Solidarité avec Emmy Koutsopoulou

Emmy Koutsopoulou, psychiatre grecque, responsable de l’unité d’addictologie à l’hôpital oncologique d’Athènes à été limogée de son poste par la direction de l’organisme grec de lutte contre la drogue – OKANA.

Cette décision de la direction a été perpétrée en dépit de toute légalité et de toute éthique. Elle lui a été communiquée par fax le jour de son départ prévu en vacances.

Emmy Koutsopoulou est membre du comité scientifique du syndicat des salariés d’OKANA.

En sa qualité de syndicaliste elle a dénoncé les manœuvres de la direction dont le but est d’étendre et d’amplifier les dispositifs de privatisation larvée du service : recours généralisé aux contrats d’œuvre et aux CDD et délégation des missions à la médecine libérale.
Elle s’est également opposée à la fermeture d’unités de soins addictologiques de la banlieue du Pirée (Nikaia) là où justement il existe les problèmes les plus aigus.
Les décisions administratives prises à son encontre relèvent du domaine de la persécution politique, syndicale et professionnelle.
Elles sont l’expression d’une politique qui tend à se généraliser aujourd’hui en Europe, à laquelle nous avons le devoir de résister.
En signant cette lettre de protestation et en l’adressant à la direction d’OKANA nous exprimons avec force notre désaccord avec les procédés utilisés à l’encontre d’Emmy Koutsopoulou et avec les motivations politiques qu’ils expriment.

Emmy Koutsopoulou est également fortement impliquée dans le mouvement de solidarité envers les réfugiés et dans le mouvement de soins auto-organisés offerts aux citoyen-ne-s les plus démunis

Lettre de protestation

Figues de septembre La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Figues de septembre 

Le pays réel et le pays touristique ne se rencontrent pas forcément. Septembre déjà. Orages passagers sur le Météores et sur leurs monastères, visiteurs Orthodoxes issus de la proximité balkanique et pas uniquement, grande affluence. La rentrée, la rentrée, à Athènes les médias et le “gouvernement” n’ont que ce mot-là à la bouche et dans la foulée des insignifiances, les Tsiprosaures communiquent dès lors et amplement sur la visite officielle d’Emmanuel Macron en Grèce dans moins d’une semaine. Rentrée des apparences.

Septembre, mois des mariages. Thessalie, fin août 2017

Septembre, mois aussi des mariages. Sur les bords des lacs en altitude les futurs mariés iront se faire photographier, d’après les usages de la nouvelle imagerie populaire, nouvelle, depuis près d’une dizaine d’années il faut préciser. Pendant ce temps, les touristes, ceux surtout de l’Europe de l’Est Orthodoxes affluent sur les Météores: Bulgares, Roumains, Serbes, Moldaves, Russes et Ukrainiens, venus… le plus souvent directement à bord de leurs belles voitures depuis leurs pays.

Pendant que les touristes réaliseront leurs meilleures selfies entre les rochers des Météores… à leurs risques et périls, le pays réel grec se passionnera davantage du football que des comptines des médiacrates et des politiciens. En n’attendant plus grand chose de la politique, pour ceux qui le peuvent, animaux adespotes des Monastères compris, le mois de Septembre est plutôt synonyme d’un deuxième été grec et non pas de rentrée.

Les petits ferrys à destination d’Égine et de Póros depuis le Pirée quittent le Pirée encore bondés de monde (grec) pour le week-end, décontraction alors partielle à bord, les passagers finissent toujours par se raconter un certain quotidien incertain, “mais c’est évidemment la vie”.

Le pays… réel du football. Grèce, août 2017

Touristes aux Météores. Thessalie, août 2017

Selfies aux Météores. Août 2017

Animaux adespotes des Météores. Thessalie, août 2017

Sans guère de vergogne comme cela devient de saison depuis l’ultime ridiculisation des pantins politiques, un retraité, passager du ferry vers Égine ne s’embarrassera plus du politiquement correct: “Eh bien, il nous faut de nouveau un Papadópoulos” (chef des Colonels sous leur régime de dictature entre 1967 et 1974).

Parmi les autres Grecs à bord, personne n’a souhaité contredire et encore moins défendre notre régime pseudodémocratique aux ordres de la néocolonisation européiste. Et quant aux rares touristes à bord du petit ferry, ils ne comprennent certes pas la langue de Sophocle comme autant celle de… Damoclès. En effet, le navire a aussitôt levé son ancre… mais la croisière ne s’amuse visiblement plus.

Dans l’indifférence la plus totale, le “gouvernement” annonce sa “grande reforme” de la fonction publique, on brasse alors du vent. Au même moment, les agents du fisc alors très indépendant (il dépend seulement des dites institutions troïkannes et non plus de l’État grec, échappant totalement au contrôle du “Parlement”) ils se font plutôt facétieusement… tabasser par les commerçants qui sont censés être contrôlés. Grèce alors pays âpre et réel, le pantin Tsipras préféra se faire photographier aux côtés d’un boulanger lui ayant offert un petit pain rond pour les circonstances de la propagande. Pauvre propagande… réduite en miettes et ainsi ridiculisée de la sorte et de saison.

Tsipras et son petit pain rond. Presse grecque du 31 août 2017

Le ferry échoué près de l’île d’Ios. Presse grecque du 31 août 2017 – Photo A. Moussamas

Le ferry échoué près de l’île d’Ios. Presse grecque du 31 août 2017

L’autre grande affaire de la semaine tient de l’échouage du ferry “Blue Star Patmos” près d’un récif à proximité du port de l’île d’Ios, autrement, une si belle Cyclade. Le navire a heurté ces écueils dans la nuit du lundi au mardi (29 août) déviant très paradoxalement de sa trajectoire habituelle à une vitesse estimée entre 15 et 17 nœuds d’après les reportages de la presse grecque .

Le beau navire, moderne car récent (construit en 2012) repose depuis et fort heureusement sur ce… jardin d’écueils, pourtant bien connu des navigateurs. Grèce… éternelle, rochers et alors écueils. Les 206 passagers d’abord paniqués, il ont été évacués à l’aide d’autres navires vers le port de l’île d’Ios ; la triste vérité si l’on croit les reportages en tout cas, c’est que la coque du “Blue Star Patmos” serait tout de même déchirée sur de dizaines de mètres, ce qui pour l’instant rendrait son remorquage assez périlleux.

Très probablement une tragédie maritime aurait été évitée peut-être de justesse étant donné que le navire est très moderne (les compartiments étanches et les pompes d’évacuation d’eau ont effectivement fonctionné) et parce qu’il… repose tout simplement sur le jardin d’écueils. Ainsi, la question à poser serait plutôt celle de l’erreur dite “fatalement humaine” ou sinon technique, celle de l’électronique embarquée.

Plus précisément pourtant, tout le monde sait que les vitesses (normalement basses) d’approche comme de sortie des ports ne sont pas respectées par de nombreuses compagnies, car c’est la course contre la montre… comme pour la rentabilité. C’est bien connu, le temps… c’est de l’argent et les assureurs s’occuperont du reste, même au cas où l’état du beau “Blue Star Patmos” blessé serait jugé irréparable.

En attendant la fin des expertises, lesquelles ne seront peut-être pas totalement médiatisées lorsque l’actualité s’occupera d’autres faits élus pour devenir marquants, les pèlerins grecs de Saint Nectaire d’Égine (sanctifié en 1961) rempliront les autres ferrys, les touristes Orthodoxes des pays de l’Est laisseront tous leurs vœux sur de petits papiers enroulés et placés entre les rochers des Monastères des Météores. Septembre donc et les plages déjà de la Grèce continentale se vident à l’occasion. Rentrée !

Papiers et voeux. Météores, Thessalie, août 2017

Architecture de Thessalie. Trikala, août 2017

Les plages se vident. Grèce continentale, fin août 2017

Présentation du livre de Yórgos Kalos. Bourg de l’île de Póros. Août 2017

L’été… officiel se termine de la sorte comme presque prévu. Nous dégustons ses dernières figues déjà de septembre. Sur son île de Póros, Yórgos Kalos, homme politique de droite et ex-ministre Nouvelle Démocratie, lequel fort heureusement ne fait pas que de la politique, a présenté son récent ouvrage littéraire devant un (bien petit) auditoire de notables et de curieux. Pourtant, ses histoires relatant la vie anecdotique des Poriotes sont fort intéressantes et bien écrites. Finalement, la politique ne détruirait pas toujours, ni entièrement ses hommes ou ses femmes.

Le pays réel et le pays littéraire ne se rencontrent pas forcément. Septembre déjà. Les touristes photographient la Garde Evzone devant notre “Parlement”, pays aux apparences de son image presque sauvées. Dimitri, mon neveu qui vit à Trikala, musicien professionnel du bouzouki et du chant Rebétiko, développera aux visiteurs venus de France musique à l’appui, toute l’évolution de ce genre musical entre les années 1930 et les importants apports initiés par Vassílis Tsitsánis , le grand Rebète et enfant de Trikala.

En marge de la mélodie, mon neveu exprimera son infortune actuelle, générée par la situation sans issue des Grecs au pays de la dite crise, réalité certes traduisible, mais pas forcément saisie par les amis et visiteurs du pays.

“Tous ceux qui pratiquent suffisamment le bouzouki, ils s’improvisent alors professionnels occasionnels, voire réguliers, pour vingt à trente euros la soirée, tandis qu’au même moment, les grands noms d’Athènes cassent désormais leurs tarifs pour se produire dans notre Grèce profonde. Entre ces deux réalités, nous professionnels reconnus… nous tirons la langue. Mon épouse vient d’ouvrir une petite taverne au village faute d’autre issue face au chômage.”

Dimitri, mon neveu et son bouzouki. Musée Tsitsánis de Trikala. Août 2017

Montagnes thessaliennes. Août 2017

Les bêtes de Stéphanos. Thessalie, août 2017

Animal d’une taverne. Thessalie, août 2017

“Notre petite taverne est ouverte chaque week-end pour l’instant et très peu en semaine, j’y suis souvent, je aide mon épouse, je me fais… musicien, serveur et surveillant de grillades. Sinon, parfois nous acceptons de nous produire à Athènes ou à Thessalonique lorsque seulement nos frais sont payés, c’est-à-dire sans être rémunérés pour notre prestation. Car, comme voyager autrement nous devient alors impossible, ces occasions de sortir de chez sont rares et précieuses. Aussi, pour enfin boire notre café sur la route ; cela-dit, nous nous produisons également de la sorte dans le but d’être mieux connus.”

Nous avons quitté la Thessalie en musique, ayant aussi aperçu hâtivement les bêtes de Stéphanos, mais cette fois, l’ami éleveur était fort occupé. Septembre déjà, les visiteurs du pays, exotiques ou pas, photographient toujours et encore la Garde Evzone devant le “Parlement”, ou ils réalisent parfois de belles poses devant les escaliers en marbre de la vieillie Bibliothèque nationale.

Cependant, très peu nombreux sont ceux qui voudront découvrir la maison de notre poète Yórgos Seféris , et dans ce… dernier quartier du poète, on nourrit un peu l’espoir et autant les animaux adespotes et on le fait même savoir par voie d’affichage face aux… réfractaires: “Nourrir les animaux adespotes est un acte légal par la loi 4039/12 et par la décision de la Cour Suprême 1/13/1631/8.4.13”. Encore heureux, les mémoranda (législation sous la Troïka) ont déjà balayé le droit du travail et les Conventions Collectives avec, mais en fin de compte, nous pouvons encore prendre soin des animaux adespotes, ultime pays réel !

Se faisant photographier à Athènes. Août 2017

Devant le ‘Parlement’. Athènes, août 2017

La maison de Yórgos Seféris. Athènes, août 2017

Pour les animaux adespotes. Athènes, août 2017

‘Nourrir les animaux adespotes est un acte légal’. Athènes, août2017

Septembre alors, la météo s’améliore pour ce qui tient des vents naturellement dominants ; le remorquage du “Blue Star Patmos” pourrait peut-être commencer dans les prochains jours, d’agrès la presse du samedi 2 septembre.

Le pays réel et le pays touristique ne se rencontrent pas forcément. Sauf parfois à bord de certains ferrys ou sinon, devant la condition immanquable des animaux adespotes grecs. Autrement, rentrée médiatique et “politique” dans la foulée des insignifiances.

Grèce… éternelle, rochers et alors écueils. Figues de Septembre !

Jeune animal adespote. Trikala, Thessalie août 2017

* Photo de couverture: Les Météores et leurs monastères. Août 2017

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

E. Toussaint au sujet de Yanis Varoufakis 3eme partie

Série : Le récit de la crise grecque par Yanis Varoufakis : un témoignage accablant pour lui-même

Comment Tsipras, avec le concours de Varoufakis, a tourné le dos au programme de Syriza

Partie 3 par Eric Toussaint

Yanis Varoufakis fait remonter à 2011 sa collaboration avec Alexis Tsipras et son alter ego, Nikos Pappas. Cette collaboration s’élargit progressivement, à partir de 2013, à Yanis Dragasakis (qui est devenu, en 2015, vice-premier ministre). Une constante dans les rapports entre Varoufakis et Tsipras : Yanis Varoufakis plaide en permanence pour modifier l’orientation adoptée par Syriza. Varoufakis affirme que Tsipras-Pappas-Dragasakis veulent eux-mêmes clairement adopter une orientation différente, nettement plus modérée, de celle décidée par leur parti.

La narration faite par Varoufakis ne manque pas de piment. À travers son témoignage, on voit comment, à des étapes très importantes, des choix sont faits dans le dos de Syriza au mépris des principes démocratiques élémentaires.

Varoufakis s’attribue un rôle central et, en effet, il a exercé une influence sur la ligne adoptée par le trio Tsipras-Pappas-Dragasakis. Il est également certain que Tsipras et Pappas ont cherché à construire, en dehors de Syriza, des rapports plus ou moins étroits avec des personnes et des institutions afin de mettre en pratique une politique qui s’est éloignée de plus en plus de l’orientation que Syriza avait faite sienne. Varoufakis n’est pas la seule personne à avoir été contactée mais effectivement, à un moment donné, Tsipras et Pappas ont considéré qu’il était l’homme de la situation pour aller négocier avec les institutions européennes et le FMI.

Début 2011, premiers contacts de Varoufakis avec Tsipras et Pappas

Varoufakis décrit sa première rencontre avec Alexis Tsipras et Nikos Pappas début 2011. Pappas lui avait donné rendez-vous dans un petit hôtel restaurant proche du local de Syriza.

  • « Quand je suis arrivé à l’hôtel, Alexis et Pappas étaient déjà en train de commander leur déjeuner. Alexis avait une voix chaleureuse, un sourire sincère et la poignée de main d’un éventuel ami. Pappas avait un regard plus illuminé et une voix plus haute. […] Il était évident qu’il avait l’oreille du jeune prince et qu’il lui servait à la fois de guide, de frein et d’aiguillon, une impression que j’aurai toujours au fil des années tumultueuses qui suivraient : deux jeunes hommes du même âge mais de tempéraments différents, qui agissaient et pensaient comme un seul homme. |1| »

Varoufakis explique que Tsipras hésitait sur l’orientation à prendre quant à une sortie éventuelle de la zone euro.

  • « Depuis 2011, Syriza était déchiré par les divisions internes face au problème : fallait-il officiellement soutenir le Grexit (quitter la zone euro, mais pas nécessairement l’Union européenne) ? Je trouvais l’attitude d’Alexis face à la question à la fois cavalière et immature. Son objectif était de maîtriser les tendances rivales au sein de son parti plus que de se faire une opinion claire et personnelle. À en juger par les regards complices de Pappas, il était évident qu’il partageait mon point de vue. Il comptait sur moi pour l’aider à empêcher le leader du parti de jongler avec l’idée du Grexit.
  • J’ai fait de mon mieux pour impressionner Alexis et le convaincre que viser le Grexit était une erreur aussi grave que de ne pas s’y préparer du tout. J’ai reproché à Syriza de s’engager à la légère (…). »

Tsipras a soumis à Varoufakis l’idée de menacer les dirigeants européens d’une sortie de la Grèce de la zone euro, en cas de refus de leur part de remettre en cause la politique mémorandaire. Varoufakis lui a répondu qu’il éviter de sortir de la zone euro car il était possible par la négociation d’obtenir une solution favorable à la Grèce, notamment une nouvelle restructuration de sa dette.

Tsipras a répliqué que des économistes renommés, comme Paul Krugman, affirmaient que la Grèce irait bien mieux sans l’euro.

Varoufakis poursuit son récit : « Je lui ai répondu qu’on irait bien mieux si on n’était jamais entrés dans la zone euro, mais ne pas y être entrés était une chose, en sortir était une autre. […] Pour le persuader d’abandonner ce raisonnement paresseux, je lui ai fait le tableau de ce qui nous attendait en cas de Grexit. Contrairement à l’Argentine qui avait renoncé à la parité entre le peso et le dollar, la Grèce n’avait pas de pièces ni de billets à elle en circulation. » Pour le convaincre, Varoufakis fait observer à Tsipras que : « Créer une nouvelle monnaie demande des mois. »

En réalité cet argument qui a été utilisé à de multiples reprises par Varoufakis et d’autres opposants à la sortie de l’euro n’est pas solide. En effet, il était possible d’adopter une nouvelle monnaie en utilisant les billets en euro après les avoir estampillés. Les distributeurs automatiques des banques auraient délivré des billets en euro qui auraient été préalablement marqués d’un sceau. C’est notamment ce que James Galbraith a expliqué dans une lettre à son ami Varoufakis en juillet 2015 |2|.

En réalité, ce que souhaite Varoufakis, c’est convaincre Tsipras qu’il est possible de rester dans la zone euro tout en rompant avec la politique anti sociale appliquée jusque-là : « nous exigerons une renégociation qui impliquera un new deal pour la Grèce et qui nous permettra d’avoir une économie sociale viable au sein de la zone euro ; si l’UE et le FMI refusent de négocier, nous n’accepterons plus le moindre prêt empoisonné payé par les contribuables européens. Et s’ils répliquent en nous poussant hors de l’euro, ce qui aurait un coût considérable pour eux et pour nous, laissez-les choisir la politique du pire. »

Pour Varoufakis, il ne faut donc pas préparer la sortie de la zone euro et s’il faut un jour y passer, cela sera la pire des solutions.

Varoufakis poursuit :

  • « Pappas hochait la tête avec enthousiasme, mais Alexis avait l’esprit ailleurs, jusqu’à ce que je l’oblige à sortir de son silence. Sa réponse m’a confirmé qu’il était davantage préoccupé par les rapports de force au sein de Syriza que prêt à prendre le taureau par les cornes à propos du Grexit. Je ne me suis pas laissé impressionner. Notre rendez-vous arrivait à sa fin, et, au risque de paraître condescendant, je lui ai donné un conseil bienveillant, non sollicité, qui n’avait rien à voir. Il aurait pu le prendre mal.
  • – Alexis, si tu veux être Premier ministre, il faut que tu apprennes l’anglais. Prends des cours, c’est essentiel. »

Quand Varoufakis rentre chez lui, son épouse, Danaé lui demande comment s’est passé le rendez-vous et il répond : « Le type est sympa, mais je ne pense pas qu’il ait la carrure. »

Varoufakis, l’audit de la dette et la suspension du paiement

Dans sa narration des évènements de l’année 2011, Varoufakis ne mentionne à aucun moment l’importante initiative d’audit citoyen de la dette à laquelle il a refusé de participer.

Il est utile de préciser que les positions du CADTM commencent à être connues en Grèce à partir de 2010. Plusieurs interviews sont publiées dans la presse grecque. Par exemple, la revue grecque Epikaira publie une longue interview de moi réalisée par Leonidas Vatikiotis, journaliste et militant politique d’extrême-gauche très actif. J’y explique les causes de l’explosion de la dette publique grecque et en quoi l’expérience de l’Équateur peut être une source d’inspiration pour la Grèce en termes de commission d’audit et de suspension du paiement de la dette. En guise de conclusion, à la question « Que doit faire la Grèce ? », je répondais : « Mon conseil est catégorique : ouvrez les livres de comptes ! Examinez dans la transparence et en présence de la société civile tous les contrats de l’État – des plus grands, comme par exemple ceux des récents Jeux olympiques, jusqu’aux plus petits – et découvrez quelle partie de la dette est le fruit de la corruption, et par conséquent est illégale et odieuse selon le jargon international, et dénoncez-la ! » |3|.

De son côté, dans plusieurs articles largement diffusés en Grèce par la presse imprimée et par les réseaux sociaux, l’économiste Costas Lapavitsas défendait également activement la nécessité de créer une commission d’audit. Dans un de ses papiers, il affirme : « La Commission internationale d’audit pourrait jouer le rôle de catalyseur contribuant à la transparence requise. Cette commission internationale, composée d’experts de l’audit des finances publiques, d’économistes, de syndicalistes, de représentants des mouvements sociaux, devra être totalement indépendante des partis politiques. Elle devra s’appuyer sur de nombreuses organisations qui permettront de mobiliser des couches sociales très larges. C’est ainsi que commencera à devenir réalité la participation populaire nécessaire face à la question de la dette. » (article publié le 5 décembre 2010 par le quotidien Eleftherotypia |4|).

Le 9 janvier 2011, le troisième quotidien grec en termes de tirage (à l’époque), Ethnos tis Kyriakis m’interviewe et titre « Ce n’est pas normal de rembourser les dettes qui sont illégitimes. Les peuples de l’Europe ont aussi le droit de contrôler leurs créanciers » |5|. Le quotidien explique que « Le travail du Comité en Équateur a été récemment mentionné au Parlement grec par la députée Sofia Sakorafa. ».

En effet, Sofia Sakorafa, qui a rompu avec le Pasok quand celui-ci a accepté le mémorandum de 2010, était intervenue en décembre 2010 au parlement pour proposer la création d’une commission d’audit de la dette grecque en s’inspirant de l’expérience équatorienne. Le parlement ne l’avait pas suivie.

Costas Lapavitsas, qui résidait à Londres où il enseignait et dont les positions trouvaient un écho important en Grèce, prend alors contact avec moi et me propose de collaborer au lancement d’une initiative internationale pour la création d’une commission d’audit, ce que j’accepte immédiatement.

Simultanément Giorgos Mitralias du CADTM Grèce prenait contact avec Leonidas Vatikiotis qui était en pointe dans l’activité pour faire avancer sur le terrain en Grèce la création d’une telle commission.

Costas Lapavitsas m’a consulté sur le contenu de l’appel international de soutien à la constitution du comité, j’ai fait quelques amendements. Après quoi, nous avons commencé à chercher des appuis parmi des personnalités susceptibles de nous aider à augmenter l’écho et la crédibilité de cette initiative. Je me suis chargé de collecter un maximum de signatures de personnalités internationales en faveur de la mise en place du comité d’audit. Je connaissais plusieurs d’entre elles depuis des années comme Noam Chomsky avec qui j’étais en contact sur la thématique de la dette depuis 1998, Jean Ziegler, à l’époque rapporteur des Nations unies sur le droit à l’alimentation, Tariq Ali ainsi que de nombreux économistes, …

Dans ma recherche de signatures je n’ai essuyé qu’un seul refus, celui de James Galbraith. Je dialoguais avec lui depuis plusieurs années à l’occasion de conférences sur la globalisation financière où nous nous retrouvions. Plus tard, j’ai reçu une partie de l’explication de ce refus, lorsque Yanis Varoufakis a expliqué publiquement pourquoi il refusait de souscrire à l’appel de la création de la commission d’audit |6|. Il raconte qu’il a été contacté par Galbraith qui lui demandait s’il fallait signer cet appel ou non. Il déclare qu’il lui a recommandé de ne pas le faire. Dans cette longue lettre, Y. Varoufakis justifie son refus de soutenir la création du comité citoyen d’audit (ELE). Il déclare que si la Grèce suspendait le paiement de la dette, elle devrait sortir de la zone euro et se retrouverait du coup à l’âge de pierre. Varoufakis explique que, par ailleurs, les personnes qui ont pris cette initiative sont bien sympathiques et bien intentionnées et qu’en principe, il est favorable à l’audit mais que dans les circonstances dans lesquelles la Grèce se trouve, celui-ci n’est pas opportun. Dans ce long texte, Varoufakis donne également son avis critique sur le documentaire Debtocracy.

En mars 2011 était lancé le comité grec d’audit de la dette (ELE). C’est le résultat de gros efforts de convergence entre des personnes qui se connaissaient à peine ou pas du tout quelques semaines ou mois auparavant. Le processus de création a été stimulé par l’ampleur de la crise en Grèce.

Le documentaire Debtocracy diffusé à partir d’avril 2011 et dans lequel Hugo Arias (économiste équatorien qui a été l’un des principaux animateurs de la commission d’audit créée en 2007 par le président Rafael Correa) et moi-même intervenons longuement, a permis de donner un très grand écho à la proposition d’audit citoyen de la dette et à la nécessité et au bienfondé d’annuler la partie illégitime et odieuse de celle-ci |7|. Dans les 6 premières semaines de la sa diffusion sur internet, Debtocracy a été téléchargé par plus d’un million et demi de Grecs.

Parmi les personnalités grecques qui ont signé l’appel en 2011, on retrouve Euclide Tsakalotos (devenu ministre des finances du gouvernement Tsipras, en remplacement de Yanis Varoufakis, à partir de début juillet 2015, il a gardé ce portefeuille ministériel dans le deuxième gouvernement Tsipras mis en place fin septembre 2015), Panagiotis Lafazanis (un des principaux dirigeants de la plate-forme de gauche dans Syriza, ministre de l’énergie dans le gouvernement Tsipras entre janvier et le 16 juillet 2015, leader de l’Unité populaire, créée fin août 2015 par le secteur qui a quitté Syriza en s’opposant au 3e mémorandum), Nadia Valavani (membre également de la plate-forme de gauche, vice-ministre des finances du 27 janvier au 15 juillet 2015, membre également de l’Unité populaire), Sofia Sakorafa (élue eurodéputée Syriza en mai 2014 et siégeant comme indépendante depuis septembre 2015 car en désaccord avec la capitulation), Georges Katrougalos (vice-ministre de la réforme administrative de janvier 2015 à juillet 2015, devenu ensuite ministre du travail à partir de août 2015, reconduit dans les mêmes fonctions dans le cadre du 2e gouvernement formé par Alexis Tsipras. A partir de novembre 2016, il a occupé la fonction de vice-ministre des affaires étrangères), Notis Maria (élu eurodéputé en mai 2014 sur la liste du parti souverainiste de droite Anel, siégeant comme indépendant depuis janvier 2015).

Varoufakis ne mentionne pas non plus la conférence internationale réalisée à Athènes en mars 2011 par Synaspismos (la principale composante de Syriza présidée par Alexis Tsipras) et par le Parti de la Gauche européenne, à laquelle il a pourtant lui-même participé. Au cours de cette conférence ont pris la parole Alexis Tsipras, Oskar Lafontaine (ex-ministre social-démocrate des Finances en Allemagne, un des fondateurs de Die Linke), Pierre Laurent (dirigeant du PCF et du Parti de la Gauche Européenne), Mariana Mortagua du Bloc de Gauche au Portugal, Euclide Tsakalotos, Yannis Dragasakis, moi-même et plusieurs autres invités.

À cette conférence, ma communication a porté sur les causes de la crise, l’importance vitale de réduire radicalement la dette par des mesures d’annulation liées à la réalisation d’un audit de la dette avec participation citoyenne |8|.

Il y avait 600 ou 700 participants et plusieurs des communications ont été rassemblées dans un livre publié en anglais par l’institut Nikos Poulantzas sous le titre The Political Economy of Public Debt and Austerity in the EU |9|. Si je mentionne cette conférence, c’est pour indiquer qu’à l’époque, il était évident de mettre au programme une intervention sur la nécessité de l’audit de la dette, thème qui est totalement évacué par Varoufakis, tant dans l’orientation qu’il a défendu que dans la narration de ce qui s’est passé en 2011.

En mai 2011, la conférence internationale d’appui à l’audit citoyen de la dette grecque qui s’est tenue à Athènes a remporté un franc succès, avec l’affluence de près de 3 000 personnes réparties sur les 3 jours. Le CADTM faisait partie des organisations qui ont convoqué cette réunion. Pendant cette conférence, j’ai coordonné le premier panel de discussion auquel ont participé notamment Nadia Valavani |10|, qui est devenue plus tard vice-ministre des Finances du gouvernement Tsipras 1, et Leonidas Vatikiotis. Le CADTM avait contribué, avec les organisateurs grecs et d’autres mouvements non grecs, à convaincre un nombre significatif d’organisations d’Europe de soutenir la conférence et d’adopter collectivement une déclaration qui garde toute sa valeur (voir encadré).

Déclaration de la Conférence d’Athènes sur la dette et l’austérité adoptée en mai 2011 (extraits)Nous appelons à soutenir :

• L’audit démocratique des dettes comme un pas concret en direction de la justice en matière d’endettement. Les audits de la dette avec participation de la société civile et du mouvement syndical, tels que l’Audit citoyen de la dette au Brésil, permettent d’établir quelle part de la dette publique sont illégales, illégitimes, odieuses ou simplement insoutenables. Ils offrent aux travailleurs/euses les connaissances et l’autorité nécessaires au refus de payer la dette illégitime. Ils encouragent également la responsabilité, la reddition de comptes et la transparence dans l’administration du secteur public. Nous exprimons notre solidarité avec les audits en Grèce et en Irlande et nous tenons prêts à y apporter notre aide en termes pratiques.

• Des réponses souveraines et démocratiques à la crise de la dette. Les gouvernements doivent répondre en premier lieu à leur peuple, et non aux institutions de l’UE ou au FMI. Les peuples de pays comme la Grèce doivent décider quelles politiques sont à même d’améliorer leurs chances de reprise et de satisfaire leurs besoins sociaux. Les États souverains ont le pouvoir d’imposer un moratoire sur le remboursement si la dette détruit les moyens de subsistance des travailleurs/euses. L’expérience de l’Équateur en 2008-9 et de l’Islande en 2010-11 montre qu’il est possible de donner des réponses radicales et souveraines au problème de la dette, y compris en répudiant sa part illégitime. La cessation de paiements justifiée par l’état de nécessité est même reconnue légale par des résolutions de l’ONU.

• Une restructuration économique et une redistribution, pas d’endettement. La domination des politiques néolibérales et le pouvoir de la finance internationale ont mené à une croissance faible, des inégalités croissantes, et à des crises majeures tout en sapant les processus démocratiques. Il est impératif de changer les fondements des économies par des programmes de transition qui comprennent le contrôle sur les capitaux, une régulation stricte des banques et même leur transfert au secteur public, des politiques industrielles qui reposent sur des investissements publics, le contrôle public des secteurs stratégiques de l’économie et le respect de l’environnement. Le premier objectif doit être de protéger et d’augmenter l’emploi. Il est aussi crucial que les pays adoptent des politiques redistributives radicales. La base d’imposition doit être étendue et devenir plus progressive en taxant le capital et les riches, permettant ainsi la mobilisation de ressources internes comme alternative à l’endettement. La redistribution doit aussi inclure la restauration des services publics de santé, d’éducation, de transport et des retraites ainsi que renverser la pression à la baisse sur les salaires.

Il s’agit là des premiers pas vers la satisfaction des besoins et aspirations des travailleurs/euses, mesures qui par ailleurs renverseraient le rapport de forces au détriment du grand capital et des institutions financières. Elles permettraient aux peuples d’Europe, et plus largement du monde entier, de maîtriser davantage leurs moyens de subsistance, leurs vies et le processus politique. Elles offriraient également de l’espoir à la jeunesse d’Europe dont l’avenir semble aujourd’hui bien sombre, avec peu d’emplois, des salaires bas et l’absence de perspectives. Pour ces raisons, soutenir la lutte contre la dette en Grèce, en Irlande, au Portugal et dans d’autres pays d’Europe est dans l’intérêt des travailleurs/euses, où qu’ils/elles se trouvent.

Athènes, le 8 mai 2011

La déclaration est signée par : Initiative pour une Commission d’audit grecque (ELE)
European Network on Debt and Development (Eurodad)
Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde (CADTM)
The Bretton Woods Project, Grande-Bretagne
Research on Money and Finance, Grande-Bretagne
Debt and Development Coalition Irlande
Afri – Action from Ireland
WEED – World Economy Environment Development, Allemagne
Jubilee Debt Campaign, Grande-Bretagne
Observatorio de la Deuda en la Globalización, Espagne

Source : http://www.cadtm.org/Declaration-de-la-Conference-d

Lors d’une discussion que Varoufakis et moi avons eue le 9 novembre 2016 à Athènes |11|, je lui ai demandé pourquoi il n’avait pas soutenu l’initiative d’audit citoyen de la dette à partir de 2011. Il m’a répondu que cette initiative n’était pas bonne car elle remettait en cause la légitimité et la légalité de la dette. Selon lui, il n’y avait pas lieu de remettre en cause la légalité ou la légitimité de la dette grecque.

Varoufakis a adopté une position d’économiste borné qui ne voit la dette qu’en termes de soutenabilité financière et d’accès aux sources de financement. Il n’a pas du tout saisi l’importance de l’audit citoyen. Alors que dans son livre il insiste sur l’importance du mouvement d’occupation des places qui a eu lieu en juin-juillet 2011 en Grèce, il ne s’est pas aperçu de l’écho que l’initiative d’audit citoyen a obtenu au cours de ce puissant mouvement.

J’ai donc été témoin direct du refus de Varoufakis de soutenir l’audit citoyen en 2011 et j’ai constaté sa capacité à convaincre James Galbraith de ne pas signer l’appel international que nous avions lancé avec Costas Lapavitsas. Après avoir lu attentivement le livre de Varoufakis, je suis convaincu qu’il est intervenu activement pour convaincre Tsipras, au moins à partir de mai-juin 2012, d’abandonner le soutien à l’audit de la dette et à la revendication de la suspension du paiement de la dette pendant la réalisation de l’audit.

Au sein de la direction de Syriza et des conseillers économiques de Tsipras, plusieurs personnes clés étaient également opposées à l’audit de la dette et à la suspension de paiement. Yannis Dragasakis, un des responsables de Syriza en matière économique (devenu vice-premier ministre dans les gouvernements Tsipras I et II) n’y était pas favorable, il l’avait déclaré à Giorgos Mitralias lorsque celui-ci avait tenté de le convaincre dès 2010 de soutenir la perspective de la création d’une commission d’audit. Georges Stathakis de l’équipe d’économistes qui entourait Tsipras avait, de son côté, déclaré à la presse qu’il n’y avait pas de quoi soulever la question de la dette odieuse dans le cas de la Grèce car la partie odieuse ne représentait pas plus de 5 % de la dette totale. Stathakis est ministre de l’Economie du gouvernement Tsipras II.

Fin 2011, renforcement de la collaboration de Varoufakis avec Tsipras et Pappas

Fin 2011, Varoufakis a été recontacté par Pappas pour avoir un nouvel entretien.

  • « Ce deuxième rendez-vous, comme ceux qui allaient suivre, m’a surpris en bien : Alexis était transformé. Finies la complaisance, les luttes internes de Syriza qui l’obsédaient et la désinvolture vis-à-vis du Grexit. Il avait fait ses devoirs […]. Il m’a même annoncé fièrement qu’il avait engagé un professeur d’anglais et progressait. […] L’avantage le plus évident de ces discussions fut la clarification et la mise au point de notre objectif commun. »

2012, Varoufakis aide Tsipras à trouver un écho dans le milieu démocrate aux États-Unis

Varoufakis, alors qu’il travaillait aux États-Unis, a tenté d’ouvrir des portes à Tsipras dans les milieux Démocrates.

Varoufakis explique que son séjour au Texas « [lui] a aussi permis de construire un pont entre Washington et [ses]nouveaux amis de Syriza, qui n’étaient pas des alliés naturels des États-Unis. » Il explique : « Comme il y avait des chances qu’un gouvernement Syriza provoque un affrontement violent avec l’Allemagne, la Commission européenne et la BCE, la dernière chose dont Alexis et Pappas avaient besoin était de se retrouver face à une administration américaine hostile. De 2012 à 2015, grâce à l’aide de Jamie Galbraith et à son réseau, j’ai tout fait pour convaincre les leaders d’opinion américains et l’administration Obama qu’ils n’avaient rien à craindre d’un éventuel gouvernement Syriza, dont la priorité serait de libérer la Grèce d’une dette écrasante. »

Varoufakis contre le programme électoral de Syriza de mai-juin 2012

Varoufakis résume sa position :

  • « Je voulais que Syriza présente un programme simple, progressiste, pro-européen, cohérent et non populiste, un socle sur lequel on pourrait bâtir l’image d’un gouvernement crédible, qui négocierait un autre plan avec l’UE et le FMI. Alexis et Pappas inclinaient vers un programme politique différent, qui optimisait les gains électoraux à court terme aux dépens (d’après moi) d’une cohérence logique à long terme. En 2012, quand j’ai découvert la partie politique économique du manifeste électoral de Syriza, j’étais tellement irrité que je ne suis pas allé jusqu’au bout. Le lendemain, un journaliste de la télévision grecque m’a demandé de le commenter. J’ai dit que j’aurais tendance à soutenir Syriza, mais je ne voterais pour eux que si je pouvais modifier le programme économique. »

Que contenait le programme électoral de Syriza qui irritait tant Varoufakis ?

Le programme de Syriza en 40 points pour les élections du 6 mai 2012

Le programme de Syriza était clairement radical, il contenait une quarantaine de points. Le premier point portait sur la dette et était libellé comme suit : Audit de la dette publique, renégociation des intérêts à payer et suspension des paiements jusqu’à ce que la croissance économique et la création d’emplois aient repris.

Parmi les autres mesures, on peut mettre en exergue, à côté d’une série de mesures d’urgence pour faire face à la crise humanitaire : l’augmentation de l’impôt sur le revenu à 75 % de prélèvement sur tous les revenus supérieurs à 500 000 euros ; l’augmentation des impôts sur les grandes entreprises ; l’abolition des privilèges financiers de l’Église et des armateurs ; la réduction drastique des dépenses militaires ; l’augmentation du salaire minimum afin de le ramener au niveau d’avant le mémorandum de 2010 (soit 750 euros par mois) ; l’utilisation des bâtiments du gouvernement, des banques et de l’Église pour les sans-abri ; la nationalisation des banques ; la nationalisation des entreprises publiques qui ont été privatisées dans des secteurs stratégiques pour la croissance du pays ; des mesures pour restaurer les droits des travailleurs et les améliorer ; l’adoption de réformes constitutionnelles pour garantir la séparation de l’Église et l’État ; la réalisation de référendums sur les traités et autres accords avec l’Europe ; l’abolition des privilèges pour les députés ; la suppression de l’immunité pour les ministres et l’autorisation pour les tribunaux d’engager des poursuites contre des membres du gouvernement ; des mesures de protection des réfugiés et des migrants ; l’augmentation du financement de la santé publique de manière à l’amener à la moyenne européenne (la moyenne européenne est de 6 % du PIB tandis qu’en Grèce elle était de 3 %) ; la gratuité des soins de santé publics nationaux ; la nationalisation des hôpitaux privés ; l’élimination de la participation du secteur privé dans le système national de santé ; le retrait des troupes grecques de l’Afghanistan et des Balkans ; l’abolition de la coopération militaire avec Israël ; le soutien à la création d’un État palestinien dans les frontières de 1967 ; la négociation d’un accord stable avec la Turquie et last but not least : la fermeture de toutes les bases étrangères en Grèce et retrait de l’OTAN |12|.

Avec ce programme, Syriza, qui ajoute le mot d’ordre « Pas de sacrifice pour l’euro », voit multiplier par 4 son résultat électoral entre 2009 et mai 2012, passant de 4 % à 16 %.

Le programme de Syriza de 2012 est tout à fait intéressant et utile. Il contient les principales mesures à mettre effectivement en pratique.

Il y avait néanmoins des points faibles :

- Il n’y a pas de hiérarchisation dans les 40 points, or il s’agit d’avancer ce qu’un gouvernement fera en premier (disons dans les 100 ou les 200 premiers jours). Le programme n’est pas présenté de manière opérationnelle. Or il est important de présenter une feuille de route précisant comment ce gouvernement prévoyait de réaliser les objectifs fixés. Dans ce cas, il est aussi important de présenter un plan A et un plan B. Le plan A est le premier qui sera appliqué et le plan B est une solution de recours si plusieurs obstacles empêchent la réalisation du plan A. Exemple : le plan A propose une réduction très importante de la dette passant par un accord à l’amiable avec les créanciers (c’est ce que proposait le programme de Thessalonique adopté en 2014 – voir plus loin). Si les créanciers du pays refusent cette réduction radicale de la dette, il s’agit de dire dans les grandes lignes ce que ferait le gouvernement dans le cadre d’un plan B (suspension du paiement de la dette, audit de la dette à participation citoyenne, mesures ciblées de répudiation de dette – voir plus loin).

- On y affirme la nécessité de réformes constitutionnelles, mais sans dire s’il faut convoquer des élections générales pour élire une assemblée constituante. Or, se prononcer sur la manière de réaliser des réformes constitutionnelles est très important. Ce n’est pas du tout la même chose de trouver une majorité qualifiée à l’intérieur du parlement tel qu’il est constitué que de d’initier une démarche ouverte à toute la société en passant par la convocation d’une assemblée constituante.

Les élections de mai 2012 en Grèce ne permettent pas à un parti ou à une coalition de partis de constituer un gouvernement, ce qui conduit à de nouvelles élections dès le mois de juin 2012. Entre les deux élections, Tsipras avance 5 propositions concrètes pour entamer des négociations avec les partis opposés à la Troïka (sauf Aube dorée qui, bien qu’opposé au mémorandum, est exclu) : 1. l’abolition de toutes les mesures antisociales (y compris les réductions des salaires et des retraites) ; 2. l’abolition de toutes les mesures qui ont réduit les droits des travailleurs en matière de protection et de négociation ; 3. l’abolition immédiate de l’immunité des parlementaires et la réforme du système électoral ; 4. un audit des banques grecques ; 5. la mise sur pied d’une commission internationale d’audit de la dette combinée à la suspension du paiement de la dette jusqu’à la fin des travaux de cette commission.

Lors des élections de juin 2012, Syriza a obtenu 26,5 % des voix avec cette orientation radicale que remettait en cause Varoufakis.

Malgré le désaccord de Varoufakis avec le programme de Syriza de 2012, Tsipras et Pappas lui demandent de rédiger un programme de gouvernement

Entre les deux élections, Varoufakis a été recontacté par Pappas et une nouvelle rencontre a lieu avec Tsipras. Pappas lui déclare :

  • « – Tu te rends compte, que, si on gagne, c’est toi qui va mener les négociations avec l’UE et le FMI ! »

Pappas demande à Varoufakis de préparer un document expliquant les grandes lignes de la meilleure stratégie de négociation au cas où Syriza remporterait les élections le 17 juin, trois semaines plus tard.
Varoufakis se met au travail le soir même et il développe l’idée que le capital des banques grecques doit passer sous contrôle européen.

Selon Varoufakis, il convenait de transformer « les contribuables européens en propriétaires des banques grecques : de facto les banques ne seraient plus sous la responsabilité de l’Etat, mais soutenues par le peuple européen ; et en demandant aux institutions européennes de les gérer pour eux. C’était la seule façon de restaurer la confiance dans les banques. » Comme indiqué dans la première partie de cette série, en proposant de transférer à l’UE les actions détenues par les pouvoirs publics grecs dans les banques du pays, Varoufakis réalisait un pas supplémentaire et dramatique vers l’abandon complet de souveraineté.

Selon Varoufakis, cela faciliterait la restructuration de la dette publique.

Il ajoutait une seconde proposition : « Deuxièmement, tout remboursement de la dette à l’UE et au FMI devait être soumis à une condition : que la relance du pays soit un minimum avérée. C’était la seule façon de permettre à l’économie nationale de redémarrer. »

Il est important de préciser que pour Varoufakis la suspension du paiement de la dette envisagée plus haut fait partie de la négociation. Cette suspension devait être autorisée par les créanciers et ne pas constituer un acte souverain. Varoufakis poursuit l’évocation de sa chimère : « S’ils étaient activés de concert, ces deux leviers de restructuration annonceraient une nouvelle ère : l’UE et le FMI ne seraient plus comme Ebenezer Scrooge, l’avare du Conte de Noël de Dickens. Ce seraient de vrais partenaires, engagés à promouvoir le rétablissement de la Grèce, sans lequel leurs prêts de renflouement seraient de toute façon largement décotés. »

Au lieu de suspendre unilatéralement le paiement de la dette, Varoufakis propose de refuser tout nouveau crédit : « si vous êtes prêts à proposer des conditions raisonnables et sensées, tout en refusant de nouveaux prêts […], l’UE et le FMI accepteront de s’asseoir autour d’une table avec vous – ça leur coûtera trop cher de refuser, financièrement et politiquement. »

Tsipras dubitatif face à la proposition de Varoufakis concernant les banques grecques

  • « – Tu voudrais que j’annonce qu’on file les banques grecques aux étrangers ? Comment veux-tu que je vende ça à Syriza ? » lui a demandé Tsipras au cours d’une rencontre ultérieure au QG du parti.
  • « – C’est exactement ce que tu dois faire. » (…)
  • Alexis a pigé. Ce qui ne veut pas dire que l’idée lui plaisait. D’autant que le comité central de Syriza penchait naturellement vers la nationalisation des banques. »
  • Tsipras objecta quand même qu’ « un gouvernement qui n’aurait aucun pouvoir sur les banques commerciales opérant en Grèce ne pourrait jamais mettre en œuvre une politique industrielle ni un plan de développement et de reconstruction. Comment faire avaler la pilule au comité central ? »
  • Varoufakis, voyant que Tsipras « avait marqué un point », rétorqua : « Comme nous sommes de vrais internationalistes et de vrais Européens progressistes, nous arracherons les banques en faillite aux Grecs corrompus pour les confier aux Européens ordinaires, aux citoyens qui injectent leur argent dans ces banques. »

Les contacts décrits par Varoufakis ont eu lieu après les élections générales qui se sont tenues le 6 mai 2012.

Vu l’impossibilité de constituer un gouvernement, de nouvelles élections générales ont été convoquées pour le 17 juin 2012.

Varoufakis explique que, lorsqu’il prend connaissance du discours de Tsipras du 24 mai dans lequel celui-ci détaille la politique économique de Syriza, il se rend compte qu’un abîme sépare ce qui était proposé et ce qui pouvait être concrètement mis en œuvre dans la zone euro. « Dans l’heure qui a suivi, j’ai envoyé un mail cuisant à Alexis et Pappas en soulignant tous les défauts de construction de leurs promesses […]. »

Tsipras prend un tournant à droite qui le rapproche un peu plus de Varoufakis après les élections de mai – juin 2012

J’apporte ma contribution au récit de Varoufakis sur la base du contact direct que j’ai eu avec Tsipras en octobre 2012.

En l’espace de quelques mois, l’engagement à réaliser un audit de la dette et à suspendre le paiement pendant sa réalisation a progressivement disparu du discours de Tsipras et des autres dirigeants de Syriza. Cela s’est fait discrètement et la cinquième mesure proposée par Tsipras en mai 2012 a été remplacée par la proposition de réunir une conférence européenne pour, notamment, réduire la dette grecque.

Au cours d’une entrevue avec Tsipras, début octobre 2012, mes doutes sur son changement d’orientation ont été confirmés. Deux jours avant, le Wall Street Journal avait publié les notes secrètes de la réunion du FMI du 9 mai 2010 qui indiquaient explicitement qu’une dizaine de membres de la direction du FMI (comprenant 24 membres) était contre le Mémorandum en assumant que cela n’allait pas marcher, parce que c’était un sauvetage des banques françaises et allemandes et non un plan d’aide à la Grèce. J’ai dit à Tsipras et à son conseiller économique : « Vous avez là un argument en béton pour aller contre le FMI, parce que si on a la preuve que le FMI savait que son programme ne pouvait pas marcher et savait que la dette ne serait pas soutenable, on a le matériau permettant de porter le fer sur l’illégitimité et l’illégalité de la dette. » Tsipras m’a répondu : « Mais écoute… le FMI prend ses distances par rapport à la Commission européenne. » J’ai bien vu qu’il avait en tête que le FMI pourrait être un allié de Syriza au cas où Syriza accéderait au gouvernement.

J’ai également dit à Tsipras que j’avais constaté qu’il ne parlait plus des cinq propositions qu’il avait avancées comme prioritaires après les élections de mai 2012 et que la question de l’audit n’était plus mise en avant. Il m’a répondu sans conviction qu’il maintenait ces cinq propositions et qu’il ne fallait pas s’en faire là-dessus.

Le lendemain, Tsipras et moi avons donné une conférence publique devant 3 000 personnes lors du premier festival de la jeunesse de Syriza. Je me suis rendu compte que mon discours qui insistait sur la nécessité d’adopter une orientation radicale à l’échelle européenne n’était pas apprécié par lui |13|.

Je suis convaincu que c’est après les élections de mai-juin 2012 que Tsipras et Pappas ont vraiment fait le choix de miser sur Varoufakis pour faire partie d’un gouvernement. Jusque-là, ils le rencontraient pour puiser des idées et ensuite réfléchir tous les deux sur la façon de s’émanciper des décisions de Syriza.

Varoufakis revient sur sa collaboration avec Tsipras et Pappas début 2013

Varoufakis raconte qu’il a rédigé le discours que Tsipras a prononcé à la Brookings Institution, un think tank basé à Washington, assez proche des Démocrates. Varoufakis résume le discours en deux points. Premièrement, Syriza était un parti pro-européen qui ferait tout pour que la Grèce reste dans la zone euro ; pour rester dans la zone euro et pour que celle-ci survive, il fallait un nouveau plan dont la priorité des priorités était la restructuration de la dette, suivie par des réformes qui mineraient l’emprise de l’oligarchie grecque sur l’économie. Deuxièmement, les États-Unis n’avaient rien à craindre de la politique économique ou étrangère d’un éventuel gouvernement Syriza.

Cette orientation défendue par Varoufakis et assumée par Tsipras était clairement en opposition au programme de Syriza qui promettait la sortie de la Grèce de l’Otan.

Varoufakis rencontre l’équipe des économistes de Syriza en mai 2013

En mai 2013, à Athènes, Varoufakis fait connaissance avec l’équipe d’économistes de Tsipras.

  • « Outre Pappas et Dragasakis, ministre des Finances fantôme, elle comprenait deux autres députés Syriza que je connaissais et que j’aimais bien : Euclide Tsakalotos, collègue et ami de l’Université d’Athènes, et George Stathakis, professeur d’économie de l’Université de Crète. »

Il explique qu’il leur a soumis la proposition de programme que Tsipras lui avait demandée.

  • « Ils étaient tous en ébullition, ce qui montrait que j’avais réussi à dissuader Alexis de viser le Grexit et de le brandir comme une menace. J’ai perdu beaucoup d’amis de la gauche au sens large et de Syriza, qui ne m’ont jamais pardonné d’avoir contribué à exclure le Grexit des objectifs de Syriza. En revanche, la garde rapprochée des économistes d’Alexis avait à cœur de trouver une solution viable au sein de la zone euro. »

Une nouvelle « conférence de Londres » ? L’espoir de coopération internationale versus « l’action souveraine unilatérale »

Je reviens avec un témoignage personnel qui a trait à la deuxième réunion de travail que j’ai eue avec Tsipras. Elle s’est déroulée à Athènes fin octobre dans son bureau de député dans l’enceinte du parlement grec. Une des initiatives que souhaitait prendre Alexis Tsipras était de convoquer une grande conférence internationale sur la réduction de la dette à Athènes en mars 2014. Tsipras, sous la pression de Sofia Sakorafa, qui était députée Syriza depuis 2012, m’a rencontré une nouvelle fois en octobre 2013 et m’a demandé de contribuer à la tenue d’une telle conférence en convaincant une série de personnalités internationales de répondre positivement à l’invitation. J’ai dressé une liste de participants et nous en avons discuté avec Alexis Tsipras, Sofia Sakorafa et Dimitri Vitsas, secrétaire général de Syriza à l’époque. J’avais proposé d’inviter à cette conférence des personnalités comme Rafael Correa, Diego Borja (ex-directeur de la Banque centrale de l’Équateur), Joseph Stiglitz, Noam Chomsky, Susan George, David Graeber, Naomi Klein… ainsi que des membres de la commission d’audit de la dette équatorienne qui avaient travaillé avec moi en 2007 et 2008. J’ai remarqué que sur la liste que j’avais dressée, Rafael Correa ne l’intéressait pas du tout. Par contre, il aurait voulu l’ex-président du Brésil, Lula, et la présidente de l’Argentine, Cristina Fernandez. Pour lui, l’Équateur, c’était trop radical. Et, bien sûr, il voulait Joseph Stiglitz et James Galbraith, ce qui était justifié. Mais, dans sa tête, ce n’était pas du tout pour créer une commission d’audit, c’était pour convoquer les différents pays membres de l’Union européenne à une conférence européenne sur la dette, à l’image de l’accord de Londres de 1953, lorsque les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale ont concédé une réduction de dette très importante à l’Allemagne de l’Ouest et des conditions de remboursement très avantageuses. Je lui ai dit qu’il n’y avait aucune chance que cela se réalise. Comme dirigeant de Syriza, il avait parfaitement la légitimité d’avancer ce plan A, mais il était impensable que Draghi, Hollande, Merkel, Rajoy y consentent. Je lui ai dit qu’il fallait un plan B, dans lequel il devait y avoir la commission d’audit. Je l’ai également déclaré dans la presse grecque. Voici un extrait de mon interview que le Quotidien des Rédacteurs, proche de Syriza, a publié en octobre 2014 quasiment le jour où la réunion avec Tsipras a eu lieu. Le journaliste m’avait demandé ce que je pensais de la conférence européenne sur la dette que proposait Alexis Tsipras en se basant sur la conférence de Londres de 1953 et j’ai répondu : « Il s’agit donc d’une demande légitime […] mais vous ne pourrez pas convaincre les gouvernements des principales économies européennes et les institutions de l’UE de le faire. Mon conseil est le suivant : la dernière décennie nous a montré qu’on peut arriver à des solutions équitables en appliquant des actes souverains unilatéraux. Il faut désobéir aux créanciers qui réclament le paiement d’une dette illégitime et imposent des politiques qui violent les droits humains fondamentaux, lesquels incluent les droits économiques et sociaux des populations. Je pense que la Grèce a de solides arguments pour agir et pour former un gouvernement qui serait soutenu par les citoyens et qui explorerait les possibilités dans ce sens. Un tel gouvernement populaire et de gauche pourrait organiser un comité d’audit de la dette avec une large participation citoyenne, qui permettrait de déterminer quelle partie de la dette est illégale et odieuse, suspendrait unilatéralement les paiements et répudierait ensuite la dette identifiée comme illégitime, odieuse et/ou illégale |14|. »

Finalement, Alexis Tsipras m’a proposé de préparer avec lui et Pierre Laurent, président à l’époque du Parti de la Gauche européenne, une conférence européenne dont un des thèmes serait la dette. Elle devait se tenir en mars 2014 à Athènes. Cela ne s’est pas concrétisé car, lors d’une réunion tenue en décembre 2013 à Madrid, le Parti de la Gauche européenne a décidé de convoquer une conférence à Bruxelles, à la place d’Athènes, au printemps 2014.

Lors de cette conférence de Bruxelles qui a eu très peu de répercussions et où étaient présents entre autres Alexis Tsipras, Pierre Laurent ainsi que Gabi Zimmer (membre de Die Linke et présidente du groupe parlementaire de la GUE/NGL au parlement européen), j’ai participé comme conférencier à un panel avec Euclide Tsakalotos qui allait devenir le ministre des Finances d’Alexis Tsipras à partir de juillet 2015 |15|. Je me suis rendu compte dès ce moment que Tsakalotos n’était absolument pas favorable à un plan B portant sur la dette, les banques, la fiscalité. Son plan était de négocier à tout prix avec les institutions européennes pour obtenir une réduction de l’austérité sans recourir à la suspension de paiement de la dette et à l’audit. Lors de cette conférence, j’ai de nouveau argumenté en faveur d’un plan B qui devait inclure l’audit et la suspension de paiement de la dette.

La discussion sur la nécessité d’un plan B ne date donc pas de 2015, elle remonte clairement aux années 2013-2014. Le noyau dirigeant autour de Tsipras a décidé d’exclure la préparation d’un plan B et s’est accroché à un plan A irréalisable.

Revenons au récit présenté par Varoufakis. Quelques jours après la rencontre que j’ai eue fin octobre à Athènes avec Tsipras, celui-ci s’est rendu au Texas à un séminaire organisé par Varoufakis et son ami et collègue James Galbraith.

Novembre 2013, Varoufakis organise la venue de Tsipras à l’université Lyndon B. Johnson à Austin, au Texas

  • « En novembre 2013, Jamie et moi avons organisé un colloque de deux jours à l’Université du Texas sur le thème « La zone euro peut-elle être sauvée ? » Alexis, Pappas et Stathakis, très attendus, devaient intervenir. Le but était de présenter les trois dirigeants de Syriza à quelques figures des élites européenne et américaine, à des dirigeants de syndicats, des universitaires et des journalistes. […]
  • Au cours du colloque, Pappas et lui ont assisté à un débat particulièrement houleux entre ma pomme et Heiner Flassbeck, un économiste allemand de gauche, ancien ministre des Finances du gouvernement Schroeder. Flassbeck affirmait qu’il était impossible de libérer la Grèce de sa prison pour dettes tout en la maintenant dans la zone euro. Un gouvernement Syriza devait viser le Grexit, disait-il, en tout cas c’était la meilleure menace à brandir contre ses créanciers – c’était d’ailleurs le point de vue de la Plateforme de gauche, une faction de Syriza qui comptait parmi ses membres un tiers du comité central du parti. Ce jour-là, à Austin, j’ai acquis la conviction qu’Alexis n’était pas d’accord avec cette analyse ; si quelqu’un menaçait le pays du Grexit, ça devait être la troïka, pas Syriza. »

Juin 2014, nouvelle rencontre avec l’équipe des économistes de Tsipras

« Ce mois de juin 2014, rentré en Grèce pour les vacances d’été, j’ai retrouvé Alexis et sa petite bande d’économistes pour les prévenir qu’une nouvelle menace se profilait. » Varoufakis explique qu’il les a mis en garde contre l’action que la BCE comptait mener à partir de début 2015 : fermer le robinet des liquidités aux banques de certains pays de la zone euro et ne leur ouvrir que le robinet des liquidités d’urgence. Cela visait notamment la Grèce.

  • « Deux jours plus tard, j’ai eu un nouveau rendez-vous avec Alexis et Pappas.
  • – Tu te rends compte que tu es le seul à pouvoir superviser la mise en œuvre de la stratégie que tu proposes ? m’a demandé Pappas. Tu es prêt ? »
  • Varoufakis continue : « Une semaine plus tard, Wassily Kafouros, un ami que j’avais connu quand j’étais étudiant en Angleterre, a semé de nouveaux doutes dans mon esprit. D’après lui, j’étais la dernière personne à ignorer que Dragasakis était extrêmement proche des banquiers.
  • – Quelle preuve tu as, Wassily ?
  • – Je n’ai pas de preuves mais ça se sait, il est connu pour entretenir d’excellentes relation avec les banquiers, depuis son passage au Parti.
  • Je pensais que c’était une accusation infondée »

Varoufakis montrait clairement sa méconnaissance de Syriza et de ses dirigeants. En effet, Dragasakis avait depuis des années des liens avec les banquiers. Lui-même avait été administrateur d’une banque commerciale de taille moyenne. Il fait en quelque sorte le pont entre Tsípras et les banquiers. Syriza était une formation nouvelle, et donc ses leaders politiques avaient relativement peu d’enracinement dans les sphères étatiques – contrairement, par exemple, au PASOK dont l’histoire est liée à la République et à la gestion des affaires de l’État. Alors qu’avant janvier 2015, parmi les dirigeants de Syriza, aucun n’avait occupé une fonction dans l’État, le seul à avoir été ministre à un moment donné, pendant quelques mois en 1989, était… Dragasakis. Il s’agissait d’un gouvernement de coalition entre le parti de droite Nouvelle démocratie et le Parti communiste (KKE) dont Dragasakis faisait partie à l’époque. Dragasakis était clairement opposé à ce qu’on touche aux intérêts des banques privées grecques, il était également opposé à l’audit de la dette et à une suspension de paiement. Il était favorable au maintien dans la zone euro.

Août 2014, les doutes sur Dragasakis et la volonté de changer le programme de Syriza

En août 2014, Varoufakis finit par faire part de ses doutes sur Dragasakis.

  • « – Ecoute, Alexis, j’ai entendu dire que Dragasakis est extrêmement proche des banques. Et, plus généralement, qu’il ferait semblant de trouver une issue, alors qu’il cherche à maintenir le statu quo.
  • Il ne m’a pas répondu tout de suite. Il a regardé au loin vers le Péloponnèse avant de se retourner en lâchant :
  • – Non, je ne pense pas. C’est bon.
  • J’étais déconcerté par son laconisme. Est-ce parce qu’il avait aussi des doutes mais préférait croire à la probité d’un camarade plus âgé ? Était-ce une façon d’ignorer ma question ? Aujourd’hui encore je ne sais pas. Sur le moment il m’a dit que je n’avais pas le choix : de toute façon, je serais amené à jouer un rôle essentiel dans les négociations. »

Varoufakis confirme que Tsipras peut compter sur lui mais pose une condition : il veut pouvoir intervenir dans l’élaboration du programme économique de Syriza avant les élections. Tsipras accepte.

Varoufakis : contre le programme de Thessalonique de septembre 2014

« Un mois plus tard, j’étais à Austin quand j’ai entendu aux informations qu’Alexis avait présenté les grandes lignes de la politique économique de Syriza dans un discours à Thessalonique. Surpris, je me suis procuré le texte et je l’ai lu. Une vague de nausée et d’indignation m’a submergé. » Varoufakis fait une déclaration publique pour critiquer durement le programme et s’attend à ce que cela mette fin à la collaboration avec Tsipras.

Coup de théâtre, Pappas lui téléphone, gai comme un pinson, comme si de rien n’était en lui proposant une nouvelle rencontre. Varoufakis exprime son étonnement et Pappas lui répond : « – Arrête, ça ne change rien. Le Programme de Thessalonique était un cri de ralliement pour nos troupes. Pas plus. On compte sur toi pour mettre en forme le vrai programme économique de Syriza. » Varoufakis consent dans ces conditions à poursuivre la collaboration et finira par accepter de devenir ministre des Finances. Il explique qu’à la réunion au cours de laquelle il a donné son accord, l’échange suivant a eu lieu :

  • « – Comme vous le savez, j’ai de sérieuses réserves sur le Programme de Thessalonique. J’ai même très peu de respect pour ce programme. Puisqu’il a été présenté au peuple grec comme votre profession de foi économique, je ne vois pas comment je pourrais, en toute honnêteté, endosser la responsabilité de le mettre en œuvre en tant que ministre des Finances.
  • Pappas a sauté sur l’occasion pour me dire et me redire qu’en aucun cas je ne devais considérer ce programme comme une contrainte.
  • – Tu n’es même pas membre de Syriza.
  • – D’accord, mais vous ne vous attendez pas à ce que je le devienne si j’accepte le poste ?
  • – Non, en aucune façon, est intervenu Alexis, dont la réponse était très étudiée. Je ne veux pas que tu sois membre de Syriza. Je ne veux pas que tu pâtisses des prises de décision collectives longues et alambiquées du parti. »

Conclusion

Varoufakis était un électron libre, sans influence dans Syriza (il n’en était pas membre). Tsipras considérait qu’il pourrait, en cas de nécessité, le démissionner sans provoquer de grands remous dans le parti. Le profil de Varoufakis correspondait au casting défini par Tsipras et Pappas : économiste universitaire, brillant, bon communicateur maniant la provocation et la conciliation avec le sourire, dominant parfaitement l’anglais.

Alexis Tsipras a décidé de fonctionner en petit comité dans le dos de son propre parti plutôt que de mettre en pratique une orientation politique décidée de manière collective au sein de Syriza et approuvée démocratiquement par la population grecque. Nommer Yanis Varoufakis ministre des Finances et lui recommander de ne pas devenir membre de Syriza correspondait à une logique de gouvernance technocratique selon laquelle la responsabilité de Varoufakis ne pourrait être engagée ni devant Syriza, ni devant les électeurs grecs, mais uniquement devant Alexis Tsipras et son petit cercle. Il est évident que l’absence de participation populaire et de mécanismes démocratiques dans l’élaboration de l’orientation politique allait à l’encontre de la nécessité, pour un gouvernement de gauche, de faire appel à la mobilisation populaire afin de mettre en pratique le programme politique radical sur lequel il s’était fait élire. Le rappel des événements intervenus entre 2011 et fin 2014 est indispensable pour comprendre ce qui s’est passé après la victoire électorale de Syriza en janvier 2015.

Fin de la troisième partie de la série « Le récit de la crise grecque par Yanis Varoufakis : un témoignage accablant pour lui-même »


Partie 1 : Les propositions de Varoufakis qui menaient à l’échec
Partie 2 : Le récit discutable de Varoufakis des origines de la crise grecque et ses étonnantes relations avec la classe politique

Notes

|1| Y. Varoufakis, Adults in the Room, Bodley Head, London, 2017, chap. 3, p. 57. Toutes les citations proviennent des chapitres 3 et 4. Le livre va paraître à l’automne 2017 en français chez l’éditeur Les Liens qui Libèrent. N’hésitez pas à passer commande chez votre libraire.

|2| Voir le texte de cette lettre dans James K. Galbraith, Crise grecque, tragédie européenne, Le Seuil, 2016, http://www.seuil.com/ouvrage/crise-…

|3| « Ouvrez les livres de comptes de la dette publique ! » http://cadtm.org/Ouvrez-les-livres-de-compte-de-la

|4| http://cadtm.org/Commission-Internationale-d-audit

|5| En 2011, Ethnos tis Kyriakis, de centre-gauche, était le troisième quotidien grec en termes de tirage (100 000 exemplaires). Version en grec de l’interview publiée le 9 janvier 2011 : http://www.ethnos.gr/article.asp?ca… Voir la version française : http://cadtm.org/Les-peuples-de-l-Europe-ont-aussi

|6| Voir en grec : ΣχόλιαΓιάνης Βαρουφάκης Debtocracy : Γιατί δεν συνυπέγραψα http://www.protagon.gr/?i=protagon…. , publié le 11 avril 2011

|7| Voir à propos de Debtocracy : « Dette : les Grecs et la Debtocracy ». http://cadtm.org/Dette-les-grecs-et-la-Debtocracy, publié le 13 juillet 2011.

|8| Voir le diaporama de mon exposé : Eric Toussaint, Greece : Symbol of Illegitimate Debt, publié le 12 mars 2011, http://www.cadtm.org/IMG/pdf/Debt_C… . Les principales propositions qui ressortaient de mon exposé sont exprimées dans ce texte : Éric Toussaint, « Huit propositions urgentes pour une autre Europe », publié le 4 avril 2011, http://www.cadtm.org/Huit-propositions-urgentes-pour

|9| Elena Papadopoulou and Gabriel Sakellaridis (eds.), The Political Economy of Public Debt and Austerity in the EU, Athens : Nissos Publications 2012, 290 p., ISBN : 9-789609-535465
Il est utile de reproduire la table des matières de ce livre intéressant car les noms d’acteurs clés de Syriza y apparaissent. Table des matières :
Elena Papadopoulou, Gabriel Sakellaridis (Gabriel S. a été porte-parole du groupe Syriza au parlement grec en 2015. Il a démissionné en décembre 2015 en désaccord avec l’application du 3e mémorandum. Il n’est plus membre de Syriza) :
Introduction. Section 1 – Understanding the European Debt Crisis in a Global Perspective
George Stathakis (George S. est ministre de l’économie dans le gouvernement Tsipras 2, il faisait partie de l’aile droite de Syriza et était totalement opposé à l’audit de la dette grecque. Fin 2015, la presse a révélé qu’il aurait omis de déclarer au fisc 1,8 million d’euros et 38 biens immobiliers) : The World Public Debt Crisis. Brigitte Unger : Causes of the Debt Crisis : Greek Problem or Systemic Problem ?
Euclide Tsakalotos (ministre des finances depuis juillet 2015) : Crisis, Inequality and Capitalist Legitimacy. Dimitris Sotiropoulos : Thoughts on the On-going European Debt Crisis : A New Theoretical and Political Perspective

Section 2 – The Management of the Debt Crisis by the EU and the European Elites. Marica Frangakis : From Banking Crisis to Austerity in the EU – The Need for Solidarity. Jan Toporowski : Government Bonds and European Debt Markets. Riccardo Bellofiore : The Postman Always Rings Twice : The Euro Crisis inside the Global Crisis.

Section 3 – Facets of the Social and Political Consequences of the Crisis in Europe. Maria Karamessini : Global Economic Crisis and the European Union – Implications, Policies and Challenges
Giovanna Vertova : Women on the Verge of a Nervous Breakdown : The Gender Impact of the Crisis. Elisabeth Gauthier : The Rule of the Markets : Democracy in Shambles

Section 4 – The PIGS as (Scape) Goats. Portugal – Marianna Mortagua
Ireland – Daniel Finn
Greece – Eric Toussaint
Spain – Javier Navascues
Hungary – Tamas Morva

Section 5 – Overcoming the Crisis : The Imperative of Alternative Proposals. Yannis Dragasakis (vice-premier ministre des gouvernements Tsipras 1 et 2) : A Radical Solution only through a Common Left European Strategy. Kunibert Raffer : Insolvency Protection and Fairness for Greece : Implementing the Raffer Proposal. Pedro Páez Pérez : A Latin-American Perspective on Austerity Policies, Debt and the New Financial Architecture
Nicos Chountis (ex vice-ministre des relations avec les institutions européennes dans le gouvernement Tsipras1, a été démissionné par Tsipras pour son refus de la capitulation et est eurodéputé de l’Unité Populaire depuis septembre 2015) : The Debt Crisis and the Alternative Strategies of the Left. Yanis Varoufakis (ministre des finances de janvier à juillet 2015) : A Modest Proposal for Overcoming the Euro Crisis.

Section 6 – The Crucial Role of the European Left – Political Interventions. Alexis Tsipras : A European Solution for a European Problem : The Debt Crisis as a Social Crisis.
Pierre Laurent : People Should Not Pay for the Crisis of Capitalism.

Le livre est disponible en PDF : http://www.cadtm.org/Public-Debt-an…

|10| Nadia Valavani est une personnalité publique grecque respectée, notamment pour le courage dont elle a fait preuve dans la lutte contre la dictature des colonels. Elle soutient Unité populaire depuis août-septembre 2015.

|11| Daniel Munevar a également participé à cette discussion. Il a fait partie de l’équipe des conseillers de Varoufakis lorsque celui-ci était ministre des Finances.

|12| Source http://links.org.au/node/2888 (traduction en français à partir de l’anglais)

|13| Voir Éric Toussaint : « Le peuple grec se trouve aujourd’hui à l’épicentre de la crise du capitalisme », http://www.cadtm.org/Eric-Toussaint-Le-peuple-grec-se

|14| Voir « L’appel d’Alexis Tsipras pour une Conférence internationale sur la dette est légitime », http://www.cadtm.org/Eric-Toussaint-L-appel-d-Alexis, publié le 23 octobre 2014.

|15| Euclide Tsakalotos, qui en 2014 était professeur d’économie au Royaume-Uni, a remplacé à partir de juillet 2015 Varoufakis au poste de ministre des Finances. Il occupait toujours cette fonction début 2017 dans le gouvernement Tsipras II.

http://www.cadtm.org/Comment-Tsipras-avec-le-concours

Sur les réfugiés migrants semaine 36

7/9/17 https://alencontre.org/europe/union-europeenne-migration-la-cour-de-justice-deboute-le-recours-de-la-hongrie-et-de-la-slovaquie.html

1/9/17 https://alarmphone.org/fr/2017/09/01/38-personnes-en-situation-de-detresse-urgente-laissees-pres-de-24-heures-en-mer-les-gardes-cotes-nont-pas-reagi/

31/8/17  Orban veut que l’UE règle 50% de ses clôtures frontalières BUDAPEST (Reuters) – Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, va demander à l’Union européenne de financer la moitié du coût des mesures de protection des frontières prises par Budapest pour empêcher l’arrivée de migrants, a déclaré jeudi un de ses collaborateurs.

Le chef du gouvernement comptait écrire ce jeudi au président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, pour demander à l’exécutif européen de contribuer à hauteur de 400 millions d’euros, a déclaré le secrétaire général du gouvernement hongrois, Janos Lazar.

La Hongrie, qui a érigé des clôtures à ses frontières avec la Serbie et la Croatie, « protège tous les Européens d’un flux de migrants illégaux » et il est temps que l’UE aide la Hongrie comme elle l’a fait avec l’Italie, la Grèce et la Bulgarie, a ajouté Janos Lazar.

« On ne peut pas faire deux poids deux mesures », a dit Lazar au cours d’une conférence de presse.

Ces revendications sont formulées quelques jours avant la décision attendue de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur le rejet par la Hongrie des quotas de répartition des migrants décidés par l’UE.

Il y a actuellement moins de 700 migrants en Hongrie, dont 430 sont maintenus dans deux camps de rétention étroitement surveillés à la frontière serbe.

(Krisztina Than; Eric Faye pour le service français)

https://www.challenges.fr/monde/orban-veut-que-l-ue-regle-50-de-ses-clotures-frontalieres_496407

29/8/17 De l’Europe aux Etats-Unis, ces villes qui s’opposent à leurs gouvernements pour mieux accueillir les migrants

Aux Etats-Unis, des centaines de municipalités ont fait le choix de ne pas contribuer à la chasse aux sans-papiers lancée par Donald Trump. En Europe, des communes s’engagent pour un accueil digne des migrants. « Villes sanctuaires », « villes refuges »… De l’Italie à la Grande-Bretagne, de Barcelone à Grande-Synthe, ces communes tentent de se constituer en véritables contre-pouvoirs face aux politiques indignes et xénophobes.

A peine élu président des États-Unis, Donald Trump adoptait un décret pour couper les fonds fédéraux aux centaines de municipalités qui ont critiqué sa politique anti-migrants. Face au programme de Trump, à sa volonté d’expulser manu militari les sans-papiers quel que soit le nombre d’années de résidence, et à son souhait d’ériger un mur à la frontière mexicaine, de nombreuses villes se sont rapidement déclarées « villes sanctuaires ». Ces municipalités « ont adopté des politiques qui promettent de protéger et de servir tous leurs résidents, quel que soit leur statut migratoire »explique la puissante association American Civil Liberties Union (l’Union américaine pour les libertés civiles, ACLU).

Dans les faits, ces villes refusent de coopérer avec les forces de l’ordre fédérales, lorsque celles-ci leur demandent de mettre des sans-papier en détention. Elles n’exigent pas forcément de leurs habitants de produire un certificat de naissance ou de séjourner légalement pour accéder aux services publics locaux. Certaines municipalités sanctuaires décident même de reconnaître comme valables sur leur territoire des papiers d’identité non états-uniens ou de distribuer leurs propres papiers d’identité municipaux à tous leurs résidents, quelle que soit leur nationalité.

De New York à Milan, en passant par Barcelone

Les métropoles parmi les plus importantes des États-Unis, comme New York, Los Angeles, Chicago, Boston ou Washington, ont adopté cette position. Et n’ont pas perdu la bataille face à Donald Trump, puisqu’un juge fédéral a bloqué en avril dernier le décret du président qui voulait leur couper les vivres [1].

En Europe aussi, confrontée à une crise historique de la gestion des migrations, des collectivités locales prennent le contrepied de la politique de fermeture menées par les États de l’Union européenne. Quand la plupart des gouvernements européens misent sur une gestion sécuritaire et des accords avec des pays aussi peu démocratiques que la Libye et la Turquie, (lire notre article Les envoyer en détention ou les livrer à une dictature : voilà comment l’Europe « délocalise » ses réfugiés), à Milan, le 20 mai dernier, 100 000 personnes ont manifesté à l’initiative du maire de gauche de la ville pour promouvoir l’accueil des migrants.

En février, c’était la maire de Barcelone Ada Colau, alliée du parti Podemos, qui appelait à une manifestation pour l’accueil des migrants. Là aussi, plus de 100 000 personnes ont répondu présentes. La capitale catalane a aussi initié un réseau international de villes engagées dans l’aide et l’accueil des migrants, Solidarity Cities(villes solidaires). Une impulsion également destinée à pousser le gouvernement espagnol à accélérer l’accueil des réfugiés arrivés en Europe, et qui devaient être relocalisés vers l’Espagne.

Crise du modèle d’accueil italien

« Il faut faire la différence entre les réseaux de villes solidaires en Europe et le mouvement de villes sanctuaires aux États-Unis, souligne cependant Filippo Furri, cherchceur membre du réseau Migreurop et doctorant à l’université de Montréal. En Europe, les municipalités se constituent en ville-refuge sur la question de l’asile. Aux États-Unis, le mouvement s’est plutôt construit pour protéger des personnes qui retombent dans l’irrégularité administrative après avoir déjà vécu un moment dans le pays. »

Filippo Furri connaît bien le cas italien, en particulier celui de Venise : « Avec les guerre des Balkans dans les années 1990, il y a eu une vague de réfugiés. À Venise, un élan de solidarité citoyenne et associative s’est joint à une volonté politique pour organiser un accueil digne. Un système d’accueil organisé s’y est mis en place dans la foulée, au début des années 2000. Venise est devenue une sorte de prototype du système d’asile qui s’est développé ensuite en Italie, et qui est en train de péricliter avec la situation d’urgence actuelle. »

Aux côtés de la Grèce, l’Italie est l’un des deux principaux pays d’arrivée pour des centaines de milliers de personnes qui débarquent chaque année en Europe par la mer, pour y chercher l’asile et la sécurité. Plus de 360 000 personnes sont arrivées par la mer Méditerranée en Europe en 2016. Plus de 98 000 depuis le début de l’année 2017 (plus de 2000 personnes migrantes sont déjà mortes en mer Méditerranée cette année [2]). L’Italie est donc l’un des pays qui doit gérer en urgence et en grand nombre l’accueil des migrants, en plus des sauvetages en mer. Début juillet, son gouvernement a appelé à l’aide les autres pays européens pour faire face aux nécessité de prise en charge des nouveaux arrivants. Mais loin de prendre le parti de l’hospitalité, Rome a aussi menacé dans le même temps de fermer ses ports aux migrants.

Aide au développement face à des États défaillants

« L’Italie, comme la Grèce, est en train de devenir un véritable territoire de rétention, déplore Filippo Furri. Il y existe des formes d’hospitalité et d’accueil dans la société civile. C’est une réponse face à une gestion de la part des États qui vise avant tout à contrôler les flux, à trier les gens, et à disperser les centres d’accueil en les imposant aux collectivités locales. Il y a conflit entre l’accueil local des municipalités, et le contrôle étatique. » De la même manière que des ONG prennent le relais des États et des autorités européennes pour sauver des vies en mer Méditerranée, des communes italiennes s’organisent pour faire ce que l’État italien refuse : organiser un accueil digne, et favoriser les échanges entre la population locale et les nouveaux arrivants.

Le réseau des « Communes de la terre pour le monde », fondé en 2003 en Italie, réunit aujourd’hui plus de 300 municipalités de tout le pays. L’association organise par exemple un festival interculturel à Riace, village de Calabre devenu l’un des points d’entrée de nombreux migrants dans l’UE (voir notre article Ces villages qui choisissent tant bien que mal d’accueillir les migrants). L’association de communes mène aussi des projets de solidarité internationale, comme un projet de développement de l’énergie solaire au Sahel. « Le réseau Recosol est organisé sur une logique de solidarité qui dépasse la question des migrations, précise Filippo Furri. C’est un réseau d’entraide entre communautés locales. »

Se constituer en associations de solidarité, au delà du seul objectif de gérer l’urgence, voilà ce qui fait sûrement la spécificité des réseaux des villes-refuges face aux politiques migratoire des États. « L’État laisse en partie seules les municipalités italiennes pour l’organisation de l’accueil des migrants. Ce sont les municipalités qui organisent le logement, les cours de langue et l’intégration locale, expliquent les coordinateurs du réseau de communes Recosol. La politique du gouvernement italien souffre de l’absence d’une vision globale et d’un plan national pour l’accueil et l’intégration des migrants. Ce sont donc les associations et les citoyens, sur le territoire, qui font la différence. »

City of Sanctuary au Royaume-Uni

En Grande-Bretagne aussi, des citoyens et des communes prennent le contrepied de la politique xénophobe du gouvernement conservateur. « Le réseau City of Sanctuarya été créé à Sheffield, en 2005, par un petit groupe de personnes qui voulaient mieux accueillir les réfugiés », explique Forward Maisokwadzo, porte-parole de ce réseau britannique. Le maire de cette ville de 500 000 habitants du nord de l’Angleterre avait pleinement soutenu l’initiative, et pris l’engagement public d’accueillir les demandeurs d’asile et réfugiés dans sa ville. « Puis le mouvement est devenu très important, en terme de nombre de personnes et de communes impliquées. Il compte aujourd’hui une centaine de municipalités. L’idée est de travailler avec tout le monde : les citoyens, les associations, les autorités locales. »

Pour le mouvement City of Sanctuary, la clé de l’accueil est dans ce travail collectif. « Les actions menées par le mouvement varient selon les endroits. Elles peuvent par exemple consister à sensibiliser les gens à la question de l’accueil des demandeurs d’asile, précise Forward Maisokwadzo. À Bristol, la ville s’est attaquée au problème du dénuement des demandeurs d’asile, qui reçoivent très peu de soutien financier et n’ont pas le droit de travailler pendant l’étude de leur demande. Une douzaine d’autres villes se sont engagées sur la question. Leur travail est aussi de pousser le gouvernement à se pencher sur ce problème. »

« La France n’est pas dans une démarche d’accueil »

Et en France ? Il y a bien l’exemple de Grande-Synthe, une ville du Nord de 20 000 habitants, où la municipalité a pris le parti de l’accueil des migrants en route vers l’Angleterre (voir notre article Conjuguer accueil des migrants, écologie et émancipation sociale : l’étonnant exemple de Grande-Synthe), notamment en construisant avec Médecin sans frontières un centre d’accueil permettant des conditions de vie décentes (repris en main par la préfecture, le centre a été détruit par un incendie en avril dernier). Des citoyens s’engagent aussi évidemment, de Calais à la frontière italienne, et se trouvent parfois traîné en justice pour « délit de solidarité » (lire notre article À la frontière franco-italienne, les habitants de la vallée de la Roya risquent la prison pour avoir aidé les migrants).

À Paris, où des milliers de migrants débarqués dans la capitale se retrouvent à la rue sans aucune prise en charge et harcelés par la police, la maire Anne Hidalgo a annoncé l’ouverture d’un premier centre d’accueil en mai. Le centre a ouvert six mois plus tard. Prévu pour 500 personnes, il est pourtant sous-dimensionné et saturé en permanence. Selon l’association France Terre d’asile, plus de 1000 personnes migrantes dormaient encore à la rue début juillet à proximité du centre d’accueil. L’association Gisti (Groupe d’information et de soutien aux immigrés) a aussi dénoncéles violences policières dont sont victimes les migrants dans les files d’attentes du centre. Malgré des initiatives bien réelles mais dispersées (lire ici notre article), « la France n’est pas dans une démarche d’accueil », regrette Filippo Furri. Les villes française prendront-elles le relais d’un État défaillant ?

Rachel Knaebel

https://www.bastamag.net/De-l-Europe-aux-Etats-Unis-ces-villes-qui-s-opposent-a-leurs-gouvernements-pour

Grèce : Accidents de travail mortel

31/08/2017 par Constant Kaimakis 16 Accidents de travail mortels en 2 mois, l’Hécatombe estivale en Grèce :

Cet été, à la lecture quotidienne des médias grecs , j’avais ce sentiment d’une répétition d’accidents du travail mortels qui revenaient souvent dans les divers articles.

Les journalistes du « Rizopastis » et de « The Press Project » viennent malheureusement confirmer ce fait : pas moins de 16 travailleurs sont morts à la tâche depuis 2 mois.
Rien que ces 3 derniers jours, 3 accidents mortels sont survenus à Marathon, au Pirée, en Chalkidiki. Un autre travailleur a succombé à ses blessures de son accident survenu le 1 er août à Skala (Laconie). Le journal « RIZOPASTIS » fait ainsi état de 16 morts au boulot qui « montre encore une fois que les zones de travail et les conditions de travail, le manque de mesures d’hygiène et de sécurité, l’ intensification, la généralisation de la « flexibilité » pose d’ énormes risques pour la santé, la sécurité et la vie même des travailleurs. » .

Le lourd tribu a été payé notamment par les services de nettoyages municipaux . Là, la tension est à son comble avec le conflit qui dure depuis des mois sur la question des contrats de travail où bon nombre de maires avec leur municipalité refusent de titulariser des contractuels qui accumulent non seulement les contrats de quelques mois mais aussi la fatigue et le non paiement ou le retard de salaires. On compte ainsi les décès des travailleurs des municipalités de Zografou et Marathon et des blessés graves chez les entrepreneurs de la municipalité de Thessalonique.
Se référant à la situation dans les municipalités de l’Attique, le syndicat des employés municipaux OTA a déclaré :     « La situation des accidents dans les services de nettoyage des municipalités est tragique. Le fonctionnement 24 heures sur 24 porte préjudice à la sécurité des collègues qui sont stressés et exposés à une série de sérieux dangers. Il y a une grande responsabilité de l’autorité municipale qui utilise la législation anti-travail pour envoyer des travailleurs à 2 ou 3 heures du matin pour ramasser les ordures. Le fait est , que ce travail pénible et dangereux de la collecte des ordures est de plus en plus fait par des travailleurs ayant des formes de travail flexibles, sans expérience et sans formation , ce qui est le résultat des politiques de l’UE que ce gouvernement met également en œuvre et développe. Le ministre de l’Intérieur Skourletis ose dire ainsi qu ‘il a résolu la question des contrats, au même moment , où les travailleurs vivent dans l’insécurité et dans l’incertitude. Nous demandons au gouvernement de prendre enfin des mesures pour la santé et la sécurité des employés dans le secteur du nettoyage. Cela ne peut plus durer! Les employés ne /doivent pas accepter comme « normalité » qu’on aille travailler pour une bouchée de pain, en risquant de ne pas rentrer chez soi, et en sachant que demain, nous serons au chômage. Grâce à notre lutte organisée, nous devons réclamer des conditions de travail humaines, des mesures pour notre santé et la sécurité, l’emploi permanent et stable pour tous ».

Autre secteur, même situation. Sur le Port du Pirée , COSCO fait mener des cadences infernales à ses travailleurs au nom du profit. Pire, l’accident mortel d’un employé dimanche soir a révélé que COSCO n’a pas d’ ambulance moderne pour couvrir les besoins accrus des travailleurs portuaires qui travaillent sous pression. Le syndicat des employés portuaires DEL a ainsi déclaré : « La tragédie mortelle de ce collègue est la suite de l’intensification du travail qui vise à accroître la compétitivité et la rentabilité de COSCO. Il fait suite à la grande masse des accidents du travail, les blessures et les maladies enregistrées au cours des dernières années en raison de l’intensification du travail dans les zones portuaires ».

Le lundi précédent, 21 août, c’est la mort d’un bucheron de 45 ans à SKOURIES au Lac Karatzas, qui est mort écrasé par un arbre dans le chantier de la déforestation qui a lieu dans la région pour le compte de la Société Hellas Gold. Il existe une coopérative de forestiers dans la région, mais « Hellas Gold » travaille avec des entrepreneurs privés. Les coopératives forestières de la région ont annoncé depuis deux ans qu’elles refusent de coopérer avec l’entreprise en protestant contre la destruction de l’environnement. Et à Skouries aussi on connait bon nombre d’accidents mortels notamment dans les mines…

Pour terminer, le « panorama » de cette hécatombe estivale, début Août, un employé de l’aéroport de Corfou (aujourd’hui géré par la Sté Allemande Fraport) est aussi décédé au travail. L’employé chargé de faire rentrer et sortir les appareils des places de stationnement, travaillait dans des conditions extrêmes de chaleur, a eu un malaise et a succombé lors de son transfert à l’hôpital . Selon les rapports de la presse locale, il y a des dizaines de plaintes concernant l’évanouissement des nettoyeurs d’aéronefs et d’autres travailleurs aéroportuaires, en particulier au milieu d’une vague de chaleur. Fraport se dédouane de ces situations en disant que la responsabilité en incombe aux sociétés aéronautiques, ici en l’occurrence SWISSPORT qui a fait la réponse suivante «Nous ne considérons pas qu’il soit utile de commenter»…. Et la société Fraport répondant à une question sur le traitement de plaintes semblables concernant les conditions de travail pour les entreprises coopérantes, a rajouté que, surtout dans les jours de vague de chaleur à Corfou et dans d’autres îles … » Nous offrons de l’eau à tous les employés dans des incidents similaires appartenant à notre entreprise ou à une autre société. »

Prenant la parole quelques jours après drame, George Mavronas, président du Syndicat des travailleurs de l’aéroport se plaignait que l’aéroport ne compte pas de médecin permanent et des conditions de travail désespérantes quelques mois seulement après réception de l’aéroport par les Allemands de Fraport. « Est-il possible pour un aéroport qui dessert 3 millions de passagers par an de ne pas avoir de médecin permanent à l’aéroport? Nous voyons constamment des collègues à nos côtés qui subissent des insolations, qui s’évanouissent, tombant sous le surmenage… Il n’y a pas d’air conditionné dans la plupart des zones aéroportuaires, la climatisation est constamment endommagée, en particulier dans les autobus transportant des touristes, des citoyens et des travailleurs d’aéronefs », a-t-il ajouté.

Cela se passe aujourd’hui en Grèce , en août 2017 …

Falsifications des statistiques grecques- procès Georgiou

Grèce  : le procès Georgiou ou l’affaire de la falsification des statistiques grecques pour justifier l’intervention de la Troïka   17 août par Constantin Kaïmakis

CC – Flickr – Ken Teegardin

Un procès sans fin

Ce n’est pas moins de 4 ans d’instruction judiciaire, deux procès initiaux et une réouverture du dossier que vient de clore la condamnation d’Andréas Georgiou. En effet, le 1er août 2017, le Tribunal correctionnel d’Athènes a condamné cet ancien Directeur de l’office des statistiques grecques (Elstat) à deux ans de prison avec sursis pour «  manquement au devoir  ». Voici ce qu’en dit le quotidien Le Monde dans son édition du 1 août 2017 : « Andréas Georgiou, ancien chef de l’office des statistiques grecques, Elstat, au cœur de la saga des faux chiffres du déficit public au début de la crise de la dette, a été condamné, mardi 1er août, à deux ans de prison avec sursis. Le tribunal correctionnel d’Athènes l’a jugé coupable de « manquement au devoir », selon une source judiciaire. Cet ancien membre du Fonds monétaire international était poursuivi pour s’être entendu avec Eurostat (l’office européen de statistiques, dépendant de la Commission européenne) afin de grossir les chiffres du déficit et de la dette publique grecs pour l’année 2009. Le but supposé : faciliter la mise sous tutelle financière du pays, avec le déclenchement, en 2010, du premier plan d’aide internationale à la Grèce – on en est au troisième, depuis août 2015. |1| »

Comme l’écrit Éric Toussaint : « Après les élections législatives du 4 octobre 2009, le nouveau gouvernement de Georges Papandréou procéda en toute illégalité à une révision des statistiques afin de gonfler le déficit et le montant de la dette pour la période antérieure au mémorandum de 2010. Le niveau du déficit pour 2009 subit plusieurs révisions à la hausse, de 11,9 % du PIB en première estimation à 15,8 % dans la dernière. » « Le gouvernement de Papandréou a fait falsifier les statistiques de la dette grecque, non pas pour la réduire (comme la narration dominante le prétend) mais pour l’augmenter. C’est ce que démontre très clairement la Commission pour la Vérité sur la dette publique grecque dans son rapport de juin 2015 (voir le chapitre II, p. 17). |2| »

Le travail d’expertise de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque

La Commission pour la Vérité sur la dette publique grecque (Commission Vérité) a été créée le 4 avril 2015 suivant une décision prise par la Présidente du Parlement grec, Zoé Konstantopoulou, qui a confié la coordination scientifique de ses travaux à Éric Toussaint, Docteur en sciences politiques. La trentaine d’experts qui ont travaillé à ce remarquable travail de vérité font notamment état de l’évolution et de l’histoire de la dette grecque. Ils démontrent avec minutie comment Papandréou a dramatisé la situation de la dette et du déficit pour justifier une intervention étrangère qui apporterait suffisamment de fonds pour répondre à la situation des banques. C’est là qu’interviennent les faux chiffres et les méthodes douteuses d’A. Georgiou à Elstat. Georgiou a créé de toutes pièces les éléments qui ont permis de «  gonfler  » artificiellement les chiffres du déficit et de la dette publique grecs. Les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique grecque ont décrit ces falsifications :
- les falsifications concernant les obligations des hôpitaux publics qui ont ainsi permis d’augmenter une première fois le déficit ;
- les falsifications portant sur 17 entreprises grecques et sur les organismes publics comme les services de l’électricité, le téléphone et les télécoms, le rail, la télévision publique etc, qui ont permis d’augmenter à nouveau le déficit ;
- enfin les fameux swaps de Goldman Sachs (contrats d’échanges de taux d’intérêts) qui sont venus gonfler rétroactivement les chiffres de la dette à compter de 2009.

Ainsi la falsification des statistiques est directement liée à la dramatisation de la situation budgétaire et de la dette publique. Cela a été fait pour que l’opinion publique en Grèce, en Europe et au niveau international soient convaincue de la nécessité d’un « plan de sauvetage » de l’économie grecque en 2010, avec toutes les conditions strictes et conséquences sociales imposées à la population du pays. Les parlements des pays européens ont voté pour le « sauvetage » de la Grèce en s’appuyant sur ces statistiques falsifiées.

Sous prétexte de fournir une aide à la Grèce, dans le cadre de la solidarité, on a en fait masqué la socialisation des pertes bancaires.

Tant par son style que ses méthodes, Andréas Georgiou a été mis en cause, notamment par son administration. Les chiffres sont contestés, et pour les vérifier on va créer un conseil d’administration de sept membres. Les relations entre Georgiou et ce conseil sont difficiles voire inexistantes : il ne les réunit pas et ne les informe pas. Ce CA va être dissous, et ses membres remerciés. Deux d’entre eux décident de témoigner devant la commission pour la vérité contre leur ancien chef ; c’est le cas notamment de Zoé Georgantou, universitaire reconnue. Elle estime qu’Andreas Georgiou aurait gonflé les chiffres du déficit à dessein en y incluant par exemple les dettes des hôpitaux publics.

Un soutien inconditionnel de la Commission européenne

Marianne Thyssen, commissaire européenne aux affaires sociales, a affirmé que «  les données sur la dette grecque pour la période de 2010 à 2015 ont été fiables et communiquées avec exactitude  ». Dans cette situation, la justice grecque avait estimé en décembre 2016 qu’il n’y avait pas d’éléments suffisants pour envoyer Georgiou devant le tribunal… Mais un courageux procureur de la Cour suprême, Xeni Dimitriou a demandé le réexamen de l’affaire. A l’issue d’un nouveau procès, Georgiou a donc été condamné le 1er août 2017. Ses avocats et lui-même ont fait savoir qu’ils feraient appel.

La porte-parole de la Commission européenne, Mme Annika Breidthardt, a renouvelé son soutien total à Georgiou en déclarant que cette décision n’est pas conforme aux décisions précédentes de la justice et a réitéré que « la Commission est pleinement confiante dans l’exactitude et la fiabilité des données de l’Elstat au cours de la période 2010-2015 et au-delà ». Le vice-président de la Commission européenne, M. Valdis Dombrovskis, dans une interview au Financial Times a déclaré que « l’indépendance des offices nationaux des statistiques des pays-membres est un pilier important du fonctionnement de l’euro et un des éléments qui construisent la confiance entre les pays-membres de la zone euro ». Il en est de même de toute la nomenclature européenne qui clame son soutien à Georgiou via les Moscovici, Mario Draghi et autres… La pression des autorités européennes est constante soit de façon formelle soit via les médias européens. Et le prochain Eurogroupe de septembre 2017 envisage même d’en parler.

Rappelons que le gouvernement d’Alexis Tsipras a déjà plié devant les exigences des dirigeants européens dans une autre affaire. Voici ce qu’écrivait Maria Malagardis du quotidien français Libération à propos de l’abandon de poursuites contre trois experts techniques de Taiped, l’organisme mis en place pour gérer les privatisations http://www.cadtm.org/La-justice-ou-l-argent-L-etrange). Trois experts étrangers faisaient en effet, jusqu’à très récemment, l’objet de poursuites pénales :

« En cause : la manière dont a été gérée en 2014 la vente de 28 biens immobiliers concernant un grand nombre de ministères et d’installations publiques. Prix total de la transaction au profit de deux opérateurs privés (Eurobank Property et Ethniki Pangaea) : 261 millions d’euros.
Afin d’éviter le déménagement des nombreux services concernés, il avait été prévu que les nouveaux propriétaires loueraient ces bâtiments à ceux qui les occupent. Pendant vingt ans. A l’issue de cette période, l’État grec pourrait racheter ces propriétés, au prix courant du marché.

Sauf qu’un groupe d’avocats du Pirée va contester cette transaction et montrer comment le prix total de vente déjà sous-évalué, selon eux, se révélait de surcroît nettement inférieur au total des loyers encaissés au cours de la période concernée (580 millions d’euros). L’État grec était donc perdant, ont-ils estimé, conclusion reprise par le parquet dans un réquisitoire de 200 pages.

De surcroît, les heureux acquéreurs ont bénéficié d’une clause supplémentaire qui prévoit que le rachat éventuel par l’État grec serait exempté de toute taxe ou impôt. Autant de pertes supplémentaires pour le Trésor.

À l’issue de l’instruction préliminaire, des poursuites ont donc été engagées. Notamment contre un Espagnol, une Italienne et un Slovaque, tous conseillers auprès de Taiped à l’époque des faits. Rappelons que Taiped ne rend de comptes ni au Parlement grec, ni au gouvernement, sur la manière dont il gère les privatisations. Un vrai modèle de transparence donc.

Mais après l’annonce des poursuites, les membres de l’Eurogroupe, ont exigé et obtenu en 2016 l’impunité des membres de Taiped. Restait à éteindre l’action en justice.

Dès le 15 juin à Luxembourg, au moment où se finalisait l’accord pour les 8,5 milliards d’euros, le ministre des Finances espagnol, Luis de Guindos avait tapé du poing sur la table, en menaçant de bloquer l’aide si les poursuites n’étaient pas abandonnées. Visiblement, les représentants grecs ont dû donner ce jour-là quelques garanties sur leurs capacités à bloquer l’action de la justice, puisque l’argent fut débloqué. D’ailleurs, moins de deux semaines plus tard, la Cour suprême grecque, sollicitée par les avocats des trois experts, annulait purement et simplement les poursuites. »

Les ingérences des créanciers de la Grèce dans les affaires de justice a amené l’Union des juges et des procureurs de Grèce à vivement réagir dans un communiqué : « Les autorités judiciaires grecques et les lois grecques doivent traiter sur un pied d’égalité tous les citoyens indépendamment des relations spéciales que ces derniers pourraient avoir avec des services relevant de la Commission européenne. L’interprétation correcte et l’application des lois sont confiées par la Constitution aux institutions judiciaires dont le jugement ne doit pas être influencé par des tendances politiques, des pressions ou des incitations ». Et de conclure : « L’indépendance des offices nationaux des statistiques des pays-membres peut certes constituer un pilier important de l’union économique et monétaire selon la Commission, mais l’indépendance et la liberté de jugement des juges et des procureurs d’un pays sont la pierre angulaire du régime démocratique ».

À noter que, depuis début août 2017, Elstat a supprimé la parution des données flash sur le PIB grec… La raison ? Les données ne seraient pas fiables… tiens donc !

Pour terminer sur une note positive qui s’ajoute à celle de la condamnation de Georgiou, en juillet 2017, un ex-ministre socialiste a été condamné vendredi par un tribunal d’Athènes à huit ans de prison avec sursis pour « blanchiment d’argent » provenant de pots-de-vin versés par l’entreprise allemande Siemens pour la signature en 1997 d’un contrat avec la société grecque de télécommunications OTE |3|.

Notes

Quelle alternative anticapitaliste au rouleau compresseur de l’Union européenne ?

Revue mensuelle L’Anticapitaliste n°89 (juillet-août 2017) – Léon Crémieux et Christian Varin

Toute lutte d’émancipation, toute lutte révolutionnaire dans un des pays de l’Union européenne doit prendre en compte la réalité de cette entité. Elle représente un ensemble de structures qui ont pris en grande partie le relais des structures étatiques pour remanier le pouvoir des capitalistes, et représente donc autant d’obstacles aux luttes d’émancipation.

Mais l’Union européenne c’est aussi des centaines de millions de femmes et d’hommes qui subissent la même exploitation et la même oppression, organisée désormais au sein de cette entité. Aussi, toute lutte d’émancipation dans un des pays de l’UE doit tenir compte de ces nouveaux obstacles, des armes dressées par les capitalistes à l’échelle européenne, mais elle peut aussi tenir compte de cette nouvelle force que peut représenter l’action commune, coordonnée, des classes populaires de l’Union européenne.

La construction européenne a été pensée avant tout pour aider les dirigeants d’entreprise du continent (selon l’idéologie postulant que ce sont eux qui portent le progrès). Elle a enfourché, dans les années suivant la Deuxième Guerre mondiale, une aspiration réelle des populations européennes à en finir avec les frontières, les obstacles à la communication et les risques de guerres, et l’a retournée pour bâtir un nouveau carcan. Construite par en haut par un personnel politique dévoué au libéralisme et aux intérêts des grands groupes capitalistes basés en Europe, elle a été une arme économique à leur service, avec une monnaie et un marché unique dynamisant les pays exportateurs et leur ouvrant, dans les années 2000, le marché des entrants d’Europe de l’Est.

Maître d’œuvre de l’agenda néolibéral

Retournant l’une après l’autre les quelques politiques de solidarité commune qui lui avaient été utiles pour légitimer son décollage, dès les années 1980 elle a été maître d’ouvrage pour la mise en œuvre de l’agenda libéral de l’Ecole de Chicago dans tous les pays de l’UE. Les outils antidémocratiques des institutions européennes (Commission et Conseil, Banque centrale) les différents traités (Maastricht, Luxembourg, Lisbonne) ont été et sont les armes de guerre utilisées contre les droits sociaux des classes populaires, acquis au sein des Etats nationaux. Cet attirail a été renforcé en 2012 par le TSCG (Traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance). Ce traité, avec la signature honteuse de Hollande et des députés PS, est un nœud coulant permanent, permettant un contrôle des budgets et des finances publiques de chaque pays de la zone euro. C’est lui qui a cadré les politiques d’austérité visant à juguler les crises des dettes souveraines après 2008.

Confrontée à l’exacerbation de la recherche des taux de profits dans le contexte de faible croissance des dernières années, l’Union s’est consolidée comme proto-Etat, utile pour contraindre chaque gouvernement à des politiques d’ajustement structurel, sous prétexte de réduction de la dette et de discipline budgétaire. La Grèce a subi avec force tous ces mécanismes de régression sociale, ce carcan institutionnel et bancaire (avec le MES, mécanisme européen de stabilité, qui aide et renfloue les banques tout en imposant aux Etats le respect des règles du pacte budgétaire).

Nous avons donc bien affaire à une structure politique et économique cohérente, entièrement dévolue aux intérêts capitalistes, disposant de plusieurs attributs du pouvoir politique et économique, et fonctionnant en totale autonomie vis-à-vis de tout contrôle populaire. En cela toute politique de rupture avec l’austérité se mettrait ipso facto en infraction avec les règles des traités, les impératifs budgétaires fixés au niveau européen. Toute illusion sur des compromis ou des marges de négociations relèvent de l’utopie. Les seuls compromis temporaires possibles ne pourraient être que l’œuvre d’une mobilisation populaire de grande envergure avec la prise de contrôle de tous les outils de contrôle financier, banques, contrôle des changes, la maîtrise des outils de production et de distribution.

Aussi tout programme de rupture doit clairement intégrer ces éléments et leur mise en œuvre doit être réalisée sans délai, dès les premiers pas d’une politique anti-austérité. Toute vision d’une simple victoire électorale parlementaire et de la réalisation d’un programme progressiste, assorti d’une renégociation ferme mais prometteuse à l’échelle européenne, est soit trompeuse soit suicidaire. Car les blocages des institutions européennes n’interviendraient pas seulement en cas de remises en cause des structures capitalistes d’un pays de l’UE, mais dès la simple volonté de remise en cause des plans d’ajustement structurel imposés au niveau européen.

 Un programme d’action qui assume les affrontements

Aussi ne peut-on être qu’en désaccord, partiel ou total avec les démarches que proposent beaucoup de partis qui se réclament du combat contre l’austérité, à l’instar de la FI et du PCF, à l’instar aussi du programme de Jeremy Corbyn ou du dernier document émanant du Parti de la gauche européenne. Dans ces programmes, qui sont le plus souvent des programmes de gouvernement et non d’action pour une mobilisation populaire, n’apparaissent pas les exigences de rupture avec les règles budgétaires de l’UE, de prise de contrôle du système bancaire et des changes. Ils ont au moins le mérite de chercher la voie d’une rupture avec les injonctions des capitalistes européens, et cela engage donc à un débat avec celles et ceux qui les portent.

Un programme anticapitaliste doit conjuguer des mesures sociales anti-austérité, des mesures unilatérales de prise de contrôle de l’ensemble du système bancaire et un contrôle des changes. Il doit aussi impérativement s’adresser aux populations, à toutes les organisations sociales, politiques et syndicales pour une rupture anticapitaliste à l’échelle européenne, pour conjuguer nos forces à l’échelle internationale. On ne peut pas sérieusement envisager un processus dans lequel, en France, un président ou un parti leader jouerait sur les institutions nationales pour une politique plébiscitaire tout en posant ses conditions en Europe, de gouvernement à gouvernement, dans le respect des protocoles et traités actuels.

D’abord, parce qu’un pouvoir anticapitaliste, ou qui voudrait seulement s’attaquer vraiment aux orientations libérales, devrait être basé sur des assemblées mobilisées à tous les niveaux dans un très fort mouvement social de contestation de l’ordre établi et de transformation d’ensemble de la société. Ce mouvement serait immédiatement confronté à une lutte féroce des oligarchies capitalistes française et européenne pour le renverser. Il est illusoire de penser que le patronat « français » pourrait partager les intérêts et les exigences des classes populaires de ce pays face au « pouvoir de Bruxelles » en serrant les rangs autour d’un patriotisme étatique (néogaulliste ?)

La France étant un pilier de l’Union européenne, il faudrait prendre immédiatement les décisions qui apparaîtraient nécessaires en désobéissant aux principes néolibéraux de l’Union européenne, en s’adressant aux peuples par-dessus les gouvernements, en justifiant les mesures prises par l’intérêt des classes populaires de manière à la fois ferme et pédagogique, en refusant toute limitation de mise en œuvre des exigences populaires au nom du respect des principes absurdes de l’euro ou du Traité de Lisbonne – l’enjeu étant de ne pas être totalement ligotés en  quelques semaines !

Il n’existe pas de gouvernements anti-austérité ou antilibéral en Europe et le cadre institutionnel de l’Union amplifie le caractère libéral de cet ensemble politique. Le rapport ne peut donc être que conflictuel dès le premier jour d’un gouvernement anti-austérité. Le dialogue à ouvrir immédiatement ne serait pas avec les autres gouvernements européens ou les instances de l’UE, mais avec les autres populations de l’UE, les mouvements syndicaux et populaires pour agir ensemble. La diplomatie feutrée de Bruxelles ou Strasbourg serait un étouffoir aux antipodes de nos intérêts, alors que se déchaînerait à vive allure la machine de guerre libérale utilisant toutes les armes institutionnelles et bancaires à sa disposition, tout en employant à fond un arsenal de médias dévoués aux intérêts capitalistes.

 Construire des outils européens

La nécessité, probable, de devoir organiser cette lutte d’abord dans le cadre national, ne doit pas faire oublier celle de construire des outils d’organisation et de pouvoir populaire à l’échelle européenne. Il faut donc une assemblée constituante européenne, permettant de coordonner à un niveau international la révolution des peuples européens ayant renversé le pouvoir des puissances d’argent et, par d’immenses débats libres et démocratiques, prenant à bras le corps les problèmes essentiels des populations : donner du travail à toutes et tous, planifier la résolution des crises du logement, de la santé, de l’éducation et de la formation, de l’agriculture, des droits de toutes les couches spécifiquement opprimées.

Une telle construction européenne discuterait des expériences nouvelles et enthousiasmantes des uns et des autres, viserait à aider d’autres ensembles internationaux à se libérer de l’emprise du profit, de la concurrence et de la guerre, et prendrait en charge les questions qui ne trouvent pas de solution au seul niveau national, avant tout liées aux questions d’écologie et d’échanges : transport, énergie, échanges équilibrés, aide au développement pour remplacer la situation de pillage du Tiers-monde par une recherche commune des solutions aux désastres actuels que sont les guerres, la rareté des terres, de l’eau et des matières premières, les pandémies, la destruction de la biodiversité, etc.

Quels que soient les rythmes de mise en place d’une telle assemblée, elles doit être un de nos objectifs dans la mise en place d’un rapport de forces européen, fondé non pas sur des alliances improbables avec les gouvernements en place dans le cadre des institutions actuelles, mais sur l’alliance des classes populaires en Europe pour la mise à bas des institutions actuelles. Par ailleurs, seul un outil de ce type serait à même de débattre et d’élaborer un projet européen précisant le type de lien entre des structures de pouvoir populaire se combinant à différentes échelles – celles des régions, des nations, des Etats, de l’Europe elle-même, et des pays limitrophes à l’Est et au Sud.

Cette idée n’a pas la même matrice que celle mise en avant par exemple par Iglesias dans Podemos, de gouvernements de plusieurs pays européens pouvant dévier tous ensemble la trajectoire de l’UE. L’obtention d’un éventuel compromis temporaire avec les institutions européennes n’aurait éventuellement de sens que dans une dynamique populaire de transformation sociale et démocratique s’affrontant à l’UE. Le débat dans Podemos, avec tout son intérêt et ses limites actuelles, est celui du rapport de forces imaginable pour contraindre les dirigeants de l’Europe néolibérale à reculer.

 Les conditions d’un processus de rupture

Il faudra une sacrée mobilisation d’en bas, difficile à imaginer dans la conjoncture actuelle, pour imposer une autre Europe ! Mais dans un monde aussi mouvant que celui que nous connaissons, on voit comme les choses peuvent changer très vite – pour le pire comme, nous l’espérons encore, pour le meilleur. Dans tous les cas, un projet de rupture dans un pays de l’UE ne peut sûrement pas intégrer dans sa stratégie un appui d’éventuels gouvernements sociaux-démocrates, alors que ces derniers assument comme ceux de droite des politiques libérales et l’acceptation des traités et des règles de l’UE.

Tout processus de rupture devrait prendre, sans attendre de nouvelles discussions dans les institutions de l’UE, les mesures nécessaires même si elles sont contradictoires avec les traités. Il est indispensable de s’émanciper tout de suite des chaînes institutionnelles et réglementaires de l’Union, dès lors qu’elles sont contraires aux exigences sociales de première urgence.

L’expérience grecque montre bien que les dirigeants européens mettraient tout en œuvre pour bloquer un gouvernement anticapitaliste, anti-austérité. Cela impose l’application immédiate d’un programme d’urgence qui impose la prise en main des banques et des échanges financiers. Avec les mesures sociales sur les salaires, l’emploi, les retraites, ce seraient les premières urgences. En cela, évidemment, la rupture serait immédiate avec les traités et les règles communautaires. Et il faudrait être immédiatement prêt à utiliser tous les moyens pour empêcher une asphyxie financière : émission d’euros sans contrôle de la BCE, double monnaie, sortie de l’euro.

Mais la sortie immédiate de l’euro, en tant que telle, n’est pas la réponse miracle. Par contre, il ne devrait y avoir aucune hésitation à la mettre en œuvre dans ce processus. Tout cela ne serait évidemment possible que par une forte mobilisation populaire, créant le rapport de forces suffisant, bloquant toutes les manœuvres de sabotage économique ou politique. Il s’agit de rassembler par des démonstrations pratiques, avec des structures de mobilisation et de débat,  des couches populaires qui, comme on l’a vu en Grèce, ont des a priori différents sur l’UE et l’euro en soi, sous peine de ne pouvoir compter sur une mobilisation populaire majoritaire et offensive, indispensable face à la détermination des possédants.

Ces propositions ne visent pas à s’enfermer avec nos propres capitalistes dans nos frontières reconstruites, cela n’améliorerait en rien la situation des travailleur-se-s du pays. Par contre, les traités et la monnaie ont été mis sur pied par les dirigeants, notamment français et allemands, pour suivre les intérêts des grands groupes industriels et commerciaux. Ces propositions imposeraient un combat au sein de l’espace national et la recherche d’alliances au niveau européen, un message aux autres travailleurs de l’Union européenne pour conjuguer nos forces afin de mettre à bas ce système qui est nuisible pour tous.

L’exemple grec est malheureusement édifiant. Il y avait une contradiction présente dès le départ : mettre en œuvre le programme social de Syriza, même celui édulcoré avancé à Thessalonique en septembre 2014, impliquait un affrontement avec les institutions européennes, la rupture des engagements pris par les gouvernements précédents. Le chemin à suivre était d’appliquer le programme anti-austérité plébiscité deux fois dans les urnes et pour cela de suspendre tout remboursement de la dette et prendre des mesures sociales d’urgence, tout en prenant le contrôle du système bancaire, en se donnant les moyens de mobiliser le peuple grec et les autres peuples européens dont la solidarité était nécessaire.

Tous les pays d’Europe sont aujourd’hui soumis, à un niveau ou à un autre, aux règles de l’UE. Il faut mettre à bas un système et des institutions forgées, construites dans le seul intérêt des grands groupes capitalistes. C’est l’intérêt commun de tous les peuples, de tous et toutes les travailleur-se-s d’Europe. L’UE n’est pas réformable, mais le combat commun contre elle démarre évidemment au sein de l’UE, pour en briser les chaînes. Mettre à bas ce système est possible et indispensable, cela exige de créer un rapport de force dans lequel il faudra l’action solidaire de nous tous et toutes en Europe.

http://www.anti-k.org/2017/08/25/quelle-alternative-anticapitaliste-au-rouleau-compresseur-de-lunion-europeenne%E2%80%89/

Carte postale : la rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Carte postale

Soleil couchant. Les visiteurs du pays et du moment auront très justement adoré son côté carte postale. Les chats d’Hydra par exemple, ses autres animaux insulaires, sa cohue enfin autant de saison. La vie est certainement belle, et d’ailleurs, pas nécessairement celle des autres. La presse grecque de cette fin août évoque la rareté et en même temps brièveté des vacances des Grecs. Août finissant au pays carte postale.

La Grèce carte postale. Hydra, août 2017

Le 15 août étant déjà un souvenir distant, Athènes se remplie de jour en jour. “À l’année prochaine et passons-nous un hiver si possible clément”, tel est le souhait traditionnel de cette fin août exprimé entre Grecs. En effet.

Dans les îles, les petits pêcheurs arrivent toujours à bon port pour y vendre leurs prises directement, le succès est assuré. La vie locale, celle qui est travaillée ne s’offrira pas forcement au premier regard des visiteurs. Tôt dans la matinée sur le port d’Égine par exemple, et pendant que les touristes sommeillent à l’hôtel ou à bord d’un voilier amarré, les marchants de primeurs étalent leurs fruits devant leurs bateaux fixés car muées en étales.

Leur sourire supposé habituel n’y est pas, le temps presse. La messe du dimanche se termine et les premiers clients vont bientôt arriver. À certains cafés d’Égine fréquentés par les habitants, le temps révolu semble être alors figé, prenant explicitement la forme de la décoration murale des lieux. Photographies et publicités d’antan suggéreront ainsi une certaine durée, voilà en tout cas pour ce qui relève du stricte domaine des impressions récurrentes.

Autres animaux. Hydra, août 2017
L’arrivée des pêcheurs. Golfe Saronique, août 2017
Marchand de primeurs. Égine, août 2017

Les habitants du matin, sensiblement plus matinaux que les touristes y boivent leur café, si possible grec, car l’espresso des cafés traditionnels n’est souvent pas leur point le plus fort. Les discussions tournent fatalement autour des conditions météorologiques en passant par le football, pour y arriver fatalement à la politique. “Vous de SYRIZA, vous salopez le pays, vous n’aimez pas la Grèce, vous la détruisez”.

“Tu ne peux pas dire cela lorsque les vieux grands partis ont gouverné de la sorte depuis la fin de la dictature des Colonels.” “Taisez-vous les gars et souvenez-vous des faits réels car vous avez l’âge, la dite dictature des Colonels avait mieux géré le pays que vos maîtres démocrates”, voilà pour ce qui tient de l’autre… couleur locale.

La messe du dimanche se termine, et le mendiant des lieux renforce… sa démarche auprès des fidèles sans trop de succès il faut dire. Signe aussi des temps, lassitudes. Sous ce si grand soleil levant du mois d’août, j’ai traduit pour les participants à mes programmes “Greece Terra Incognita” toute… la force de ce jugement déjà très vulgaire, peinturé sur une cabine téléphonique près du musée archéologique d’Égine.

“Varoufákis, indic, traître, paresseux, gigolo de rigolade, profiteur et salopard, méchant homme”, voilà pour cette… “diatribe”. Tout le monde sait que Varoufákis et son épouse de la classe aisée, possèdent une belle villa sur Égine, jadis fréquenté par la famille Tsipras, ceci expliquerait peut-être un peu cela.

Au café des habitants. Égine, août 2017
Avant la sortie de la messe et le mendiant. Égine, août 2017
“Varoufákis, indic…”. Égine, août 2017

Plus intelligemment, les personnages de Varoufákis et de Tsipras sont caricaturés pour les besoins du spectacle écrit par Aléxandros Kollatos, “Yanis et Alexis”. La pièce m’a été présentée par Aléxandros Kollatos (‘Yanis Varoufákis’) et Antonis Ziogas (‘Alexis Tsipras’) en avant-première au printemps dernier. Je constante que depuis, cette admirable satire politique connait alors le succès mérité, d’ailleurs Yanis Varoufákis l’a jugé fort réussie et quant à Alexis Tsipras, il n’a jamais voulu réagir.

Lorsque le spectacle avait été représenté à Égine en août 2017 (et ensuite à Hydra), il a été remarqué par ceux de la presse francophone, à l’instar du “Temps” de Genève: “Alexandre Kollatos, comédien et auteur franco-grec, prononce sur l’île d’Égine quelques mots à l’issue de la représentation de sa dernière satire, ‘Yanis et Alexis’: ‘Déçu par ce couple politique que j’avais pourtant soutenu et pour lequel j’avais voté, j’ai écrit ce texte pour faire rire.’ Les deux principaux personnages de la pièce sont Yanis Varoufákis, ministre grec des Finances, et Alexis Tsipras, premier ministre.”

’Yanis et Alexis’ à Hydra. Août 2017

“Au premier semestre 2015, le duo avait tenu en haleine toute l’Europe, tentant de mettre un terme aux politiques d’austérité imposées au pays depuis 2010 et de les remplacer par des solutions alternatives. Les négociations avec les créanciers du pays dureront six mois, avant de se solder, face à l’intransigeance de leurs interlocuteurs, par des résultats décevants: la signature d’un nouvel accord avec l’Union Européenne, la BCE et le FMI, qui impose à la Grèce de nouvelles mesures d’austérité, et la démission de Yanis Varoufákis. Cette période sert de trame à Alexandre Kollatos. L’auteur transforme le duo aux manettes du pays en un couple passionné, qui se débat à Bruxelles et rompt au bout de six mois.”

“La satire séduit. Ce 13 août au soir, la centaine de chaises déposées devant la scène en plein air n’ont pas suffi pour accueillir le public: il a fallu en réquisitionner dans la maison voisine. Un tel engouement n’est pas un hasard. SYRIZA est en chute libre dans les sondages et la déception gagne la population.” (“Le Temps”, 24 août 2017).

Après l’incendie sur l’île de Spetses. Août 2017 (presse grecque)

Mais dans l’autre vraie vie estivale, les incendies criminels et politiquement significatifs sévissent un peu partout en Grèce. Après l’île de Spetses (où fort heureusement le feu a été rapidement maîtrisé), c’est en mer Ionienne et plus précisément à Zakynthos que plus de 75 incendies se sont déclarés depuis le début de la saison (presse grecque du 27 août).

Certains en Grèce prétendent que ces incendies, toujours d’origine criminelle, accompagneraient en quelque sorte la future carte énergétique… de la colonie Helladique, entre passages des futurs oléoducs et gazoducs, et futures exploitations des gisements pétroliers et gaziers. Dramatisation ?

Cependant, et au soleil couchant, les visiteurs du pays et du moment adoreront surtout et d’abord son côté carte postale et nous avec, dans la mesure du possible. Sur une île seulement habitée d’une petite famille d’éleveurs, nous avons ainsi pu rencontrer l’animal semi-adespote des lieux, et les étables, pendant que les troupeaux se trouvaient en dehors pour paître… en liberté toujours surveillée.

Soleil couchant, île du Golfe Saronique. Août 2017
Les étables de l’île. Août 2017
Les étables de l’ile. Août 2017
Le chat semi-adespote de cette île. Août 2017

Mieux entourés… dans leur carte-postale, les visiteurs du pays photographient comme nous d’ailleurs les chats d’Hydra, île de caractère comme on aime dire non sans raison, une île aussi très fréquentée. Son tourisme, y est presque de masse et il faut attendre les mois d’automne et je dirais même d’hiver pour mieux retrouver l’inégalable atmosphère hydriote, celle ayant tant inspiré Leonard Cohen, ou nos poètes comme Odysséas Elytis.

Les plus chanceux parmi les visiteurs, ont même pu suivre la litanie de l’Icone de la Panagía (titre porté par la vierge Marie dans l’Église orthodoxe) sur le port de l’île, de nombreux Hydriotes, tout comme les officiels et les marins présents ont également assisté à la cérémonie marquant les neuf jours de la Dormition de la Sainte Vierge.

Les bars ont pour un bref moment enfin baissé le volume de leur “musique”. Fort heureusement dans un sens, les cartes postales encore vendues aux touristes ne sont pas… sonorisées et seules quelques photos de jadis intelligemment exposées ici ou là, rappelleront parfois aux visiteurs, certains aspects de l’économie d’antan. Images un eu floues ainsi exposées, entre les éponges péniblement pêchées par les équipages près des côtes de l’Afrique du Nord jusqu’à la première moitié du siècle précédant, ou encore plus près de nous, la… construction hôtelière plus récente, celle des années 1970.

Café à Hydra. Août 2017
Devant l’Icone de la Sainte Vierge. Hydra, août 2017
Métiers de jadis. Photo à Hydra, août 2017
Construction hôtelière des années 1970. Photo à Hydra, août 2017
Photographie animalière. Hydra, août 2017
Chat d’Hydra, août 2017

Temps et lieux d’alors et de l’effort, voire parfois d’une intense concentration. La couleur locale actuelle selfilisée en rajoutera une… ultime couche à sa sauce, durant l’été en tout cas. Les chats d’Hydra contempleront sans doute encore la mer d’après nos postulats anthropomorphiques, et c’est aussi de saison.

Dans le Péloponnèse et plus précisément à Hermione, non loin d’Hydra, le retraité grec paupérisé laisse éclater tout son emballement suite à sa prise… un petit poulpe plus exactement, les touristes de passage ont sensiblement applaudi, la carte postale est ainsi restée intacte.

Retraité pêcheur. Hermione, août 2017
Retraité pêcheur. Hermione, août 2017

Notre carte postale se voudra inlassablement harmonieuse et elle apparaîtra toujours de la sorte, il faut le souligner.

Entre deux escales et pendant que leurs clients visitent les lieux et autant les apparences de la toute dernière Grèce, les skippers professionnels iront boire leur café du mérite pour discuter mer, falaises et météo. Les sujets dits politiques demeurent et demeureront inabordables. L’autre vie, gagnée ou perdue au labeur comme à l’inactivité fait aussi péniblement partie du paysage du présentéisme grec actuel, au futur d’ailleurs inabordable car inconnu pour la majorité des habitants… de la carte postale.

Ma saison de… travailleur “Greece Terra Incognita” n’est pas terminée, et nos curieux et cultivés visiteurs auront parfois du mal à comprendre ce que signifie… l’abolition dans ce pays, du temps comme du futur potentiellement perceptibles. D’ailleurs ils ne visitent pas la Grèce que pour comprendre… et nous les comprenons.

Couleur locale. Hydra, août 2017
Ancre issue de la période antique. Musée d’Hydra, août 2017

Grèce côté carte postale, soleil surtout couchant. Chats d’Hydra et d’ailleurs, mouillages face au vent aux traces des mouillages anciens, eaux territoriales de l’instantané rajouté.

Remarquables réalités augmentées parfois privées de sens, la vie… est certes belle, carte postale et alors selfies !

Animal adespote. Hydra, août 2017
* Photo de couverture: Chat d’Hydra. Août 2017

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

Gaspillage alimentaire- Solidarité et entraide entre Grecs

Lessivés par une crise qui a parfois brisé leurs vies, les Grecs avancent à tâtons vers de nouvelles formes de solidarité qui concilient aide aux plus démunis et lutte contre le gaspillage alimentaire et la vie chère.

Derrière le marché central d’Athènes, Xenia Papastavrou vient en aide à cette Grèce déclassée qui fait la queue aux soupes populaires, en aidant à récupérer les invendus des magasins d’alimentation.

« En juin, on nous a donné 3.000 kilos de melons, en août on a reçu 7.200 petits packs de lait », explique cette Grecque de 39 ans, dans ses locaux. Sur l’écran de son ordinateur défilent des adresses d’associations caritatives dans tout le pays, des flèches et des tableaux de chiffres compliqués.

Son idée est pourtant des plus simples: mettre en relation les grands magasins, petites supérettes, cantines et restaurants qui ont des surplus et ces bénévoles qui manquent de tout pour distribuer des repas aux victimes de la crise.

« Boroume! » (Nous pouvons » en français), l’organisation qu’elle a créée il y a trois ans, au plus fort de cette épuisante crise, participe ainsi à la distribution de 2.500 repas par jour aux plus démunis, de Thessalonique à Patras en passant par Athènes.

Tous les jours, elle centralise les nouvelles offres de produits et trouve une association caritative proche qui a besoin de ces légumes, de ces pains ou « même de ces 12 tiropita (tourtes au fromage) restées invendues à la boulangerie du coin ».

« La Grèce est un pays qui jette beaucoup », explique-t-elle. « Dans les tavernes, si on n’a pas une pyramide de Khéops dans son assiette, un repas entre amis n’est pas réussi », ironise-t-elle.

Mais la crise a fait changer les esprits dans un pays où plus d’un quart des gens sont menacés de pauvreté, selon les statistiques officielles.

Dans son épicerie solidaire du bouillonnant quartier d’Exarchia, Tonia Katerini dresse peu ou prou le même constat: « En Grèce, il y avait jusqu’ici l’idée que manger des produits de qualité, ça coûte cher et les Grecs étaient peu regardants à la dépense », souligne cette architecte indépendante qui consacre une dizaine d’heures par semaine à cette coopérative. Sur les étagères en bois, le riz, les lentilles rouges ou l’huile d’olive vendus en vrac sont proposés en moyenne « 10 à 15% moins chers qu’en supermarché ».

Pour y arriver, l’épicerie coopérative Sesoula, comme les 11 autres qui ont fleuri à Athènes depuis que la Grèce est sous perfusion financière, se passe d’intermédiaires et négocie directement avec les producteurs.

Cette idée est née il y a trois ans avec le « mouvement des patates ». Des producteurs, mécontents des marges encaissées par les intermédiaires, se sont lancés dans la vente directe, jetant les sacs de patates des camions aux clients. A des prix imbattables.

« La crise nous oblige à en finir avec le chacun pour soi pour réfléchir à ce que nous pouvons faire ensemble pour nous sortir du pétrin », souligne Mme Katerini.

La famille a constitué jusqu’ici le garde-fou contre la misère dans un pays où un quart de la population est au chômage.

« Mais cela ne suffit plus », constatent les deux femmes. Quand la retraite des parents se retrouve encore amputée pour cause de nouveau plan de rigueur, quand le pécule économisé pour les coups durs s’épuise, « le collectif doit prendre le relais », poursuit Mme Katerini.

Avec cette crise sans fin, les files d’attente aux soupes populaires se sont allongées: des personnes âgées, de plus en plus nombreuses, des mères, aussi, beaucoup. Certaines arrivent casserole à la main « pour faire croire à leurs enfants qu’elles ont préparé le repas et dissimuler ainsi un peu leur pauvreté », explique Mme Papastravou.

Dans le quartier de Zografou, ni huppé ni vraiment populaire, ils étaient 80 à venir à la soupe populaire il y a six ans. Ils sont 500 aujourd’hui.

« Vous voyez comme c’est important de s’entre-aider collectivement », conclut-elle.

Source : Athènes AFP

mardi 29/8 http://www.lepetitjournal.com/athenes/accueil/actualite/224124-en-grece-on-s-entraide-en-luttant-contre-le-gaspillage-alimentaire

Zoe Konstatopoulou aux Universités d’Attac à Toulouse

Attac cherche son équilibre avec le parti de Mélenchon par Elsa Sabado sur Mediapart

Attac réunit son université d’été à Toulouse. Entre la dynamique autour de La France insoumise, qui porte une partie de son programme, et la défense de sa place particulière, à côté, et pas dans le mouvement politique, l’organisation est tiraillée.

Toulouse (Haute-Garonne), envoyée spéciale.-  À presque vingt ans d’âge, Attac a réussi à rassembler 2 000 personnes à son « Université d’été des mouvements sociaux ». Dans les corridors chauds et venteux de l’université refaite à neuf, se pressent militants français, allemands, belges, espagnols, grecs, en lutte contre les multiples conséquences du néolibéralisme. Syndicalistes, écologistes radicaux, militants contre la finance, la dette et l’évasion fiscale, sont venus préparer leur rentrée sociale dans une foule d’ateliers, de forums, de meetings. Et « pour la première fois dans l’histoire des universités d’été d’Attac, il y a un espace ouvert pour parler des relations entre les mouvements sociaux et les partis politiques », relève Annick Coupé, ancienne porte-parole de l’union syndicale Sud-Solidaires, organisation fondatrice d’Attac.

En France, les données de cette rentrée sont particulières. En mai, Emmanuel Macron, représentant de l’exact opposé des valeurs d’Attac, est arrivé au pouvoir. Mais la séquence électorale a surtout vu une montée en puissance de La France insoumise à gauche de l’échiquier français, écrasant le reste des forces politiques sur son chemin. Or, une bonne partie des bataillons d’Attac a mené la campagne de Jean-Luc Mélenchon. Se pose donc avec acuité la question du rapport entre le mouvement social et le parti politique. D’où ce débat du jeudi 24 août dans l’amphi C de l’université du Mirail.

Le discours que tous attendent dans cette salle, c’est celui d’Éric Coquerel, un des piliers de La France insoumise, engagé depuis des années dans les collectifs unitaires rassemblant mouvements, syndicats et partis sur diverses questions. « Pendant des années, nous avons cherché à construire des alternatives, des mouvements de résistance au libéralisme à travers des cartels d’organisation à gauche de la gauche, sans parvenir à dépasser les intérêts de la somme de nos appareils. Le débat n’est pas le même qu’il y a cinq ans. Aujourd’hui, il n’est pas anodin que des forces de gauche radicale soient en capacité de prendre le pouvoir. Podemos fait 20 %, Syriza est au pouvoir en Grèce, le Labour, en Angleterre, fait de très bons scores. En France, la FI tient ce rôle », avance-t-il. Avant de lister les caractères de son mouvement politique, qui se trouvent être très proches de ceux d’Attac, dont le programme s’appuie sur le travail des associations : adhésion directe, implication citoyenne, éducation populaire.

Pour le député de Seine-Saint-Denis, désormais, la question n’est plus d’organiser la résistance au néolibéralisme, car la réponse est toute trouvée, c’est La France insoumise. « La question, c’est de la rendre majoritaire. » Une phrase finit de faire tiquer une partie de l’assemblée : « Si la question des liens avec les mouvements sociaux se pose, elle ne se pose pas en externalité. Vous, c’est nous et nous c’est vous », conclut l’insoumis. Car si une partie importante des adhérents d’Attac a voté, voire mené la campagne de Jean-Luc Mélenchon, c’est loin d’être le cas de tous : nombreux sont ceux qui cumulent leurs cotisations à Attac et chez EELV, au NPA, à la gauche du PS. Et quand bien même leur cœur balancerait pour la FI, les adhérents d’Attac tiennent à l’autonomie du mouvement vis-à-vis des forces politiques. Cette préoccupation renvoie notamment à l’histoire du mouvement ouvrier français, marqué par la question de l’indépendance syndicale.

Yannick Jadot, à la tribune, porte la contradiction : « Il y a des désaccords chez les militants des mouvements sociaux, notamment sur la question de l’Europe. Un seul mouvement politique ne peut pas incarner la diversité du mouvement social », commence le député européen. « Quand on est un leader, on doit rassembler contre cette logique d’hégémonie », estime un adhérent d’Attac. Annick Coupé, ancienne porte-parole de l’union syndicale solidaire et au bureau d’Attac, voit elle aussi d’un mauvais œil les ambitions de La France insoumise. « On a déjà vu cela dans l’histoire du mouvement ouvrier : le parti communiste prenait en charge les mouvements de femmes, de jeunes, la CGT… mais les mouvements sociaux sont des contrepouvoirs y compris au sein de leur camp. La politique du parti communiste quant aux questions féminines était très traditionnelle. Il a fallu que le mouvement féministe se construise à côté, en friction pour qu’il finisse par intégrer ses revendications. La FI a une tendance naturelle à considérer qu’ils ont la légitimité pour incarner le mouvement social dans sa globalité », déplore la syndicaliste.

Une défiance que ne partage pas Flavia Verri, engagée à la fois à la FI et à Attac : « En ce moment, je participe à un collectif unitaire contre le CETA, impulsé notamment par Attac. Nous envisageons de lancer un référendum contre les traités de libre-échange. Nous aimerions que les députés de la FI portent nos propositions, qu’ils interviennent lors de la ratification du traité à l’Assemblée. Je vois ainsi notre collaboration : nous apportons notre expertise aux élus », veut croire cette militante.

Complémentarité versus concurrence

Que dire alors de la date de la manifestation contre la loi travail proposée par la seule France insoumise, fixée sans consulter aucune autre force politique au 23 septembre, quelques jours après celle appelée par les syndicats ? « Pour moi, ces deux dates sont complémentaires. Elles ne ciblent pas les même personnes : il y a ceux qui peuvent faire grève et les autres, et ils peuvent agir dans le même sens. » Benjamin Joyeux, écologiste et contributeur à Mediapart, s’inscrit en faux contre ces arguments : « Il s’agit d’une initiative purement identitaire, car elle intervient après la fin des négociations. Le but n’est pas d’influer sur celles-ci, mais de faire la démonstration que la FI est la seule force d’opposition à Macron. Ce n’est pas étonnant, lorsqu’on sait que Mélenchon comme Iglesias de Podemos s’inspirent de la théorie gramsciste de l’hégémonie », analyse l’altermondialiste.

« Il faut acter qu’aujourd’hui, il y a une force politique à la gauche du PS qui permet de drainer des gens nouveaux, qui n’ont jamais milité, et de dépasser le cercle des convaincus habituels. Attac gardera son autonomie par rapport à La France insoumise comme elle l’a gardée vis-à-vis de l’ensemble des autres forces politiques et syndicales. Nous, nous voulons renforcer nos luttes communes avec La France insoumise, mais nous voulons travailler en complémentarité plutôt qu’en concurrence », souligne Aurélie Trouvé, actuelle présidente d’Attac, qui tente de faire la synthèse, sans brusquer les militants de la FI adhérents à Attac, tout en continuant de défendre une autre voie.

Une des particularités d’Attac tient à son existence dans divers pays. Les interventions des altermondialistes dont les pays sont en avance sur la France quant à l’éclosion d’une force de gauche radicale importante invitent à rester prudents. En Espagne, par exemple, les cadres du mouvement social ont été nommés à des postes à responsabilité dans les mairies prises par Podemos ou Izquierda Unida, comme à Barcelone ou à Cadix. Les représentants espagnols rappellent, lors du débat, la nécessité de rompre avec les institutions, car l’endettement les empêche de satisfaire les revendications pour lesquelles ils ont été élus. Plus grave encore, alors qu’ils ont les poings liés dans les institutions, ils sont absents sur le terrain de la rue, et n’occupent plus leur rôle de contre-pouvoir. « Et pendant que la droite se refait une santé à Barcelone, nous ne sommes pas là », s’inquiète un adhérent espagnol présent dans la salle.

Syriza, un dauphin dans la mer des mouvements sociaux

L’expérience partagée par Zoi Konstantopoulou est tragique. Cette avocate militante des droits de l’homme a présidé le parlement grec les neuf premiers mois du gouvernement Tsipras. Elle a alors réalisé un audit de la dette de la Grèce, avec Éric Toussaint, dirigeant du CADTM (comité pour l’abolition des dettes illégitimes), une des organisations qui pèsent à Attac, et demandé son annulation. La militante a ensuite rompu avec fracas avec Tsipras lorsque celui-ci a finalement signé, le 15 juillet 2015, l’accord avec la troïka – FMI, Banque centrale européenne, Union européenne – imposant une politique d’austérité aux conséquences catastrophiques pour les Grecs, qui se poursuit encore aujourd’hui. Très proche de Jean-Luc Mélenchon, elle anime avec lui « Le Plan B », rassemblant les dirigeants de gauche radicale sur la même ligne sur les questions européennes. « Nous avions l’habitude de dire que Syriza nageait dans les mouvements sociaux comme un dauphin dans la mer. Mais malheureusement, cette relation n’a pas eu les conséquences que j’imaginais. Arrivés au pouvoir, les dirigeants de ces mouvements sociaux sont devenus des cadres gouvernementaux. Si vous m’aviez posé la question en mai-juin 2015, j’étais à 95 % sûre qu’Alexis Tsipras ne signerait pas d’accord avec la troïka. Et si les 5 % restants se réalisaient, j’étais sûre à 100 % qu’il n’obtiendrait pas la majorité dans Syriza, justement parce qu’il s’agissait de militants de longue date », narre Zoi Konstantopoulou. « J’ai vu le représentant emblématique de la lutte contre la privatisation des ports devenir ministre des affaires maritimes, apposer sa signature sur le document de privatisation du Pirée. Un grand militant contre la dictature et pour les droits de l’homme est désormais président des affaires économiques du gouvernement qui a fait un coup contre la démocratie et le mandat que leur avait donné le peuple », affirme l’ancienne présidente du parlement. « Les mouvements sociaux ont perdu leur autonomie vis-à-vis de Syriza, et lorsque Tsipras a trahi, la plupart des cadres gouvernementaux ont préféré rester au pouvoir plutôt que défendre le mandat populaire. Si les mouvements sociaux cèdent à un parti, et que ce parti perd sa notion de fidélité au peuple, c’est la recette de l’échec », avant de jouer les Cassandres : « La Grèce est le futur de la France, de la Belgique, de l’Allemagne. »

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