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Ephémère finissant : la rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Éphémère finissant

L’été grec bat son dernier plein. Sur certaines plages du… Grand Péloponnèse le camping libre rappelle à sa juste manière toute la force du royaume de l’éphémère finissant. Même aux alentours de la grande fête du 15 août, au demeurant dès lors derrière nous, ces vacanciers héroïques des classes pressées peuvent encore se dire que (seule) la nature leur réserve enfin un supposé quelque part. Illusion ?

Plage du Péloponnèse le 15 août 2017

Août si possible travaillé, et “Greece Terra Incognita” mon autre activité disons cousine de ce blog, m’éloigne ainsi souvent d’Athènes en ce moment. C’est de… saison comme on dit.

Au soir du 15 août dans le Péloponnèse, seule la taverne de la plage affichait fermée car réservée par les circonstances. “L’établissement est fermé, il est entièrement réservé. Nous ne servons plus. Nous vous remercions”. Les intéressés auraient pu comprendre et ils ont effectivement compris. Et quant au patron de l’établissent, agité devant sa cuisine, il n’avait que ses bras (ceux des employés plus exactement) pour préparer, servir et accueillir les trois cent personnes de la classe moyenne suffisamment plus aisée que le reste, arrivées vers 22h jusqu’au bout de la baie à bord de leurs voitures récentes.

Effectivement, la crise n’a jamais été celle de tout le monde, on l’aurait même un peu oublié sous le soleil et sous les quelques nuages de ce 15 août 2017. Été si possible travaillé, mais… alors moutons et chèvres occupent parfois ces même plages à l’aube, bien avant l’arrivée des premiers vacanciers. C’est aussi de saison.

Péloponnèse, août 2017
Établissement réservé. Péloponnèse, le 15 août 2017
Moutons et chèvres. Péloponnèse, août 2017

Seules les nouvelles qui tombent (c’est bien l’expression) n’auront jamais tombé finalement si mal. Car autour du 15 août en Grèce, près d’une centaine d’incendies de grande envergure et en série, ont sévi dans le pays réel… de la guerre ainsi faite par d’autres moyens, y compris dans la région d’Athènes. De ce fait, dans de nombreux quartiers la capitale, ceux qui n’ont pas été près des plages, ils ont aussitôt fermé portes et fenêtres à cause de la fumée et des cendres qui dominaient le ciel durant près de trois jours.

Alors que plusieurs milliers d’hectares ont été ravagés cette dernière semaine, les politiciens bronzés et requinqués encore de leur été eternel, ils ont de coutume “polémiqué” dans l’indifférence totale au sujet des moyens qui manquent. Plus de la moitié des avions existants, conçus pour lutter contre les incendies que compte la Grèce sont cloués au sol par manque de moyens et d’entretien. La presse ironise certes, sauf que l’ampleur… sérigraphique du “phénomène” est déjà si énorme cet été en Grèce, mais aussi ailleurs, par exemple en France et en Italie. Temps d’un été alors brûlant.

Une fois détournés provisoirement de leurs baignades et sortis de leurs tentes, les Grecs discutant entre eux, ils utilisent l’expression d’usage consacrée au “phénomène”, et cela depuis bien des années: “Ils ont encore brûlé le pays”. Sauf que ces “ils”, ne sont jamais désignés avec précision, et cela pour cause.

Moyens… anti-incendie. “Quotidien des Rédacteurs” du 16 août 2017
Alexis Tsipras et ses illusions… brûlées. Quotidien “Kathimeriní” du 18 août 2017
Vision athénienne. Août 2017

On scrutera alors volontiers ces nouvelles si possible de loin, avant de retrouver toute la vérité enveloppante provisoire de sa tente de camping encore libre. Visite guidée au pays sans guidon !

Et pourtant. Les îles touristiques croulent sous les flots et sous les flottilles de voiliers, certaines Cyclades, Hydra, Póros notamment. Les moins suivistes, iront plutôt se baigner tranquillement ailleurs, par exemple sous la grotte préhistorique de Frachti en Argolide (Péloponnèse toujours), habitée comme on sait depuis plus de quarante mille ans… avant les algorithmes de la finance contemporaine. Oui, le monde avait-il déjà existé avant que les dites agences de notations ne se décident “d’augmenter la note de la Grèce en ‘B-‘”, à l’instar de Fichte cette semaine, d’après la presse.

Dans la grotte de Frachti. Août 2017
Certains aspects de la vie agropastorale du passé. Frachti, août 2017

La seule note de la vie, comme de la durée perceptible c’est alors à Frachti, sous les honorables quarante mille ans de cette grotte, située et cela seulement après élévation du niveau de la mer… devant la petite île appartenant à la famille de l’armateur Livanos, laquelle a partiellement financé les fouilles des paléontologues et des archéologues.

Les éclaircissements écrits et illustrés proposés aux rares visiteurs montrent autant les différentes phases des fouilles entreprises entre les années 1970 et nos jours, ainsi que certains aspects de la vie “agropastorale en Grèce”, sachant que la grotte abritait encore un troupeau de mouton et de chèvres dans les années 1950, c’est-à-dire… peu avant les algorithmes de la finance contemporaine !

La grotte de Frachti (à gauche). Août 2017
Fouilles dans les années 1970. Frachti, août 2017
Fouilles, hommes et matériel dans les années 1970. Frachti, août 2017

Pendant qu’à Athènes les gens auront moins pu partir en vacances en ce mois d’août 2017 aux dires des voisins, et pendant que les récupérateurs aguerris… inspecteront toujours les bennes à ordures, ceux qui ont cependant pu, ils passeront encore quelques nuits sous leurs tentes colorées.

Toujours dans les faubourgs de la capitale touchés par les incendies, un programme d’assistance appuyé par la Région d’Attique vient d’être lancé afin d’apporter secours aux animaux adespotes retrouvés blessés suite aux incendies ayant sévi dans l’Est de l’Attique. Histoire surtout de leur trouver un abri temporaire et les soins vétérinaires dispensés bénévolement, voilà pour les autres nouvelles, disons rassurantes du moment (“Quotidien des Rédacteurs” du 18 août).

Au même moment, les animaux adespotes des îles comme du Péloponnèse bénéficient de la saison et des restaurants pleins (sans incendies), ou suffisamment fréquentés pour encore un petit mois. L’été grec bat ainsi son dernier plein et seuls les… contrôleurs du “fisc grec” sont si mal accueils près des plages… par certains restaurateurs et autres professionnels de l’héliotropisme. Insultes, agressions, menaces, et parfois même passage à tabac et coup de fusil tirés en l’air. Été… chaud !

Récupérateurs… aguerris. Athènes, août 2017
Camping libre. Péloponnèse, août 2017
Péloponnèse, août 2017
Péloponnèse, août 2017

Dans l’urgence, le “gouvernement grec” cherche à endurcir la législation et surtout les peines encourues. “On ne peut pas punir de la même manière l’agression que subit un simple citoyen et celle dont il est victime un agent du fisc dans l’exercice de sa mission”, déclare à la presse (quotidien “Kathimeriní” du 19 août) Yórgos Pitsilis, celui qui dirige la dite “Agence Indépendante des recettes Publiques”.

Sauf que cette dite “Agence Indépendante” imposée par la Troïka et contrôlée par elle, ôte tout contrôle des finances et surtout des recettes publiques à l’État grec (?) comme autant au ministère des Finances ou au “Parlement”. La boite de Pandore est ouverte, et les… usages d’en haut… provoqueront ou donneront prétexte aux comportements d’en bas, été d’ailleurs comme hiver. Décidément, il vaut mieux parfois en Grèce être animal adespote qu’agent du… fisc indépendant !

Animal adespote. Restaurant de l’île de Póros, août 2017

L’été grec bat son dernier plein. Grand Péloponnèse, camping libre, et le… “Président” qui navigue, voilà en tout cas pour la peinture des apparences. Les tristes nouvelles de Barcelone et d’ailleurs circulent pourtant, et alors sont commentées entre Grecs, tout comme plus amplement, visiteurs du pays compris. Les vacanciers héroïques des classes pressées auraient pu encore se dire que (seule) la nature leur réserve enfin un supposé quelque part (bref et provisoire), et ce n’est peut-être pas qu’une Illusion.

Et à propos de Barcelone (comme de Venise), la presse grecque évoque également les récents signes du malaise profond ressenti par une partie des populations locales subissant ainsi un tourisme de masse, sans contreparties disons positives. Hausse des prix, salaires de misère, logement devenu inaccessible aux jeunes (et moins jeunes) habitants à cause notamment de la déferlante Airbnb, entre autres (“Kathimeriní” du 18 août), voilà pour l’essentiel. Le phénomène est déjà en cours aussi dans certains quartier d’Athènes il faut dire. L’uberisation c’est tant probablement la tiers-mondisation citoyenne… plus internet.

Barcelone et le tourisme de masse. du 18 août
Le “Président” qui navigue. Golfe Saronique, août 2017

Un peu moins concernée par le tourisme de masse mais cela seulement (encore) par endroits, la Grèce héliotropique ne donne pas l’impression de réfléchir sur la question de son… avenir touristique. Et pourtant…

En attendant, les plages où l’on respire existent, et… la connectivité des Grecs envers YouTube devient alors la deuxième mondiale après celle des Saoudiens d’après la presse grecque (“To Pontíki”, 27 juillet 2017). La plage… plus l’électricité !

La plage… plus l’électricité. Péloponnèse, août 2017

La plage… plus l’électricité certes, les animaux adespotes des tavernes et des guignettes. Camping libre au royaume de l’éphémère finissant.

Animal adespote sur la terrasse d’une guinguette. Péloponnèse, août 2017
* Photo de couverture: Camping libre. Péloponnèse, août 2017

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

Entretien avec Wolfgang Streeck

Wolfgang Streeck : Merkel est une «politicienne Téflon» par Amélie Poinssot sur Médiapart

Contrairement à ce que l’on entend souvent, le succès de l’économie allemande ne doit rien aux réformes mises en place dans les années 2000. Dans un entretien à Mediapart, l’économiste iconoclaste Wolfgang Streeck décortique le « modèle » allemand… et analyse la longévité politique d’Angela Merkel.

Cologne (Allemagne), de notre envoyée spéciale.- Wolfgang Streeck est une personnalité un peu à part en Allemagne. Auteur de plusieurs essais d’analyse sociétale et économique, il prône la fin de la monnaie unique européenne et a déjà annoncé la mort programmée du capitalisme. Nous le rencontrons à l’Institut Max-Planck pour l’étude des sociétés, à Cologne où il enseigne. Entretien.

Selon vous, sur quoi repose ce que l’on appelle aujourd’hui le « deuxième miracle économique allemand » ?

Wolfgang Streeck : C’est peut-être le deuxième, voire le troisième… Je pense que la raison principale de ce « miracle » est la politique monétaire européenne. Nous nous trouvons en fait dans le pôle de prospérité de la zone euro. La zone euro éprouve peut-être toutes sortes de problèmes économiques, mais dans une telle économie intégrée, il y a toujours un endroit où tout est concentré. Et l’Allemagne a la chance d’être aujourd’hui, pour la zone de la politique monétaire européenne, ce que le Bade-Württemberg, c’est-à-dire la région de Stuttgart, était pour l’Allemagne dans les années 1990. On avait à l’époque un très fort taux de chômage, on avait tout un tas de problèmes, mais à Stuttgart et dans ses alentours, le chômage n’était que de 0,5 % et les salaires étaient en hausse.

Dans un sens, vous pouvez regarder la zone euro comme un pays. Un pays avec une économie intégrée, dans lequel les disparités régionales s’accroissent – de la même manière qu’en France, d’ailleurs – entre des zones prospères et d’autres pauvres. Mais l’État français a encore la capacité de redistribuer les ressources et de mener des politiques régionales, même s’il n’y parvient pas complètement. Tandis que pour la zone euro, il n’existe pas du tout de gouvernement. Le contraste énorme qui existait en Allemagne entre Stuttgart et le Mecklembourg-Poméranie (nord-est), par exemple, a été en grande partie résorbé par la politique du gouvernement fédéral, qui envoie pratiquement 4 % du PIB chaque année aux Länder de l’Est afin de ne pas creuser le différentiel de revenus. Dans la zone euro, tout cela n’existe pas !

Autre facteur d’explication de ce « miracle » : l’Allemagne est moins financiarisée que le reste du monde. Notre économie était, et reste, une économie industrielle. Ainsi, la crise du crédit ne nous a pas affectés comme elle a affecté d’autres pays. On a toujours Daimler, Audi, Volkswagen…, et tous ces gens extraordinaires qui continuent de construire des machines extraordinaires, et tous ces clients qui continuent de vouloir ces machines ! Le made in Germany est toujours une référence pour le secteur automobile.

L’euro est par ailleurs extrêmement bénéfique à cette économie industrielle. Car le rêve de la politique économique allemande, depuis le milieu du XIXe siècle, c’est d’avoir un marché international très étendu afin d’écouler ses produits industriels sans qu’il y ait dévaluation de sa monnaie. Et dans le même temps, d’avoir un marché captif pour les matières premières. Or aujourd’hui, l’Union européenne, c’est précisément cela !

L’impérialisme allemand, surtout après la République de Weimar, consistait à conquérir une zone assez grande pour écouler les biens allemands. Aujourd’hui, on n’a même plus besoin de cela : il y a l’Union monétaire. C’est elle qui nous permet de conserver notre secteur industriel surdimensionné. Il ne s’agit pas seulement de pouvoir vendre des Volkswagen dans toute l’Europe. Il y a un effet additionnel : comme les autres pays européens, telles la France ou l’Italie, sont économiquement faibles, l’euro a perdu de sa valeur. Si nous devions travailler avec notre propre monnaie, une monnaie qui ne vaudrait par exemple que pour l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Autriche, ce serait infiniment plus difficile car nous ne pourrions pas vendre bon marché. C’est pourquoi les Allemands sont si attachés à l’euro !

Finalement, cela paraît plus difficile pour les Allemands de quitter l’euro que pour les Grecs…

Les Allemands n’ont jamais voulu d’éclatement de la zone euro. Les Allemands vont se battre pour l’euro jusqu’à leur dernier souffle ; pour eux, c’est la dernière chose importante qu’il faut conserver. C’est pourquoi ils étaient si effrayés, pendant la campagne présidentielle, par les candidatures de Le Pen ou Mélenchon.

Si l’euro disparaissait, les Allemands devraient subir une crise très sévère. Cela dit, je reste fondamentalement opposé à la monnaie unique car je pense que sur le long terme, tout le monde en Europe va se mettre à haïr les Allemands. Or je me sens profondément cosmopolite dans mon cœur et je veux être heureux avec mes voisins. En ce sens, l’euro est un désastre complet pour l’Allemagne.

Les réformes Hartz n’ont « rien à voir » avec le succès économique allemand

Les réformes Hartz de 2005, qui ont modifié en profondeur le système d’assurance-chômage, n’ont donc rien à voir avec les succès de l’économie allemande ?

Non, c’est une stupidité absolue que de le croire. C’est une invention des élites d’autres pays, françaises et italiennes en particulier. L’Allemagne irait bien aujourd’hui parce qu’elle a réussi à mener ces réformes il y a douze ans… On diffuse ce mythe afin de favoriser les réformes de libéralisation du marché du travail type Macron ou Renzi. C’est un mensonge complet.

Notre prospérité dépend en réalité des grandes entreprises de métallurgie. Or pas un ouvrier de ces entreprises ne connaît un niveau de salaire qui aurait été affecté par les réformes Hartz : leur rémunération reste très élevée ! Les réformes Hartz étaient une opération budgétaire : il s’agissait d’économiser sur l’assistance sociale et sur les indemnités chômage. Elles ne touchaient pas au marché du travail – à l’exception d’une petite mesure, celle sur le travail intérimaire qui a permis à des salariés se retrouvant au chômage technique d’aller travailler dans une autre entreprise. Ces réformes n’avaient rien à voir avec la sécurité de l’emploi ou la facilitation des licenciements.

Quel a été, en fin de compte, l’impact de ces réformes (lire à ce sujet notre reportage à Bochum) ?

Cela a permis de couper dans les dépenses publiques consacrées à l’assistance sociale. Cela a amélioré les statistiques du chômage. Et sur le marché du travail, une pression s’est exercée vers le bas sur des salaires qui étaient déjà en bas de l’échelle.On en arrive au point, aujourd’hui, où des gens gagnent moins que l’allocation minimale de Hartz IV. Ils peuvent alors demander une allocation complémentaire auprès de l’État. Il semble que cela résulte d’un accord entre employeur et employé : le gouvernement se substitue à des bas salaires et les employeurs font plus de profit.

Les réformes Hartz n’ont rien à voir avec la supériorité de l’économie allemande, qui dominait déjà l’économie européenne dans les années 1980. C’est d’ailleurs cette période que je qualifierais de second miracle économique allemand, tandis que le premier s’est déroulé dans les années 1950.

Certes, après cela il y a eu la réunification, qui a lourdement pesé sur notre économie. Mais si l’économie allemande n’avait pas été si forte en 1989, elle n’aurait jamais pu absorber la RDA en un temps aussi court. Nous avons réalisé cette union monétaire dans laquelle nous avons transféré notre deutsche Mark à 1=1 avec l’Allemagne de l’Est, puis nous avons eu 20 % de chômage dans les Länder de l’Est, dans les années 1990. Mais comme nous avions un gouvernement fédéral capable de transférer des régions riches aux régions pauvres du pays, cette réunification n’est pas devenue un fiasco politique.

L’introduction du salaire minimum par le gouvernement sortant a-t-elle changé quelque chose pour l’économie allemande ?

Oui, cela a eu un effet sur le bas de l’échelle des salaires. Mais pas dans les secteurs forts de l’économie. C’est la seule bonne chose faite par ce gouvernement, il faut l’admettre : cela faisait longtemps qu’on avait besoin d’une telle mesure. D’autant qu’on pouvait se le permettre ! Si nous avons si peu de conflits sociaux visibles dans ce pays, c’est parce que nous avons énormément d’argent… Cette année, rien que dans le budget fédéral, nous payons 50 milliards d’euros pour les réfugiés. Et une autre enveloppe de 50 milliards est prévue pour l’année prochaine. Ce sont des sommes énormes. Mais l’argent est là ! Dans un autre pays, les gens seraient descendus dans la rue pour protester. Un exemple : pour un réfugié mineur non accompagné, la somme dévolue à son séjour s’élève à 63 000 euros par an. Or il y en a 62 000 dans le pays. Ce qui nous amène à 4 milliards d’euros, rien que pour les mineurs non accompagnés.

Si l’on fait un rapide calcul, on voit que cette somme consacrée à une année de séjour d’un mineur non accompagné est l’équivalent de plus de quatre fois ce qu’une famille de quatre personnes reçoit comme assistance sociale dans le système Hartz IV.

Ce genre de comparaison ne risque-t-elle pas de susciter des tensions ? L’aide aux réfugiés est-elle contestée ?

Elle le serait… si nous n’avions pas autant d’argent ! Les médias eux-mêmes ne sont pas allés chercher ces chiffres. Ce pays est complètement domestiqué par Mme Merkel. Personne n’ose dire quoi que ce soit de mauvais contre elle. Elle va être réélue par ceux qui sont contre les réfugiés et elle va être réélue par ceux qui sont pour les réfugiés. Elle va réussir à être réélue pour des raisons complètement opposées, par des gens complètement différents.

Angela Merkel a de fortes chances d’enchaîner un quatrième mandat à la tête du gouvernement allemand… quand ailleurs en Europe, les Français ont complètement transformé leur échiquier politique, les Britanniques sont entrés dans une période de forte instabilité et d’autres balaient leurs dirigeants. Comment expliquez-vous cette longévité particulière de la chancelière allemande ?

En réalité, il y a un point commun entre ces différents pays : dans toute l’Europe, le système traditionnel des partis politiques se désintègre. Cela vaut aussi pour l’Allemagne, et la longévité d’Angela Merkel en est un indicateur : il n’y a personne qui puisse lui faire concurrence au sein la CDU. Personne. Quant au SPD… Souvenez-vous quand Sigmar Gabriel a laissé tombé la présidence du parti, que Martin Schulz est arrivé, et du processus stalinien auquel nous avons eu droit pour finir sur une élection de Schulz avec 100 % des voix ! C’est du jamais vu. Ce résultat montre le niveau de détérioration du parti.

Une chancelière « opportuniste »

La longévité d’Angela Merkel est due à l’affaiblissement des partis politiques, à la fin des idéologies. Merkel peut prendre n’importe quelle position : elle a une technique qui fait que personne ne peut s’élever contre elle. Vous souvenez-vous par exemple qu’elle était la chancelière de l’atome ? Avant son arrivée au pouvoir, le gouvernement SPD-Verts avait fait passer une loi pour mettre fin à l’énergie nucléaire. Une fois à la chancellerie, Merkel a fait changer cette loi, rallongeant la période de fonctionnement des centrales allemandes. Puis, c’est l’explosion de Fukoshima. Elle dit alors : « Dans deux semaines, nous fermons nos centrales. » Et ça marche ! Elle réussit à gagner en popularité ! Personne n’a cherché à contester sa décision.

C’est du pragmatisme ?

Je ne la qualifierais pas de pragmatique. C’est une politicienne extraordinairement opportuniste, qui arrive à faire un nombre incroyable de choses sans fâcher les gens. On l’a bien vu lors de la crise des réfugiés. Au début, il y avait une forme d’euphorie, puis sont arrivés les événements du nouvel an à Cologne et Merkel a complètement changé son fusil d’épaule. Aujourd’hui, ceux qui sont en faveur des réfugiés vont voter pour elle car ils se souviennent comment elle a ouvert les frontières ; ceux qui sont contre les réfugiés vont aussi voter pour elle car ils se souviennent comment elle les a fermées !

C’est étonnant la manière dont elle arrive à faire ça. Cela dit beaucoup de notre système politique, de son degré de détérioration. Car on pourrait penser qu’il y a un parti d’opposition au Parlement, qu’il pourrait poser des questions… Mais ni sur le nucléaire, ni sur les réfugiés, l’opposition ne s’est mobilisée. Merkel est une politicienne extraordinaire dans le sens où elle est capable de faire les pires choses sans faire de mal. C’est du Téflon. Une politicienne Téflon !

Et avec ses partenaires européens ? Pensez-vous qu’elle agit de la même manière ?

La réalité, c’est qu’Angela Merkel est complètement dopée à l’argent. Avec une économie allemande si riche, elle ne peut qu’être confiante en elle lorsqu’elle se rend aux sommets et réunions européens. Tous les autres sont malades ! Ce n’est pas difficile d’être bon dans cette configuration.

Croyez-vous qu’avec un tandem Macron-Merkel, la politique européenne puisse s’infléchir en matière d’austérité ? Est-ce que l’allègement de la dette grecque tant de fois promis pourrait se concrétiser ?

Non, impossible. À vrai dire, je pense que l’on se trompe de question. La question n’est pas si l’on peut réaliser un haircut sur la dette grecque : cette dette n’est pas si importante. En chiffres absolus, c’est une somme modeste, désormais détenue par des institutions publiques. Les banques françaises s’en sont débarrassées – c’était une concession faite par Merkel à Sarkozy –, un effacement de la dette est donc en théorie possible. Mais cela ne changerait rien pour les Grecs. Puisque, de toute façon, le remboursement de la dette proprement dite a été repoussé à environ cinquante ans. Personne n’est capable de dire ce qui se passera dans cinquante ans ! C’est comme si cette dette n’existait déjà plus.

Le vrai problème, c’est la dette italienne. Si vous annulez la dette grecque, les Italiens vont demander à leur tour un effacement… Or, là, les sommes sont colossales. Les Français n’ayant pas d’argent, ce serait aux Allemands de payer. C’est électoralement et économiquement impossible. C’est pourquoi Berlin continue d’imposer l’austérité aux Grecs, tandis qu’il fait, dans le même temps, certaines choses sous la table pour les aider à survivre.

Pour les Français, la question est en réalité : peut-on amener les Allemands à prendre quelques mesures supplémentaires afin de maintenir le gouvernement italien au pouvoir, ainsi que le gouvernement espagnol et le gouvernement français lui-même ? C’est ainsi que je vois la proposition de Macron de création d’un parlement de la zone euro, d’un ministre des finances de la zone euro, d’une assurance-chômage européenne, etc. Rien de tout cela n’est réaliste : on peut avoir un ministre des finances de la zone euro – les Allemands y sont aussi favorables – mais Berlin veut un ministre dont le rôle sera de s’assurer qu’aucun pays ne commet de déficit de plus de 3 % ! Alors que pour le président français, l’idée est que les Allemands injectent de l’argent dans un budget pour mettre en place de grands projets d’investissement en dehors de chez eux. Si les Français avaient l’argent pour investir dans leur pays, ils n’auraient pas besoin d’un ministre des finances de la zone euro.

Je pense surtout que nous allons voir beaucoup de fumée… Et qu’à la fin du mandat de Macron, ce sera la pagaille complète. Dans les propos qu’il tient, je ne vois rien de concret qui aille au-delà du symbolique.

A Micropolis: autogestion et démocratie directe face à la crise grecque

A Micropolis: autogestion et démocratie directe face à la crise grecque 16.08.2017 sur France culture

Grèce : incendie criminels ?

GRÈCE : INCENDIES CRIMINELS ? UN PLAN ORGANISÉ ? LES AUTORITÉS ONT DES DOUTES :

Comme chaque été , l’été est meurtrier pour la Grèce en termes d’incendies. De nombreux feux ont eu lieu ces derniers temps. Un total de 53 incendies de forêts ont éclaté samedi en Grèce et environ 91 depuis dimanche, y compris sur Kalamos, une station balnéaire près d’Athènes.
Mais l’intensité , la répétition et la synchronicité des feux tant à Zakynthos qu’aux abord d’Athènes inquiètent les autorités qui commencent à envisager non seulement l’idée de feux volontaires mais carrément d’un plan de destruction sciemment organisé pendant ce weekend férié du 15 août. Telles sont les déclarations des Services officiels de lutte contre les incendies du ministère de la Protection Civile et du Ministre de la Justice Stavros Kontonis. Ces incendies font d’ailleurs l’objet d’un vif débat politique avec l’opposition de droite Nouvelle Démocratie qui accuse le gouvernement de « négligence criminelle » et les accuse de « théories de complots » …mais aussi avec l’opposition de gauche et du centre avec le PASOK et le Potami qui parlent d’un manque de préparation et de coordination entre les autorités compétentes.
Un ras le bol citoyen s’exprime aussi sur les murs de Grèce cf Tag : « Si les forêts étaient des banques, on les auraient sauvées ! »

Suite à la parution du texte ci-dessus et aux diverses réactions je reprend ici un point de vue donné notamment par la presse syndicale ( ici le site de META courant syndical « radical » au sein des fédérations syndicales grecques) sous le titre:

« Un plan organisé par les pyromanes… ou le gouvernement, les prêteurs et les intrus »
« Et cet été, malheureusement, en regardant le pays et les forêts brûlées , les dirigeants nous parlent d’un plan organisé par les pyromanes (on n’a pas encore entendu parler du « Général vent », mais on est pas loin…), dans une tentative de cacher les véritables causes : le plan organisé du gouvernement et les prêteurs privés – transgresseurs contre l’environnement naturel du pays .
Il ne serait pas exagéré de dire à l’occasion de ces jours où le pays brûle, que les pompiers se battent héroïquement, dans des circonstances défavorables , et seulement avec un sandwich et une bouteille d’eau, à travers le tourbillon de feu, pour sauver la fortune des citoyens et les forêts. Pour nous, cependant, Il n’est pas plus exagéré de dire que le gouvernement et les autres parties de l’ arc mémorandaire qui font référence aux pompiers héroïques, se moque d’eux sans aucune honte .
En effet , les travailleurs subissent tous les jours , eux et leurs familles, les mesures anti-travailleurs et les politiques anti populaires et qui doivent payer de leurs propres sacrifices, la sécurité incendie du pays . Les travailleurs ont des maigres salaires en rapport de ce qu’offrent la plupart des entrepreneurs pour les saisonniers et sont les otages de chaque décision.
Ces travailleurs sont sur le pied 24 heures sur 24 heures , avec le non paiement des heures supplémentaires , aucune prime de dangerosité et pour un travail pénible et aucune mesure de protection de la personne . Ils n’ont pas droit à un travail permanent et régulier, comme cela est arrivé en Février dernier avec l’ amendement pour les pompiers d’engagement de cinq ans voté par SYRIZA-ANEL et TO POTAMI et dans lequel les « engagements » pour la permanentisation ont été détournés … avec des relations clientélistes.

Ces travailleurs subissent les transferts illégaux et injustifiés (par exemple, PC II / A New Anchialos, CA zone industrielle de Volos, KP Kassandra) au même moment où on envoie les pompiers prévus pour les incendies de forêts pour la lutte contre l’incendie des aéroports – notamment dans les aéroports récemment privatisés avec l’ argent des contribuables grecs pour les intérêts de l’ Etat allemand et du groupe « Fraport Grèce » (qui a demandé 500 pompiers , pourquoi ne serait il pas capable de se « protéger » lui même?).
Tout cela afin de détourner l’ attention de l’ opinion publique des vrais problèmes : le manque de fonds pour la sécurité incendie, l’absence de politique de feu, le manque de pompiers , etc., le décret sur la « densité de logements » dans la zone forestière. Cette loi de déclassification de millions d’acres de forêts et la vente de terres forestières publiques a un effet dévastateur quand à l’action des pyromanes des forêts et des terres boisées
En bref , le sens de la responsabilité, le zèle et le sacrifice de soi, que présentent les pompiers, les fonctionnaires au fil des ans, luttant pour garder entier la vie et les biens de nos citoyens est face à des manques de besoin en personnel et en équipement, en raison des politiques menées par nos dirigeants.
Ce gouvernement mémorandaire affaiblit le sécurité incendie et de la protection civile du pays, outre la ruine du travail, l’ assurance et les droits sociaux, et le pillage des biens publics et les résidences populaires … avec son engagement de mutation, avec les prêteurs, avec le privé , et favorise les « transgresseurs pyromanes » .
Les partis au pouvoir tentent de dissimuler leurs responsabilités pour les politiques d’austérité des coupes et la liquidation, et les partis d’opposition mémorandaires à récolter des voix – car ils auraient fait la même chose, s’ils étaient au pouvoir. Et tout cela, sur les cendres des maisons brûlées , les efforts de vie des employés, et sur les cendres des forêts brûlées. »

Sur le dessin d’Araks:  » l’absence du premier ministre (seulement un « twitt ») et il n’y avait pas eu une déclaration du représentant du gouvernement pour les grands incendies. Il leur a suffit, Jeudi, le premier ministre a décidé de voler en hélicoptère au-dessus de l’est de l’Attique brûlé et le second à faire des déclarations aux médias afin de montrer qu’il est … là! »

Constant Kaimakis

E.Toussaint au sujet des propositions de Y.Varoufakis

Série : Le récit de la crise grecque par Yanis Varoufakis : accablant pour lui-même

Les propositions de Varoufakis qui menaient à l’échec

Première partie

11 août par Eric Toussaint

Dans son dernier livre Adults in the Room (https://www.theguardian.com/books/2…), Yanis Varoufakis donne sa version des raisons qui ont conduit à la capitulation honteuse du gouvernement Tsipras en juillet 2015. Il analyse essentiellement la période 2009-2015 tout en faisant des incursions dans des époques plus lointaines.

Avec ce livre volumineux (550 pages dans la version originale en anglais), Yanis Varoufakis démontre qu’il est un grand narrateur. Il réussit par moment à émouvoir le lecteur. Son style direct permet de suivre de manière vivante le cours des évènements.

Ce premier article porte sur les 4 premiers chapitres d’un livre qui en compte 17. Il concerne les propositions que faisaient Varoufakis avant de participer au gouvernement en janvier 2015.

De la démonstration faite par l’auteur, on peut clairement conclure que son comportement et l’orientation politico-économique qu’il a défendue ont contribué à conduire au désastre. En effet, Yanis Varoufakis revendique clairement un rôle de premier plan dans l’élaboration de la stratégie qu’a adoptée avant la victoire électorale de janvier 2015 une poignée de dirigeants de Syriza : Alexis Tsipras, Yanis Dragasakis, Nikkos Pappas essentiellement.

Varoufakis ne plaide pas coupable : il est convaincu que si Tsipras avait réellement appliqué l’orientation qu’il lui a proposée et que Tsipras a acceptée à la fin 2014, cela n’aurait pas débouché sur une défaite pour le peuple grec.

Mais, contrairement à la conviction de Varoufakis, une lecture attentive de son livre aboutit à la conclusion qu’il a contribué à la défaite.

Contrairement à la conviction de Varoufakis, une lecture attentive de son livre aboutit à la conclusion qu’il a contribué à la défaite du peuple grec

Varoufakis explique comment progressivement il a convaincu Tsipras, Pappas et Dragasakis de ne pas respecter l’orientation adoptée par Syriza en 2012 puis en 2014. Il explique qu’il a élaboré avec ceux-ci une nouvelle orientation qui n’a pas été discutée dans Syriza et qui était différente de celle présentée par Syriza lors de la campagne électorale de janvier 2015. Cette orientation conduisait au mieux à l’échec, au pire à la capitulation.


L’orientation défendue par Varoufakis

Varoufakis résume le contenu de l’accord qu’il a passé avec Alexis Tsipras, Dragasakis et Pappas en novembre 2014 lors d’une réunion tenue dans l’appartement de Tsipras. Cette réunion avait été organisée par le trio Tsipras-Pappas-Dragasakis afin de convaincre Varoufakis d’accepter de devenir ministre des Finances dans le gouvernement qui serait formé prochainement par Syriza. « C’est là qu’Alexis m’a fait une offre, tranquillement et sous le regard vigilant de Dragazakis. – Si on gagne, or il n’y a plus aucun doute qu’on va gagner, je voudrais que tu sois ministre des Finances. » |1|

Varoufakis résume 6 mesures prioritaires qu’il a proposées à Tsipras, Dragazakis et Pappas et que ceux-ci ont acceptées. Ces mesures impliquaient de rester dans la zone euro.

Varoufakis écrit : « j’ai cru bon de récapituler nos objectifs communs :

  • la restructuration de la dette vient en premier lieu ;
  • deuxièmement, excédent primaire ne dépassant pas 1,5 % du revenu national et pas de nouvelles mesures d’austérité ;
  • troisièmement, réductions d’ampleur des impôts des sociétés ;
  • quatrièmement, privatisations stratégiques avec conditions préservant les droits du travail et relance des investissements ;
  • cinquièmement, création d’une banque de développement qui utiliserait les actifs publics restant comme caution pour générer de l’investissement de l’intérieur, et dont les dividendes seraient canalisés dans les fonds de pension publics ;
  • sixièmement, politique de transfert des actions et de la gestion des banques à l’UE (…).

Une fois de plus, ils étaient partants, encore plus convaincus » |2|.

Varoufakis déclare très clairement que ces mesures devaient se substituer au programme de Thessalonique présenté par Tsipras en septembre 2014.

Voici ce qu’il écrit à propos de ce programme :

  • « …, j’étais à Austin quand j’ai entendu aux informations qu’Alexis avait présenté les grandes lignes de la politique économique de Syriza dans un discours à Thessalonique. Surpris, je me suis procuré le texte et je l’ai lu. Une vague de nausée et d’indignation m’a submergé. Je me suis tout de suite mis au boulot. Moins d’une demi-heure plus tard, j’avais un article que le Premier ministre Samaras utiliserait pour fustiger Syriza devant le Parlement : « Même Varoufakis, votre gourou économique, estime que vos promesses sont bidons. » Et elles l’étaient.
  • Le « Programme de Thessalonique » (…) promettait des augmentations de salaire, des subventions, des bénéfices et des investissements qui seraient financés par des mannes imaginaires, ou illégales. Il comprenait également des engagements que nous ne devrions même pas avoir à tenir. Enfin, il allait à l’encontre de toute stratégie de négociations raisonnable pour maintenir la Grèce dans la zone euro, tout en affirmant qu’elle devait y rester. Le programme était tellement bancal que je n’ai même pas pris la peine de le critiquer point par point. Voilà ce que j’ai préféré écrire :
  • « J’aurais tellement aimé lire un autre discours de la part d’Alexis Tsipras ! Vous imaginez un discours qui commencerait par « Pourquoi voter pour nous ? » et répondrait, « Parce que nous vous promettons trois choses : du sang, de la sueur et des larmes ! »

 

  • Du sang, de la sueur et des larmes, voilà ce que Churchill a promis au peuple britannique en 1940 quand il a pris la tête du gouvernement. Et pourquoi ? Pour gagner la guerre. |3| »

Prendre comme référence positive W. Churchill dans une critique publique adressée au programme de Thessalonique, c’est toute une affaire. Churchill a organisé la répression sanglante des manifestations et des grèves qui ont secoué la Grèce à la fin de l’année 1944 lorsque, dans le cadre des Accords de Yalta, la Grande-Bretagne a pris le contrôle du pays en réprimant les principales forces qui avaient libéré le pays de l’occupation nazie.

Revenons sur les mesures telles que résumées par Varoufakis

1. Restructuration de la dette

Varoufakis propose une restructuration de la dette sans réduction du stock.
La réalisation de cette première mesure très modérée dépend en réalité de la bonne volonté de la Troïka. Il s’agit d’un vœu pieux. Sans recourir à une suspension de paiement, combinée à d’autres actes unilatéraux dont la réalisation d’un audit (avec participation citoyenne), il était impossible de contraindre les créanciers d’accepter une véritable réduction radicale de la dette. La proposition principale de Varoufakis en matière de restructuration de la dette s’inscrit, comme il l’indique lui-même, dans la continuité du texte intitulé : « Modeste Proposition pour résoudre la crise de la zone euro » (https://www.yanisvaroufakis.eu/wp-c…). La réalisation de cette proposition qui consistait à mutualiser les dettes publiques de la zone euro aurait impliqué une décision commune des gouvernements de la zone afin de soulager les finances publiques et d’abandonner des politiques d’austérité. C’est techniquement possible, c’est politiquement souhaitable du point de vue de la relance économique et d’un nouveau contrat social néokeynésien mais, malgré le caractère modéré de la proposition, c’est totalement incompatible avec la politique menée par la plupart des gouvernements concernés. Il faut vraiment être très naïf pour penser que les gouvernants en place dans la plupart des capitales européennes pourraient être favorables à une relance keynésienne. Fonder une solution sur une telle hypothèse, c’est faire preuve d’un manque total de conscience des rapports de force et des motivations des dirigeants européens.

Toute la proposition de Varoufakis en matière de dette était et est inacceptable d’un point de vue de gauche car elle supposait d’écarter tout débat sur la légalité et la légitimité des dettes réclamées à la Grèce

La dernière version proposée par Varoufakis fin 2014-2015 impliquait les orientations suivantes en matière de dettes : ne pas remettre en cause et ne pas réduire la dette due au FMI et aux créanciers privés, et arriver à un arrangement avec les partenaires européens sur les points suivants :
- 1. « le gouvernement émettrait des obligations perpétuelles, qui auraient la même valeur nominale que les obligations appartenant à la BCE, avec un taux d’intérêt faible, mais sans date de maturité ni d’expiration. » ;
- 2. « les dettes obligataires du fonds européen de renflouement seraient échangées contre de nouvelles obligations du gouvernement grec de trente ans, là encore ayant la même valeur que la dette existante (donc pas de décote formelle), mais avec deux conditions : d’abord, les remboursements annuels devaient être suspendus jusqu’à ce que le revenu du pays ait atteint un certain seuil ; deuxièmement, le taux d’intérêt serait lié aux taux de croissance de l’économie grecque » |4|.

Commentaire : Ces deux propositions étaient tout autant irréalisables du point de vue politique que la mutualisation des dettes.

En outre, toute la proposition de Varoufakis en matière de dette était et est inacceptable d’un point de vue de gauche car elle supposait d’écarter tout débat sur la légalité et la légitimité des dettes réclamées à la Grèce. La proposition Varoufakis s’opposait frontalement à l’orientation adoptée par Syriza en 2012 : la suspension unilatérale du paiement de la dette et la réalisation d’un audit de celle-ci (je reviendrai là-dessus plus loin). Par ailleurs, et c’est important, dans sa proposition, Varoufakis n’inclut pas explicitement l’abandon des conditionnalités imposées par les créanciers.

Varoufakis explique lui-même que sa proposition est hyper modérée :

  • « Il s’agissait de mesures modérées et politiquement acceptables pour les créanciers puisqu’elles ne comprenaient aucune décote directe. Vis-à-vis du public et des investisseurs potentiels, c’était également le signe que l’UE accepterait d’avoir sinon le beau rôle, du moins un rôle nouveau : non plus le créancier impitoyable d’un État insolvable, mais le partenaire de la croissance de la Grèce puisque les remboursements de ce pays seraient proportionnels à l’augmentation de son revenu nominal.

 

  • Pas une seule fois je n’ai entendu un représentant du FMI ou de l’UE critiquer la logique qui sous-tendait ces propositions. Comme le fit remarquer le PDG d’une des plus grosses banques d’investissement américaines après les avoir découvertes : Vous leur proposez le genre de deal qu’un avocat spécialiste des faillites à Wall Street imaginerait. »

Commentaire : Il est évident que cette orientation était également explicitement contraire au refus légitime de poursuivre le paiement d’une dette odieuse.

2. La deuxième proposition de Varoufakis :
« Excédent primaire ne dépassant pas 1,5 % du revenu national et pas de nouvelles mesures d’austérité. »

Commentaire : S’engager à dégager un excédent primaire de 1,5 % est totalement incompatible avec une véritable politique de relance de l’activité économique, de l’emploi public et privé, du pouvoir d’achat des masses populaires… En Grèce, un gouvernement de gauche qui veut réellement mettre en place une politique de relance et répondre à la crise humanitaire doit appliquer une politique de déficit public pendant plusieurs années et refuser de dégager un excédent primaire.

3. Troisièmement, réductions d’ampleur des impôts des sociétés

Concernant cette mesure que Varoufakis résume ainsi : « Ceci demanderait de fortes réductions de la TVA et des impôts sur les sociétés car il fallait redonner de l’énergie au secteur privé. »

Croire que la réduction des impôts des sociétés va augmenter la contribution de celles-ci dans le revenu fiscal total relève davantage d’une incantation libérale que d’un raisonnement argumenté

Il mentionne une question de Tsipras :

  • « – Pourquoi les boîtes devraient payer moins ? m’a demandé Alexis.
  • Je lui ai expliqué : le secteur privé devait payer plus en ce qui concerne le revenu fiscal total, mais la seule façon d’augmenter sa contribution globale alors que les ventes étaient au point mort et les banques en faillite, incapables de fournir des crédits aux entreprises rentables, c’était de réduire les impôts sur les sociétés. Dragasakis était d’accord, ce qui a apaisé Alexis et Pappas. »

Commentaire : Promettre une réduction des impôts des sociétés de manière indifférenciée est tout à fait incompatible avec une politique de gauche. Il faut augmenter le taux d’imposition des grandes sociétés et le faire respecter. Simultanément, il est tout à fait possible de baisser le taux d’imposition des petites entreprises. Par ailleurs, croire que la réduction des impôts des sociétés va augmenter la contribution de celles-ci dans le revenu fiscal total n’est nullement démontré et relève davantage d’une incantation libérale que d’un raisonnement argumenté.

4. Quatrièmement, privatisations stratégiques avec conditions préservant les droits du travail et relance des investissements.

Varoufakis précise : « Quant aux privatisations, si nous voulions un accord avec l’UE et le FMI, il fallait accepter des compromis. Le refus de principe de Syriza devait être remplacé par une politique d’analyse au cas par cas. Il fallait arrêter de brader les holdings publiques, mais les actifs tels que les chemins de fer et les ports devaient être accessibles à condition qu’il y ait un minimum de niveau d’investissement, que l’acheteur s’engage à fournir aux travailleurs des contrats dignes et le droit de représentation syndicale, et que l’État demeure un actionnaire important, y compris minoritaire, car les dividendes de ses actions lui serviraient à soutenir les fonds de pension. »

Varoufakis était favorable à l’acceptation de la poursuite de certaines privatisations, condamnant le gouvernement à la soumission face aux grandes entreprises et au capital étranger.

Commentaire : Alors que Syriza se battait pour mettre fin aux privatisations et pour renationaliser une série d’entreprises privatisées, Varoufakis, comme il l’a mis en pratique quand il est devenu ministre, était favorable à l’acceptation de la poursuite de certaines privatisations. Cela condamnait le gouvernement à la soumission face aux grandes entreprises et notamment au capital étranger. Cela réduisait à l’impuissance les pouvoirs publics.

5. Création d’une banque de développement

  • « Cinquièmement, création d’une banque de développement qui utiliserait les actifs publics restant comme caution pour générer de l’investissement de l’intérieur, et dont les dividendes seraient canalisés dans les fonds de pension publics. »

Varoufakis propose la création d’une banque de développement croupion comme lot de consolation à la poursuite des privatisations et au transfert des banques grecques aux créanciers étrangers (voir la proposition 6).

Varoufakis écrit :

  • « Les actifs qui restaient propriété publique devaient être transmis à une nouvelle banque de développement publique qui les utiliserait comme garanties ou collatéraux pour lever des fonds, lesquels seraient investis dans ces mêmes actifs afin de booster leur valeur, créer des emplois et augmenter les revenus à venir. Ils ont également acquiescé là-dessus. »

Commentaire : Varoufakis présente la mesure de création d’une banque publique de développement afin de faire avaler les propositions 4 et 6 qui sont en contradiction totale avec une stratégie de gauche. La mesure 4 consiste à poursuivre les privatisations et la mesure 6 consiste à abandonner le pouvoir que les pouvoirs publics grecs avaient encore sur les banques grecques. La mesure 5 servait de leurre afin de faire croire que les pouvoirs publics allaient se doter d’un véritable instrument public de développement.

6. La sixième proposition : le « transfert des actions et de la gestion des banques à l’UE » (sic !)

Varoufakis précise qu’il s’agissait de « confier la gestion et la propriété de ces banques à l’UE. C’était une proposition ultra-audacieuse pour un parti qui penchait vers la nationalisation du secteur bancaire »

Commentaire : L’État grec était l’actionnaire principal de toutes les banques grecques et la position de Syriza consistait à ce que les pouvoirs publics exercent réellement leur pouvoir sur les banques. En proposant à Tsipras, Pappas et Dragasakis de transférer à l’UE les actions détenues par les pouvoirs publics grecs, Varoufakis réalise un pas supplémentaire et dramatique vers l’abandon complet de souveraineté.

En proposant de transférer à l’UE les actions détenues dans les banques par les pouvoirs publics grecs, Varoufakis réalise un pas supplémentaire et dramatique vers l’abandon complet de souveraineté.

Après avoir résumé les 6 propositions acceptées selon lui par Tsipras-Pappas-Dragasakis, Varoufakis en vient à la stratégie qu’un gouvernement Syriza devrait appliquer dans la négociation avec l’UE. Il explique que si l’UE décidait de saboter directement le gouvernement, ce serait la BCE qui serait chargée du sale boulot. Elle couperait la liquidité aux banques grecques et les obligerait à fermer comme elle l’a fait en mars 2013 à Chypre selon Varoufakis.

Varoufakis précise qu’il a obtenu de Tsipras-Pappas-Dragasakis un accord pour répondre de la manière suivante :

  • « Leur assentiment devait comprendre ma stratégie de négociation, dont l’élément dissuasif clé, la menace de décote des obligations SMP, et le système de paiement parallèle destiné à gagner du temps en cas d’impasse et de fermeture des banques. »

Je reviendrai sur la stratégie de négociation dans un prochain article où j’aborderai la période qui a suivi les élections de janvier 2015.

Varoufakis affirme que suite à la réunion avec le trio Tsipras-Pappas-Dragasakis il a accepté le poste de ministre des Finances. Dragasakis de son côté occuperait le poste de vice-premier ministre et superviserait directement trois ministères clés dont celui des Finances.

Fin de la première partie.

Notes

|1| Y. Varoufakis, Adults in the Room, Bodley Head, London, 2017, p. 98. Le livre va paraître à l’automne 2017 en français chez l’éditeur Les Liens qui Libèrent. N’hésitez pas à passer commande chez votre libraire.

|2| Op. cit., p. 102.

|3| Op. cit., p. 88-89.

|4| Cette citation, comme toutes celles qui suivent, proviennent du chapitre 4.

http://www.cadtm.org/Les-propositions-de-Varoufakis-qui

L’avenir de la Grèce par Costas Lapavitsas

The future of Greece Une interview avec Costas Lapavitsas publié le 9/8/17 sur EReNSEP.

Syriza continue de superviser la mise en œuvre de l’austérité. Mais tout n’est pas sans espoir en Grèce.

En Grèce, il n’est pas tout à fait exact de parler de la «montée et de l’automne» du parti de gauche Syriza. «Rise and plateau» serait plus approprié.

Syriza est entrée au pouvoir en janvier 2015 en promettant d’affronter la «troïka» – la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international – pour sortir de la crise de la dette grecque et mettre fin à l’austérité sous laquelle les Grecs souffraient. Ainsi, ont commencé cinq mois de négociations dramatiques qui ont abouti à un référendum national dans lequel le peuple grec a déclaré un «non» retentissant – «Oxi» – à l’accord offert par la troïka.

Pourtant, face à cette réponse historique, le Premier ministre de Syriza, Alexis Tsipras, s’est adressé aux créanciers, en signant un troisième mémorandum qui démissionnait du pays de l’austérité et des privatisations croissantes .

La capitulation sans précédent de Tsipras a été suivie d’une autre: sa décision de rester au pouvoir pour mettre en œuvre les termes du mémorandum. Pour beaucoup, la montée rapide de Syriza vers le pouvoir de l’État, ses discussions difficiles dans les négociations et ses feintes vers «Grexit» ont marqué une accélération de la lutte des classes en Grèce. Sa capitulation s’est avérée une fin abrupte de ce processus fébrile. Maintenant, le parti travaille sur des mesures anti-travailleur et anti-gauche d’une grandeur historique.

Costas Lapavitsas a accompagné chaque étape de ce processus vertigineux en tant que député de Syriza et membre de la plate-forme de gauche, un bloc au sein du parti qui a appelé à la sortie de l’Union monétaire européenne et à la préparation du peuple grec pour la confrontation avec les créanciers internationaux. Si la plate-forme de gauche gagnait l’argument stratégique et politique à Syriza, la Grèce aurait probablement marqué un chemin très différent.

Aujourd’hui, ni Lapavitsas ni la Plate-forme de gauche ne font partie de Syriza. Pourtant, Lapavitsas n’a pas abandonné l’ assertion centrale de la plate-forme de gauche: que l’assujettissement de la classe ouvrière grecque n’est pas inévitable.

Ici, George Souvlis, candidat à un doctorat en histoire à l’Institut universitaire européen à Florence, et Petros Stavrou, ancien conseiller Syriza et membre actuel de l’initiative radicale ARK, parlent avec Lapavitsas pour les jacobins au sujet du gouvernement Syriza, la lutte contre l’austérité à travers L’Europe et les perspectives de relance de la gauche grecque.

GS: à titre d’introduction. Voulez-vous vous présenter en mettant l’accent sur les expériences formatives académiques et politiques qui vous ont fortement influencé?

CL: Je viens de la génération qui a commencé à comprendre le monde après la chute de la dictature en Grèce. Au cours de cette période, la radicalisation était une caractéristique cruciale de la société grecque. Ma propre famille était à gauche, alors j’ai été naturellement radicalisée longtemps avant que je commence mes études universitaires. Mais le contexte plus large des années 80 au Royaume-Uni était crucial pour ma formation. Au cours de cette période, je me suis rendu compte que le monde était beaucoup plus grand et que les problèmes idéologiques et politiques en jeu étaient beaucoup plus importants que ce que j’avais connu en Grèce dans les années 1970. Une grande partie de mon échéance politique, en d’autres termes, s’est produite en Grande-Bretagne. Depuis, j’ai été actif dans les rangs de la gauche britannique. Une autre expérience intellectuelle cruciale pour moi a été de découvrir le marxisme japonais il y a près de trois décennies. Cela m’a fourni un aspect encore plus large du marxisme et de l’économie, ainsi que d’une manière plus large de voir le capitalisme.

GS: Pourriez-vous citer certains intellectuels, tels que les économistes et les théoriciens politiques, qui ont été cruciaux pour votre formation intellectuelle en tant qu’économiste marxiste?

CL: Le premier livre que j’ai lu dans l’économie politique était Sweezy et le Monopoly Capital de Baran , quand j’étais plutôt jeune. C’est un excellent livre, l’une des contributions les plus importantes au marxisme au vingtième siècle, et m’a donné un respect durable pour l’économie de Sweezy. Inutile de dire, j’ai lu attentivement la plupart des écrits de Marx, mais je ne les ai jamais traités comme des textes saints. Pour moi, Marx était un grand penseur et révolutionnaire, mais il en est ainsi. J’ai également lu le complément habituel des classiques marxistes. Je devrais détailler Trotsky en particulier, dont les écrits sur la Révolution russe, le développement de l’Union soviétique et l’émergence du fascisme dans les entre-deux-guerres m’ont beaucoup influencé. J’ai longtemps appartenu à la partie de la gauche qui est fortement critique, même rejetant, de l’Union soviétique. Enfin, ma compréhension spécifique de l’économie marxiste est un mélange de, d’abord, la renaissance marxiste anglo-saxonne des années 1970 et 1980 et, deuxièmement, du marxisme japonais de l’école Uno. Je dois beaucoup à beaucoup mais je voudrais choisir Ben Fine et Laurence Harris au Royaume-Uni et Makoto Itoh et Tomohiko Sekine au Japon.

GS: Discutez de la Grèce. SYRIZA – après la défaite du nouveau sauvetage – a créé un récit sur la nature inévitable de ce développement, ce qui suggère que c’était le seul moyen d’aller de l’avant. Partagez-vous cette compréhension des événements? Sinon, quel était l’autre sens? En termes d’économie, qu’est-ce que SYRIZA aurait fait pour éviter ces développements?

CL: Il est intéressant de noter que l’argument principal qui vient de la direction actuelle de SYRIZA est qu’il n’y avait rien d’autre qui aurait pu être fait. C’est aussi exactement l’argument déployé par New Democracy, PASOK et tous les autres qui ont couru la Grèce depuis des décennies. Pourtant, SYRIZA est montée au pouvoir en promettant une autre manière qui apporterait des changements réels en Grèce et en Europe. J’ai soutenu SYRIZA à l’époque, car une autre façon était vraiment possible. Sinon, quel était exactement le point de SYRIZA? Avoir Alexis Tsipras comme Premier ministre au lieu d’Antonis Samaras de la Nouvelle Démocratie? Avoir des gens au gouvernement qui se disent «à gauche» et, espérons-le, mettre en œuvre les politiques de sauvetage plus «doucement»? Je rejette complètement cette vue.

Le vrai problème avec SYRIZA n’était pas qu’il n’y avait pas d’autre façon. Le véritable problème était que la stratégie adoptée par son leadership n’était pas dès le départ. C’était une mauvaise politique, une mauvaise économie, une mauvaise compréhension du monde. Bref, ils visaient à s’opposer aux prêteurs et à transformer la Grèce, tout en restant dans l’union monétaire européenne. Cela n’a jamais été possible, comme je l’ai soutenu à l’époque avec plusieurs autres à SYRIZA. Nous avons combattu, nous sommes opposés à la direction et défendons un chemin alternatif en sortant de l’UEM et en défaillant sur la dette nationale. C’était la seule alternative réaliste pour la Grèce, qui aurait pu ouvrir un nouveau chemin de changement social radical. Les événements ont montré que nous avions absolument raison et que la stratégie du leadership était absurde. Mais nous n’avons pas été en mesure de gagner l’argument politique, et c’était l’essentiel. Après l’échec de sa stratégie, Tsipras s’est rendu aux prêteurs et a adopté ses politiques. La reddition de SYRIZA est une marque noire pour l’ensemble de la gauche européenne.

GS: Ce que vous proposez ci-dessus est à un niveau macroéconomique. Ne pensez-vous pas qu’il y avait d’autres alternatives tactiques à court terme? (Par exemple, organiser un référendum antérieur, imposer, dès le premier jour, ils ont pris le pouvoir et les contrôles bancaires). Parce que ce qui s’est passé à la fin était d’imposer des contrôles de capitaux à la dernière minute dans une conjoncture très difficile lorsque l’état grec Était presque paralysé économiquement.

CL: Pour quoi? Quel aurait été le point de l’application tactique antérieure des contrôles, si SYRIZA n’était pas prêt à aller jusqu’à la sortie de l’UEM et à la défaillance de la dette?

GS: Ce n’est pas mon poste, mais certains affirment que ces mouvements auraient obtenu de meilleurs résultats dans les négociations entre SYRIZA et la Troïka par rapport à ce que l’accord de sauvetage a apporté. Partagez-vous ce poste?

CL: Une meilleure négociation pour réaliser quoi? C’est juste une mauvaise pensée. Le problème de SYRIZA n’était pas une tactique, même si les méthodes de négociation de Tsipras, Varoufakis et les autres étaient également maladroites depuis le début. Quel est le but d’aggraver les prêteurs avec un style provocateur et un verbiage quand vous n’avez pas l’acier pour aller jusqu’au bout? Il est préférable de porter un costume et une cravate, mais soyez prêt à déclarer le défaut lorsque cela est nécessaire. Le problème avec SYRIZA, cependant, n’était pas ses méthodes, mais sa stratégie. Ils ne comprenaient pas ce qu’était l’Europe, combien les prêteurs étaient implacables. Surtout, ils ne comprenaient pas que la seule façon de lutter contre l’énorme pouvoir de la Banque centrale européenne sur la disponibilité de liquidités dans l’économie était de produire une monnaie nationale. Il n’y avait pas d’autre option pour un gouvernement de gauche. J’ai dit à Tsipras cela dans une conversation privée, mais il ne voulait pas l’entendre, car cela aurait impliqué une vraie rupture avec les institutions de l’UE. Et une pause n’était pas ce qu’il voulait par la formation, la disposition et les perspectives politiques.

GS: Je pense que c’était crucial pour l’échec de SYRIZA – et ceci est mon avis – que le parti n’a pas dit aux Grecs la vérité pendant la période des négociations. La vérité de ce qui se passait entre les deux parties et les intérêts étaient en jeu. Je suis sûr que vous vous souvenez que le discours principal produit au nom du parti au cours de cette période était que tout était sous contrôle, qu’il y aurait un accord équitable pour que les deux parties en profitent, etc. Je pense que c’était un mauvais pas tactique Parce que de cette façon, SYRIZA a démobilisé les gens, déléguant le processus de négociations à un groupe de spécialistes, l’équipe autour de Tsipras. De cette façon, SYRIZA a fait croire aux gens que tôt ou tard il y aurait une solution en faveur de leurs intérêts. Les gens n’étaient pas précisément informés de ce qui se passait à Bruxelles et n’étaient pas prêts à protester en masse contre les menaces de la troïka. Je crois que le Plan B aurait impliqué la préparation du peuple grecque autant que nécessaire pour un freinage possible avec l’UE. Qu’est-ce que tu penses?

CL: Le soutien populaire et la préparation politique de la classe ouvrière et des couches sociales plus larges auraient été d’une importance primordiale pour tout gouvernement radical qui souhaitait vraiment changer les choses en Grèce. SYRIZA a eu l’opportunité de s’engager dans cette situation après les élections de 2012, alors qu’elle est devenue l’opposition officielle, mais ce n’est pas le cas. Au lieu de cela, le leadership a suivi la voie de la promotion d’Alexis Tsipras en tant que prochain Premier ministre et un personnage de la gauche mondiale. Après avoir pris le pouvoir, ils ne se sont jamais trompés sur des questions clés, même si les gens voulaient des réponses. Le seul point sur lequel ils étaient catégoriques était qu’ils voulaient rester dans les institutions européennes. C’est l’un des rares problèmes sur lesquels ils étaient honnêtes. Ils étaient, et restent, des Européens engagés. Comment, alors, ont-ils préparé les gens pour un conflit majeur avec les prêteurs européens? Même à l’époque du référendum de juillet 2015, qui aurait évidemment été un point de rupture, ils ont évité méticuleusement de préparer les gens à la bataille. Des centres puissants en Grèce et à l’étranger essayaient systématiquement d’effrayer le peuple grec en disant qu’un «non» signifierait sortir de l’UEM et de la catastrophe. SYRIZA et ses dirigeants ne l’ont jamais exprimé, mais ont toujours déclaré que le référendum n’était qu’une autre arme dans les négociations avec les prêteurs. Et à la fin, ils se sont rendus et ont transformé «Non» en «Oui». Ils n’ont jamais voulu un véritable combat.

GS: pensez-vous que ce choix stratégique est lié à la stratégie que les partis eurocommunistes ont adoptée au cours des années 1970, ou était-ce strictement une décision des habitants de Tsipras? Par exemple, Giorgos Stathakis, actuel ministre de l’Environnement et de l’Energie et l’un des plus importants conseillers économiques de Tsipras, était l’un des plus sincères de SYRIZA, après avoir déclaré à partir de novembre 2016 que la seule option réaliste pour le parti au pouvoir était immédiatement De signer un mémorandum avec la troïka. Quelle est votre opinion à ce sujet? Ce choix peut-il être expliqué en fonction de raisons idéologiques, économiques ou personnelles, ou est-ce une intersection de ces facteurs qui peuvent décoder efficacement la stratégie adoptée?

CL: Je ne pense pas que nous puissions relier directement le sinistre de SYRIZA à la tradition eurocommuniste. Il y avait beaucoup de courants historiques de gauche qui entraient à SYRIZA. Certains provenaient de l’eurocommunisme, mais certains des plus éminents venaient de la tradition stalinienne du Parti communiste grec. Une bonne proportion des cadres dirigeants de SYRIZA étaient des cadres du parti communiste en ligne et non pas un eurocommuniste. Le vrai problème avec SYRIZA n’était pas l’eurocommunisme, mais comment le parti a été constitué et ce qu’il est devenu. Il a débuté de façon incertaine au début des années 1990, principalement sous le nom de Synaspismos, une émancipation du Parti communiste qui était toujours lourd et non enracinée dans la classe ouvrière. Il est devenu SYRIZA dans les années 2000, une petite tenue qui s’est considérée comme un joueur potentiellement important dans la politique grecque, car elle semblait offrir une nouvelle façon de faire des politiques pluralistes, démocratiques, etc. Le changement majeur de SYRIZA s’est produit sous la direction d’Alekos Alavanos, qui était probablement le politicien le plus talentueux de sa génération sur la gauche. SYRIZA a acquis les caractéristiques d’un nouveau parti de masse qui pourrait attirer de nombreux courants différents de la gauche dans un environnement de discussion constante et d’échange d’opinion. C’était aussi consciencieusement déménager.

L’erreur désastreuse commise par Alavanos était de nommer Tsipras et son petit groupe comme nouvelle direction de SYRIZA, pensant qu’il ouvrait la voie à une génération nouvelle, nouvelle et radicale. Tsipras s’est avéré énormément ambitieux et était également habile à prendre le parti. Il a poussé SYRIZA vers un grand succès électoral en 2011-12. Autour de 2010, SYRIZA était juste un petit parti parmi beaucoup à gauche et, pour être franc, il a jeté les plus grandes bêtises quant à la nature de la crise qui se déroule. Tsipras l’a hardiment poussé à participer aux manifestations de masse qui se sont produites dans les places des villes grecques. Surtout, Tsipras était prêt à dire qu’il était prêt à gouverner, contrairement à tous les autres leaders de la gauche. La combinaison de sa volonté de gouverner et de l’implication de SYRIZA dans le mouvement des Squares a propulsé la fête aux élections de 2012. Il est devenu le gouvernement en attente.

Pendant un court laps de temps, il semblait que SYRIZA représentait une nouvelle forme d’organisation qui pourrait être l’avenir de la gauche non seulement en Grèce, mais aussi en Europe. Une alliance lâche de divers courants engagés dans un débat constant, avec un cadre puissant, qui pourrait attirer le soutien électoral et devenir le parti du gouvernement. La réalité est devenue claire en 2015. SYRIZA n’était pas une nouvelle façon de faire de la politique pour la gauche, mais simplement la dernière façon dont l’establishment politique grec pouvait continuer à dominer. Le débat politique sans fin et le mouvement ne sont ni une garantie de démocratie interne, ni un défi pour le capitalisme. SYRIZA s’est révélée complètement antidémocratique dans le gouvernement, un organe politique amorphe avec un leader tout-puissant au sommet et pas de véritable débat politique. C’est une machine électorale qui s’est imbriquée avec l’état grec et cherche seulement à se maintenir au pouvoir. Il n’y a pas d’avenir pour la gauche dans le modèle SYRIZA, c’est sûr.

GS: une devise discursive qui informe le récit officiel du gouvernement grec après l’accord de juillet 2015 est que sa gouvernance, en dépit des nombreuses difficultés auxquelles elle est confrontée jusqu’à présent, peut être définie comme une réussite en raison de sa performance financière augmentant l’excédent budgétaire principal de l’État À environ 4% du PIB en 2016. Partagez-vous cet optimisme au nom du gouvernement grec? Pourrions-nous définir sa performance économique en tant que réussie?

CL : Permettez-moi de mettre les choses en contexte. La grande contraction économique en Grèce s’est terminée en 2013. Depuis 2014, l’économie grecque a effectivement stagné: un petit peu, un peu plus bas. La pire partie de la crise était déjà d’un an avant que SYRIZA ne ​​prenne le pouvoir. Il est donc ridicule de dire que SYRIZA a donné un certain succès à la Grèce ou au peuple grec. En termes factuels, après que SYRIZA a repris, l’économie est revenue à une légère récession et a continué sur un chemin indifférent tout au long de 2016 et jusqu’à présent en 2017. Bien sûr, dans la politique grecque, il est possible de créer une réalité parallèle à travers la répétition constante des mensonges , Et SYRIZA est très bon à ce sujet. Mais la vérité est évidente dans les figures et dans l’expérience vécue des gens.

En termes de politiques économiques réelles, SYRIZA s’est avéré être le gouvernement le plus obéissant que la Grèce a eu depuis le début de la crise. Ils ont accepté les politiques économiques des prêteurs, ont signé le troisième accord de sauvetage en août 2015 et ont été méticuleux dans l’application. Il n’y a aucune preuve d’indépendance, pas d’exercice de la souveraineté. À cet égard, le dernier accord qu’ils ont signé en mai 2017, complétant le deuxième examen du troisième plan de sauvetage, a de nouveau obéissait aux prescriptions des prêteurs. Au cours de son ascension au pouvoir, SYRIZA a fait de grands efforts pour négocier fort, être dur et se tenir debout envers les prêteurs, contrairement aux précédents gouvernements grecs « doux ». En pratique, ils ont prouvé les pires négociateurs que la Grèce a eu pendant la crise. Les prêteurs les ont complètement dominés, imposant de l’austérité, des taxes et des réductions de pension, sans alléger la dette.

Le futur semble sombre pour la Grèce. Il continuera probablement à stagner: la croissance va peut-être ramasser un peu, puis il va diminuer un peu, puis encore la même chose. Il deviendra un pays avec un taux de chômage élevé et une inégalité élevée des revenus; Un pays pauvre dont la jeunesse formée partira; Un pays vieillissant écrasé par une énorme dette; Un petit pays non pertinent sur les franges de l’Europe. Sa classe dirigeante a accepté cette éventualité, c’est une faillite historique de sa règle. SYRIZA joue également un rôle dans cette catastrophe.

GS : Et qu’en est-il de la dette? SYRIZA a affirmé qu’il y aurait bientôt un allégement de la dette.

CL: En mai 2016, l’Eurogroupe, qui est l’organisme qui gère essentiellement l’union monétaire, a décidé un cadre pour la dette grecque, que SYRIZA a acceptée. Il n’y aura pas de «coupe de cheveux», car il n’y a pas de mécanisme au sein de l’union monétaire pour qu’un État puisse prendre les pertes de la politique d’un autre. Selon le cadre, la dette grecque sera considérée comme durable tant que le coût total du service (intérêts et principal) ne dépassera pas 15% du PIB annuel. La Grèce pourrait bénéficier d’une aide pour atteindre cette «durabilité» en allongeant la durée de certains des prêts existants et en réduisant les intérêts. C’est le meilleur que la Grèce peut espérer de ses «partenaires» dans l’UE. Pour cette raison, la Grèce devra définir sa politique budgétaire pour atteindre un excédent primaire très important pendant une longue période. Autrement dit, les faibles dépenses du gouvernement et la fiscalité élevée, c’est-à-dire une profonde austérité, depuis des décennies. Par implication, les taux de croissance seront abaissés. C’est une terrible situation qui rend la dette grecque décidément non viable à moyen et à long terme.

En mai 2017, le gouvernement SYRIZA a signé un autre accord fondé précisément sur ce cadre. Ils ont promulgué de nouvelles mesures, réduisant les pensions et imposant des taxes pour assurer une austérité arrosante de 3,5 pour cent d’excédents primaires par an jusqu’en 2022. Ils ont également accepté de réaliser d’autres excédents de 2% par an jusqu’en 2060! En dépit de légiférer sur ces mesures extraordinairement sévères, ils n’ont reçu absolument aucune concession sur la dette. C’est une incompétence incroyable. Ils ont capitulé, abandonnant tous les derniers vestiges de la souveraineté nationale et imposant des mesures sévères aux travailleurs, tout en abaissant abyssalement les conditions qui permettraient à l’économie grecque de se redresser, réduisant ainsi le chômage. Le gouvernement SYRIZA est une honte pour le peuple grec, mais aussi pour la gauche internationale.   

GS: Pensez-vous que cette situation en Grèce peut être comparée à celle des États d’Amérique latine pendant la crise des années 1980, puisque la crise de la dette était une caractéristique déterminante dans les deux cas?

CL: Dans une certaine mesure, oui, car la crise grecque était en substance une crise de la balance des paiements. En outre, la crise a été traitée par le FMI, de sorte qu’on peut trouver des résultats similaires en Amérique latine. Cependant, le véritable analogue pour la Grèce n’est pas l’Amérique latine, mais la crise allemande après la Première Guerre mondiale, la crise de la guerre-réparations. Après avoir perdu la guerre, l’Allemagne a été obligée de faire d’énormes réparations, surtout pour la France victorieuse, tout en faisant face à des restrictions sur son économie qui réduisaient sa capacité d’exportation et donc à faire les paiements nécessaires. Tout au long des années 1920, l’Allemagne a été placée dans une position impossible, comme John Maynard Keynes l’a réalisé immédiatement. Le résultat final a été, bien sûr, la montée de Hitler, qui a dénoncé la dette et militarisé l’économie en prévision de la Seconde Guerre mondiale. La Grèce occupe une position similaire aujourd’hui. Il a une énorme dette extérieure et est obligé de faire des paiements à l’étranger, mais il ne peut pas générer les excédents externes puisque l’union monétaire ne l’autorise pas efficacement. Les excédents budgétaires à l’heure actuelle sont créés par la compression de l’économie domestique, réduisant ainsi les perspectives de croissance. C’est une situation impossible pour la Grèce, qui ne peut être résolue qu’en cas de rupture forcée du piège.

GS: L’ex-ministre des Finances Yanis Varoufakis a approuvé récemment qu’il y avait un Plan B. Croyez-vous cette déclaration? S’il y en a eu une, pourquoi l’équipe de Tsipras n’a-t-elle pas utilisé une option lors des négociations avec la Troïka quand il y avait encore du temps et des manœuvres? Dans le cas où Tsipras jouerait à cette carte, quel impact pensez-vous que cela aurait en termes économiques et politiques?

CL: Il est commun de créer un récit sur le passé qui vous permet de vivre avec vous-même. Il est également courant de réinventer le passé pour mieux répondre aux besoins du présent. Les gens le font souvent en politique, même si je tente personnellement de l’éviter autant que possible. Il n’y a jamais eu de plan B, c’est-à-dire un plan visant à retirer la Grèce de l’union monétaire et à rompre avec l’Union européenne. Au plus, il y avait des exercices d’arrière-plan sur quoi faire si la pression des prêteurs devenait trop grande. Ils ne représentaient jamais un plan B tel que je continuais à exiger – et à proposer – c’est un ensemble cohérent qui serait basé sur un soutien populaire. Et il ne pourrait pas exister pour SYRIZA car un tel plan aurait nécessairement entraîné la sortie de l’UEM. Les dirigeants de SYRIZA, y compris Yanis Varoufakis, ont été des Européens engagés qui n’accepteraient pas une rupture avec l’Europe. Les membres de SYRIZA qui n’étaient pas européanistes et demandèrent une pause, furent finalement poussés par Tsipras.

GS: Récemment, vous et Theodore Mariolis ont écrit un rapport analytique intitulé «L’échec de la zone euro, les politiques allemandes et un nouveau chemin pour la Grèce», publié par l’Institut RL, dans lequel vous décrivez les étapes qu’un futur gouvernement devrait mener pour Grexit Pour être un projet réalisable sans conséquences destructrices pour la majorité des personnes grecques. Que devrait faire un futur gouvernement pour que Grexit puisse être une réussite, même à long terme? 

CL: Les étapes de Grexit ont longtemps été bien comprises. Il n’y a pas de mystère. Grexit exige, tout d’abord, la souveraineté monétaire par un acte parlementaire, redéfinissant ainsi la soumission légale de la nation. Un taux de conversion de 1: 1 serait appliqué immédiatement sur les contrats, les flux d’argent et les sommes d’argent qui sont prévues par la loi grecque. Dans le même temps, il y aurait la nationalisation des banques, les contrôles de capitaux, les contrôles bancaires et les étapes pour s’assurer qu’il y a un approvisionnement régulier en médicaments, en nourriture et en énergie dans la période initiale jusqu’à l’émergence de l’économie. Le problème économique le plus grave serait la dévaluation du New Drachma, dont l’étendue dépendra de l’état du compte courant et de la solidité de l’économie. Dans le cas de la Grèce, il n’est pas facile de l’estimer, mais je suppose qu’une dévaluation de 20 à 30% dans la nouvelle position d’équilibre serait probable. La dévaluation serait positive pour l’industrie grecque, qui doit compenser la compétitivité sur les marchés internationaux et sur le marché intérieur. Les travailleurs bénéficieraient également à moyen terme car l’emploi serait protégé, mais ils nécessiteraient un soutien à court terme, en particulier par des subventions et des allègements fiscaux. Ce n’est pas un chemin facile par toute l’imagination, mais c’est parfaitement réalisable et nécessite une détermination et une participation populaire. Il y aurait peut-être une période de difficultés considérables, peut-être de six à douze mois, mais l’économie se retournerait.

La sortie, cependant, n’a jamais été un remède pour les problèmes grecs. Je l’ai toujours compris comme faisant partie d’un ensemble différent de politiques économiques qui changeraient l’équilibre des forces sociales en faveur du travail et contre le capital, mettant ainsi le pays sur un chemin différent. La Grèce a besoin d’une sortie progressive, en d’autres termes. Pour cela, deux étapes sont fondamentales. Tout d’abord, le gouvernement devrait lever l’austérité, abandonnant l’objectif ridicule et destructeur de 3,5% pour les excédents primaires. Il devrait stimuler les dépenses publiques pour l’investissement et d’autres choses, principalement pour les services parce que c’est là où l’emploi pourrait être rapidement créé. Deuxièmement, le gouvernement devrait adopter une stratégie industrielle utilisant les ressources publiques pour rééquilibrer l’économie en faveur de l’industrie et de l’agriculture plutôt que des services. Si ces politiques étaient adoptées, les bénéfices pour les travailleurs seraient substantiels, l’équilibre du pouvoir de classe changerait, les conditions du travail salarié seraient améliorées et il y aurait marge de redistribution des revenus et des richesses. Il serait possible de parler de la Grèce entrant dans une voie de développement différente avec un caractère fortement anticapitaliste qui pourrait conduire à la réorganisation socialiste de la société.

GS: Dans un scénario possible de Grexit, où une Grèce en dehors de l’UE pourrait-elle s’inscrire dans l’économie mondiale, qu’est-ce qu’elle échange avec qui; Attendrait-il une guerre commerciale avec l’UE?

CL: L’argument de la «guerre commerciale» est habituellement employé par des personnes qui souhaitent poursuivre les politiques de renflouement ou ont trop peur, même pour envisager des changements radicaux. La Grèce serait certainement confrontée à des difficultés si elle allait dans la voie de la rupture, notamment parce qu’elle devait inévitablement refuser sa dette. Mais, il est largement connu et accepté que la dette grecque est insoutenable. La défaillance est une affaire sérieuse, mais aujourd’hui elle ne mène pas à la guerre, aux boycotts et à d’autres résultats colorés. Les pays continuent à fonctionner et à survivre. Après tout, c’est l’état qui serait par défaut, et non les agents productifs individuels. Beaucoup plus risqué que le défaut est la perspective d’une rupture avec l’Union européenne, ce qui ne se produirait pas seulement en raison de la défaillance, mais aussi parce que la Grèce adopterait des politiques économiques contradictoires avec celles de l’UE. La Grèce devrait être préparée pour cela afin de remettre son économie en ordre. Il n’y a pas de raccourci. Il faudrait négocier des conditions spéciales, des exemptions, etc., et il faudrait se préparer à un combat pour adopter les politiques dont il a besoin. Si les travailleurs et les strates populaires étaient déterminés, le pays pourrait réussir.

GS: Passons maintenant aux développements de l’UE. Que pensez-vous, c’est l’avenir de la zone euro et comment voyez-vous les scénarios de la Commission européenne pour une Europe à grande vitesse, qui semble être le plan que l’Allemagne a actuellement pour l’UE?

CL : La crise de la zone euro comme période distincte dans le développement historique de l’UE est pratiquement terminée. L’Allemagne a imposé sa propre solution et a vaincu toute opposition. Le point à retenir: l’Allemagne a prévalu et a imposé sa volonté sur l’Europe au cours des sept dernières années. Il est apparu comme le pays incontestablement dominant. Comme cela s’est produit, il est également devenu évident que la nouvelle Europe est une entité hautement stratifiée, dotée d’un noyau et de plusieurs périphéries. L’ancienne distinction de noyau et de périphérie dont les marxistes parlent a réémergé en Europe de manière nouvelle et virulente. Le noyau, plus précisément, est la base industrielle de l’Allemagne qui se compose principalement de voitures, de produits chimiques et de machines-outils. Il n’y a pas d’autre complexe industriel en Europe comparable à celui de l’Allemagne, à l’exception éventuelle de l’Italie du Nord.

Le noyau a défini plusieurs périphéries, dont deux se distinguent. Le premier est immédiatement attaché au noyau industriel allemand: la Pologne, la République tchèque, la Hongrie, la Slovaquie et la Slovénie. Cette périphérie agit comme un arrière-pays de la capitale industrielle allemande, fournissant du travail, des ressources et de la capacité de production, tous se sont vus sur l’Allemagne. La deuxième périphérie se trouve au sud: la Grèce, le Portugal et l’Espagne. Ce sont des économies avec une industrie faible, une faible croissance de la productivité et une faible compétitivité, qui possédaient un grand secteur public qui fournissait un emploi mais ne pouvait plus le faire. Leur rôle est de fournir du personnel de travail qualifié au noyau allemand.

Cette stratification de l’Europe constitue le fondement d’un énorme pouvoir politique allemand. L’ascendance de l’Allemagne n’a pas résulté d’un plan du bloc historique allemand, mais après un point, il est devenu une politique consciente. Le levier le plus important pour assurer l’ascendance de l’Allemagne a été l’union monétaire, qui a fourni à l’Allemagne les moyens de dominer l’Europe dans le commerce et a servi de base à la capitale industrielle allemande pour exporter vers la Chine, les États-Unis et ainsi de suite. Grâce à l’union monétaire, l’Allemagne est apparue comme une puissance mondiale majeure. Mais, comme tout processus capitaliste de ce type, des tensions et des contradictions internes ont également émergé. Ceux-ci ont surtout à faire avec le noyau de l’Europe, et deux questions revêtent une importance primordiale.

La première concerne l’Allemagne elle-même. La montée de l’Allemagne qui a exporté du capital industriel s’est produite chez les travailleurs allemands: l’austérité continue en Allemagne, la contrainte des salaires, le resserrement des dépenses publiques, le manque d’investissement intérieur et la compression de la demande intérieure. C’est la base de la domination capitaliste allemande de l’Europe et a fourni les moyens pour que la capitale allemande gagne du terrain sur le marché mondial. Il s’agit clairement d’une situation instable et intenable à long terme. Les deux tiers du travail allemand survivent en termes précaires, avec de faibles salaires et des conditions de travail difficiles.

La seconde concerne les relations entre l’Allemagne, la France et l’Italie. C’est un point de grande faiblesse. La France est bien sûr un pays du noyau, mais elle ne peut pas survivre avec l’Allemagne car elle n’a pas la base industrielle, la compétitivité et la capacité de façonner l’union monétaire. En effet, son bloc historique manque d’un plan stratégique sur la façon d’affronter l’Allemagne et devient rapidement à la base de Berlin. L’Italie est encore pire. Il a une base industrielle importante, mais sa présence dans l’union monétaire est profondément problématique car elle ne peut pas concurrencer à des conditions raisonnables et son taux de croissance est très faible. L’Italie a été dans un état d’austérité de bas niveau depuis des années. Cela ne peut persister à jamais et les tensions éclateront à un moment donné. En résumé, la montée de l’Allemagne a stratifié l’Europe d’une manière qui n’a jamais été vue auparavant, créant d’énormes tensions. C’est là que j’attends de voir les éruptions et l’accélération de l’histoire dans les années à venir.

GS : Pensez-vous que ces éruptions viendront de haut ou de bas? 

CL : Au cours des dernières années, nous avons vu la montée du populisme de droite et de l’autoritarisme, souvent sous forme fasciste, dans plusieurs régions d’Europe. Ceci est le résultat de la stratification de l’Europe et de l’émergence de la domination allemande. C’est aussi le résultat de la retraite de la démocratie alors que l’Europe est devenue de plus en plus inégale. L’échec de la démocratie parlementaire, qui est manifeste dans toute l’Europe, et le fait que le processus politique s’est détaché des préoccupations des travailleurs, fait partie intégrante de l’ascendance de la capitale allemande en Europe. La réaction a inévitablement pris la forme d’exiger plus de souveraineté, et elle vient d’en bas: les gens pensent qu’ils ont perdu le pouvoir sur leur vie, où ils travaillent, qui fait les lois, qui applique les lois, qui sont responsables et Comment. Il existe une demande de souveraineté populaire et nationale en Europe.

Dans le passé, les forces de la gauche en Europe auraient formulé ces exigences pour exprimer les besoins et les aspirations des travailleurs, en s’opposant aux grandes entreprises et à l’ascendance allemande en Europe. La tragédie est que la gauche n’a pas joué ce rôle en Europe depuis des années et, par conséquent, le droit a pris de l’importance, s’appropriant même souvent le mode d’expression de la gauche et donnant un tournant autoritaire aux exigences populaires. Mais il n’y a rien d’inévitable à propos de ce développement. Tout dépendra de la réaction de la gauche à partir de maintenant. Il n’y a pas de lien ferme entre les travailleurs de l’extrême droite en Europe. La vraie question est de savoir si la gauche peut agir ensemble et commencer à intervenir efficacement. Le potentiel existe. Ce qui manque, c’est une compréhension claire des problèmes politiques brûlants en Europe, car la majeure partie de la gauche continue de fonctionner dans le cadre des années 90 et 2000. Il est temps pour la gauche de sortir de cela et jouer de nouveau son rôle historique en Europe.

L’article original http://www.erensep.org/index.php/en/articles/politics/364-the-future-of-greece

Médiapart : Entretien avec le président de SOS Méditerranée

Migrants en mer: «A un moment donné, quand quelqu’un coule, vous le sauvez»

Par Cécile Andrzejewski Mediapart

En Méditerranée, plusieurs ONG interviennent pour sauver de la noyade des migrants embarqués à bord de rafiots de fortune. Ce que leur reprochent les autorités italiennes et européennes : par leurs actions, les associations favoriseraient l’immigration illégale. Une « erreur d’analyse », répond Francis Vallat, président de SOS Méditerranée.

Accusées de favoriser le travail des passeurs et de créer un « appel d’air » migratoire, les ONG intervenant en mer Méditerranée se sont vu imposer un code de conduite par le gouvernement italien. La plupart des associations refusent pour le moment de le signer. Et si les négociations continuent, les sauvetages ne s’arrêtent pas non plus, loin s’en faut.

Francis Vallat, ancien armateur, est le président de SOS Méditerranée, qui intervient en mer pour secourir les naufragés à l’aide de son bateau, L’Aquarius. Créée au printemps 2015, l’association, financée à 76 % par les dons de particuliers, est directement confrontée à l’ampleur de la crise migratoire et à la détresse des réfugiés, comme le raconte son président.

Quelle est la situation en mer Méditerranée en ce moment ?

Francis Vallat : Elle n’a malheureusement pas changé par rapport aux autres années. On devrait même avoir environ 20 % de passages en plus sur l’axe Libye-Italie. Au total, 200 000 personnes devraient passer par cette route sur l’exercice 2017. Il y a toujours un certain nombre de morts, probablement 5 000 cette année, ou un peu plus. Depuis le début, nous avons pu sauver 23 000 personnes. Selon les périodes de l’année, les ONG réalisent autour de 25 % des passages, le reste étant fait par la garde-côte italienne, les navires italiens, les bateaux de commerce…Comment opère SOS Méditerranée en mer ? 

Nous avons un bateau, L’Aquarius, qui mesure un peu moins de 80 mètres de long. Il dispose d’une partie d’accueil des réfugiés, avec, d’un côté, les hommes et, de l’autre, les femmes. Quand on peut les répartir, bien sûr, car les interventions sont intenses. Une autre partie est aménagée en petit hôpital avec des médecins et des infirmiers, sur laquelle on travaille avec Médecins sans frontières (MSF). Au total, on tourne autour de 26 personnes sur L’Aquarius, entre l’équipage de conduite du bateau, les sauveteurs, le personnel médical, les responsables communication et les journalistes qui suivent les opérations. Toutes les trois semaines, on fait escale à Catane, en Sicile, et on repart.

Pour les sauvetages, quand un bateau coule, nous sommes informés par le MRCC, le Centre de coordination des sauvetages en mer, dont le quartier général est à Rome. Nous sommes en liaison permanente avec eux, ils nous donnent l’ordre d’aller sauver les bateaux. Enfin, si on peut appeler ça des bateaux… Ils se dégonflent, des bouts de planche sortent, c’est une catastrophe. Dès qu’on arrive, on récupère les personnes. C’est très difficile parce que les réfugiés sont terrorisés, ils paniquent, la plupart ne savent pas nager. Il y a des gens parmi eux qui ont été torturés, des femmes souvent violées, parfois des enfants sont à bord. La semaine dernière, on a trouvé huit personnes mortes au fond du bateau parce qu’ils étaient trop nombreux, elles ont été asphyxiées avec les vapeurs d’essence. Ce n’est pas le cas le plus fréquent, mais même les cas « normaux » demandent beaucoup de compétences. Il faut calmer les réfugiés, les rassurer, certains se jettent à l’eau.

Et ensuite ?

Ensuite ils viennent sur le bateau. On peut normalement accueillir jusqu’à 500 personnes, mais il nous est arrivé d’en avoir près de 1 000 à bord. Les premières 24 heures sont terribles. C’est là où on les calme, on les soigne, on les rassure. On parle avec eux de leurs vies, de ce par quoi ils sont passés. Ces échanges-là sont plus humains, à la fois très touchants, mais aussi très durs. L’atmosphère à bord du bateau s’avère absolument formidable. C’est indispensable car la pression morale reste très forte, il a pu arriver que nos propres sauveteurs soient traumatisés par ce qu’ils ont vu. Puis on va en Italie, à Lampedusa ou à Trapani. Comme on a un gros bateau, parfois, sur ordre du MRCC, on transborde sur L’Aquarius des gens sauvés par d’autres, pour les amener en Italie. C’est-à-dire qu’on embarque à bord des réfugiés qui ont été sauvés par d’autres bateaux.

 © Narciso Contreras/SOS Méditerranée

© Narciso Contreras/SOS Méditerranée

Ces derniers temps, on entend beaucoup parler « d’appel d’air », une théorie selon laquelle, en intervenant en Méditerranée, les ONG encourageraient finalement les migrants à prendre la mer sur des rafiots de fortune et favoriseraient donc l’immigration illégale…

D’abord, en Libye, beaucoup de personnes sont extraordinairement maltraitées [lire à ce sujet les récits de migrants rescapés de l’horreur libyenne publiés en avril dernier sur Mediapart – ndlr]. Ces gens vivent un véritable enfer en Libye. Selon les périodes, nous sauvons 20 % à 25 % d’enfants. 80 % d’entre eux sont sans leurs parents. Ce qui signifie que la désespérance est telle qu’en dépit de tout, les parents se sont sacrifiés, ils ont économisé pour payer un passage, pour qu’au moins leur enfant soit sauvé. Le désespoir reste absolu, donc ils partiront.

Cette histoire d’« appel d’air » est une erreur d’analyse : lorsqu’en 2014, l’opération Mare Nostrum a été arrêtée, lorsque cette force a été enlevée d’un seul coup, ça n’a absolument pas tari le flux de départs en mer. La seule chose qui a augmenté, c’est le nombre de morts. La théorie de l’« appel d’air » constitue une sorte de fausse excuse qui camoufle la crainte ou le refus des sauvetages. On dépasse le cap des 50 000 morts depuis le début de la crise des migrants. Ces chiffres sont certainement sous-évalués car ils sont calculés uniquement sur la base des morts qu’on peut constater. Mais ils disent tout : ce drame se déroule à nos portes.

La Méditerranée, on peut s’y baigner, pêcher, y passer du bon temps, mais on ne peut pas non plus regarder ailleurs, on ne peut pas laisser mourir ces gens sans les aider. On peut discuter pendant des heures de la politique migratoire, le problème n’est pas celui-là, il est de dire qu’on ne peut pas laisser des gens mourir à nos portes, que le sauvetage ne se discute pas.

Cet argument de « l’appel d’air » est utilisé par l’extrême droite, les populistes, qui ne vont pas assez loin dans l’analyse. Ils se servent d’un rapport de Frontex [l’agence européenne de surveillance des frontières extérieures de l’UE – ndlr] qui aurait pointé cet effet. Mais on a rencontré le directeur général de Frontex. D’après lui, les responsables de l’agence ne sont pas dans cette conviction. Il nous a paru sincère. Après, il y a les pressions politiques… La meilleure des preuves : Frontex [qui coordonne désormais l’opération Triton, laquelle a pris le relais de Mare Nostrum, mais dont l’objectif premier est le contrôle des frontières – ndlr] participe aux opérations de sauvetage. Si les ONG sont coupables d’un appel d’air, alors c’est le cas de tous ceux qui sont là, y compris les navires étatiques ou européens. À un moment donné, quand quelqu’un coule, vous le sauvez.

« Nous, on essaie de sauver notre âme, celle de l’Europe »

Y a-t-il une réelle volonté politique face à cette crise ?

Nous, on s’occupe exclusivement de sauvetage. Notre seule action politique consiste à dire aux responsables nationaux et européens : votre boulot, c’est de travailler sur les solutions. Nous, on essaie de sauver notre âme, celle de l’Europe. À l’heure actuelle, il n’existe aucune stratégie. Que fait-on à court terme, à moyen terme, à long terme ? On sait que trouver des solutions va prendre du temps, mais c’est essentiel. Où est en France le groupe de travail qui réfléchit à ces problèmes ? Il y a un refus de voir le problème en face. Ce refus est irresponsable vis-à-vis des réfugiés et aussi vis-à-vis de nos enfants. On n’a pas le choix, il faut y réfléchir. On ne peut pas dire que rien n’est fait, mais les solutions sont loin d’être à la dimension du problème.

L’objectif final n’est-il pas que les garde-côtes libyens prennent le relais ?

Ça fait partie des choses discutées, des solutions proposées. Si ça peut permettre de les rendre plus responsables… Parce qu’aujourd’hui, quand on croise des gens en uniforme, on ne sait pas à qui on a affaire. Mais si ça consiste à prendre les réfugiés et à les ramener dans l’enfer qu’ils viennent de quitter, là on est clairement contre, ce n’est pas acceptable. Pour l’instant, tout ça n’est pas encore très clair, mais on se méfie beaucoup de cette histoire.

 © Narciso Contreras/SOS Méditerranée

Le 25 juillet dernier, le gouvernement italien a présenté un code de conduite destiné aux ONG qui interviennent en Méditerranée. Cinq des huit ONG l’ont refusé, dont SOS Méditerranée ?

Nous sommes en discussion. Cette histoire est sortie il y a deux semaines. Il a d’abord fallu comprendre ce code. Nous avons eu, comme d’autres ONG, des discussions avec le gouvernement italien. Elles se poursuivent encore, avec une nouvelle rencontre à la fin de la semaine. Nous ne sommes pas contre un code de conduite en soi. Il y a déjà des règles extrêmement strictes : notre bateau a interdiction de se rendre dans les eaux territoriales libyennes ; il ne peut agir qu’à la demande du MRCC ; si L’Aquarius croise un bateau en difficulté, l’équipage doit prévenir le centre de coordination ; nous avons interdiction de tout contact avec les passeurs. Mais pour ce nouveau code de conduite, nous voulons discuter de certains points.

Lesquels ?

Premièrement, il faut qu’il soit clair que les transbordements entre navires seront autorisés. C’est-à-dire qu’on doit pouvoir accueillir des personnes sauvées par d’autres bateaux pour qu’ils puissent continuer les recherches, on ne doit pas être obligés de retourner au port entre chaque sauvetage. À l’heure actuelle, on a sauvé autant de gens car on a pu en recueillir en transbordement, ce qui a permis à d’autres de continuer les sauvetages. C’est essentiel, si on ne le fait pas, on perd des vies. S’il faut effectuer l’aller-retour sur les côtes, on perd une trentaine d’heures. On refuse également que toute action soit réalisée vis-à-vis des réfugiés dans les premières 24 heures. Parce que les gens sont dans un état de choc incroyable durant cette période, ils ont besoin de temps.

Enfin, il est hors de question qu’il y ait des personnes armées à bord [le code de conduite impose en effet la présence d’officiers de police dans les bateaux – ndlr]. La présence de gens armés constitue un facteur de tension et un facteur de risque. Dans ce cas précis, ça ne nous paraît pas justifié. Cette disposition nous inquiète. Il ne faut pas oublier que les réfugiés viennent de pays où ils ont vécu des événements violents.

Nous discutons de ces trois points, qui représentent des points de blocage pour nous, avec les autorités italiennes. Notre position est très claire mais nous avons bon espoir d’ouvrir un dialogue. Nous sommes très fermes, mais très équilibrés. Simplement, nous restons intransigeants sur le sauvetage, car c’est de ça qu’on s’occupe. La garde-côte italienne travaille très efficacement au sauvetage, c’est d’ailleurs le gouvernement italien qui assure la majeure partie du sauvetage, à hauteur de 40 % ces dernières années. Mais la pression des populistes reste très forte.

[Cet entretien a été réalisé par téléphone le jeudi 10 août. Le lendemain, vendredi 11 août, SOS Méditerranée a signé une version modifiée du code de conduite au cours d’une rencontre avec le ministère à Rome, ses demandes ayant été prises en compte. Voir Boîte noire – ndlr]

D’où viennent les réfugiés que vous secourez ?

Ils viennent de partout. De pays en guerre ou dans une crise politique qui ressemble à une guerre. Dans le nord du Nigeria, avec Boko Haram, à la place des habitants, vous fileriez aussi. Ils viennent de l’Érythrée, du Soudan, du nord du Nigeria donc, du Niger, de la Syrie. Par ailleurs, oui, il y a des réfugiés économiques, en particulier d’Afrique de l’Ouest, mais qui sommes-nous pour dire « toi, tu es politique, je te ramasse, toi non parce que tu es économique » ? Si vous n’avez aucune solution, c’est normal que vous partiez chercher un avenir ailleurs. Au sud du Sahara, dans la zone sahélienne, les conditions économiques sont très difficiles, les habitants cherchent des solutions. Pour la plupart, ce ne sont pas des gens qui arrivent en Libye et d’un seul coup vont chercher un bateau. Le pays employait énormément de ces gens, mais il est depuis tombé dans le chaos, des gangs les traitent de manière épouvantable.

Un bateau financé par des militants d’extrême droite s’est récemment lancé dans une tentative de navigation en Méditerranée pour empêcher les ONG d’agir…

Leur épopée a surtout consisté en une opération de communication. Ils ont été empêchés d’entrer dans des ports. Ces gens sont totalement marginaux. Ils tiennent du groupuscule. En parler, c’est leur donner une importance qu’ils n’ont pas du tout. Voilà pourquoi SOS Méditerranée s’est très peu exprimé à leur sujet. Il s’agit d’un épiphénomène qui est, à certains égards, ridicule. D’abord, ils ont imité notre modèle, en réalisant une levée de fonds. Or, ça demande un travail énorme : notre bateau coûte entre 11 000 et 12 000 euros par jour, nous devons lever 4 millions d’euros par an. Eux ont à peu près réuni 80 000 euros [76 000 exactement – ndlr], ils ne vont pas tenir très longtemps.

Il faut qu’on soit très vigilants parce qu’on ne peut pas se permettre de mettre en danger notre équipage et les réfugiés à bord. Ils nous ont suivis au début. Ils sont venus nous trouver et nous ont dit : « Nous vous sommons de quitter cette zone, vous mettez en danger l’Europe ! » Nous n’avons pas réagi et au bout d’un moment ils ont changé de route pour aller dire la même chose à un autre… Ce que l’on craignait, ce n’était pas qu’ils reprennent les réfugiés et les ramènent en Libye, ce n’est pas possible, on craignait surtout qu’ils leur fassent peur et que ceux-ci paniquent sur le bateau. Parce qu’eux sont réellement en état de choc.

Lavage complet ! la rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Lavage complet !

Synchronies, canicule, comme tempêtes passagères. Temps actuel. Les medias évoquent pêle-mêle, la ruée vers les plages, les incendies du moment (l’île de Cythère brûle depuis près d’une semaine), l’autosatisfaction débordante du gouvernement, voire enfin, la visite officielle (déjà annoncée) en Grèce et en septembre du président Macron.

Petite tempête passagère. Large d’Égine, juillet 2017

Samedi 5 août, près de trente ferrys ont largué leurs amarres à destinations des îles depuis le Pirée, rêve alors concentré. “À partir du 18 août, tout ce beau monde rentrera à Athènes, voilà pour les vacances des Grecs, lorsqu’ils partent”, entend-on sur les ondes (Radio Alpha, 5 août, zone matinale). Visiblement on radote, comme on se répète un peu, autant sur les ondes.

Au large de l’île d’Égine l’un des deux ferrys de la matinée, gêné par une tempête qui n’a pas duré, n’a pas pu accoster de sa première tentative. Petite histoire du jour alimentant tout juste les conversations. Dans le temps et dans le vent actuel également, une certaines presse… formatée très “bas niveau”, évoque “ces OVNI vus dans le ciel de Crète”, miracle toujours actuel, spectacle et alors vérité sans doute mensongère.

Athènes, au marché aux puces. Août 2017

Lundi 7 août, et depuis le Troisième Programme (culturel et musical) de notre (presque) bien seule radio, l’émission de l’après-midi (sous les 40° C il faut aussi le signaler), elle avait été consacrée à l’œuvre de Guy Debord , à l’occasion d’une nouvelle (et quatrième) version traduite de son œuvre: “La Société du spectacle”. Un oasis fort apprécié par si peu d’auditeurs en réalité, au pays de l’archipel Égéen où la moitié de l’Europe s’y rend très volontiers pour y réaliser ses baignades.

Société du spectacle toujours, ainsi, une autre fraction de la presse ironise alors sans réserve, au sujet des “gouvernants”: “Les marchés financiers jouent de leur musique, et de ce fait, Tsipras et les siens dansent”. Événements, politiquement et copieusement déshydratés, et qui n’impressionnent guère les ultimes lecteurs de la presse. Les Grecs d’ailleurs n’en rient même plus du tout.

Touristes et Grecs. Póros, juillet 2017
Les ferrys arrivent à l’heure. Golfe Saronique, août 2017
Les voiliers affrontent les éléments. Golfe Saronique, juillet 2017

Pays pour autant comme on sait piloté… automatiquement, danse ou pas. Les ferrys arrivent néanmoins plutôt à l’heure, les voiliers affrontent les éléments, puis, les touristes et certains Grecs, profitent des îles ; à l’exemple de Póros. Synchronies parallèles. L’été et ses ambiances en rajoutent d’ailleurs à cette impression de fausse fluidité. Faux mouvements… à travers les débris de toute une civilisation comme le dirait sans doute le regretté Guy Debord.

“L’argent, c’est notre liberté battue en monnaie”, nous dit-il par son unique manière, ce clown comme on sait figé, il est placé devant une boutique “vieux jeu”, située derrière le bâtiment du premier Parlement grec (1875-1935).

“Athènes c’est de la lave”. Athènes, Août 2017
Animal (presque) adespote, heureux sous l’Acropole. Athènes, août 2017
Athènes, commerce à l’ancienne. Août 2017

Ou autrement, ce slogan bien actuel: “Athènes c’est de la lave” (“donc quittons-la”, pour ce qui est du sens entier du message). Avertissements échaudés de ce mois d’août, les plages en plus. Le pays expire, le pays transpire, et les apparences alors dominent, on dirait à l’exacte manière, exposée et analysée par Guy Debord, il y a pourtant plus d’un demi siècle.

Sauf que derrière le lustre touristique, les visages se figent parfois en cachette, car les professionnels ne s’en sortiront pas forcément… victorieux de l’embellie estivale. Comme partout dans ce bas monde, il va falloir finalement gratter un peu, pour accéder à la moelle sociale alors lésée.

Porte… fermée. Athènes, août 2017

“Je vais mettre la clef sous la porte, je ne peux plus et je ne veux plus payer pour cet État-zombi, celui qui nous suce le sang pour alimenter sa clientèle politique, ses sbires, tous ces bons à rien. Je laisse plus de 75% de mon chiffre d’affaires en impôts, taxes et cotisations. Je travaillerai en informel désormais, que tout s’effondre… qu’ils crèvent”. Lámbros, petit imprimeur d’Athènes et ses états d’âme en ce mois d’août.

Une certaine presse… “Les ONVI”. Athènes, juillet 2017
“L’argent c’est…” Athènes, août 2017
“Les gouvernants dansent”. Presse grecque, juillet 2017

De l’autre côté du miroir helléno-centrique, l’ami Mários, fonctionnaire attitré comme attristé, il dépeint également la situation, sa situation: “Ils ne nous laissent pas travailler honnêtement”.

“Toutes ces cliques, ces partis, dont nouvellement la caste Syriziste, ces syndicats, puis enfin ces collègues… aux nombreuses ‘relations’. Comme nos salaires dans la fonction publique ont été réduits de 30% à 40%, les pratiques mafieuses se multiplient… aussi sous prétexte de crise. On m’a rapporté qu’un tel, vétérinaire d’État, ne délivre pas de certificat de conformité aux éleveurs, faisant logiquement suite à l’abatage de leurs bêtes sans… percevoir un bakchich, allant parfois de 20€ à 30€ par tête… animale abattue, et pourtant tout se déroule en respectant les normes les plus strictes.”

“Les confrères, aussi fonctionnaires en sont décidément outrés, seulement, l’intéressé appartient à un large réseau politique local… réellement très existant, l’amoralisme et le cynisme en plus. Ceci explique aussi cela, et les honnêtes gens alors se tairont encore et toujours. Je fais mon travail comme je peux, je ferme les yeux ou plutôt je fais semblant, je ne me mêle pas aux ‘affaires’ et encore moins aux magouilles. Enfin, nous sommes pour l’instant normalement et régulièrement rémunérés, contrairement à ceux du secteur privé. C’est déjà une sécurité. Et c’est aussi la vie, sans espoir, sans renouveau, sans goût ! Le pays ne s’en sortira plus.”

Synchronies, tempêtes passagères et ainsi… vérité enfin tangible. En Thessalie Occidentale, sous les montagnes du Pinde, on y lave encore tapis, couettes, draps et couvertures presque à l’ancienne, aux quelques lavoirs de rivière subsistants. Beauté, clarté, et souvent lucidité, pour ce qui en sort des discussions engagées. La Grèce en immersion complète. Lavage aussi complet garanti !

Au lavoir. Thessalie Occidentale. Août 2017
Au lavoir. Thessalie Occidentale. Août 2017
Au lavoir. Thessalie Occidentale. Août 2017
Près du lavoir. Thessalie Occidentale, août 2017

En Thessalie toujours, la presse régionale (à l’instar du quotidien historique “Elefthería” de sa capitale, Larissa), titrera… sur les “Nouveautés en taxes et impôts à découvrir à la rentrée”, et à acquitter avant la fin de l’année. Rien de très extraordinaire il faut dire. Mais entre Grecs, la spontanéité des discussions estivales engagées entre vacanciers et résidents (près des plages comme dans les montagnes), est définitivement sortie des pseudologies des faits et gestes prétendument “politiques”. L’été étant déjà un “ailleurs” dans un sens, crise ou pas.

Fort honorablement, le même quotidien dans sa ‘Une’, il rapporte aussi cette si bonne nouvelle: “Près de Makrychori (au Nord de Larissa), les vestiges d’une localité récemment découverte avait été habitée vers 5.300 avant notre chronologie. Les fouilles archéologiques se poursuivent. Dans une couche datant de la période de l’Helladique récent, nous avons découvert une demeure où sous son sol, un très jeune enfant avait été inhumée, tandis que la construction avait été habitée par la suite et cela sur plusieurs générations.” Autres temps !

Mais aujourd’hui, nous sommes inlassablement traversés par une époque coulée, coulante et ainsi collante. À Trikala, chef-lieu de l’ex-département homonyme (les départements ont été supprimés en Grèce suite à la réforme jugée “nécessaire”, initiée par la Troïka et par ses serviteurs Grecs lors du premier mémorandum à l’automne 2010), le Syrizisme local a co-organisé en ce début août, une opération de promotion politico-médiatique de sa députée européenne et européiste Konstantína Koúneva (originaire de la Bulgarie voisine, lâchement et sauvagement agressée en 2008 par des inconnus, probablement en lien avec son action de syndicaliste).

La ‘Une’ du quotidien “Elefthería” de Larissa. Août 2017

La députée a voulu… ainsi célébré le renouvellement en CDI d’un certain nombre de contrats des femmes de ménage travaillant à l’hôpital public de Trikala. “Elle se fout très largement de notre gueule cette femme, elle touche ses seize mille euros par mois de l’eurodéputée, puis, elle vient soi-disant soutenir nos faibles d’ici”, pouvait-on entendre en ville, dialogues entre passants, très exactement à la vue des affiches que SYRIZA y avait placé pour promouvoir l’événement, “suivi d’un concert de musique grecque donné dans la cour de l’hôpital”.

Et comme prévu… ce fut le vide total. Les musiciens abattus, très probablement rémunérés trois sous, se produisant devant un public de… fauteuils en plastique quasiment vides. Belle musique populaire pourtant, chansons de la gauche et autant de jadis. Du Theodorakis qu’une vielle dame Syriziste reprenait alors avec penchant… le tout, dans un certain situationnisme de la diagonale du vide politique comme ontologique. Le pays (et sa gauche) n’est plus, sauf alors pour le ridicule en images.

En face de l’hôpital de Trikala et en même temps, sur les terrasses des cafés et des tavernes, l’autre public y était en tout évidence plus nombreux… car en train de suivre un match de football, l’équipe d’Olympiakós du Pirée y jouait.

Événement… organisé par SYRIZA à l’hôpital de Trikala. Août 2017
Le même soir… en suivant le match de football. Tríkala, août 2017
Commerçant sceptique et ‘son’ animal adespote. Athènes, août 2017

Société du spectacle, plus certaines vérités évidentes. Pendant qu’à Athènes les commerçants se montrent sceptiques, chez ceux rencontrés dans les montages du Pinde, la colère qui en ressort est plus claire et plus limpide que jamais: “Les politiciens ont tous trahi, le pays est vendu, les jeunes sont partis, nos villages sont vides et nos écoles se ferment les unes après els autres. La Grèce n’est plus”, voilà pour les témoignages à chaud… sous les platanes.

D’autres montagnards se montrent au contraire plus modérés: “Nous en avons vu bien d’autres, nos parents et nos grands-parents surtout. Alors patience…”. Oui, patience. En Crète, certains agents de l’aéroport d’Héraklion ont récemment perçu une partie de leurs salaires en… bons d’achats, pratique illégale et néanmoins réellement existante (presse grecque du 7 août 2017) . Ainsi… et certes patience.

Sauf que depuis les montagnes grecques, Il est cependant possible de prendre plutôt de la hauteur et de la distance par rapport à la trivialité ambiante. On s’y attardera volontiers par exemple devant ces grottes transformées en chapelles, car au royaume des montagnes du Pinde, les moines Orthodoxes ont très historiquement investi ces cavernes propices au recueillement. Ces cathédrales de roches où trônent des fresques, à mi-chemin entre la peinture naïve et l’iconographie byzantine, ont toutes leurs légendes et leurs secrets.

Grotte transformée en chapelle. Thessalie Occidentale, août 2017
Gare… en ruine et sans train. Thessalie Occidentale. Août 2017
Fresque à l’intérieur d’une chapelle. Thessalie Occidentale, août 2017

Comme autant à la vue de cette gare en ruine, construite entre 1938 et 1939. Les voies ferrées n’ont jamais été posées, le train n’est jamais arrivé jusque là. Encore une des modernisations du siècle dernier en Grèce, définitivement stoppées par la Deuxième Guerre mondiale.

Chemin faisant, on se rend parfois compte que le souvenir de ceux qui appartiennent définitivement au passé, est parfois évoqué à travers les récits des habitants actuels (lesquels ne sont plus permanents): “Regardez cette photo prise ici-même en 1930, devant la demeure d’une famille puissante et riche aux normes de l’époque. De cette si belle maison, il ne reste actuellement que l’entrée externe, tout le reste, comme pratiquement le village dans son ensemble a été brûlé par les Allemands en Octobre 1943. Les habitants avaient fuit se cachant dans la montagne, ensuite, notre village a été partiellement reconstruit, mais seulement plusieurs années après.”

“Nous, descendants des anciens des années 1940, nous y demeurons désormais uniquement durant l’été. Nos familles, elles sont alors éparpillées entre Athènes, Larissa, Trikala, Thessalonique, voire même l’Australie. Nos retrouvailles, entre juillet et août, incarnent surtout le moment le plus heureux et le plus attendu de notre existence durant toute l’année. Nous en sommes fiers… même si cela ne dure que deux à trois mois par an.”

“Regardez cette photo, prise en 1930…” Thessalie Occidentale, août 2017
“Seule l’entrée extérieure a été conservée.” Même endroit, août 2017
Vieillard au village. Thessalie Occidentale, août 2017

Temps actuel. Les medias évoquent toujours pêle-mêle, la ruée vers les plages, les incendies du moment, ou sinon “l’effondrement” des droits des travailleurs: “Les plus anciens des employés sont actuellement licenciés à la pelle. Chaque employé ainsi renvoyé est remplacé par deux jeunes payés au mieux 350€ par mois chacun, pour un travail à temps plein et sous un contrat dit ‘révocable’. Il arrive parfois que même ces salaires de misère ne soient pas versés normalement.”

“Pourtant, les jeunes employés ne disent souvent rien, ils ne se plaignent pas, ils acceptent leur sort ; ils sont beaucoup plus dociles que les ainés. La Grèce connait déjà ce nouveau régime du Moyen-âge… des travailleurs. Le recul en quelques années (y compris sous SYRIZA) est sans précédent”, représentant de la Confédération Générale des Travailleurs Grecs – GSEE, interviewé en direct (Radio 90.1 FM, le 8 août 2017, zone matinale).

Dans ces montagnes du Pinde on s’y baigne parfois. Thessalie Occidentale, août 2017

Sauf que dans ces montagnes on s’y baigne parfois le temps d’un été, histoire de se purifier comme on aime le dire parfois. Chômeurs, travailleurs, éleveurs, ainsi que les rares voyageurs éclairés s’y retrouvent pour ainsi dire loin, si loin des villes. Loin également de la ruée vers les plages, Guy Debord aurait peut-être apprécié ce… situationnisme.

Synchronies toujours et tempêtes passagères. Nos animaux adespotes (sans maître) se disputent imperturbables le charme d’une femelle par exemple. C’est aussi de saison. Août 2017. Temps actuel. Lavage complet !

Nos animaux adespotes se disputent… Athènes, août 2017
* Photo de couverture: Au lavoir. Thessalie Occidentale. Août 2017

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

Sur les réfugiés semaine 32

10/8/17 L’Espagne pourrait dépasser la Grèce en arrivées de migrants par mer http://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/l-espagne-pourrait-depasser-la-grece-en-arrivees-de-migrants-par-mer_1934562.html

9/8/17  Les réfugiés afghans en Allemagne ne seront plus renvoyés dans leur pays pour des raisons de sécurité http://french.china.org.cn/foreign/txt/2017-08/09/content_41381158.htm

9/8/17 Les regroupements familiaux des réfugiés freinés en Grèce https://www.euractiv.fr/section/migrations/news/les-regroupements-familiaux-des-refugies-freines-en-grece/

Derrière le «modèle» économique allemand, des milliers de précaires

Par Amélie Poinssot publié sur Mediapart

Des chômeurs devenus « assistés sociaux »

Bochum est particulièrement représentatif de cette dynamique inégalitaire. Ici, au cœur d’une Ruhr qui fut terre de charbon puis poumon de la production industrielle allemande, les grandes entreprises sont parties ces dernières années, tout comme les mines avaient fermé quatre décennies plus tôt. Nokia a déserté les lieux en 2008, Opel a arrêté sa chaîne de production fin 2014. Rien que cela, avec toutes les entreprises qui gravitaient autour, c’est un bassin de 50 000 emplois qui a disparu, estime la députée Die Linke (gauche) de la circonscription, Sevim Dagdelen. Laquelle souligne au passage que Nokia faisait 17 % de bénéfices quand elle a décidé de délocaliser en Roumanie… « Aujourd’hui, le taux de pauvreté à Bochum est de 18,7 %. Ce n’est plus une politique sociale que nous avons dans la Ruhr, mais une politique de pauvreté, dénonce la parlementaire (que Mediapart avait également interviewée au sujet des relations Allemagne-Turquie). On compte une expulsion de logement tous les deux jours. Les SDF sont de plus en plus nombreux. Dans un pays aussi riche que l’Allemagne, c’est un comble. »

La production automobile allemande est désormais resserrée autour de quelques grands sites, qui réalisent conception et assemblage tandis que les pièces sont fabriquées en Pologne, République tchèque, Slovaquie. Les nouveaux investisseurs ne prennent pas le chemin de Bochum ; le taux de chômage y reste supérieur à la moyenne nationale. Dans cette ville de quelque 380 000 habitants, environ 40 000 foyers vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté.

« Le premier facteur de risque de se retrouver “Hartz IV” est le manque de diplômes : 75 % de nos allocataires n’ont aucune qualification, explique Franck Böttcher, le directeur du Jobcenter de Bochum. Le marché du travail ici ne peut plus absorber cette main-d’œuvre. Aujourd’hui, 85 % des salariés de la ville sont des travailleurs qualifiés. » Bochum, poursuit le fonctionnaire, se caractérise désormais par un chômage structurel de longue durée qui touche la moitié des plus de 18 000 chômeurs que compte la ville. « Depuis le jour où elles ont perdu leur emploi, ces personnes n’ont jamais retrouvé une activité. C’est préoccupant. »

Franck Böttcher pense que les réformes Hartz ont permis de ramener des chômeurs vers le monde du travail mais il est bien en peine, au bout du compte, de défendre ce système pour lequel il travaille. Il reconnaît que la quantité de travail n’a pas augmenté ces dernières années dans l’économie allemande, que seuls des emplois à temps partiel se sont développés. Et que le passage de l’indemnisation chômage à l’allocation Hartz IV est extrêmement brutal, entraînant pour les personnes concernées une chute de revenu considérable.

« Les réformes Hartz ont été dévastatrices en termes de pauvreté, insiste Hadrien Clouet. On est passé d’une logique d’assurance à une logique d’assistance généralisée. Les chômeurs Hartz IV ne sont plus des ayants droit mais des récipiendaires de la charité publique ; autrement dit des assistés sociaux. » Des assistés sociaux pour qui il est extrêmement difficile, voire impossible, de réintégrer le monde du travail à plein temps.

Ralf Lang en sait quelque chose. Cet homme de 58 ans a passé cinq années comme Hartz IV. Il fait partie de cette catégorie de gens diplômés également touchés par l’appauvrissement généralisé. Lucide et posé, il raconte son parcours, ses tentatives de reconversion, ses échecs, ses efforts pour ne pas se laisser enfermer dans la catégorie des Hartz IV. « Au bout d’un moment, votre vie sociale s’appauvrit. Vous finissez par ne plus voir que des gens comme vous. Vous n’allez plus au cinéma, vous priez pour que votre frigo ne tombe pas en panne, vous ne vivez plus qu’avec ce que vous avez déjà… » Ralf finit par rebondir en s’engageant en politique. Aujourd’hui élu municipal à Bochum sous l’étiquette Die Linke, il s’en sort avec une indemnité d’élu de 1 000 euros par mois. Il ne cotise pas pour la retraite et doit s’acquitter lui-même de son assurance santé. Mais mieux vaut cela que revenir en arrière : « Je suis soulagé de ne plus subir la pression du Jobcenter. Les employés exerçaient des contrôles permanents sur ma vie privée. Avoir une copine qui travaille, par exemple, vous empêchait de toucher l’allocation ! »

Outre l’allocation égale pour tous de 409 euros, les Hartz IV ont droit théoriquement à une allocation logement ainsi qu’à une allocation couvrant les charges de leur appartement, et parfois même à d’autres prestations suivant leur situation familiale. Mais si l’on en croit Anton Hillebrand, juriste à la retraite, aujourd’hui à la tête d’une association de bénévoles à Bochum qui vient en aide aux bénéficiaires des aides sociales, les droits des chômeurs ne sont pas toujours respectés. « Très souvent, les situations individuelles ne sont pas bien évaluées par le Jobcenter, explique cet homme, la main sur un pavé d’un millier de pages – le code allemand du travail social. Les textes sont extrêmement complexes et les gens ne connaissent pas leurs droits. Depuis la création de notre association en 2006, environ 1 500 personnes sont venues nous voir. Nous avons réussi à faire réévaluer leurs allocations dans 60 % des cas. »

Anton Hillebrand évoque le labyrinthe administratif dans lequel se perdent les allocataires, montre une armoire débordant de dossiers. « Depuis 2005, le nombre de recours pour non-respect des droits sociaux a explosé en Allemagne. Les lois Hartz ne sont pas seulement un échec politique ; c’est un échec juridique. Je ne comprends pas pourquoi les Allemands ne manifestent pas contre ce système. »

Mais comment trouver le ressort pour protester lorsque son sort est suspendu à une maigre allocation et que le moindre écart peut conduire à sa réduction, voire sa suspension ? Tanja Uhr, allocataire Hartz IV et mère célibataire de trois enfants, n’en veut pas particulièrement à l’administration. Elle trouve le personnel plutôt « compréhensif ». Elle se sent simplement coincée. Depuis qu’elle est séparée de son mari, elle veut absolument trouver un emploi. Mais les horaires de l’école maternelle (le Kindergarten), où sa cadette va tous les matins de 8 h 30 à 11 h 30, l’empêchent de travailler, même à temps partiel. Pourtant elle est prête à accepter tout ce que le Jobcenter de Bochum lui propose : fabrication de sandwichs, petite main dans une usine de chocolat, ménage dans un hôtel… « À chaque fois, les horaires demandés sont impossibles pour moi. » Elle attend avec impatience l’an prochain, quand sa fille aura cours l’après-midi. Alors, elle trouvera peut-être plus facilement du travail.

À Berlin, Gustav Horn, à la tête de l’IMK, l’Institut pour la macroéconomie et la recherche conjoncturelle, est très sceptique sur le bilan des réformes Hartz. « Ce système pousse les chômeurs à retrouver très vite un emploi, quel que soit le niveau de salaire, afin de ne pas basculer dans la catégorie des Hartz IV. C’est un système qui repose sur la peur et la pression. Tout cela n’est pas sans répercussion politique. Il y a aujourd’hui énormément de frustration accumulée dans la société allemande, même si elle ne s’exprime pas dans la rue comme dans d’autres pays. Il faut sans doute voir dans la montée du populisme d’extrême droite le résultat de cet agenda 2010. » L’AfD (Alternative für Deutschland), parti nationaliste et europhobe, est parvenu ces dernières années à se faire élire à la plupart des parlements régionaux de la République fédérale. En septembre, il pourrait faire sa première entrée au Bundestag.

 

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