Publications par auteur⋅ice

Author Archive by rédaction

La Grèce, nouvelle batterie pour l’Europe ?

Partie 2 de la série « Grèce : une démocratie perdue »

14 décembre par Eva Betavatzi

 

Juillet 2021, énorme présence policière lors d’une manifestation contre l’implantation d’éoliennes à Agrafa.

.
Le gouvernement grec actuel mène une politique qui vise à l’extraction des ressources naturelles du pays au bénéfice de compagnies privées, grecques ou étrangères, au détriment de tous les êtres humains et non-humains présents sur le territoire.
  Sommaire
  • Le nouveau productivisme « vert »
  • Le désastre écologique en cours est lié à la crise de la dette publique
  • Effets sociaux et environnementaux des coupes budgétaires
  • L’exploitation du gaz fossile pourrait mené à un conflit armé
  • L’hypocrisie à son comble à la COP26

 Le nouveau productivisme « vert »

Agrafa est une zone montagneuse située à quelques kilomètres au Nord de Patras. Les crêtes des montagnes font partie du réseau Natura 2000. Or, le gouvernement grec y prévoit l’implantation de 530 aérogénérateurs de 150m de hauteur, soit un ensemble de parcs éoliens industriels qui devrait couvrir 80 % des sommets de la région. Ce projet colossal bénéficiera surtout aux filiales de la très grande entreprise de construction Ellaktor SA. En septembre 2019, des actions de blocage avaient été organisées pour stopper les premiers travaux de terrassements sur les crêtes, le gouvernement grec avait alors réagi en envoyant sa police pour escorter les bulldozers et encercler la zone. Depuis lors, plusieurs manifestations ont été organisées dans les montagnes d’Agrafa, à Karditsa et à Athènes, pour réclamer l’arrêt immédiat des travaux. Chacune d’entre elles a été fortement encadrée par les forces de l’ordre. Certain·es opposant·es sont aujourd’hui poursuivi·es en justice pour leurs actions.

Les parcs éoliens s’implantent un peu partout en Grèce dans les îles et sur le continent. D’après les membres de la plateforme « Save Agrafa », plus de 16.000 demandes introduites à ce jour concernent des aérogénérateurs d’une hauteur supérieure à 100 m, et 73 % des territoires concernés par ces demandes sont des zones naturelles protégées, des îles, des forêts, des crêtes de montagnes. Au nom de « l’intérêt général », des zones Natura 2000 ont littéralement été offertes par le gouvernement grec à des compagnies privées pour qu’elles puissent y implanter leurs parcs éoliens, leurs barrages hydroélectriques et leurs panneaux solaires ainsi que toute l’infrastructure qui les accompagne (réseau de câblages à haute tension, routes, transformateurs, …). Ainsi, la prétendue transition énergétique se traduit par l’augmentation de la productivité soi-disant « verte » d’énergie, qui vient simplement s’ajouter aux autres, la privatisation et l’accaparement de territoires collectifs, ainsi que la bétonisation et plus largement l’industrialisation de territoires vivants jusque-là préservés. Cette prétendue « transition » n’est pas écologique, elle incarne une vision néolibérale qui ne peut que promouvoir des projets productivistes destructeurs plutôt qu’une diminution et une décentralisation énergétiques. De nombreuses organisations environnementales, communautés locales et militant·es écologistes s’opposent à ces projets imposés à travers le pays.

.
Projets éoliens en Grèce (licences d’installation, d’opération, de production et en cours d’évaluation), source : Autorité de régulation de l’énergie (RAE)

.

Certaines régions de Grèce sont traversées par des vents forts, un cadre qui semble idéal pour la production d’énergie éolienne, d’autant plus que deux tiers de la production électrique actuelle du pays repose sur les combustibles fossiles (63,1 % en 2019 [1]). Néanmoins, l’exploitation industrielle du vent imposée par le gouvernement grec et l’UE, se développe comme un projet extractiviste classique : exploitation d’une ressource locale et commune sans aucune concertation avec les habitant·es et les pouvoirs locaux, accompagnée d’investissements importants du gouvernement central au bénéfice d’entreprises privées nationales ou multinationales. En 2018, l’UE avait déjà octroyé 2,8 milliards d’euros à la Grèce, majoritairement sous forme de prêts, pour le développement de l’industrie éolienne. Une partie de l’argent du programme NextGenerationEU lui est également consacrée [2]. En juin dernier, le Ministre de l’Énergie annonçait un budget d’1 milliard supplémentaire pour la transition « verte » [3], qui inclut d’autres développements que les parcs éoliens. C’est 10 fois plus que le budget pour la santé.

Le discours dominant est largement en faveur de l’industrie éolienne dont le développement n’est jamais critiqué, malgré l’absence de concertation avec les populations locales, la privatisation de territoires protégés, la destruction d’écosystèmes et les bénéfices engendrés par de grandes compagnies privés. Les médias alimentent le faux débat qui oppose le développement des énergies dites renouvelables à celui des énergies fossiles, comme si la question de l’industrialisation des territoires n’avait pas lieu d’être, comme si les opposant·es aux projets éoliens industriels n’aimaient tout simplement pas les aérogénérateurs et préféraient les énergies fossiles. C’est évidemment faux.

Les médias refusent également d’évoquer l’impact des infrastructures éoliennes de taille industrielle sur les petits commerces, le tourisme, les activités agricoles, les paysages et l’environnement, ignorant ainsi les milliers de vie, humaines et non-humaines, qui seront ou sont déjà affectées. De telles infrastructures ne sont pourtant pas écologiquement soutenables. La manière dont les éoliennes sont produites, leur durée de vie limitée, les infrastructures routières et de câblages nécessaires pour leur acheminement et la distribution de l’énergie produite, les conséquences environnementales de leur implantation et celle du stockage de l’énergie ne sont pas débattues. Les développements industriels éoliens s’inscrivent dans la continuité de la logique productiviste, avec toutes les exigences de quantité et de centralité que cela implique. L’inverse d’une transition énergétique, qui serait pourtant plus que nécessaire.

Ainsi, au-delà des aspects proprement écologiques, il est important de souligner le caractère anti-démocratique de ce type de développement. Une production énergétique décentralisée, localisée et gérée par les habitant·es, usagers et usagères, qu’elle soit éolienne ou d’une autre nature, devrait faire partie des solutions à envisager. Aussi, la réduction massive de notre production énergétique doit être mise urgemment au centre des débats.

Les compagnies étrangères restent invariablement les premières bénéficiaires de l’industrie éolienne. Ainsi, dans les Cyclades, on retrouve Schneider Electric, Acusol, Siemens et Tesla. La classe dirigeante de l’UE profite doublement du développement de cette industrie en Grèce, d’abord parce qu’elle permet à ses compagnies de développer leurs activités dans le pays, ensuite parce que grâce aux financements (majoritairement des prêts) octroyés à la Grèce, une part importante de l’énergie produite sera distribuée vers le continent, ce qui permettra aux autres pays de réduire leur propre empreinte carbone. Les opposant·es à ces projets prennent conscience que la Grèce est en train de devenir la batterie de l’Europe.

 Le désastre écologique en cours est lié à la crise de la dette publique

Depuis plus d’une décennie, la Grèce doit rembourser une dette colossale à ses créanciers, une contrainte qui motive les gouvernements successifs à couper dans les dépenses publiques pour certains secteurs essentiels (santé, éducation, transports publics, … mais pas pour la police et l’armée) et à trouver des moyens d’augmenter leurs recettes. Les secteurs productifs du pays ne sont pas nombreux, ne se portent plus très bien, et sont loin de satisfaire les créanciers. L’augmentation de la dette publique grecque et l’exigence de son remboursement ont creusé un faussé qui explique en partie cette euphorie étatique pour les énergies renouvelables et fossiles. Comme pour les pays du Sud global, la Grèce s’est donc engagée dans la voie de l’extractivisme intensif. Le soleil, le vent, le gaz fossile, le charbon, l’or, sont les principales ressources extraites du sol et du ciel grec.

Aujourd’hui le ratio dette publique par rapport au PIB est de 206,20 % – 354 milliards d’euros – le plus haut taux que le pays n’ait jamais connu. Pour rappel, en 2009, après révision frauduleuse des statistiques [4], le taux d’endettement était à 127 %. À l’époque, on disait de la Grèce qu’elle était « au bord de la faillite ». Aujourd’hui le gouvernement s’endette en se vantant de pouvoir « enfin » le faire sur les marchés financiers, ce qui manifeste d’une situation à la fois absurde et tragique. Absurde car la plupart des pays des Suds s’endettent aujourd’hui sur les marchés privés, le gouvernement grec n’a donc pas de quoi se vanter, et tragique car les créanciers privés sont les moins enclins à négocier les conditionnalités des prêts qu’ils octroient, que la dette augmente férocement et que la capacité de remboursement du pays dans l’avenir est loin d’être certaine.

Source : Agence de gestion de la dette publique, 30 septembre 2021
https://www.pdma.gr/en/public-debt-strategy/public-debt/composition-of-debt/maturity-profile-en

.. .

Effets sociaux et environnementaux des coupes budgétaires

Au-delà des effets environnementaux, les mesures d’austérité, qui découlent des accords du pays avec les créanciers, ont eu des effets sociaux néfastes sur la population grecque. Il est important de rappeler les coupes dans les retraites, l’augmentation du chômage [5], la crise du logement, les atteintes au droit du travail, mais aussi les nombreuses coupes budgétaires notamment dans les secteurs de l’éducation et de la santé (secteur pour lequel les dépenses représentent un tiers de moins que la moyenne européenne, soit 5 % du PIB). La Grèce n’a reçu que 100 millions d’euros d’aide en 2021 pour la santé alors que le secteur avait subi des coupes plus importantes les années précédentes. En 2020, l’économie est entrée dans une récession plus profonde qu’estimée initialement, à cause des effets de la pandémie, ce qui a contribué à accentuer les effets sociaux négatifs du processus austéritaire enclenché depuis plus d’une décennie même si le gouvernement actuel joue avec les chiffres du taux de croissance pour rassurer les marchés.

Les mesures d’austérité ont également contribué à la propagation des incendies de l’été 2021 qui ont détruits 120.000 hectares de terres, des milliers de maisons, des petits commerces, des lieux publics, etc. Le Nord de l’île d’Eubée a été complètement ravagé alors que les projets éoliens prévus là n’ont pas encore été suspendus. Ces incendies ont été considérés comme le seul résultat de la crise climatique par le Premier ministre, sans qu’il ne fasse mention des coupes budgétaires directement liées. Celles-ci ont touché les autorités forestières – dont le budget total s’élève aujourd’hui à 1,7 millions alors que les forêts recouvrent 1/3 du pays – mais aussi les services de protection incendie. Les opérations sont structurellement sous-financées depuis des années et les services forestiers et de protection incendie souffrent d’un manque criant d’effectif et d’équipements.

Le désastre écologique qui a touché l’île d’Eubée ainsi que d’autres régions de Grèce dont l’Attique (région d’Athènes) n’a pas permis une remise en question de ces politiques austéritaires alors qu’elle s’avère nécessaire pour éviter et minimiser les prochains désastres. Au contraire, le gouvernement continue dans sa lignée néolibérale et prévoit un programme de reboisement, contesté par certains experts, en sollicitant le secteur privé ou les partenariats public-privé. L’investissement privé comme modèle de développement constitue indéniablement une menace pour les espaces naturels. Une loi, dite « anti-environnementale » par ses nombreux et nombreuses opposant·es, votée en catimini en plein premier confinement en pose les fondements.

La loi anti-environnementale, socle d’un projet extractiviste imposé

La loi anti-environnementale a été votée en catimini le 5 mai 2020, en plein confinement, alors que la présence parlementaire lors des plénières et des commissions était restreinte et les auditions limitées. Quelques semaines plus tôt, 23 organisations environnementales avaient réagi au projet de loi, avec plus de 1.500 remarques, ignorées du ministre de l’Environnement et de l’Énergie, Kostas Hatzidakis. Soixante mouvements et collectifs ont ensuite réclamé le report du vote parlementaire étant donné la crise sanitaire, et exigé qu’un processus de concertation soit engagé dans le but d’une révision profonde, voire d’un retrait total du projet. La loi a finalement été adoptée sans modifications, en dehors de toute considération démocratique, la droite au pouvoir bénéficiant d’une majorité parlementaire.

Outre son caractère anti-démocratique, ce qui caractérise le plus cette loi est la menace qu’elle représente pour la biodiversité en ignorant les cadres législatifs de protections existants : elle autorise les infrastructures dans des zones protégées Natura 2000, facilite l’appropriation, l’exploitation et l’utilisation de forêts, montagnes, collines, zones humides, cours d’eau, … par des groupes privés, facilite également l’octroi de permis via la privatisation des contrôles des études d’incidence environnementale, autorise l’extraction de matières premières et d’hydrocarbures, et supprime le pouvoir des autorités locales. Elle encourage le développement de l’industrie des énergies renouvelables, notamment éoliennes, de manière disproportionnée et non-écologique. Aussi, elle ignore la Constitution grecque (Article 24), les directives européennes (sur la protection des habitats et des espèces 92/43/CEE, sur la protection des oiseaux sauvages 2009/147/CE, sur les eaux 2000/60, sur la stratégie marine en Méditerranée 2008/59) et les conventions internationales (Convention de Ramsar sur les zones humides, Traité de Barcelone pour la protection de la Méditerranée) [6].

En bref, cette loi constitue l’incarnation de ce que le néolibéralisme fait aux écosystèmes.

La contestation contre la loi anti-environnementale n’a pas tardé à s’organiser. Une première pétition a été lancée au mois d’avril 2020 et a été soutenue à l’échelle internationale. Des mobilisations ont été organisées et ont rassemblé des foules dans les rues de la capitale en plein confinement. La veille du vote, un rassemblement important a eu lieu devant le Parlement grec malgré les strictes mesures imposées par le gouvernement. Il a donné suite à une occupation d’une centaine de personnes qui a duré 62 nuits. Ce mouvement d’occupation, « Oi Agripnoi » (Les Éveillé·es) [7], n’a pas échappé à la répression policière.

 L’exploitation du gaz fossile pourrait mené à un conflit armé

Pendant que le gouvernement grec participe activement au massacre écologique en cours, que les crises sanitaire, économique et sociale s’approfondissent, le coût de la vie augmente de manière phénoménale, notamment avec les hausses du prix de l’énergie et du gaz de ces derniers mois. Le prix du fioul a augmenté de 46 % par rapport à l’année précédente en Grèce, celui du gaz de 48,5 %. Malgré des aides octroyées à la population, les politiques néolibérales se poursuivent dans le secteur de l’énergie avec notamment la privatisation de la compagnie d’électricité DEI [8]. Elle suit celles de Helllenic Petroleum et DESFA (Hellenic Gas Transmission Operator). Ces privatisations ont évidemment été décidées lors des mémorandums précédents [9] et n’ont depuis pas été remises en cause malgré la situation.

En parallèle Mitsotakis et ses ministres prévoient l’augmentation des dépenses militaires et du budget alloué à la police. Macron et Mitsotakis ont signé des accords pour l’achat d’équipement militaire lourd, le plus récent étant celui concernant des frégates françaises d’une valeur de 5 milliards d’euros, soit l’équivalent de 2/3 du budget alloué à la Grèce par le plan de Relance de l’UE ! Il a été signé en septembre dernier. Il y a quelques mois, Mitsotakis avait annoncé 11,3 milliards d’euros de budget pour le renforcement de l’armée sur les trois prochaines années, faisant du pays le premier sur la liste des pays de l’OTAN en dépenses militaires par rapport au PIB. Les priorités politiques, à l’heure où nous traversons une crise multidimensionnelle profonde, ne pouvaient pas être plus à l’opposé de l’intérêt commun. Pour les éviter, il aurait fallu renoncer à l’extraction de gaz fossile en méditerranée orientale.

En effet, ces dépenses sont justifiées par le conflit pour l’instant froid qui oppose la Grèce et Chypre à la Turquie voisine et contribuent à l’augmentation de la dette illégitime du pays. En mer Égée et Ionienne, la Grèce regorge de ressources gazières ce qui n’est pas sans intéresser de nombreuses compagnies étrangères telles que Total, ENI, Exxon Mobil, Energean, Repsol et bien d’autres qui ont déjà signé des accords d’exploitation. Durant l’été 2020, le gouvernement d’Erdogan, très en colère de ne pas profiter des ressources gazières, annonçait sa volonté de remettre en question ses frontières maritimes avec la Grèce en passant un accord avec la Lybie, alors que la Grèce passait elle des accords avec Chypre, l’Égypte et dans un autre cadre Israël.

Les compagnies étrangères seront les premières bénéficiaires de ces exploitations au détriment des peuples grecs, turcs et chypriotes qui en subiront tous les coûts et dans le pire scénario, un conflit armé qui pourrait émerger de cette bataille pour les hydrocarbures. Plusieurs plateformes militantes se sont ainsi constituées ou exprimées contre ces projets. On peut citer notamment une initiative tri-communautaire qui réunit turc·ques, grec·ques et chypriotes sous le nom « Don’t dig » (Μας σκάβουν τον λάκκο – Kazma Birak) [10], ou encore « Save Greek seas » qui avait lancé une pétition en 2020 contre l’exploitation d’hydrocarbures en mer Ionienne [11].

Ces mouvements de contestation n’ont malheureusement pas encore de moyens suffisants pour faire face à la colonisation par la dette qui se déploie à vive allure dans les pays du Sud-Est de l’UE. Ces pays s’endettent pour rembourser leurs créanciers et implanter des infrastructures qui servent les bénéfices d’entreprises étrangères provenant des pays de ces mêmes créanciers. C’est pour cette raison que l’audit des dettes publiques par les peuples, l’annulation des dettes illégitimes et la redéfinition radicale des priorités politiques est une condition sine qua non au ralentissement de l’aggravation des multiples crises et en particulier des crises climatique et sociale en cours.

Extractivisme minier : Eldorado Gold a repris ses activités minières en Grèce 

Le 4 février 2021, le parlement grec approuvait la relance des activités de la mine d’or de Skouries initié par Hellas Gold, une filiale locale de l’entreprise canadienne Eldorado Gold, dans la région de Chalcidique au Nord du pays, en annonçant la signature d’un contrat d’exploitation. Cela a ravivé les souvenirs d’un mouvement d’opposant·es qui s’était constitué il y a quelques années et qui avait gagné une bataille importante lorsque Syriza avait décidé de stopper le projet minier en 2015 à cause de ses effets néfastes sur l’environnement, l’extraction aurifère étant particulièrement polluante et toxique.

L’annonce de la reprise marquée par la signature du fameux contrat entre les principaux intéressés (le gouvernement grec et Hellas Gold), a suscité l’enthousiasme des ambassades du Canada et des États-Unis qui n’ont pas manqué de saluer la nouvelle avec un communiqué commun [12]. Mitsotakis a bien tenu ses promesses puisqu’avant son élection, il s’était engagé à relancer l’activité minière de Skouries tout en exigeant que certaines « garanties » environnementales soient respectées. Après le vote de la loi anti-environnementale, Eldorado Gold et sa filiale grecque ont pu facilement offrir ces « garanties ».

En réalité le contrat signé entre le gouvernement et Hellas Gold, qui en constitue la base, représente une grave violation des lois et des dispositions européennes. Les dispositions de la Constitution grecque ont également été ignorées [13]. En réponse à ces accusations, l’actuel ministre de l’Environnement, M. Skrekas, successeur de K. Hatzidakis, a insisté sur l’augmentation des recettes publiques et des emplois pour défendre sa position, tout comme l’avaient fait les ambassades du Canada et des États-Unis dans leur communiqué commun. Le 18 mars dernier, la loi a finalement été votée, le parti Nouvelle Démocratie bénéficiant toujours d’une large majorité.

Les autorités locales et les mouvements sociaux ont de leur côté exprimé leur vive opposition au projet extractiviste du gouvernement et de l’entreprise Hellas Gold. Ils ont déclaré que le nouveau contrat ne les satisfaisait pas puisqu’il était largement en faveur de l’entreprise et contre l’intérêt public et ceux de la région. Ils ont annoncé également leur volonté de résister au projet en rappelant que les descentes de police, les menaces, les poursuites et les tribunaux n’avaient pas découragé la contestation il y a quelques années. Cela démontre que sur le terrain, la mémoire reste vive.

 L’hypocrisie à son comble à la COP26

À l’occasion de la COP26, le Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis a annoncé, avec fierté, la poursuite du développement massif et autoritaire de l’industrie des énergies renouvelables, notamment éolienne, qui permettrait au pays de dépasser selon lui les objectifs de l’UE pour 2030 en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il n’a pas évoqué les contestations de la population, les répressions auxquelles elle fait face, les nombreuses magouilles législatives mises en œuvre par son gouvernement pour contourner les réglementations européennes en matière de protection de l’environnement, ni les destructions environnementales qui accompagnent les projets en cours d’installation. Il n’a pas évoqué non plus les gisements de gaz.

Mitsotakis a également annoncé, avec la même fierté, que l’énergie éolienne serait développée en mer jusqu’à ce que la production énergétique totale atteigne 2 gigawatts en 2030, ce qui est énorme ! Les accords que le gouvernement grec a passé avec l’Égypte pour que la région devienne un « hub » de l’énergie renouvelable pour l’Union européenne ont été présentées, ainsi que les négociations en cours avec l’Arabie Saoudite (premier exportateur mondial de pétrole qui investit maintenant dans le renouvelable).

Ces déclarations sont extrêmement inquiétantes. Le développement soi-disant « vert » de la production énergétique en Grèce, mais aussi chez les voisin·nes chypriotes et turc·ques [14], cache une nouvelle forme d’industrialisation masquée sous une panoplie d’adjectifs qui font désormais partie du jargon bien connu du greenwashing. Il est important de combattre toute logique productiviste, quelle que soit le nom qu’on lui donne, et de révéler l’hypocrisie profonde des discours des personnes à la tête de nos gouvernements. Il est également impératif de stopper toute forme d’extraction des gaz fossiles en méditerranée qui pourrait mener à une guerre. Les pays créanciers, et en particulier la France et l’Allemagne, ont d’énormes responsabilités vis-à-vis des peuples grec, turc et chypriote. Mitsotakis et son gouvernement ne font qu’enfoncer le pays dans la voie d’un nouvel ordre colonial peint en vert.


Merci à Marina Kontara, Camille Bruneau, Mats Lucia Bayer et Jérémie Cravatte pour leurs commentaires et suggestions.

Notes

[3Ce budget servira à l’implantation des infrastructures nécessaires à la production d’énergie renouvelable et à sa distribution, ainsi qu’au développement du transport « smart » et électrique, à l’éclairage des routes et à la rénovation des bâtiments.

[4Le taux d’endettement public a été gonflé afin de justifier l’intervention de la Troïka en Grèce.

[5Le chômage a dépassé les 15 % en mai 2021, les femmes sont particulièrement touchées, et la Grèce détient le record de l’Union Européenne pour le chômage des jeunes avec environ 38,2 % de jeunes sans emploi en mai 2021.

[8DEI devrait achever un plan d’augmentation de son capital privé d’une valeur d’environ 750 millions d’euros d’ici début novembre, suite à une décision prise par son conseil d’administration et approuvée par les actionnaires en octobre.

[9La privatisation de la compagnie grecque d’électricité a été décidée lors des deuxième et troisième mémorandum : 17 % lors du 2nd (Samaras) et 34 % lors du 3e (Tsipras).

[11Petition · Non au projet de prospections et d’extractions d’hydrocarbure en Grèce · Change.org

[14La Banque mondiale, la France et l’Allemagne ont passé des accords avec la Turquie pour le développement de l’industrie renouvelable en échange de prêts d’une valeur de 3,2 milliards de dollars US.

Manifestation du 18 décembre l’Appel de la campagne Antiracisme et solidarité

Appel de la campagne Antiracisme et solidarité

D’où que l’on vienne, où que l’on soit né·e, notre pays s’appelle Solidarité

« Nous n’allons pas combattre le racisme par le racisme, mais grâce à la solidarité. » (Fred Hampton, Black Panthers Party – mai 1969)

 

Notre pays construit des ponts pas des murs. D’où que l’on vienne, où que l’on soit né·e, notre pays existe. Il s’appelle Solidarité.

Notre pays n’a ni carte, ni limites. Il ne fait pas la guerre si ce n’est au fascisme, au colonialisme, au racisme, à l’injustice et aux inégalités.

Notre pays n’existe pas isolé, atomisé, soumis. Il existe dans tout ce qui relie, regroupe, donne confiance et lutte.

Notre pays est en grand danger. Il doit sortir, se montrer, se lever. Vivre.

Car notre pays brûle. Il s’appelle Avenir.

Car notre pays est étouffé. Il s’appelle Liberté.

Car notre pays se meurt. Il s’appelle
Égalité.

Car notre pays est opprimé. Il s’appelle Dignité.

Notre pays est en danger. Nous appelons à la mobilisation générale.

Pour l’avenir. Si la planète brûle, cela n’a rien à voir avec les migrations, nos couleurs de peau, nos origines, nos religions. Le monde n’attend qu’une étincelle pour exploser et certain.e.s nourrissent l’incendie qui nous menace.

Nous dénonçons toutes les formes de racisme dont l’islamophobie, l’antisémitisme, l’anti-tziganisme, la négrophobie et le racisme anti-asiatique. Nous exigeons notamment la fin des contrôles au faciès, l’abrogation de la loi dite « séparatisme », le respect du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la fin des dominations économiques, militaires et politiques, en particulier la Françafrique.

Pour la liberté. Nous voyons que lorsqu’on commence à limiter la liberté pour certain·e·s, c’est la liberté de tou·te·s qui recule. C’est ainsi que se mettent en place des pouvoirs de plus en plus autoritaires.

Nous exigeons la liberté de circuler et de manifester et notamment l’abrogation de la loi dite « sécurité globale », la fin des violences et des crimes policiers et pénitentiaires, la suppression des mesures de répression contre les migrant·e·s (OQTF*, IRTF*, …) et la fermeture des Centres de Rétention Administrative. Nous exigeons la destruction des murs qui s’érigent partout dans le monde pour séparer et contrôler les peuples.

Pour l’égalité des droits. Les arguments utilisés contre l’immigration sont faux économiquement et ne servent qu’à justifier les mesures qui amplifient monstrueusement le racisme et les inégalités sociales. L’oppression et la surexploitation des migrant·e·s aggravent les conditions de tou·te·s les salarié·e·s.

Nous revendiquons l’égalité des droits pour tou·te·s, le renforcement et l’accès réel à la santé, à l’éducation, à des revenus décents, au logement et l’arrêt des expulsions dans les foyers de travailleurs/euses migrant-es. Nous exigeons notamment la régularisation des sans-papiers.

Pour la Dignité. Nous refusons la banalisation de l’insoutenable. Nous dénonçons les politiques anti-migratoires et de non-accueil des migrant·e·s. Nous refusons l’instrumentalisation des femmes à des fins racistes. Nous réclamons vérité et justice pour les victimes de violences policières et pénitentiaires. Nous exigeons le respect des convictions et croyances de tou·te·s. Debout, nous redevenons dignes.

Pour la Solidarité. Nous appelons toutes et tous à se lever, se rassembler, s’organiser. À faire vivre notre pays partout où il existe. Dans les quartiers, les villages, les ronds-points, les écoles, les lieux de travail. Autour d’un hôpital menacé, d’une mosquée ou d’une synagogue fermée ou attaquée, d’une église où l’on fait une grève de la faim pour les migrant·e·s, des associations antiracistes dissoutes ou menacées de l’être, d’un théâtre qui avait été occupé, d’un piquet de grève, d’un immeuble menacé d’expulsion, d’une frontière. A partir d’un local associatif ou syndical, d’un lieu culturel et solidaire…

Nous appelons notre pays à se lever en masse, s’organiser et lutter pour la solidarité et contre le racisme.

  • en multipliant les initiatives de toutes sortes,
  • dans toutes les villes et les villages en manifestant ensemble le même jour le samedi 18 décembre à l’occasion de la Journée internationale des migrant·e·s, (à Paris 15h Concorde)
  • à Paris pour une manifestation nationale au mois de mars à l’occasion de la Journée internationale contre le racisme.

Notre pays existe. Il s’appelle Solidarité.

Organisations signataires (205) :

20e Solidaire avec tou.te.s les migrant.e.s, Accueil Information de tous les Etrangers, Aix-en-Provence, Accueil Réfugiés Bruz (35), Accueil Réfugiés Talence Solidarité (ARTS), Acor Association Contre le Racisme (Suisse-France), Act For Ref (Action d’aide aux réfugiés), Action Antifasciste Paris-Banlieue (AFA), AHSETI (Association Havraise de Solidarité et d’Échanges avec Tous les Immigrés), ALCIR (Association de lutte contre l’islamophobie et les racismes), ALIFS (Association du Lien Interculturel Familial et Social), Alternatiba Caen, Alternatiba Nevers, AMI Pays de Pouzauges, AMI Pays des Herbiers, Amoureux au Ban Public Lyon, ANC, APICED (Association militant pour la promotion et l’émancipation individuelle et collective des populations précarisées franciliennes), ASIAD – Soutien et Information pour l’Accès aux Droits, Association AGATE Neuhof (67), Association Antifasciste 77, Association DeMoS, Association des Marocains en France (AMF), Association des sans papiers 87, Association des Travailleurs Maghrébins de France (ATMF), Association ELKARTASUNA LARRUN – Solidarité migrants autour de la Rhune (dep. 64), Association l’Aubière, Association Montagne Accueil Solidarité, Association Roya citoyenne, Association Voies Libres Drôme, ASTI Petit Quevilly, ASTIR (Romans sur Isère), Attac 31, Attac 33, Attac 74 Annecy, Attac Flandre, Attac France, Attac Paris Centre, Avec Toits, Bi-No-Stress Team, Bienvenue aux migrants en Vallespir, BRIF Strasbourg (Bloc Révolutionnaire Insurrectionnel Féministe), Brigade Antisexiste, Campagne Unitaire pour la Libération de Georges Abdallah, CANVA Construire & Alerter par la Non-Violence Active, CAPJPO-Europalestine, CARDAV (Plateforme pour l’Accueil des Réfugié.es en Drôme Ardèche Vaucluse), CEDETIM (Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale), Cent pour un toit Oise, CGT IFPEN Rueil, CGT Société de Restauration du Musée du Louvre, CGT Énergie Paris, Ciam, Cimade, Cimade Figeac, Cimade Ile-de-France, Cimade Landes, Cimade Montpellier, CISEM 38, CIVCR (Collectif Ivryen de Vigilance Contre le Racisme), CNT 07, CNT 66, CNT-STE 75, CNT-STE 94, Collectif antiraciste – ASTI d’Elbeuf, Collectif Chabatz d’entrar de la Haute-Vienne (aide aux migrant-es et sans papiers), collectif chalon solidarité migrants, collectif Collages Judéités Queer, Collectif de Sans Papiers de Montpellier (CSP34), Collectif de soutien aux réfugiés en Ariège, Collectif de soutien aux sans papier du Trégor (22), Collectif de soutien aux sans papiers du val d’oise (CSP95), Collectif Fontenay diversité, Collectif Justice & Libertés (67), Collectif Migrant.es Bienvenue 34, Collectif poitevin D’ailleurs Nous Sommes d’Ici (DNSI86), Collectif pour l’égalité des droits, Collectif pour une autre politique migratoire (AL 67), Collectif Réfugiés du Vaucluse, Collectif Sans-Papiers 59 (CSP59), Collectif Sans-Papiers Alsace 67 (CSPA67), Collectif Sans-Papiers Montreuil, Collectif Sans-Papiers Paris 20e (CSP20), Collectif Vigilance pour les droits des étrangers Paris 12ème, Collectif “Faim aux frontières”, collectif “Les outils du soin”, Comité Montreuil Palestine, Comité Vérité et Justice pour Lamine Dieng, Coordination Féministe Antifasciste, Coordination nationale Pas sans Nous, Coordination Sans-Papiers 75 (CSP75), COPAF – Collectif pour l’avenir des foyers, CRID, CSMG Paimpol – Collectif de soutien aux migrants du Goëlo, Culture et solidarité, D’ailleurs Nous Sommes d’Ici 67, DAL (Droit Au Logement), DAL 63, Droits Devant !!, Emancipation tendance intersyndicale, Emmaüs international, Ensemble et Solidaires – UNRPA de Paris, FASTI (Fédération des Associations de Solidarité avec Tou-te-s les Immigré-e-s), Femmes Egalité, Fondation Eboko, Fondation Frantz Fanon, France Amérique Latine, Front contre l’islamophobie et pour l’égalité entre toutes et tous, Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires (FUIQP), FSU (Fédération Syndicale Unitaire), Fédération Sud PTT, Gilets Jaunes de Montreuil, Gilets Jaunes du Jarnisy, Gilets Jaunes Saillans, GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés), Groupe Accueil Migrants Beaupréau en Mauges, Groupe d’Action Féministe Rouen, Ici et Ailleurs, Intercollectif Pdl Marseille – Katia Yakoubi, IPAM, Jai Jagat, Jeune Garde Antifasciste, L’AMDH Paris/IDF, L’Assemblée Citoyenne des Originaires de Turquie – L’ACORT, LDH 33, LDH 66, LDH Bagnères-Tarbes, Lycée Theodore MONOD, le Rheu, Mama Road, Marche des Solidarités, MFPF 93, Migraction59, Migrants Solidarité Choletaise, Mouvement National Lycéen (MNL), MRAP 19/20, MRAP 31, MRAP 84, MRAP 89, MRAP Fédération Paris, Mémoire de l’Espagne Républicaine de Tarn et Garonne (MER82), NOGOZON, Paris d’Exil, PIANO-TERRA, Planning Familial 35, Projet Shanti, REGAR (Réseau Expérimental Gersois d’Aide et de Réinsertion), RESF (Réseau Education Sans Frontières), RESF 03, RESF 11, RESF 31, RESF 65, RESF 82, RESF Vienne-Roussillon 38, Revue Études Décoloniales, Réseau d’Actions contre l’Antisémitisme et tous les Racismes (RAAR), Réseau Euro-Maghrébin Citoyenneté et Culture (REMCC), SNPES-PJJ/FSU (Syndicat National des Personnels de l’Educatif et du Social à la Protection Judiciaire de la Jeunesse), Solidaires 35, Solidaires 56, Solidaires 74, Solidaires 82, Solidaires 84, Solidaires 89, Solidaires 94, Solidaires Étudiant·e·s Syndicats de Lutte, Solidarité et Langages (Valence), Solidarité migrant Wilson, Solidarités Asie-France, Sud Collectivités Territoriales 93, Sud CT 93 Mairie de Saint-Denis, Sud CT 93 Mairie de Stains, Sud Rural Territoires 35, SUD éducation, SUD éducation 35, SUD éducation 56, Survie, Survie Midi-Pyrénées, Syndicat de la Médecine Générale (SMG), Syndicat national des journalistes CGT (SNJ-CGT), Toulouse Anti CRA, Tous Migrants, UJFP (Union juive française pour la paix), UL CGT Paris 18e, Un toit un droit Rennes, Union des Femmes Africaines pour la Paix, Union Syndicale Solidaires, United Migrants, VISA (Vigilance et Initiatives Syndicales Antifascistes), Zone de Solidarité Populaire (ZSP18), États généraux des migrations (EGM).

Avec le soutien de :

Akira, Comité Génération.s du Marsan, EELV le Havre Pointe de Caux, ENSEMBLE ! (Mouvement pour une alternative de gauche écologiste et solidaire), Fédération Anarchiste, Mouvement des Progressistes, NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste), NPA 34, NPA 74, NPA 82, Parti Communiste des Ouvriers de France, PEPS Pour une Écologie Populaire et Sociale, RIPOSTE antifasciste Comités contre Le Pen, UCL (Union communiste libertaire), UCL Grand Paris Sud, UCL Saint-Denis.

 

Les signatures individuelles sont consultables sur le site : https://www.antiracisme-solidarite.org

Signatures ouvertes et détails des manifestations sur le site : https://www.antiracisme-solidarite.org

Contact Presse :

campagne-solidarite-antiraciste@riseup.net +33.6.89.05.83.08
g.sezerino@crid.asso.fr +33.6.99.02.49.04

Mail de contact : campagne-solidarite-antiraciste@riseup.net

Site internet : https://www.antiracisme-solidarite.org

Facebook : https://www.facebook.com/CampagneSolidarite

INSTAGRAM : https://www.instagram.com/campagne_solidarite/

TWITTER :  https://twitter.com/CampSolidarite

Pour diffuser l’appel Appel solidarité

Demandeurs d’asile détenus illégalement en Grèce

Grèce. Des demandeurs·euses d’asile sont détenus illégalement dans un nouveau camp financé par l’UE

Les demandeuses et demandeurs d’asile hébergés dans le nouveau camp de réfugiés financé par l’Union européenne (UE) sur l’île de Samos sont détenus illégalement par les autorités grecques en application d’une décision du ministre grec des Migrations et de l’Asile qui n’a pas encore été publiée, d’après les informations reçues par Amnesty International.

Conformément à cette décision, depuis le 17 novembre, les personnes qui n’ont pas de documents d’identité valides délivrés par le gouvernement (cartes d’asile) ne sont pas autorisées à quitter le camp, et ce pour une durée indéterminée. Cette décision s’applique aux personnes à qui on a retiré leur carte du fait du rejet de leur demande d’asile ou aux nouveaux arrivants qui n’ont pas encore reçu la leur. Selon des estimations non officielles, sur environ 450 personnes habitant dans le camp, une centaine s’est vu interdire de quitter ce site aux airs de prison depuis plus de deux semaines, en violation de leur droit à la liberté.

Ce camp ressemble davantage à une prison qu’à un lieu d’hébergement pour des personnes en quête de sécurité. Il illustre la mauvaise utilisation des fonds de l’UE et constitue une violation flagrante des droits des personnes qui y séjournent

Adriana Tidona, chercheuse sur les questions migratoires à Amnesty International

Le nouveau « centre fermé à l’accès contrôlé » (KEDN) de Samos, financé par l’UE, a été bâti sur un site isolé, à 6 km de la ville principale, Vathi. Il peut accueillir jusqu’à 3 000 personnes et est équipé d’un système strict de confinement et de surveillance, notamment d’une double clôture barbelée, d’un système de vidéosurveillance couvrant tout le camp et de la présence sept jours sur sept et 24 heures sur 24 de patrouilles de policiers et d’agents de sécurité privés.

Les déplacements des résident·e·s à l’intérieur et à l’extérieur du camp ne sont autorisés qu’entre 8 heures et 20 heures et sont soumis à des contrôles de sécurité par le biais de portes magnétiques.

Les personnes et les familles touchées par la décision du 17 novembre ne peuvent pas quitter le camp pour vaquer à leurs tâches quotidiennes, assister à des cours ou à des activités organisés par l’ONG locale Alpha land située non loin, ni pour se rendre dans le centre-ville.

A., un Afghan originaire de Kaboul qui réside dans le camp avec sa femme et ses enfants, est arrivé en Grèce en janvier 2020. Sa demande d’asile a été rejetée à de multiples reprises et sa carte d’asile retirée, ce qui l’empêche de quitter le camp. Avant d’être transféré au « centre fermé à l’accès contrôlé », il vivait avec sa famille dans la « jungle », un campement sauvage autour de l’ancien camp de Samos, tristement célèbre pour ses terribles conditions de vie.

Depuis le conteneur où il vit avec sa famille, il a déclaré à Amnesty International que la sécurité est bien meilleure dans le nouveau camp, tout en regrettant : « Ils nous traitent comme des prisonniers… On devient vraiment fou dans cet endroit. On ne peut pas revenir en arrière. Ni avancer. J’ai du mal à dormir… Notre vie n’a pas de but, nous vivons dans l’angoisse permanente. » Depuis cinq jours, seuls ses enfants sont autorisés à sortir du camp pour aller à l’école.

Un autre Afghan, H., en Grèce depuis février 2020, a vu sa demande d’asile rejetée à deux reprises et n’a pas quitté le camp depuis cinq jours. Avant la décision du 17 novembre, il était actif à l’extérieur du camp : « J’étudiais l’anglais et je faisais du bénévolat. Depuis cinq jours, j’ai l’impression d’être un prisonnier. Dans l’ancien camp, au moins, j’étais libre. »

Amnesty International a exprimé à plusieurs reprises ses préoccupations au sujet du remplacement par la Grèce des camps ouverts par ces « centres fermés à l’accès contrôlé », s’interrogeant sur la possibilité de concilier cette politique avec les normes relatives aux droits humains en matière de privation de liberté. En vertu du droit international et du droit européen, les demandeurs·euses d’asile ne doivent être placés en détention qu’en dernier ressort, après un examen détaillé de leur situation personnelle, pour une durée aussi brève que possible et dans le cadre d’une procédure prévue par la loi qui leur permet de contester la décision.

Or, à Samos, ils sont systématiquement et massivement privés de leur liberté pour une durée indéterminée, sur la base de motifs juridiques non transparents ou illégitimes, sans possibilité de contester leur enfermement.

« Comme nous le craignions, les autorités grecques se cachent derrière le concept juridiquement ambigu des centres dits fermés et surveillés pour priver illégalement les demandeurs·euses d’asile de leur liberté. Nous invitons la Grèce à lever cette décision sans attendre, ainsi que les restrictions imposées aux personnes qui vivent dans le camp de Samos. Enfin, la Commission européenne doit veiller au respect des droits fondamentaux dans les structures financées par l’UE », a déclaré Adriana Tidona.

Complément d’information

Une délégation d’Amnesty International s’est rendue sur le site du « centre fermé à l’accès contrôlé » de Samos (en grec Κλειστή Ελεγχόμενη Δομή Νήσων, KEDN) le 22 novembre 2021, le 5e jour des restrictions, et a rencontré des personnes concernées.

Ce centre a été bâti sur l’île de Samos avec la contribution des 276 millions d’euros alloués par la Commission européenne à la construction de nouvelles structures d’accueil pour les demandeurs·euses d’asile sur les îles de la mer Égée, dans le but de remplacer les camps ouverts gérés par le gouvernement.

Le 27 novembre, les autorités grecques ont inauguré des centres fermés à l’accès contrôlé sur les îles de Leros et Kos. D’autres suivront à Lesbos et Chios.

Outre les restrictions imposées aux déplacements à Samos, les demandeurs·euses d’asile en Grèce n’ont pas reçu d’aide financière depuis deux mois, les aides perçues s’étant brutalement arrêtées lorsque la gestion du programme d’allocations en espèces financé par l’UE a été transférée du HCR aux autorités grecques. Selon des ONG en Grèce, quelque 34 000 demandeurs·euses d’asile sont actuellement concernés.

Selon certaines ONG, depuis octobre 2021, les autorités grecques ont également cessé de fournir de la nourriture et de l’eau aux réfugiés reconnus en tant que tels et aux demandeurs d’asile dont la demande a été rejetée.

Source https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2021/12/greece-asylum-seekers-being-illegally-detained-in-new-eu-funded-camp/

Grèce Résistances féministes

Grèce : Le nouveau mouvement féministe jeune et radical, à l’avant-garde des résistances populaires !

7 décembre par Sonia Mitralias  


Manifestations à Athènes contre la garde parentale conjointe obligatoire

Ce qui s’est passé ces deux dernières années en Grèce mérite attention : Jamais auparavant dans l’histoire du pays, la question des droits des femmes n’avait fait autant de bruit dans la presse, n’a été sujet de débats publics passionnels et n’a occupé les devants de la scène politique !

Tout a commencé quand le gouvernement Mitsotakis a tenté de s’aligner sur les forces néolibérales les plus réactionnaires et obscurantistes de la planète, en lançant une attaque frontale aux droits fondamentaux des femmes.

Heureusement, c’était sans compter avec le renouveau du mouvement féministe, qui a relevé le défi ! Et voilà, comment cela s’est passé !

  Sommaire
  • L’affaire de « l’enfant à naître »
  • Le retour de la loi du père
  • L’irruption du #MeToo grec et le réveil des consciences
  • Le renouveau du mouvement féministe…

 L’affaire de « l’enfant à naître »

Encouragé par la victoire de la « Nouvelle Démocratie » aux élections législatives de l’année de 2019, le Saint-Synode de l’Église Orthodoxe Grecque a inventé, le premier dimanche après Noël, une journée dédiée à « l’enfant à naître » ! Selon ses dires, sa décision aurait été prise dans le but de protéger la vie de l’enfant avant la naissance et… de résoudre le problème démographique de la nation grecque !

36 années après de la légalisation de l’avortement en Grèce – grâce à une loi très progressiste, obtenue en 1986 après une lutte assidue de près de 10 ans du mouvement féministe– l’Église Orthodoxe Grecque donna ainsi le signal d’une attaque frontale contre ce droit si durement acquis.

Quelques jours avant le nouvel an de 2020 et de la journée dédiée à « l’enfant à naître », la première page d’une revue sportive (!) provoqua un tsunami d’indignation dans les médias sociaux ! En effet, sur sa couverture, figurait une grande main, tenant un tout petit fœtus dans sa paume et en dessous il était écrit en lettres grasses et majuscules, la phrase : « LAISSEZ-MOI VIVRE ».

Malgré les réactions des médias sociaux, le ministre du Développement-raciste notoire et ancien néofasciste- Adonis Georgiadis s’empressa de féliciter la revue, affirmant qu’en Grèce le fait d’avoir le double de nombres d’avortements (300.000 par an, selon ses dires exagérés) par rapport aux naissances, causerait au pays un manque de près d’un million d’enfants, et poserait problème à la survie de la Nation.

Quelques jours plus tard, des affiches géantes faisaient leur apparition dans le métro d’Athènes avec le même message et le même fœtus qui pleurniche : « Laissez-moi vivre » ! Et la paternité de cette campagne anti-avortement était revendiquée par une longue liste d’associations chrétiennes orthodoxes fondamentalistes…

Mais l’Église Orthodoxe rétrograde et obscurantiste n’agissait pas seule ; elle bénéficiait du soutien de nombreux ministres et de hauts fonctionnaires du gouvernement. Après un nouveau tollé de l’opinion publique, le ministère des Transports ordonna rapidement le retrait des affiches. Mais, ces attaques contre le droit pour l’avortement n’étaient que le prélude de ce qui allait suivre !

Influencé par des régimes comme celui d’Orban en Hongrie, le gouvernement Mitsotakis fit un premier pas pour se donner un profil nataliste et décida de rebaptiser le « Secrétariat Général pour l’Égalité entre les sexes » – une institution née elle aussi née du mouvement féministe de la deuxième vague- en « Secrétaire générale de la politique démographique et familiale et de l’égalité des sexes ».

Le retour de la loi du père

Mais, d’autres attaques allaient suivre ! Le gouvernement de la Nouvelle Démocratie annonça clairement la couleur en adoptant en mai 2021 une loi relative à l’Autorité parentale conjointe, qui réformait des articles clés du Code civil en matière de droit familial.

C’était vraiment un moment crucial pour les femmes et les enfants, victimes de violence domestique. Ce projet de loi vit le jour après avoir été revendiqué depuis longtemps par le très masculiniste et agressif lobby des pères néolibéraux, violents et vulgaires. Celui-ci s’allia avec le gouvernement de la N.D. sur la base de leurs intérêts communs et autour d’un discours familialiste.

Ainsi le gouvernement révisa ce qui constituait la quintessence du droit de la famille très progressiste encore aujourd’hui, obtenu en 1983. Car cette loi était une vraie révolution anti-patriarcale parce qu’elle remplaçait le droit du père- géniteur – (la puissance paternelle) par l’autorité parentale.

Désormais, après la dissolution du mariage, contrairement à la loi de 1983, la nouvelle loi impose la garde parentale conjointe obligatoire, c’est-à-dire que l’enfant est forcé de passer 1/3 de son temps avec le parent avec lequel, d’habitude, ne vit pas, même s’il ne le désire pas. Même quand le père est violent, ses désirs ne sont pas pris en compte. Pourquoi cela ? Mais, parce que pour retirer la communication à un parent violent, il faut un jugement définitif. Cela peut durer des années ou ne jamais avoir lieu, parce qu’aller aux tribunaux en Grèce c’est difficile, cela coûte de l’argent, beaucoup de stress et les femmes des familles monoparentales sont fragilisées, vulnérables, pauvres et démunies, étant dans une situation de détresse incroyable, accentuée encore par les politiques d’austérités imposées au nom de la dette et de la pandémie. Tout cela signifie donc de fait qu’un père violent peut harceler, violenter et disposer de l’enfant à sa guise, mais aussi utiliser la loi pour faire du chantage, inculper, peut-être même criminaliser les mères qui veulent simplement protéger leurs enfants et qui pour cela risquent leur sécurité et leur vie !

Le projet de loi a été sévèrement critiqué par les juristes grecs à la fois pour sa faiblesse juridique, la violation des droits de l’homme et la convention d’Istanbul qu’elle impliquait. Il était aussi également rejeté par toutes les organisations de femmes et le mouvement féministe lequel devait affronter une campagne de haine menée par le lobby des pères déchaînés et misogynes, soutenu par presque tous les grands médias du pays.

Lorsque la loi a été voté par la majorité – contre la plupart des partis d’opposition du Parlement grec- les fanatiques du lobby des pères ont fait la fête sur les réseaux sociaux et n’ont pas manqué de lancer des menaces physiques contre les juges et les procureurs du pays pour les contraindre à appliquer la loi en faveur des pères : Par exemple, le groupe « Égalité des droits parentaux » a écrit : Nous orientons l’artillerie lourde contre la MAGISTRATURE, nous chargeons, nous amorçons et nous attendons ! Que ceux de nos membres qui divulguent ce qui se passe dans notre groupe, informent le Syndicat des Juges et des Procureurs qu’ils sont désormais dans notre viseur ».

En somme ces groupes masculinistes deviennent très dangereux : Leur antiféminisme, leur culture de la virilité, la reconstruction d’une masculinité hégémonique constituent des passerelles idéologiques vers la droite la plus extrême et tôt ou tard ils passeront de plus en plus à l’action violente, pas seulement dans leur couple mais aussi dans la société.

L’irruption du #MeToo grec et le réveil des consciences

Le tableau est sombre, mais voilà qu’à la mi-janvier 2021, en pleine pandémie, plus de trois ans après l’apparition du mouvement #Metoo aux États-Unis, le #MeToo grec a fait une irruption fracassante sur les devants de la scène sociale et politique du pays.

Le #Metoo grec fut déclenché par les révélations de Sofia Bekatorou, 43 ans, double médaillée (or et bronze) olympique de voile, qui déclara publiquement avoir été violée à l’âge de 21 ans par un haut responsable de la Fédération grecque de voile. S’adressant à toutes les femmes qui ont subi des agressions sexuelles, elle a lancé le message : « Brisez le silence, parlez ! »

Cette année aussi, l’éclosion du #MeToo grec a contribué à faire mûrir la conscience féministe face à la forme la plus atroce des violences de genre, le féminicide. Le meurtre de Eleni Topaloudi- en novembre 2018 à Rhodes- une étudiante de 21 ans, violée, torturée par deux jeunes hommes, jetée dans la mer alors qu’elle était encore vivante, a contribué à introduire le terme « féminicide » dans le langage de tous les jours.

Mais, c’est aussi cette année-ci – surtout cet été-, que dans tout le pays, d’Athènes à Thessaloniki, de Crète aux îles des Cyclades, les meurtres de femmes par leurs compagnons se succédaient à la chaîne. Cependant, cette fois, la différence avec le passé même récent crevait les yeux : Les médias en parlaient plutôt abondamment, les langues se déliaient, les partis politique sortaient de leur silence habituel, et surtout, les femmes descendaient dans les rues, féministes en tête, pour crier leur colère et appeler à la solidarité !

Le renouveau du mouvement féministe…

Voilà encore un exemple du renouveau du féminisme : En juin passé, un spot publicitaire demande aux femmes… de procréer, s’adressant en particulier à celles ayant « pris de l’âge » et qui seraient trop préoccupées par leur carrière et négligeaient ainsi l’intérêt pour leur fertilité. Il s’agissait d’une publicité pour la « 1re Conférence panhellénique sur la fertilité » qui était soutenu par l’église, des entreprises de procréation assistée, par le « Secrétaire générale de la politique démographique et familiale et de l’égalité des sexes », la radiotélévision publique (ERT) et … par la Présidente de la République hellénique elle-même. Mais, après un nouveau tollé général, la Présidente Mme Katerina Sakellaropoulou était contrainte de retirer son soutien à la Conférence et la quasi-totalité des participants officiels faisant de même… la conférence était annulée. C’était le fiasco total !

Finalement, le gouvernement Mitsotakis a pu faire voter -de justesse- son projet de loi sur l’autorité parentale conjointe, mais même les médias pro-gouvernementaux ont admis qu’il s’agissait d’une victoire à la Pyrrhus ! En effet, la résistance des féministes a semé le trouble même à l’intérieur du conseil des ministres et a provoqué des dissensions même dans le groupe parlementaire de Nouvelle Démocratie ! C’était la première fois depuis sa formation en 2019, que le gouvernement de droite traversait une crise et, de l’aveu commun, le responsable de cette nouveauté absolue était… le mouvement féministe !

La conclusion n’est pas difficile : L’année 2021 a vu la naissance en Grèce d’un renouveau du mouvement féministe, jeune, radicale mais aussi unitaire, qui occupe déjà les avants postes des luttes populaires contre la Sainte Alliance de la réaction néolibérale et de l’obscurantisme nationaliste et orthodoxe. L’événement est de taille, presque historique, dans une société grecque conservatrice et déboussolée, qui est toujours à la recherche d’une gauche digne de son nom.

La suite des événements promet d’être passionnante…

6 décembre Manifestation en Grèce

MANIF HIER SOIR À ATHÈNES PUIS AFFRONTEMENTS À EXARCHEIA

Depuis 13 ans, la date anniversaire de l’assassinat d’Alexis Grigoropoulos par un flic est l’occasion de rappeler que les violences policières n’ont pas diminué, bien au contraire.

Hier soir, pas loin de 10.000 anarchistes et antiautoritaires ont manifesté dans le centre d’Athènes. Le cortège est parti à la tombée de la nuit avant de passer devant le parlement protégé par une muraille de MAT (CRS) vers 20 heures.

Une partie des manifestants a ensuite rejoint Exarcheia pour se rendre sur les lieux du crime, là où est tombé le jeune anarchiste de 15 ans, le 6 décembre 2008. Des voltigeurs ont commencé à faire du zèle, alors même que des centaines de personnes se recueillaient devant le mémorial. provoquant des affrontements à partir de 21h30, avec cocktails Molotov contre gaz lacrymogène par-delà quelques barricades de fortune et de nombreux feux de poubelles.

La répression n’a pas tardé, invectivant les journalistes indépendants, interpellant violemment les passants sans preuve et frappant aveuglément des dizaines de personnes. Les flics n’ont pas hésité à défoncer des portes d’immeubles pour suivre des émeutiers à l’intérieur, se sachant tout permis sous le régime toujours plus autoritaire de Kyriakos Mitsotakis et de ses transfuges de l’extrême-droite.

Plus tôt dans l’après-midi, une première manif avait réuni des milliers de lycéen-nes et d’étudiant-es sur le même parcours, non sans subir également des violences policières (et 11 interpellations de mineurs dont 3 arrestations).

Voici quelques photos d’un de nos meilleurs photographes : mon ami Mario Lolos. C’est lui qui a créé avec moi l’affiche de L’Amour et la Révolution et qui couvre souvent l’arrivée de nos convois solidaires aux côtés d’un autre photographe qu’on aime beaucoup : Alexandros Katsis.

Anarmicale pensée à celles et ceux qui résistent ailleurs contre la même machine à dominer. À bas la sociétaire autoritaire et son bras armé !

Yannis YoulountaS

Plus de photos

Source http://blogyy.net/2021/12/07/manif-hier-soir-a-athenes/

 

 

Frontière de l’Evros : violence, déshabillage, expulsions

Un interprète afghan de l’agence européenne de surveillance des frontières, Frontex, a été agressé par les autorités grecques, qui l’avaient pris pour un migrant. Après son arrestation, il a été contraint de monter dans un canot sur la rivière Evros, direction la Turquie.

C’est un incident qui pourrait changer la donne. Un interprète afghan travaillant pour l’agence européenne de surveillance des frontières Frontex a déclaré avoir été agressé par des garde-frontières grecs, qui l’avaient pris pour un demandeur d’asile, rapporte le New York Times.

Le 3 septembre dernier, alors qu’il se rendait en bus dans la ville grecque de Thessalonique, la police l’a forcé à descendre, avec un certain nombre de migrants. Roué de coups, déshabillé de force, l’interprète a ensuite été emmené dans un entrepôt isolé où étaient détenues « au moins 100 autres personnes, dont des femmes et des enfants ». Tous ont été forcés à monter dans des canots et poussés à traverser la rivière Evros, pour rejoindre la Turquie.

Membre d’une équipe d’experts déployée pour aider les garde-frontières à communiquer avec les demandeurs d’asile, il s’est retrouvé dans le pays sans téléphone, sans argent et sans papiers, que les policiers grecs lui avaient volés. L’homme a fini par atteindre Istanbul, où il a reçu une assistance consulaire des autorités italiennes.

Plusieurs fois durant son arrestation, il a essayé de dire aux policiers grecs qu’il travaillait pour l’Union européenne (UE). Mais « ses tentatives […] se sont soldées par des rires et des coups ».

>> À (re)lire : Frontière Turquie-Grèce : arsenal anti-migrants ultra-moderne le long du fleuve Evros

Pour le journal américain, ses dires « sont particulièrement problématiques pour les fonctionnaires grecs, car [la victime] est un résident légal de l’UE [il vit en Italie], et employé par une de ses agences ». D’autant plus qu’il dispose de preuves tangibles, sous la forme d’enregistrements audio et vidéo, qui étayent les abus qu’il a subis.

L’affaire a d’ailleurs fait réagir jusqu’aux hautes sphères de l’institution. La commissaire européenne chargée des migrations, Ylva Johansson, a déclaré avoir appelé l’interprète vendredi dernier et s’est dit « extrêmement préoccupée » par son récit. « Son affirmation selon laquelle il ne s’agissait pas d’un cas isolé est un problème grave », a-t-elle ajouté.

Après cette discussion, Ylva Johansson s’est entretenue lundi avec Takis Theodorikakos. Le ministre grec de la Protection des citoyens lui a promis d’enquêter sur les allégations de l’interprète. Mais son cabinet a dans le même temps indiqué dans un communiqué que, d’après les premières enquêtes effectuées, « les faits ne sont pas tels qu’ils sont présentés ».

« Déshabillages de masse »

Des accusations telles que celle-ci sont régulièrement rapportées par les migrants aux ONG et à la presse. En octobre, un ex-policier grec confirmait même à InfoMigrants avoir pratiqué des « pushbacks » illégaux, et renvoyé lui-même 2 000 personnes vers la Turquie. « Régulièrement, mes collègues m’appelaient pour me prévenir qu’ils allaient venir avec des migrants. Ils étaient généralement rassemblés par groupe de 10 environ. Mon rôle était simple : je les faisais monter sur mon bateau, souvent à la tombée de la nuit et je les ramenais vers les côtes turques », avait-il raconté.

Des agressions physiques et des humiliations sont aussi très régulières. En juin, les autorités turques avaient partagé une photo d’un petit groupe de migrants totalement nus. D’après eux, ils avaient été arrêtés en Grèce, battus, déshabillés, privés d’eau et de nourriture, et renvoyés de force de l’autre côté de la frontière. Le procédé est également documenté dans un rapport du Border Violence Monitoring Network. Selon le réseau d’organisations, en 2020, 44% des témoignages enregistrés décrivent des cas de déshabillage forcé. Des « déshabillages de masse, avec jusqu’à 120 personnes enfermées dans le même espace de détention » sont monnaie courante.

>> À (re)lire : La frontière de l’Evros, un no man’s land grec ultra-militarisé où « personne n’a accès aux migrants »

Ces pratiques, pourtant connues depuis de nombreuses années, ont toujours été réfutées par le gouvernement grec. Ce mois-ci, le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis a une nouvelle fois rejeté les accusations d’abus contre les migrants par les autorités du pays. Il a qualifié sa politique migratoire de « dure, mais juste ».

Cette même politique – couplée à une forte militarisation de la frontière – occasionne, aussi, des morts. À Alexandropoulis, près de la frontière turque, un médecin-légiste se charge de leur redonner une identité. Entre janvier et octobre, il a autopsié 38 corps. Chaque semaine, le médecin reçoit des mails de familles désespérées, et prend le temps de répondre à chacun d’eux. Les corps non-identifiés et non réclamés sont envoyés dans un cimetière de migrants anonymes. Perdu dans les collines, il compte environ 200 tombes.

Source https://www.infomigrants.net/fr/post/36995/frontiere-de-levros–roue-de-coups-et-deshabille-de-force-un-interprete-afghan-de-frontex-accuse-les-gardefrontieres-grecs

Des mobilisations victorieuses en Grèce sur fond d’État policier

 

A. Sartzekis

Les commémorations de la révolte et du massacre des étudiantEs de l’université Polytechnique sous la junte des colonels en 1973 constituent chaque année un assez fiable baromètre de la température sociale et politique en Grèce.

Si l’an passé, le gouvernement de droite extrême de Mitsotakis avait prétexté la pandémie pour interdire les manifs – qui avaient pourtant eu lieu ! –, cette année, le prétexte aurait été trop gros, alors que la politique du Premier ministre commence à être massivement désavouée, quels que soient les efforts des médias aux ordres (auxquels le pouvoir a généreusement distribué 40 millions d’euros). Ce 17 novembre, les manifs ont été massives un peu partout, et bien sûr à Athènes (30 000 manifestantEs), avec présence impressionnante de la jeunesse, et même si Mitsotakis n’a pas osé pousser la provocation (tout en déployant 6 000 policiers), la répression a été forte à Salonique, avec aussi des intimidations pour empêcher les jeunes d’aller aux manifs.

Un automne social prometteur ?

Ce qui change ces derniers mois, c’est avant tout le climat social. Alors que le gouvernement adopte des lois patronales sur mesure, de très grosses mobilisations ont eu lieu récemment : grève générale et totale des marins les 10 et 11 novembre, grève victorieuse des travailleurEs de la zone portuaire du Pirée contre l’entreprise chinoise Cosco, propriétaire de presque tout le port industriel, après la mort d’un ouvrier victime des conditions de travail… Les mobilisations dans le secteur des livraisons et de la restauration ont culminé en septembre, avec une grève exemplaire des livreurEs de la société efood, soutenue par de nombreux clientEs qui ont alors résilié leur abonnement. Résultat : passage en CDI pour plus de 2 000 employéEs, avec prise en compte de l’ancienneté. La mobilisation dans le secteur s’est prolongée contre les conditions du travail précaire : nouvelle grève victorieuse pour des équipements de sécurité le 9 novembre… Et contre le refus de leur direction syndicale d’une mobilisation accrue contre l’évaluation, de nombreux enseignantEs continuent la bataille contre une ministre peut-être pire que Blanquer !

Fuite en avant à droite toute

Face à cette colère croissante, la droite est visiblement inquiète et quelques signes indiquent un début de division. Mitsotakis choisit de renforcer le cours « orbanesque », appuyé sur le courant d’extrême droite dans son parti et au gouvernement. Ainsi, alors que des enquêtes internationales indiquent que c’est en Grèce que l’antisémitisme s’affiche le plus en Europe, il a cet été nommé ministre de la Santé un ancien avocat fasciste (fils de l’idéologue grec du nazisme) connu pour ses déclarations antisémites, provoquant l’inquiétude de la communauté juive, et perçu comme une provocation face à une situation sanitaire fort grave (chaque jour environ 80 à 90 morts du virus), la droite refusant de renforcer l’hôpital public. Une série de lois renvoyant aux périodes sombres ont été votées, telle celle sur un code pénal réprimant la liberté d’expression… Les services de renseignements, placés sous le seul contrôle de Mitsotakis, fliquent des journalistes, des avocatEs, des militantEs. La police semble pouvoir faire ce qu’elle veut : récemment, un jeune Rom a été tué (36 balles tirées) par des policiers ayant d’ailleurs désobéi aux ordres d’arrêter la poursuite… et soutenus par le ministre (ex-député fasciste) du Développement et par le ministre de la Police ! Ce climat d’intimidation lié à une politique ultra-libérale catastrophique, loin de provoquer la soumission recherchée, renforce une combativité évidente au quotidien. Étape suivante : comment dans la période à venir faire s’amplifier et s’organiser largement cette combativité, face à des lois récentes instaurées contre le droit de grève et les syndicats de lutte ? 

Source https://lanticapitaliste.org/actualite/international/des-mobilisations-victorieuses-en-grece-sur-fond-detat-policier

Guadeloupe Martinique Grève générale

Après la Guadeloupe, la Martinique en grève générale : « nous lançons un appel aux travailleurs français »

24 novembre 2021 Maïa Courtois

 Les habitants de Martinique, dans la foulée de la Guadeloupe, lancent une grève générale. La Polynésie française pourrait en entamer une aussi, dès ce mercredi 24 novembre. Sur ces trois territoires, l’obligation vaccinale a été le point d’achoppement à l’origine du mouvement. Mais les revendications dépassent ce seul conflit, et remettent sur la table des enjeux de pauvreté, d’état des services publics et de scandales sanitaires. 

 Dans les rues de Fort-de-France, lundi 22 novembre, près d’un millier de Martiniquais a défilé dans le cadre d’une grève générale initiée par 17 syndicats. Des blocages et des piquets de grève sont apparus, de Fort-de-France à la commune du Lamantin. « Trois ou quatre zones commerciales ont été bloquées, ainsi que le port de Fort-de-France », relate Gabriel Jean-Marie, secrétaire générale de la CGT Martinique (CGTM), premier syndicat du territoire.

Le discours d’Emmanuel Macron du 12 juillet, sur l’obligation vaccinale pour les soignants et l’application du passe sanitaire, en a été le déclencheur. « Dire que l’on va suspendre leur contrat de travail à des gens qui ont 20 ans d’expérience comme soignants, et qui ont bossé pendant des mois sans protection, sans blouses, dans les conditions que vous connaissez… Ça a été la goutte de trop », retrace Gabriel Jean-Marie. « Les soignants sont en première ligne ; mais tous les autres corps de métiers – enseignants, agents territoriaux, pompiers…- sont impactés par ces obligations », précise Thierry Jeanne, à la tête de l’UNSA Territoriaux en Martinique.

Au cours de cette allocution, le chef de l’État avait également évoqué la réforme des retraites ou de l’assurance-chômage. Après plusieurs mois de mobilisation, « nous avons donc ajouté un certain nombre de revendications, et appelé le monde du travail à se mettre en grève générale », souligne Gabriel Jean-Marie. Deux syndicats avaient appelé à la commencer dès le 15 novembre ; la quasi-totalité du monde syndical l’a initiée ce lundi.

 Guadeloupe, Martinique, Polynésie : effet boule de neige ?

 La grève générale martiniquaise se structure en parallèle de celle en cours en Guadeloupe. « Depuis le 17 juillet, des milliers de Guadeloupéens manifestent toutes les semaines, pour demander l’ouverture de négociations, autour de leurs revendications. Ni le préfet, ni les maires, ni personne d’autre ne nous a considérés », affirme Elie Domota, porte-parole du LKP, dans le journal radio de Guadeloupe La 1ère. Là encore, l’obligation vaccinale a été le déclencheur des manifestations. Depuis le 15 novembre, une grève générale a été lancée. Lundi 22 novembre, Emmanuel Macron a dénoncé des « manipulations par certains de cette situation », en martelant : « on ne peut pas utiliser la santé des Françaises et des Français pour mener des combats politiques ».

Assiste-t-on à un effet d’entraînement entre territoires ? La Guadeloupe et la Martinique ne sont distantes que « de plusieurs dizaines de kilomètres, avec beaucoup de contacts entre les familles », rappelle Gabriel Jean-Marie. D’une île à l’autre, « c’est le même combat. Mais il ne va pas forcément prendre la même forme, avec les mêmes débordements, en Martinique », juge de son côté Thierry Jeanne.

En Polynésie française aussi, une grève générale illimitée pourrait être lancée dès ce mercredi 24 novembre. Quatre confédérations syndicales ont déposé un préavis de grève, dont les revendications résonnent avec celles de Guadeloupe et de Martinique. Retrait de la loi sur l’obligation vaccinale, refus de la réforme de la Caisse de Prévoyance Sociale, application de la loi sur la protection de l’emploi local, augmentation du pouvoir d’achat… Sur ce dernier point, il est demandé une « revalorisation du pouvoir d’achat à 4% » côté public ou une « revalorisation des minimas des grilles salariales dans les secteurs d’activités du pays à 5% » côté privé, détaille Tahiti Infos.

 « L’explosion sociale »

 En Guadeloupe, une plateforme de 32 revendications a été présentée. Elle avait déjà été communiquée aux autorités, le 2 septembre. L’accès à des services publics de qualité (dont les défaillances ont été décryptées par Bastamag), est au coeur des demandes.

« Le gouvernement veut réduire la mobilisation à un simple mouvement contre la vaccination, camoufler la profondeur de la crise et les revendications au cœur de l’explosion sociale », estime Sud PTT dans un communiqué de soutien publié le 23 novembre. Or, au-delà des enjeux sanitaires, il s’agit « d’une légitime colère contre les discriminations dont sont victimes les guadeloupéen·e·s, l’état des services publics ou les mensonges d’Etat concernant le chlordécone ». La Poste a ainsi supprimé près de 50 emplois en Guadeloupe courant 2021, malgré le contexte social difficile, souligne le syndicat.

 L’obligation vaccinale, « sujet du jour » ou simple déclencheur ?

 Le 14 novembre, les ministres Olivier Véran et Sébastien Lecornu ont repoussé la date d’entrée en vigueur de l’obligation vaccinale en Martinique au 31 décembre. Insuffisant pour calmer les esprits : « on demande l’abrogation de cette loi. D’ailleurs, Macron avait déclaré que jamais il ne mettrait en œuvre l’obligation vaccinale…», martèle Gabriel Jean-Marie. Et d’insister : « nous militons contre l’obligation vaccinale ; mais pas contre la vaccination ! »

Les 17 syndicats martiniquais ayant signé le préavis de grève générale présentent dix revendications. Parmi celles-ci : la fin de l’obligation vaccinale, mais aussi la hausse des salaires et des minima sociaux, et la baisse du prix des carburants. Ou encore, la prise en charge totale des tests de chlordéconémie, une maladie liée au chlordécone, cet insecticide utilisé dans les bananeraies jusqu’en 1993 qui pollue encore les sols.

Pour Thierry Jeanne, la priorité de cette grève générale doit être « la solidarité avec les soignants ». L’obligation vaccinale est « le sujet du jour » ; les autres revendications doivent rester « en toile de fond ».  Mais toutes les forces en présence ne tiennent pas le même discours. En Martinique comme en Guadeloupe, difficile de déterminer si l’obligation vaccinale est au coeur de la colère sociale, ou si elle n’est que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

 Un « gouvernement d’incendiaires »

 Le dialogue avec les autorités semble, dans tous les cas, rompu. « Dans un courrier daté du 29 septembre 2021, le préfet rejetait l’ensemble des propositions et mettait fin à toutes négociations », rappellent, dans un communiqué du 19 novembre, les Organisations en lutte contre l’obligation vaccinale et le passe sanitaire en Guadeloupe. « La seule réponse des services de l’Etat et des patrons du privé : arrestations arbitraires, harcèlement des travailleurs, violences policières, condamnations, suspension des contrats de travail ».

« Il faut que l’ordre public soit maintenu » en Guadeloupe, a soutenu Emmanuel Macron le 22 novembre. Le GIGN et le Raid ont été envoyés sur place, à l’issue d’une cellule de crise interministérielle le 20 novembre. « Lorsque vous envoyez les unités d’élite, ce n’est pas pour calmer les choses, mais les envenimer », observe Gabriel Jean-Marie. Ce dernier dénonce un « gouvernement d’incendiaires, qui jette de l’huile sur le feu ».

En Martinique, la deuxième revendication affichée par les syndicats dans leur préavis de grève est « l’arrêt de la répression qui frappe les salariés en lutte ». Gabriel Jean-Marie évoque les soignants qui avaient été menottés et interpellés mi-octobre devant le CHU de Fort-de-France. À l’image des forces de l’ordre envoyées en Guadeloupe, tout ceci s’inscrit, à ses yeux, dans une « histoire ancienne de la répression coloniale ».

 De 2009 à aujourd’hui, le défi du front commun

 Les revendications présentées en Guadeloupe comme en Martinique ressemblent à celles mises en avant lors des grèves générales de 2009. Les syndicats ont en tête ce modèle historique de mobilisation populaire. « La pauvreté n’a pas évolué depuis 2009 ; le pouvoir d’achat n’a pas augmenté depuis 2009, malgré beaucoup de promesses. Forcément, ça ne peut que faire écho », estime Thierry Jeanne.

« Nous lançons un appel aux travailleurs de France », répète Gabriel Jean-Marie, qui espère cette fois transformer l’essai. « Le combat que nous menons, c’est celui que mènent de nombreux travailleurs sur leurs conditions de travail précaires ou le prix des carburants ». Mais la jonction avec l’Hexagone n’est pas évidente. En 2019, les Gilets Jaunes avaient repris des revendications et des modes d’action (comme l’occupation de ronds-points) expérimentés aux Antilles en 2009. Avec dix ans d’écart. « Les Gilets Jaunes, c’était une déflagration, mais en différé », observe le leader syndical.

Qu’en sera-t-il aujourd’hui ? Gabriel Jean-Marie ne désespère pas de faire front commun. « Nous disons aux travailleurs français : le gouvernement qui nous opprime, c’est le même. Plutôt que de s’observer et de lancer des mouvements séparés, unissons nos forces ».

Source https://rapportsdeforce.fr/classes-en-lutte/apres-la-guadeloupe-la-martinique-en-greve-generale-nous-lancons-un-appel-aux-travailleurs-francais-112411890

France : La dette ne met pas en danger le pays

[Video] Eric Coquerel : « Le patrimoine de la France est tellement énorme que la dette ne mettra pas en danger le pays »

24 novembre par Eric Coquerel , regards.fr

La dette sera sans doute l’un des grands débats de la campagne présidentielle. À qui appartient la dette ? Faut-il la supprimer ? Éric Coquerel, député de la France insoumise, auteur de Lâchez-nous la dette aux Éditions de l’Atelier, est l’invité de #LaMidinale. Interview et vidéo réalisées par regards.fr

Sur la dette : grave ou pas grave ?

  • « La dette n’est pas grave. »
  • « De manière absolue, la dette globale par rapport à un Etat aussi riche que la France – si on veut bien voir le patrimoine global de la France – est quelque chose que l’on peut très bien assumer. »
  • « Les libéraux nous présentent toujours la dette comme un stock. »
  • « Si vous achetez un appartement sur 30 ans, personne n’aura l’idée de comparer le prix que ça va vous coûter sur 30 ans sur un an de revenus. C’est ce que font les libéraux en permanence. »

Sur la dette Covid

  • « La dette Covid est une bonne méthode. Une méthode que je propose d’appliquer pour la dette globale. »
  • « La dette Covid qui pèse pour 20% de la dette globale, soit environ 700 milliards d’euros et qui n’a pas été utilisée entièrement par le gouvernement, on pourrait l’annuler sans trop de douleur, si ce n’est au prix d’un peu d’inflation. »

Sur les dettes illégitimes

  • « Les dettes illégitimes sont des dettes qui ont été créées non pas pour servir l’intérêt général mais plutôt pour venir au secours de l’économie capitaliste. »
  • « En 2009, après la crise des subprimes, Nicolas Sarkozy décide de venir au secours des banques. L’État prête de l’argent aux banques et on a augmenté le déficit des près de 400 milliards. On a socialisé les pertes des banques sans contraintes. On peut estimer que cette dette-là est illégitime. »
  • « Les dettes causées par la baisse des recettes et des impôts, notamment des impôts des plus riches. On paye avec nos déficits et la dette, les cadeaux aux plus riches. C’est un autre type de dette illégitime. »

Sur la dette privée

  • « Si on parlait de la dette privée en permanence – comme on le fait sur la dette publique – comme un peu dans un roman policier, on dévoilerait le coupable c’est-à-dire le système capitaliste financiarisé. »
  • « Pour continuer à consommer, on contraint les ménages à prendre des crédits de plus en plus dangereux. C’est typiquement la crise des subprimes aux États-Unis. »
  • « La dette privée est le révélateur du rapport de force entre le capital et le travail. »

Sur l’annulation de la dette

  • « Il y a deux façons d’annuler la dette : il y a une façon indolore et qui pourrait presque passer inaperçu. C’est l’idée qu’on laisse rouler la dette de manière éternelle. Elle va s’éteindre d’elle-même (…). Il y a une autre manière qui consiste à créer de la masse monétaire. On va racheter la dette, ça va créer un peu d’inflation mais dans la période, ça sera quelque chose de très faible. »
  • « Si le politique reprend le pouvoir sur la question de la dette – c’est-à-dire la souveraineté du peuple et non celle des marchés – on peut décider d’annuler la dette ou de la prolonger. »
  • « Dans l’histoire, il y a eu des annulations de dette, ne serait-ce qu’en Allemagne après la Deuxième Guerre mondiale. »

Sur les États et la dette

  • « Un État c’est solide. Les investisseurs ne rêvent que d’une chose : c’est de prêter aux États. »
  • « La France ne peut pas être en faillite. Le patrimoine de la France est tellement énorme que la dette ne peut pas mettre en danger le pays. »
  • « Il faut arrêter avec l’indépendance des banques centrales. »
  • « Jusque dans les années 80, la dette n’était pas placée sur les marchés financiers. C’est quelque chose de très nouveau. »

Sur les plans de relance et le quoi qu’il en coûte

  • « Les libéraux ont rompu avec les traités européens. »
  • « Quand les choses vont mal, les libéraux trouvent l’État bien utile pour aider. »
  • « En France, on a très peu utilisé la dette Covid, celle qui a été mise à la disposition de chaque État par la BCE. »

Sur l’utilité de la dette

  • « Il faut définanciariser la dette. On doit pouvoir avoir une maîtrise de notre dette. »
  • « Si la dette sert à faire des cadeaux au capital et à la rente, aux entreprises sans conditions et sans garanties, elle ne sert à rien. Une grande partie du quoi qu’il en coûte a consisté à prêter de l’argent aux entreprises sans contrepartie. En 2021, les entreprises du CAC40 ont fait 51 milliards de dividendes en supprimant dans le même temps 60.000 postes. »

Sur les marges de manœuvre

  • « Revenir à l’ISF, en finir avec la flat tax, revenir sur des niches fiscales, taper sur l’évasion fiscale à travers un impôt sur les entreprises : on peut récupérer facilement 120 milliards d’euros par an. Ça fait des marges de manœuvre pour financer la transition écologique. »

Sur le qui va payer la dette

  • « Pour les cinq ans à venir, les libéraux proposent une baisse historique des dépenses publiques. Et pour être sûr de faire ça, ils proposent une loi pluriannuelle. »


La suite du verbatim est à lire sur www.regards.fr

Source http://www.cadtm.org/Video-Eric-Coquerel-Le-patrimoine-de-la-France-est-tellement-enorme-que-la

 

Italie : la mobilisation exemplaire des travailleurs·ses de GKN et l’Europe néolibérale

La fermeture de l’usine historique GKN, près de Florence, et la mobilisation ouvrière qui s’y déploie constituent un cas exemplaire à bien des égards. Celui-ci montre notamment que l’Union européenne n’est pas un cadre neutre mais un moyen pour les bourgeoisies du continent de mettre en concurrence les travailleurs·ses et les systèmes sociaux des différents pays qui la composent. 

***

« Nous avons les larmes aux yeux, un millier d’histoires humaines à raconter, mais ce n’est pas le sujet aujourd’hui. Nous ne sommes pas les pauvres travailleurs qui rentrent chez eux. Nous sommes dignité, fierté et résistance. Faites-vous une faveur en vous unissant à notre lutte. Insurgeons-nous ».

Ces phrases sont les premiers mots des centaines de travailleurs et travailleuses de l’usine historique GKN de Campi Bisenzio, près de Florence, lorsqu’ils ont appris par email début juillet la fermeture immédiate de leur usine – et donc leur licenciement.

422 employés, auxquels il faut ajouter au moins quatre-vingts travailleurs et travailleuses en sous-traitance (cantine, nettoyage, etc.). Certains d’entre eux y travaillaient depuis vingt ou trente ans, une vie passée à fabriquer des pièces détachées pour les plus grandes marques automobiles italiennes et européennes. Du jour au lendemain, à la rue. Malgré les raisons invoquées par la multinationale pour expliquer la crise, les travailleurs de GKN sont catégoriques : il ne s’agit pas d’une usine en crise, ici les commandes sont nombreuses et le travail constant.

Face à une décision qui leur semble absurde, les travailleurs et travailleuses décident de se battre : ils occupent l’usine et constituent une assemblée permanente, organisent des rassemblements et des manifestations gigantesques, font le tour de l’Italie pour construire un réseau de solidarité local et national, convoquent une assemblée de juristes solidaires pour rédiger avec eux une loi contre les licenciements et les délocalisations. Et ils obtiennent un large soutien de l’opinion publique et une très grande visibilité médiatique.

À gauche comme à droite, les déclarations de soutien des politiciens se succèdent, et le maire de Campi Bisenzio prend même un arrêté interdisant le transit des camions TIR pour empêcher la multinationale britannique de venir récupérer ses machines. Le gouvernement annonce même une loi anti-délocalisation pour laquelle il prétend vouloir s’inspirer de notre très inefficace « loi Florange ». Et les travailleurs gagnent une première bataille : en septembre, le tribunal du travail de Florence a annulé l’ouverture des licenciements collectifs pour « comportement antisyndical » de la direction. Mais il est évident que la multinationale n’abandonnera pas si facilement, et que la bataille ne s’arrêtera pas là.

De Campi Bisenzio, Birmingham, Offenbach… à Olesnica

On n’en parle pas beaucoup dans les journaux italiens, mais pendant ce temps, dans le nord industriel de l’Angleterre, les travailleurs de GKN-Driveline Birmingham vivent depuis des mois une situation très similaire à celle de Campi Bisenzio. En janvier 2021, GKN a annoncé la fermeture, prévue pour 2022, de son site automobile de Chester Road à Erdington – là encore un site historique de l’industrie métallurgique britannique datant des années 1930. Il s’agirait d’au moins 519 personnes licenciées, et jusqu’à 1 000 autres travailleurs de la chaîne d’approvisionnement qui pourraient perdre leur emploi.

Là aussi, les travailleurs se mobilisent et reçoivent des déclarations de solidarité de droite et de gauche. Le gouvernement propose d’investir dans la formation professionnelle et l’achat de nouvelles machines pour éviter la fermeture. En mai, les travailleurs présentent un business plan alternatif pour sauver leur usine – plan immédiatement rejeté par la multinationale. Il y a quelques semaines, les travailleurs de GKN Erdington se sont exprimés, avec 95 % de votes favorables et 95 % de participation, pour une grève illimitée contre la fermeture de leur usine.

Vu sous l’angle européen, on comprend mieux les enjeux de l’affaire de Campi Bisenzio. Lors de l’acquisition controversée de GKN par le fonds d’investissement britannique Melrose Industries pour 8,1 milliards de livres sterling en 2018, l’acheteur avait promis de mettre en avant le « bien-être des employés » de ses filiales. Ce qui ne l’a pas empêché bien sûr de faire exactement le contraire. Même avant les licenciements de Campi Bisenzio et d’Erdington, en effet, en 2019, la multinationale annonçait la fermeture de son usine GKN-Aerospace de Kings Norton, toujours à Birmingham, qui a fermé ses portes en mars 2021 : au moins 170 personnes ont été licenciées. Enfin, fin 2020, GKN/Melrose supprimait 540 emplois dans sa filiale allemande GKN-Driveline à Offenbach.

Ces licenciements ne sont pas le résultat d’une crise du secteur automobile ou de la multinationale, ou encore moins du site de Florence. Dans une récente interview, le PDG de GKN Automotive, Liam Butterworth, estimait que 102 millions de véhicules seront fabriquées en 2030 contre 89 millions en 2019, et se montrait particulièrement enthousiaste quant aux énormes possibilités offertes par la transition vers les véhicules électriques.

Avec 27 000 travailleurs et 51 sites de fabrication dans 20 pays différents, un chiffre d’affaires de 4,7 milliards de livres sterling en 2019, l’entreprise se targue de fournir des composants à 90 % des constructeurs automobiles mondiaux pour 50 % des voitures produites dans le monde. Le PDG britannique entend doubler la taille de l’entreprise d’ici 2030 en restant à la pointe de la course à l’électrification. Par ailleurs, le site de Florence était en pleine reprise économique après le ralentissement dû à la pandémie : le premier trimestre 2021 avait montré une augmentation du chiffre d’affaires global de l’entreprise de 7% par rapport au dernier trimestre 2020, et un surplus budgétaire de 14%.

En d’autres termes, ces licenciements ne correspondent évidemment pas à une gestion économique axée sur les besoins des personnes ou de l’environnement, mais à une pure logique de spéculation financière. La devise de Melrose est « buy, improve, sell » : « achète, améliore et vends » – où « améliorer » signifie généralement réduire les coûts de main-d’œuvre et donc gonfler les dividendes des actionnaires. Il est très probable, notamment dans les cas de Birmingham et de Florence, que l’intention de l’entreprise soit de transférer la production vers d’autres pays de l’UE, en partie probablement vers Olesnica en Pologne, où les salaires sont plus bas et les syndicats plus faibles. Le fait est qu’immédiatement après l’annonce des fermetures d’usines, le cours de l’action de Melrose a recommencé à monter en bourse.

Le sort des travailleurs italiens, britanniques et allemands de GKN n’a rien d’original. Au contraire, c’est le sort commun de centaines de milliers de travailleurs dans l’Europe du capital que nous avons construite depuis soixante-dix ans. Une Union européenne qui consacre la libre circulation des marchandises, des capitaux et des entreprises, et qui est fondée sur la concurrence fiscale, sociale et salariale entre les États membres. Dans cette Union européenne, les quelques instruments censés protéger les intérêts des travailleurs et des travailleuses sont trop faibles et inefficaces pour être d’un quelconque secours à ceux qui tentent aujourd’hui de sauver leur usine à Campi Bisenzio. Et pourtant il aurait pu en être autrement.

Démocratie économique

L’extrême assujettissement des travailleurs et des travailleuses face à la toute-puissance des multinationales et du capital financier en Europe et dans le monde n’est pas le fruit du hasard ou de la fatalité. Il est le résultat de décennies de lutte de classe qui, depuis la seconde moitié des années 1970, a vu la réaffirmation progressive des intérêts du capital aux dépens d’une classe ouvrière de plus en plus fragmentée – et cela non seulement au niveau local ou national, mais surtout à l’échelle transnationale. Dans ce scénario, le rôle de la « construction européenne » a été crucial.

À la fin des années 1960 déjà, l’imbrication croissante des économies européennes et mondiales, ainsi que le pouvoir grandissant des entreprises multinationales en Europe, rendaient évidentes la nécessité pour les gauches de s’organiser de manière transnationale. C’est à cette époque que le projet d’une « Europe sociale » – ou « Europe des travailleurs » – prit véritablement racine à gauche. En lieu et place de l’Europe libérale qui s’était construite depuis la guerre, la plupart des partis et syndicats socialistes, et même certains des partis et syndicats communistes européens, commençaient alors à appeler à une réforme des politiques et institutions de la Communauté européenne (qui ne s’appelait pas encore Union européenne) qui servirait les intérêts des travailleurs et travailleuses.

Ce projet promouvait la redistribution des richesses, la régulation des marchés et la planification économique, l’harmonisation sociale et fiscale, l’augmentation des fonds sociaux et régionaux européens, un plus grand contrôle des mouvements de capitaux, des grandes entreprises et des multinationales, la redistribution du travail par la réduction du temps de travail, etc. Et tout cela, pas uniquement au niveau national, mais au niveau continental ; formant ainsi une idée d’Europe très différente de l’Europe néolibérale qui allait ensuite s’affirmer progressivement, surtout depuis les années 1980.

L’une des principales revendications de cette « Europe des travailleurs » était la démocratisation de l’économie et des entreprises. La question avait été mise en lumière à la suite du réveil de la combativité ouvrière depuis la fin des années 1960 : assemblées de travailleurs, grèves sauvages, occupations d’usines et expériences d’autogestion ouvrière, comme l’emblématique entreprise LIP en France, exprimaient la volonté des travailleurs de peser dans la gestion des entreprises. Cet élan fut repris par la gauche européenne, bien que sous des formes variées et divergentes, y compris en fonction du contexte national. Par exemple, alors qu’en France se répandait surtout l’idée d’autogestion des usines par les ouvriers, en Allemagne, c’est l’idée de la cogestion par des représentants des ouvriers et du patronat qui dominait.

Dans les années 1970, la question inspira de nombreuses propositions de réforme en Europe. En Italie, l’apparition des conseils d’usine après 1968 et le Statut des travailleurs de 1970 renforcèrent le rôle des travailleurs et de leurs représentants syndicaux dans les entreprises. En Allemagne, la loi de 1976 sur la codétermination (Mitbestimmung) étendit la participation des représentants des travailleurs aux conseils de surveillance (mais pas aux conseils de direction) à toutes les entreprises de plus de 2 000 salariés.

Au Royaume-Uni, le rapport Bullock de 1977, commandé deux ans plus tôt par le Premier ministre travailliste Harold Wilson (mais jamais mis en œuvre), allait beaucoup plus loin que la codétermination à l’allemande, en formulant une proposition connue sous le nom de « 2x + y », qui prévoyait le même nombre d’administrateurs choisis par les travailleurs et les employeurs au sein du conseil d’administration, complété par un certain nombre d’administrateurs nommés par l’État. En Suède, le Plan Meidner présenté en 1975 par la principale confédération syndicale du pays, LO, visait à la socialisation progressive de la propriété des entreprises.

La question de la démocratisation de l’économie se posa également au niveau européen, tant par le biais des syndicats – qui s’organisaient et s’unifiaient alors à l’échelle du continent avec la création en 1973 de la Confédération européenne des syndicats (CES) – que par celui de la social-démocratie européenne, qui connaissait alors d’importants succès électoraux. Ainsi, la Commission européenne élabora une série de propositions – systématiquement écartées ensuite par le Conseil européen – visant à garantir la représentation des travailleurs dans la gestion des entreprises ou à créer des comités d’entreprise transnationaux.

À ces tentatives de renforcer le contrôle des travailleurs dans les entreprises s’ajoutaient celle du mouvement syndical international – reconstruite par Francesco Petrini – d’établir un contrôle démocratique sur les multinationales. Face au phénomène émergent des délocalisations ou des techniques d’évitement fiscal adoptées par les grandes entreprises, le syndicalisme international développa diverses stratégies pour endiguer la perte de pouvoir d’organisation et de négociation qui en résultait pour lui.

Tout d’abord, les syndicats essayèrent de développer des structures syndicales transnationales au niveau de l’entreprise, les Comités d’entreprise mondiaux. Deuxièmement, ils s’activèrent au sein d’organisations internationales telles que les Nations unies et l’Organisation internationale du travail afin d’obtenir un cadre juridique pour réglementer les activités des multinationales. Cette tentative, qui trouvait un allié important dans le mouvement des pays du tiers monde, se heurta à une forte résistance de la part du big business et des gouvernements qui le représentait (États-Unis en tête) et n’aboutit qu’à l’adoption de codes de conduite vagues et non contraignants pour les multinationales.

La troisième stratégie se développa au sein de la Communauté européenne (CE), la seule organisation internationale dotée de pouvoirs législatifs supranationaux. Ici, les tentatives de démocratisation des entreprises et de contrôle des multinationales culminèrent avec la proposition d’une directive européenne sur l’information et la consultation des travailleurs dans les sociétés transnationales. Celle-ci fut présentée en 1980 par le commissaire européen aux affaires sociales, le travailliste néerlandais Henk Vredeling – un des principaux promoteurs des revendications syndicales et socialistes en faveur d’une « Europe sociale » – qui réussit à faire adopter sa proposition par la Commission, malgré les fortes critiques et l’hostilité de la plupart des commissaires.

Bien qu’elle n’eût rien de révolutionnaire – il s’agissait d’information et de consultation, pas de codécision et encore moins d’autogestion – cette proposition était néanmoins considérée comme une menace sérieuse par les multinationales, car elle favorisait la possibilité pour les travailleurs de s’organiser au niveau transnational. Le texte stipulait que les décisions des entreprises multinationales sur toutes les questions « susceptibles d’affecter substantiellement les intérêts des travailleurs » (y compris les investissements, les fermetures ou transferts, les changements organisationnels majeurs, les fusions, etc.) seraient soumises à l’information et à la consultation des représentants des travailleurs dans les filiales européennes. En outre, les entreprises concernées seraient soumises à des obligations de divulgation (concernant leur situation économique, leur production, leurs investissements, leurs projets de restructuration, l’introduction de nouvelles méthodes de travail et de nouvelles technologies, etc.).

En outre, le projet de directive visait à rendre les sièges des sociétés multinationales responsables devant les travailleurs de leurs filiales. En effet, la clause dite de « by-pass » permettait aux représentants des travailleurs d’entrer en consultation directe avec le siège de la société dans le cas où sa filiale locale ne fournirait pas d’informations satisfaisantes, même quand le siège serait situé en dehors de la Communauté européenne. Dans ce dernier cas, la société mère devrait désigner un « agent » au sein de la Communauté européenne pour informer et consulter les employés ; sinon, cette responsabilité incomberait à la plus grande filiale de la société au sein de la Communauté européenne.

La directive devait s’appliquer à toutes les entreprises multinationales comptant plus de 99 employés et à toutes les entreprises dont le siège social se trouvait en dehors de la Communauté européenne mais qui employaient plus de 99 travailleurs dans une de leurs filiales européennes. En bref, en s’attaquant au secret des affaires, en contournant la gestion locale et en étant applicable aux entreprises hors de la CE, la directive entendait frapper la liberté absolue et l’immunité aux négociations collectives dont jouissaient – et dont jouissent encore aujourd’hui – les entreprises opérant dans plus d’un pays. Enfin, par rapport à d’autres accords internationaux, la « directive Vredeling » aurait été juridiquement contraignante.

L’échec de la gauche européenne

Naturellement, la proposition de directive déclencha une réaction féroce de la part des multinationales et de leurs alliés politiques – et déclencha ce qui fut décrit à l’époque comme la campagne de lobbying la plus coûteuse de l’histoire du Parlement européen. Les milieux d’affaires européens, américains et internationaux déchaînèrent leurs pressions auprès de la Commission européenne, le Conseil et les États membres, mais aussi du Parlement européen et du Comité économique et social, qui n’avaient pourtant qu’un pouvoir consultatif. Les détracteurs décrivaient la directive comme une « véritable révolution ». L’UNICE – l’organisation du patronat européen, aujourd’hui BusinessEurope – rejeta fermement la proposition jugée « inacceptable » ; « inutile » étant donné qu’il existait déjà les codes de conduite (non contraignants) de l’OCDE, des Nations unies et de l’OIT ; préjudiciable à l’autorité des employeurs et à la compétitivité des entreprises au sein de la communauté.

Tout comme l’UNICE, d’innombrables chambres de commerce internationales et nationales, des organisations patronales, des multinationales européennes, américaines et japonaises, des politiciens et des fonctionnaires engagèrent des efforts constants pour s’opposer à la directive, en critiquer chaque détail, et retarder la procédure, dans le but de la faire enterrer. Au Congrès américain, des projets de loi furent même présentés pour protéger les entreprises américaines de la directive, par exemple pour empêcher les entreprises américaines de divulguer des informations en Europe.

Face à une contre-offensive aussi massive, comme pour toutes ses propositions pour une Europe sociale, la gauche européenne aurait dû intensifier ses efforts pour construire un bloc social et politique efficace. Outre la Commission et les États membres, l’un des principaux champs de bataille institutionnels était le Parlement européen qui, bien que n’ayant encore qu’un rôle consultatif, commençait à gagner en légitimité politique, notamment à la suite de sa première élection directe en 1979. Son avis pouvait donc influencer les décisions de Communauté, et les élites économiques en étaient bien conscientes. Malheureusement pour la gauche européenne, les élections de 1979 avaient marqué l’émergence d’une majorité de droite composée de conservateurs, de chrétiens-démocrates, de libéraux et de gaullistes. La gauche du Parlement européen aurait donc dû travailler très dur pour gagner le soutien de membres des autres groupes, notamment les chrétiens-démocrates de gauche, plus proches des syndicats.

La bataille n’était pas perdue d’avance ; au contraire, au cours des premiers mois, le Conseil et le Comité économique et social, ainsi que la commission des affaires sociales du Parlement, donnaient des signes encourageants pour la gauche européenne. Mais lors de la préparation des débats en séance plénière à l’automne 1982, la majorité de droite déposa près de 300 amendements tandis que l’attitude des députés socialistes ressembla à de l’auto-sabotage, entre absentéisme, manque de discipline dans le vote et une faible capacité à rallier des soutiens dans les autres groupes.

La directive fut donc démantelée au moment du vote. Au cours des années suivantes, le lobby industriel continua de faire pression pour enterrer la proposition, recevant pour cela une aide considérable du gouvernement britannique de Margaret Thatcher. La proposition de Vredeling fut donc officieusement abandonnée après des années de discussions peu concluantes. Le syndicalisme européen n’obtint donc presque rien après plus de dix ans de lutte – n’étant parvenu ni à organiser une mobilisation transnationale des travailleurs européens, ni à tenir tête au lobby patronal dans la bataille institutionnelle.

Comme pour d’autres batailles – celle sur la réduction du temps de travail, par exemple – la défaite de la gauche européenne sur la directive Vredeling était à la fois cause et symptôme d’un changement dans l’équilibre du pouvoir au niveau européen. Alors que l’hégémonie sociale-démocrate et l’intensité des luttes des « longues années 1968 » avaient semblé ouvrir une fenêtre d’opportunité pour la construction d’une Europe plus proche des intérêts des travailleurs, dès le début des années 1980 un tournant conservateur était clair, tant au sein de la Communauté européenne que de ses États membres.

Lutter dans une Europe néolibérale

L’Union européenne néolibérale d’aujourd’hui est le résultat de ces défaites, et plus généralement de la défaite subie par les travailleurs dans l’affrontement des longues années 1970, lors de l’essoufflement du « compromis keynésien ». À partir de la signature de l’Acte unique européen en 1986, l’UE n’a cessé d’accélérer la libéralisation des marchés des capitaux, des biens et des services, jusqu’à abandonner totalement l’idée de planification et de réglementation économique et sociale qui avait caractérisé le projet d’« Europe sociale ».

Les élargissements successifs et les accords commerciaux avec le reste du monde ont eux aussi favorisé une concurrence accrue entre les travailleurs en Europe et dans le monde. De plus, le syndicalisme confédéral européen, ainsi que la social-démocratie européenne et certains héritiers de l’eurocommunisme, se sont progressivement alignés sur le compromis néo-libéral, détruisant les chances déjà minces de réaliser une Europe « des travailleurs et des travailleuses ».

Dans l’ensemble, malgré quelques modestes extensions de la « dimension sociale » de l’UE (par exemple dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail), on peut dire que la politique sociale européenne a subi depuis les années 1980 ce que Wolfgang Streeck a appelé une « régression progressive » : elle a été de plus en plus orientée vers les objectifs de compétitivité, de flexibilité et de « restructuration » du marché.

Un exemple de cette régression est le sort de la directive Vredeling : après la défaite de ce projet, le principe d’information et de consultation des travailleurs européens est resté en sommeil pendant plusieurs années. En 1994, grâce à l’extension du vote à la majorité qualifiée au Conseil, l’UE a finalement adopté une directive sur l’établissement de Comités d’entreprise européens (CEE), qui obligeait les entreprises de plus de 999 employés, dont au moins 150 dans deux pays européens différents, à négocier et à mettre en place un organe transnational de représentants des travailleurs, avec des droits légaux à l’information et à la consultation.

Toutefois, la directive adoptée en 1994 (révisée en 2009) est beaucoup moins ambitieuse que la directive Vredeling. En effet, les CEE ne sont pas obligatoires, mais doivent être négociés après une initiative d’au moins cent employés ; la directive ne fournit que des exigences générales au lieu d’un cadre commun sur les compétences, les procédures, le rôle et la composition du CEE ; elle favorise la flexibilité et encourage la création d’une culture d’entreprise pour faciliter la gestion ; elle ne s’étend pas aux établissements situés en dehors de l’UE ou de l’Espace économique européen ; et surtout, tous les CEE créés avant septembre 1996 (39% des plus de 1000 CEE existant aujourd’hui) sont exclus du cadre juridique contraignant de la directive.

En fait, les études montrent que les droits prévus pour les CEE sont très souvent ignorés et violés : seule une minorité des comités est informée avant que les décisions soient finalisées ou même rendues publiques ; près d’un tiers d’entre eux ne sont pas consultés du tout. C’est le cas de GKN, dont le CEE n’a absolument pas été informé ni consulté au sujet de la fermeture et des licenciements de Campi Bisenzio. Plus généralement, comme l’a récemment souligné l’Institut syndical européen, la démocratie industrielle est en net recul en Europe. Il suffit de constater la faiblesse des revendications de la Confédération européenne des syndicats concernant le débat actuel au sein de la commission des affaires sociales du Parlement européen sur une réforme de la directive CEE pour comprendre que cette tendance n’est pas prête de s’inverser.

Les travailleurs de GKN peuvent le constater par eux-mêmes aujourd’hui : l’Europe actuelle est loin d’être l’Europe « des travailleurs ». Le mois dernier, des membres du collectif des travailleurs de l’usine, ainsi que des militants de Potere al Popolo, ont rencontré des députés européens du groupe The Left. La réunion a confirmé l’absence, dans les traités et instruments européens, de protections qui pourraient venir en aide aux travailleurs de Florence. Le fait que GKN ait reçu des millions de fonds publics, italiens comme européens, et que la société continue à verser des dividendes à ses actionnaires est sans conséquences dans le cadre des règles européennes, comme l’a dénoncé le député européen Marc Botenga dans une question adressée à la Commission européenne.

Aujourd’hui, la bataille des travailleurs de GKN ne peut donc que se situer avant tout au niveau national. Les travailleurs demandent à juste titre au gouvernement italien d’intervenir par un décret d’urgence pour mettre fin aux fermetures et aux licenciements, et de prendre des mesures pour adopter une législation générale visant à lutter contre les délocalisations et le démantèlement du tissu productif, pour garantir la continuité de l’emploi. Ils ont même déposé il y a quelques jours leur propre projet de loi au Parlement italien. Empêcher, au sein de l’Union européenne et au-delà, les entreprises multinationales de profiter des disparités salariales, sociales et fiscales injustes entre les États membres, reste par contre aujourd’hui un objectif lointain.

Par ailleurs, les travailleurs de GKN à Campi, Birmingham et Offenbach continuent leur lutte de manière fragmentaire. En outre il n’existe pas aujourd’hui de mobilisation de masse pour un salaire minimum européen, pour une redistribution du temps de travail au niveau européen, etc. Tant que nous ne serons pas en mesure de commencer à organiser un contre-pouvoir populaire au niveau international qui réussisse là où la social-démocratie a échoué, nous ne serons pas en mesure de nous opposer réellement aux intérêts du capital et de renverser l’ordre européen et mondial hérité surtout des années 1970. Pour y arriver, il nous faudra tirer les leçons de l’histoire.

*

Aurélie Dianara est chercheuse post-doctorante en histoire européenne à l’Université d’Évry Paris Saclay, militante féministe, et membre de Potere al Popolo en Italie.

Illustration  : Michele Lantini.

Source  https://www.contretemps.eu/travailleurs-gkn-europe-neoliberale/

Translate »