ! – et obtenir une victoire, c’est aujourd’hui possible, et c’est urgent !

Athènes, le 17 mai 2020

Source https://npa2009.org/actualite/international/contre-loeil-de-big-brother-dans-les-salles-de-classes-en-grece

L’entretien Cédric Herrou

Dans l’émission « Air libre » en accès libre de Médiapart : l’exécutif attendu au tournant par les soignants, la crise vue des États-Unis, l’entretien avec Cédric Herrou depuis la vallée de la Roya, et les oiseaux de Vanessa Wagner.

L’entretien avec Cédric Herou, agriculteur et activiste dans la vallée de la Roya (Alpes-Maritimes) à la 36 : 56

Sanofi, la face cachée

Par Thierry Bodin, Bernard Dubois, Danielle Montel (*)
 
Sanofi est un grand de l’industrie pharmaceutique mondiale. À l’heure où la crise sanitaire met en lumière les enjeux du système de santé, dont un des maillons forts est celui des médicaments et des vaccins, la direction de Sanofi est sous les projecteurs. Hier elle annonçait verser aux hôpitaux 100 millions d’euros pour les aider à affronter le COVID-19. Aujourd’hui son PDG est à la une de l’actualité pour son annonce tonitruante que dès lors qu’un éventuel vaccin contre le virus serait mis au point par Sanofi, il sera prioritairement mis à disposition des ÉtatsUnis, en reconnaissance du soutien financier apporté par ce pays à la recherche de l’entreprise. D’où un peu de bruit pour des questions de grande importance ! Et aussi invitation à s’intéresser à Sanofi, moins à ses coups d’éclat qu’aux stratégies de sa direction, sur les plans, financier et de santé, et aussi à l’égard des personnels.

 Sanofi est le premier laboratoire français et le second européen, avec plus de 100 000 salariés dans le monde dont 23 000 en France (CDI, CDD) travaillant sur une trentaine de sites en France. Son chiffre d’affaires dépasse les 36 milliards d’euros et le résultat net des activités plus de 7,5 milliards d’euros. Sanofi est un membre actif du LEEM (les entreprises du médicament) et du MEDEF par la Fédération Française des industries de santé (FEFIS : dispositifs médicaux, négoce dentaire, répartition pharmaceutique, optique, industrie chimique organique de synthèse et biochimie…) et des fédérations professionnelles européennes. Tous les organismes patronaux auxquels les Big pharma adhèrent sont de grands lobbyistes auprès des gouvernements, des parlements, des élus locaux, des hôpitaux… Les décisions d’un groupe, d’une entreprise ont des conséquences pour l’ensemble d’une ville, d’une région, d’un pays, pour le monde. Dans les démocraties libérales, le lien de subordination ferme l’accès à tout débat démocratique aux bornes de l’entreprise. Les quelques initiatives d’ouverture de droits à des lanceurs d’alerte ne font qu’illustrer l’énergie, le courage et la souffrance endurés par ceux qui n’ont pas pu se résigner à l’obscurantisme du néolibéralisme. Aujourd’hui, cette partition entre l’entreprise et le reste du monde n’est plus audible, tant en matière sociale, économique, environnementale que de santé publique. L’action politique démocratique ne peut s’affranchir de la connaissance du monde de l’entreprise. Militants syndicalistes à la CGT, il nous semble utile de partager notre expérience, en cette période de catastrophe sanitaire, et de mettre au grand jour l’impact de décennies de choix politiques de rigueur et de stratégies industrielles purement financières des grands laboratoires pharmaceutiques privés, sociétés du CAC 40. Le syndicat CGT et ses syndiqués dans Sanofi interviennent dans le domaine de la santé, bien commun de tous. Ils sont organisés sur chaque site de façon à construire les réponses aux besoins des salariés citoyens et à agir.

 Le profit ou la santé ?

Comme les grands laboratoires pharmaceutiques et autres entreprises cotées en Bourse, la direction de Sanofi a pour stratégie de viser le profit maximum à court terme. D’où un leitmotiv : satisfaire les actionnaires ! Tout est construit, ordonné pour faire remonter du « cash » : gestion de la trésorerie, examen des taux de change, « optimisation fiscale », gestion des stocks, de l’emploi, des salaires, focalisation sur les maladies les plus rentables… Et, pour chaque activité, des objectifs d’économie sont fixés. Sanofi, tout comme ses confrères du CAC 40, est en perpétuelle restructuration. Les conséquences en sont des suppressions d’activités et d’expertises, des fusions, des fermetures, des diminutions d’emplois. De Jean-François Dehecq, son emblématique PDG, qui fut chargé entre 1982 et 1988 de diversifier les activités lucratives d’Elf Aquitaine en créant de toutes pièces un groupe pharmaceutique à coups de fusions/acquisitions (plus de 300) et en rassemblant des cautions politiques de tous horizons, à Paul Hudson, l’actuel PDG, les dirigeants successifs se sont tous engagés à servir les actionnaires au détriment des savoir-faire, de la recherche, de la distribution de principes actifs et de spécialités pharmaceutiques utiles.

 Si la direction de Sanofi se glorifie d’avoir versé aux hôpitaux 100 millions d’euros pour faire face à la crise du COVID-19, elle fait moins de publicité à une autre réalité : le 28 avril 2020, l’assemblée des actionnaires de Sanofi a voté le versement d’un dividende de 3,15 euros par action (+ 2,6%), soit 3,95 milliards d’euros. C’est la 26e année consécutive de croissance du dividende.  Les deux premiers actionnaires sont L’Oréal et le Fonds de pension vautour Blackrock. La seule famille Bettencourt a touché 120 millions d’euros de dividende, et Blackrock plus de 200 millions d’euros.  Cette course effrénée à la satisfaction des actionnaires s’est traduite par une hausse continue du dividende (annexe 1) ainsi que des rachats/annulations d’actions (annexe 2). De surcroît elle a été soutenue par des aides publiques, celles-ci sans retour attendu (ni même demandé). Ainsi, de 2008 à 2020, Sanofi a bénéficié annuellement de 115 à 150 millions de crédit d’impôt, dont principalement le crédit d’impôt recherche (source : cabinet d’expertise Syndex). Cela sans aucun engagement ni aucun contrôle de l’utilisation de ces fonds.  Dans le même temps ont été provoquées des casses industrielles désastreuses (annexe 3), lesquelles ont gravement impacté la recherche interne et la recherche publique. Cette gestion capitaliste de Sanofi s’est traduite par de multiples restructurations, dans le monde et en France, des arrêts d’activités essentielles et par près de 5 000 suppressions d’emplois en 12 ans en France (Annexe 4). Cette stratégie, malgré les alertes de la communauté médicale et scientifique, a conduit à l’abandon de la recherche sur des axes thérapeutiques majeurs dont les médicaments anti-infectieux (antibiotiques, antiviraux, antifongiques). Ceux-ci étant jugés insuffisamment rentables par Sanofi, mais également par la quasi totalité des entreprises pharmaceutiques.  La CGT Sanofi n’a eu de cesse, arguments à l’appui, d’insister sur le nécessaire maintien de ces axes thérapeutiques essentiels en termes de santé publique. Alors que la réouverture d’un axe anti-infectieux sur Toulouse avait été obtenue en 2010, les plans d’économie visant à fermer des sites de recherche ont conduit au gâchis de son transfert à Lyon en 2015, puis à un désengagement total en 2018  Aujourd’hui, à la lumière de la pandémie de COVID-19, chacun peut constater les désastreuses conséquences, aux plans sanitaire, économique et social, de l’absence de traitements et de vaccins. Du coup, poussés par l’urgence sanitaire et la colère des peuples, et surtout attirés par de possibles profits, les laboratoires lancent des dizaines d’études cliniques, parfois avec des médicaments vieux de plus de 40 ans. Mais un an plus tôt, aucun traitement ni vaccin n’était à l’étude concernant les virus à ARN. Terrible démonstration de l’échec de la gestion capitaliste des industries pharmaceutiques, pour lesquelles seul compte le niveau de rentabilité ! Et aussi des politiques de laisser-faire des gouvernements et de l’OMS.

 Et les salariés ?

Cette entreprise se doit de répondre aux critères financiers des agences de notation (Moody’s, Standard and Poor’s…). Pour faire simple : une bonne note et c’est l’accès aux meilleurs taux d’intérêt, et un plus pour le cours de l’action. Parmi les facteurs examinés par les financiers se trouvent les passifs sociaux, lesquels représentent les engagements pris en faveur des salariés : indemnités de licenciement, indemnités de fin de carrière, gratifications d’ancienneté, régimes de prévoyance et de soins de santé des retraités. L’objectif est de les diminuer, en remettant en cause des acquis gagnés de haute lutte et la solidarité intergénérationnelle (actifsretraités). Cette destruction des solidarités représente une obsession des entreprises capitalistes. La mobilité a été imposée, certains salariés ont subi trois mutations géographiques successives. Certains, excédés, ont dû quitter le groupe. La peur s’est installée. Des familles ont été détruites. Des régions ont été désertifiées du fait des restructurations. L’intérim représente le modèle idéal, en ce qu’il permet de disposer d’une main-d’œuvre flexible, corvéable, qui ne peut pas se permettre de faire grève, ce qui réduit de facto le rapport de forces dans l’entreprise. De plus, les intérimaires n’étant pas salariés de l’entreprise, le passif social les concernant est dérisoire. Obtenir la requalification en CDI des contrats d’intérim ou de CDD est difficile. La CGT de Val-de-Reuil a conduit avec succès une telle lutte : plus de 300 salariés requalifiés en 6 ans. Mais le nombre de victoires obtenues dans le groupe et en France reste faible, le pouvoir des inspections du travail limité, bien que clairement le Code du travail ne soit pas respecté. En conséquence, Sanofi a toujours recours à plusieurs milliers de travailleurs intérimaires ou en CDD, cela en complète infraction avec la législation, mais avec le bénéfice de moins de passifs sociaux.

En recherche, ce sont les stagiaires, contrats d’apprentissage, thésards qui remplacent les techniciens incités à partir lors des plans de restructuration. Main d’œuvre bon marché, à la fin de leur stage ou de leur thèse, moins de 5 % sont embauchés. Les précaires et le turn-over permettent de répondre à des conditions de travail rendues difficiles par la baisse des effectifs et de l’investissement (en capacité et en modernisation) : flux tendus, mise en place de méthodes de management et de recherche en vue de gains de productivité, tel que le LEAN, tension permanente, micro-pauses supprimées, process « challengé » jusqu’à l’extrême limite du respect des Bonnes Pratiques de Fabrication (BPF)… Économie sur les passifs sociaux et intérim constituent une stratégie qui paupérise les salariés, affecte leur santé physique et mentale, réduit les rémunérations des actifs et des retraités, et aussi permet de s’affranchir des lois de la cité (Code du travail, Code de la santé publique). S’ajoute ce que nous avons vécu ces dernières années : lois Rebsamen, El Khomri, Macron, qui ont bouleversé le Code du travail et une partie du « contrat social ».

 Sanofi : Une politique managériale destructrice

Tout en attendant des outils législatifs favorisant des restructurations nouvelles (à la réalisation desquels certainement travaillent le groupe et les associations de DRH), Sanofi n’est pas resté l’arme au pied. Les négociations annuelles obligatoires (NAO) concernant les salaires ont été réduites à des chambres d’enregistrement, le groupe a supprimé toutes les augmentations collectives, c’est un moyen de diviser, isoler les salariés, privilégier les augmentations individuelles au mérite.  Un système d’évaluation des atteintes d’objectifs mis en place, dans un premier temps chez les cadres, a ensuite été étendu à l’ensemble des catégories professionnelles. Ce système d’évaluation individuelle, basé sur la subordination, a des effets négatifs sur la rémunération, sur la poursuite du contrat de travail. Et, tout aussi grave, il entrave le travail collectif, nie le droit à la parole sur ce qui concerne le sens, le contenu et l’exercice des métiers.  Piégé dans un climat de performance individuelle et dans un encadrement disciplinaire de l’exercice professionnel (rémunération individualisée, lettres de recadrage, avertissements…), le salarié se trouve contraint d’agir et de penser comme le veulent sa hiérarchie et la direction. Pour, au passage, souffrir des excès de zèle d’intermédiaires hiérarchiques toujours prompts à planter des aiguilles dans les ailes des papillons. Un management qui génère de l’absentéisme, court et long, des accidents et peut conduire au burn-out. L’expression du savoir-faire, de l’expérience et de la mémoire professionnelles se trouve inhibée (par autocensure) au profit d’une ligne standardisée dédiée à la rapidité d’exécution.  Les plans de formation sont réduits à des modules obligatoires, de sensibilisation à la prise en compte de nombreuses chartes « éthiques sanofiennes », utiles à servir de justificatifs aux autorités de tutelles. Les formations qualifiantes, techniques et prospectives sont rares. La gestion des plans de formation est externalisée, modélisée dans un logiciel de l’intranet. L’accès des salariés à la formation est complexifié et lié aux résultats de l’entretien annuel d’activité (objectifs ingurgités, le salarié gavé est « tatoué » sanofi). La discipline est très prégnante et la note comportementale d’adhésion à la stratégie suivie et sa déclinaison dans chaque service ont plus de valeur que les appréciations techniques et de savoir-faire. Tout ceci pousse aux ruptures conventionnelles. C’est un autre aspect de la gestion des effectifs : gestion de l’épuisement professionnel et de la dégradation des conditions de travail, exclusion des « fortes têtes » ou des moutons noirs, pression sur les salariés restant présents dans l’effectif… Ce qui se dessine est une forme de standardisation de l’humain-type-sanofi au travail, décidé par une « élite ». Nous assistons à une forme avancée et coordonnée de sélection des salariés. À quand l’eugénisme sanofien ?

 Des luttes pour l’intérêt général

 La dénonciation par la CGT Sanofi des rejets gazeux toxiques du site de Mourenx a visé tout à la fois à garantir la santé des salariés et des populations environnantes, non sans lien avec la situation des victimes des pathologies liées à la prise de Dépakine. Ce combat pour une meilleure prise en compte des effets sanitaires et environnementaux vise à contraindre les dirigeants à améliorer les procédés de fabrication, à reconnaître les risques qui lui sont liés, et à développer la pharmacovigilance des médicaments.

La lutte des salariés de Famar à St Genis Laval (ex Sanofi) pour la survie de leur usine, qui produit 12 médicaments majeurs de santé publique, est emblématique du combat des salariés pour l’intérêt général. Elle nécessite un engagement urgent du gouvernement permettant la poursuite de l’activité.

Notre intervention sur la nécessité de trouver de nouveaux adjuvants pour remplacer l’aluminium dans les vaccins, qui est source de nombreux cas de Myofasciite à macrophages, renvoie à notre mission essentielle : fournir des traitements et vaccins sûrs pour les patients. Ceci est d’autant plus nécessaire que se dessine une vaccination massive indispensable.

De même, la CGT Sanofi a alerté par écrit en septembre 2019 les ministères de l’Industrie et de la Santé au sujet des risques industriels et sanitaires majeurs résultant de la stratégie de Sanofi et, dans le seul but de diminuer les coûts de production, du recours de plus en plus massif à la production de principes actifs en Inde et en Chine. Ce courrier faisait part, au regard des ruptures de plus en plus importantes de médicaments sur le sol national, de l’absolue nécessité d’assurer l’indépendance thérapeutique de la France par la préservation de cet outil scientifique et industriel.

La crise actuelle valide cette exigence. Mais il aura fallu attendre celle-ci pour que les dirigeants de Sanofi reprennent cet argument pour présenter un projet de création de production de principes actifs au niveau européen, alors qu’en 2008, lorsque la CGT argumentait pour maintenir la production du paracétamol en France, ils nous riaient au nez. En fait, derrière cette création d’une entité de production de principes actifs, se cachent les mêmes objectifs financiers, à savoir se séparer de 6 usines, dont 2 en France, pour lesquelles Sanofi ne réalisait plus d’investissements, et céder près de 200 médicaments, dont beaucoup d’intérêt thérapeutique majeur mais jugés insuffisamment rentables.

La crise sanitaire mondiale impose des décisions à la hauteur des immenses problèmes sanitaires, sociaux et économiques qui vont en résulter. Le fruit du travail des chercheurs, des salariés, fiers de leur métier au service de la santé, doit conduire à mettre à disposition des traitements et des vaccins pour l’ensemble des populations partout dans le monde.  Il faut que Sanofi s’engage à ne réaliser aucun bénéfice sur le COVID-19 et à mettre dans le domaine public tous les brevets nécessaires à la mise au point d’un traitement efficace.

À ce propos, l’accord passé, entre autres, entre Sanofi et la BARDA (autorité dépendant du ministère de la Santé des États-Unis), risque de placer les États-Unis en position de force pour imposer un chantage sanitaire à toute la planète.  De plus, le fait que Palantir (société nord-américaine gestionnaire de big data, créée par la CIA) ait signé un accord avec Sanofi pour recueillir l’ensemble des données cliniques anonymisées de Sanofi dans une grosse base de données, en vue d’en extraire des informations, renforce notre inquiétude.

  Une politique de prix en opposition aux besoins des populations Un accès de tous aux traitements nécessite de lutter contre les prix exorbitants pratiqués par Sanofi pour certains traitements.

Un exemple : le scandale du prix des insulines aux États-Unis qui a conduit à une augmentation de l’anti-diabétique Lantus de 99 euros en 2010 à 269 euros en 2018 (cf. annexe 5, la position de la CGT Sanofi).  Défendre la diminution des prix des médicaments, c’est répondre à l’intérêt général et soutenir la nécessaire activité industrielle. Ainsi la Chine a décidé en 2019 d’imposer une baisse drastique de certains médicaments cardiovasculaires, tel Plavix et Aprovel de Sanofi, ce qui s’est traduit en 2020 par une baisse du chiffre d’affaires, mais aussi par une augmentation des volumes produits. Démonstration que la baisse des prix a permis à une population plus importante d’accéder à ces traitements. La même observation a été faite lors de la division par 4 du prix de l’anti-cancéreux Taxotere en Inde.

 Pour la société humaine : quelles ruptures ?

Tout cela nous conduit à s’interroger sur ce qu’est le travail, le savoir-faire, l’évolution de la connaissance, de la qualification au service du médicament et de la santé physique et mentale au travail. Épanouissement, développement, investissement ou aliénation : taire, contraindre, céder à la consigne stupide. Dans les années soixante-dix, un slogan circulait dans les lycées : « rien de ce qui fait l’aliénation humaine ne peut être appliqué aux animaux de basse-cour ». Il y a aujourd’hui un écho de classe dans ce mot de « basse-cour », en ces temps d’oligarchie aux accents féodaux. Le médicament doit être universellement reconnu comme bien commun, c’est une évidence. C’est également vrai pour le travail, le savoir-faire et sa transmission. Nul ne doit être malade à cause du travail. La production du médicament doit, du principe actif à sa distribution, respecter les salariés, les riverains et l’environnement. La vie de la cité est altérée par la stratégie des multinationales pharmaceutiques, dont Sanofi, aussi bien en matière de satisfaction des besoins de santé que d’environnement. Les entreprises du CAC 40 sont guidées par les mêmes stratégies financières, obéissent à des actionnaires communs dont l’avidité s’attaque à des domaines essentiels à la vie : l’eau, l’alimentation, les transports, l’énergie, la santé…

Construire un monde où vivre dignement de son travail, comprendre et maîtriser le sens du travail au service de la satisfaction des besoins, c’est un projet de société incompatible avec la propriété individuelle, privée, des moyens de production. Il ne faut toutefois pas se laisser égarer par des réponses empruntées au passé, qui ont été la source d’aliénation humaine et de dégradation irréversible de l’environnement, du fleuve Colorado à la mer d’Aral, de dégâts considérables pour les populations et l’environnement, en Chine et en Inde notamment. Là-bas, comme pour les relocalisations en France ou en Europe, les productions devront se faire sous des contraintes sanitaires exigeantes.  Définissons ensemble nos besoins et les moyens de production pouvant y répondre.  Des richesses, il y en a dans le travail, dans l’intelligence individuelle et collective des salariés. Sanofi est construite sur une organisation artificielle étrangère au bien commun, et sur des pouvoirs imposés pour la maintenir. C’est tout le sens de la politique de rémunération des cadres basée sur l’évaluation de la performance individuelle que nous avons évoquée précédemment. Ceci, nous le constatons, aboutit à un désastre social.  La pandémie actuelle met à nu tous les gâchis, les délocalisations, les manques de coopération, les égoïsmes, les injustices et le déni d’humanité. Aujourd’hui il est salutaire que les citoyens maîtrisent les choix de société et leurs mises en œuvre. Dans l’entreprise pharmaceutique, un des maillons de la chaîne de santé, il est nécessaire que les salariés prennent des pouvoirs, coopèrent avec les chercheurs, les professionnels de santé, les associations, en convergence avec la cité, la région.

(*) : Thierry Bodin est statisticien, Bernard Dubois est cadre assurance qualité, Danielle Montel est pharmacologue retraitée, tous salariés de Sanofi. Tous trois sont syndicalistes CGT. Co-initiateurs du Manifeste « Pour une appropriation sociale du médicament » ils ont participé au dossier « Le médicament, un bien commun ! » du n° 42 de ContreTemps (juillet 2019).

Source http://medicament-bien-commun.org/sanofi-la-face-cachee

Un Conseil national de la nouvelle résistance

Le pari du Conseil national de la nouvelle résistance

Face à l’incompétence du gouvernement, à la tentation de l’autoritarisme et la mise en œuvre de la stratégie du choc, une vingtaine de personnalités ont suscité la création d’une structure nouvelle pour mener le combat du monde d’après.

Faire revivre « Les Jours heureux ». C’est l’objectif que se fixent une vingtaine de personnalités « en dehors des partis et des syndicats (mais pas contre eux) ». Ils sont philosophes, sociologues, juristes, économistes, médecins (1), et viennent de constituer le Conseil national de la nouvelle résistance (CNNR) « pour mener le combat du jour d’après (…) en [se] plaçant sous la tutelle de l’histoire, des luttes sociales et écologiques contemporaines ». Leur « ambition » affichée « est d’offrir un point de ralliement à toutes celles et ceux, (individus, collectifs, mouvements, partis ou syndicats) qui pensent que « les Jours heureux » ne sont pas une formule vide de sens mais le véritable horizon d’un programme politique ».

Ce nouveau Conseil national de la résistance n’aurait sans doute pas pris cette appellation si Emmanuel Macron, dans son adresse solennelle à la Nation, le 13 avril, n’avait pas promis qu’après la crise provoquée par la pandémie de Covid-19 « nous retrouverons les jours heureux ». Cette allusion transparente au titre – Les Jours heureux – du programme politique et social publié clandestinement par le Conseil national de la Résistance au mois de mars 1944, avait suscité autant de colère que d’indignation chez tous ceux qui, depuis plus d’une décennie, maintiennent le souvenir des idéaux et réalisations de ce programme contre les attaques du néolibéralisme dont le chef de l’État et son clan sont de fervents exécutants (Voir la chronique de Sébastien Fontenelle du 22 avril).

Il n’est donc pas surprenant de retrouver au secrétariat de ce CNNR, le réalisateur Gilles Perret dont le film « Les Jours heureux », sorti en 2013, a grandement contribué à entretenir la mémoire du projet de société issu de la résistance (Voir ici et ). Ou le comédien Samuel Churrin qui avait appelé à la création d’un nouveau Conseil national de la résistance dans une tribune publiée sur Politis.fr le mois dernier. Encore moins de trouver à la co-présidence d’honneur de ce CNNR deux résistants : Anne Beaumanoir et Claude Alphandéry.

Une action en deux temps

Déterminés à agir « face à l’incompétence [du] gouvernement, à la tentation chaque jour plus grande de l’autoritarisme [et] à la mise en œuvre d’une stratégie du choc », le CNNR entend « dans un premier temps (…) énoncer les principes selon lesquels notre société devra désormais être gouvernée » et envisage « de sommer les responsables politiques de prendre des engagements vis-à-vis d’eux ». Il annonce une publication du résultat de ses premiers travaux le 27 mai, à l’occasion de la journée nationale de la Résistance.

« Dans un deuxième temps, à partir de ces principes, il s’agira de nourrir le plus largement possible ce programme des idées et des propositions de chacun afin qu’il soit opérationnel au plus vite. »

Cette initiative, annoncée dans un texte et une vidéo, se distingue des traditionnels appels unitaires de personnalités politiques, syndicales et associatives, dont la dernière variante publiée sur notre site et plusieurs autres médias invite à construire l’avenir au cœur de la crise. C’est louable. Elle n’en est pas moins un pari encore un peu flou. Un peu fou aussi. Les co-fondateurs de ce CNNR en ont sûrement conscience, eux qui revendiquent cette phrase de Bertolt Brecht : « Ceux qui se battent peuvent perdre, ceux qui ne se battent pas ont déjà perdu. »


(1) Le premier Conseil National de la Nouvelle Résistance (CNNR) est composé de 10 femmes et de 10 hommes : Anne Beaumanoir (co-présidente d’honneur), Juste et résistante ; Claude Alphandéry, (co-président d’honneur), résistant ; Dominique Méda, professeure de sociologie ; Dominique Bourg, philosophe, professeur honoraire à l’Université de Lausanne ; Samuel Churin, comédien (coordination des intermittents et des précaires) ; Danièle Linhart, sociologue du travail ; Sabrina Ali Benali, médecin et militante ; Pablo Servigne, auteur et conférencier spécialiste des questions de transition écologique ; Olivier Favereau, professeur émérite de sciences économiques à l’université Paris- Nanterre ; Yannick Kergoat, monteur-réalisateur ; Jean-Marie Harribey, économiste, maître de conférence, membre des Économistes atterrés ; Anne Eydoux, maîtresse de conférence au Cnam, membre des Économistes atterrés ; Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; Pauline Londeix, ex vice-présidente d’Act Up-Paris, co-fondatrice de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament ; Antoine Comte, avocat à Paris ; Véronique Decker, enseignante et directrice d’école, syndicaliste et militante pédagogique ; Fatima Ouassak, politologue, porte-parole du syndicat Front de Mères ; Anne-Claire Rafflegeau, infirmière et porte-parole du collectif inter-urgences ; Clotilde Bato, présidente de Notre Affaire à Tous, déléguée générale chez SOL Alternatives Agroécologiques et solidaires ; Benoît Piédallu, membre de La Quadrature du Net.

Son secrétariat, moins paritaire, est composé de : Gérard Mordillat (cinéaste, romancier), Gilles Perret (réalisateur, co-fondateur de Citoyens Résistants d’Hier et d’Aujourd’hui), Denis Robert (journaliste, écrivain), Florent Massot (éditeur), Katell Gouëllo (Le Média TV), Bertrand Rothé (agrégé d’économie, professeur d’université).

Source https://www.politis.fr/articles/2020/05/le-pari-du-conseil-national-de-la-nouvelle-resistance-41888/

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