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Coronavirus et plan de sauvetage des banques

Le plan de sauvetage bancaire massif qui se cache derrière les mesures contre le Coronavirus 20 mars par Aline Fares 

Les réponses gouvernementales et populaires face à la pandémie se mettent en place. Pendant ce temps, une crise financière s’est déployée sans que nous soyons convié.e.s à la discussion. Banques centrales et gouvernements empilent les annonces de soutien par dizaines de milliards, pour nous rassurer et nous permettre de passer la tempête. Elles sont aussi là pour éviter la faillite du système bancaire, et éviter trop de pertes aux « investisseurs ».

  Sommaire
  • Un plan de sauvetage des banques camouflé
  • Ceux qui sont vraiment touchés par la crise financière
  • Ne pas répéter les mêmes erreurs qu’en 2008

Un plan de sauvetage des banques camouflé

Alors que les gouvernements nous communiquaient les mesures visant à cantonner l’expansion du Coronavirus et que, chacun.e, nous prenions progressivement la mesure de ce qui allait nous arriver, les mêmes gouvernements, la Commission européenne et les banques centrales annonçaient des plans massifs de « soutien à l’économie » :

25 milliards en Italie, des dizaines de milliards, sans plafond, « quel qu’en soit le coût » en France, 50 milliards de dollars dans le cadre du plan d’urgence aux USA, 37 milliards alloués par les institutions européennes…

Tout cela arrive sur fond de « crise financière », ou plutôt de panique majeure des investisseurs qui constatent bien que, non, ils ne feront pas les bénéfices escomptés cette année. Quoique. Parce que ces plans de sauvetage, quelles visées ont-ils ? Certes, les annonces peuvent nous apaiser, apaiser les entrepreneurs et entrepreneuses, les employé.e.s des petites entreprises et autres structures : une allocation leur sera payée en remplacement de leurs revenus.

Mais ces mesures ressemblent aussi diablement à un massif plan de sauvetage des banques qui ne porte pas son nom.

Valeur du Dow Jones entre décembre 2019 et mars 2020, montrant le plus haut historique de février et le crash de février et mars lors de la pandémie de COVID-19. Crédit : Renerpho
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Ceux qui sont vraiment touchés par la crise financière

Des semaines que les bourses paniquent, que les investisseurs et autres détenteurs de capitaux courent comme des poulets sans tête, vendant ce qui pourrait ne plus rapporter autant que prévu à cause des arrêts de production, de la chute de la consommation, et donc des moindres profits à venir ; achetant ce qu’ils espèrent pouvoir être un meilleur pari.

Pendant ces semaines, presque rien dans les journaux papier grand public sur les krachs boursiers en cours. Quelques lignes ici et là. Quelques minutes aux journaux des radios et des télévisions. Comme une anecdote, un vague fait divers.

Pourtant, les journaux économiques en font leur une depuis le tout début de la propagation du virus. Et cela occupait très certainement le premier rang des préoccupations de la minorité d’individus dont le patrimoine est très lié aux cours de bourse et autres valeurs financières. Les banquiers et conseillers financiers à leur service devaient être sur la balle depuis quelques temps.

« On » n’en a pas parlé au-delà des cercles avertis parce que le virus, au fur et à mesure de son avancée, avait un impact beaucoup plus immédiat sur les populations que les tribulations boursières. Qui a un compte titre, qui détient des actions, des obligations ? Pour prendre l’exemple de la Belgique, 40 % de la population n’a pas 1000€ devant soi une fois les dépenses courantes réalisées, alors que 10 % de la population détient 85 % des titres financiers.

En France, moins de 9 % de la population a un patrimoine lié à la bourse.

A bien des égards, ce qui agite les marchés financiers est différent de ce qui provoquait la crise de 2008, mais finalement, on en revient au même :

lorsque après des années de délire spéculatif, après des années de soutien à la « croissance » grâce à l’argent facile des banques centrales, après des années d’un endettement impossible à soutenir et pourtant bien là, après des années de complaisance des États envers le secteur financier, lorsque – après tout cela et plus encore – la valeur des titres financiers s’effondre, ce sont les banques, au cœur de la machine à fabriquer des dettes et des produits financiers, qui risquent l’explosion.

Et lorsque dans le même temps, les ménages et les entreprises rencontrent des difficultés telles qu’ils ne pourront rembourser leurs crédits, cela ne fait qu’ajouter aux risques de faillites bancaires. Alors oui nous sommes bien dans une situation similaire à celle de 2008.

Selon les calculs des experts d’Attac et Basta !, le coût du sauvetage des établissements de l’Hexagone s’est élevé à 30 milliards d’euros en France en 2008/2009

Ne pas répéter les mêmes erreurs qu’en 2008

Je détaillais les mécanismes d’une crise financière et le rôle central des banques, et comment leur possible faillite nous ‘tient’, dans un article publié en décembre 2019 et intitulé « Prochaine crise financière : faire dérailler le scénario du désastre ».

Mais cette fois, comme on n’oublie pas de nous le répéter, ce serait une « crise d’offre » à laquelle nous ferions face : l’appareil de production est partiellement arrêté, les bars et restaurants, les lieux de loisirs, les lieux culturels, et les commerces et activités qui ne fournissent pas des biens et services essentiels (c’est-à-dire : soins de santé, eau, alimentation, énergie, transport…) sont fermés ou limités dans leurs ouvertures.

Alors, qui va payer tou.te.s ces employé.e.s, déclaré.e.s ou pas, bénéficiaires d’allocations ou pas, laissé.e.s sur le carreau mais qui devront pourtant bien payer le loyer, l’eau, le gaz, l’électricité, les courses… et le remboursement des crédits ? C’est une question importante.

Pourtant, la simplicité et l’énormité de la réponse des États et des banques centrales mélange la prise en charge de tout cela avec un autre sauvetage qui serait absolument inacceptable pour la population : celui des banques et du système financier, sans remise en question profonde de leur fonctionnement, de ce qu’elles sont occupées à faire, de qui les possède.

Des mesures qui incluent des garanties sur les crédits des entreprises (pour éviter des pertes dans le chef des banques), des échelonnements de paiement, des suspensions de paiement – mais pas d’annulation de créances par les banques. Des plans « au bazooka » par des gouvernements qui sortent les gros bras, des milliards d’argent public, et puis c’est tout.

Alors bien sûr, cela pose de multiples questions :

  • Que signifie ce soutien à l’économie ? Si l’on « sauve » les « petit.e.s » que nous sommes, est-ce uniquement pour notre bien, ou est-ce pour s’assurer que nous payons bien notre loyer au propriétaire, et nos traites à la banque ?
  • Les États « sauvent » avec les mêmes moyens qu’en 2008 : en s’endettant. Comment pourrait être remboursée cette dette sinon par des politiques d’austérité encore plus drastiques que les précédentes ?
  • Les banques centrales enchaînent depuis des années les mesures ‘non-conventionnelles’ qui ne signifient rien d’autre qu’un déversement de moyens dans le système financier pour éviter à tout prix qu’il ne vacille et que les créanciers, les détenteurs de capitaux ne perdent leur mise. A quoi cela sert-il de maintenir un appareil qui a prouvé et re-prouvé sa dangerosité, son caractère prédateur, son inanité sinon à éviter de se confronter à la question des pertes que devront bien prendre un jour ou l’autre ceux qui accumulent depuis si longtemps ?

Et elles en amènent d’autres :

  • Est-ce dans tous les cas nécessaire de faire appel à l’État pour éponger les pertes liées aux réductions et arrêts d’activité ?
  • Vu les fortunes qui se cachent derrière les créanciers des banques et des entreprises, derrière les actions qui dévissent, pourquoi est-ce qu’on ne regarde pas plutôt par là ? Sommes-nous d’accord pour que ce soutien public bénéficie encore une fois aux mêmes, ceux qui nous coûtent si cher, nous font si mal et mettent la planète à sac ?

Les grandes entreprises ont publié leurs résultats 2019 il y a peu ou sont en train de le faire. Elles ont déjà annoncé les dividendes qui seront versés à leurs actionnaires au titre de leur formidable année 2019 : pourquoi ne pas imposer qu’elles abandonnent le paiement des dividendes pour prendre en charge elles-mêmes les pertes liées au non-paiement des factures et autres créances par leurs client.e.s en difficulté – allocataires sociaux, petits revenus, petites entreprises… ?

Il est important que l’on discute de tout cela, confiné ou pas, et elles en amèneront certainement encore bien d’autres. Elles sont importantes dès aujourd’hui. Car au-delà des dépenses immédiates liées au Coronavirus (notamment pour l’hôpital public et tout le personnel soignant), au-delà du soutien immédiat qu’il serait nécessaire d’apporter aux personnes faisant face à des difficultés matérielles et donc sanitaires immédiates (accès à un logement sain, sûr et suffisamment spacieux, accès à l’eau, la nourriture, l’énergie), il nous faut nous demander ce qui mérite d’être sauvé.

Qui doit payer le grand sauvetage de l’économie, et de quelle économie parle-t-on, de qui parle-t-on ? Arrêtons de croire que des pertes importantes dans la finance et dans les banques seraient une catastrophe pour tout le monde. Imposer les pertes à ceux qui ont accumulé sur notre dos et au prix de destructions incommensurables depuis toutes ces années, est une nécessité – et ne nous inquiétons pas : ils en ont très largement les moyens. [A suivre…]

Auteur.e Aline Fares

Conférencière, auteure et militante. Voir également sa page « Chroniques d’une ex-banquière »

Coronavirus et faillite globale du néolibéralisme

Coronavirus et faillite globale du néolibéralisme Par Gérard Collet Attac 38

Dures épreuves pour le nouveau monde d’Emmanuel Macron. Dures épreuves pour le monde auquel il prétend adapter notre peuple. La « marche » réformiste se transforme en parcours d’obstacles.

Gilets jaunes, grèves pour la défense des retraites, migrations aux frontières de l’Europe, mouvements hospitaliers, et pour finir, coronavirus.
L’actualité de ce milieu de quinquennat a en effet été fort riche d’événements apparemment disparates, fortuits, d’importance variable, qu’ils soient sociaux, géopolitiques ou naturels…
Et pourtant, à y regarder de près, tout cela dessine un ensemble cohérent où se retrouvent les grandes impasses civilisationnelles, les impasses du « paradigme néolibéral »
pour employer un « élément de langage » à la mode.

Chacun de ces événements a été immédiatement commenté et si possible mis à profit par les sphères de pouvoir assistées des média « mainstream »i, les plus fortuits servant évidemment à masquer les plus politiques. Cela n’a échappé à personne, mais avec la complicité – volontaire ou pas – des media, la manœuvre a tout de même en partie réussi, et a imprégné les analyses et les opinions.
Tous ces éléments convergent en effet sur deux points essentiels.
En premier lieu, ils démontrent tous l’ineptie des concepts apparemment rationnels de la construction concurrentielle et managériale chère au néolibéralisme.
Ensuite, il apparaît de plus en plus que derrière chacun de ces phénomènes, leurs interprétations, et les polémiques auxquelles ils donnent lieu, se dissimule une vision philosophique, voire anthropologique du monde.

Un monde réticent aux dogmes libéraux

L’affaire du coronavirus qui chamboule l’actualité et inquiète à juste titre les autorités comme les individus ne paraît pas à première vue de nature politique. Elle fournit pourtant des illustrations spectaculaires des catastrophes que préparent avec obstination des dirigeants politiques qui mettent leurs obsessions technocratiques au service des conceptions néolibérales et de leur mise en œuvreii.
Mais cette affaire n’est pas la seule, et l’ensemble des événements du monde réel semblent se donner le mot pour démontrer la faillite du capitalisme libéralisé et financiarisé. Ces impératifs qui se traduisent dans nos sociétés par des politiques de management et de rationalisation qui écrasent tout sur leur passage.

Ces événements démontrent en effet à quel point ce qui semble émaner d’une logique indiscutable fait en réalité l’impasse sur les réalités d’un monde humain, soumis à des aléas incontournables. Accidents météorologiques, catastrophes industrielles, mouvements sociaux, migrations, sont de ceux que les meilleurs cerveaux assistés des meilleurs « algorithmes » ne peuvent comptabiliser. L’épidémie de Covid-19 venant évidemment mettre un point d’orgue en ce début d’année.
Issus des cogitations de théoriciens forcenés qui guident les dirigeants politiques en place
iii, ces concepts font en effet l’impasse totale sur les dimensions sociales et humaines, ainsi que sur les aléas naturels et les limites du monde physique. Dans leur échafaudage politique et économique, à l’image de l’Homo œconomicus l’homme est prévisible, calculable, il est un « consommateur » conscient, agissant en fonction de son intérêt bien compris. Dans ce monde là, il n’y a pas de mouvements sociaux spontanés et durables, pas d’éruptions volcaniques, pas de tsunamis, pas de tremblements de terre. Il n’y a pas de limite à l’exploitation de la nature… ni des hommes. Il n’y a pas de révolutions… et il n’y a pas non plus d’épidémies incontrôlables.
Rien de tout cela ne doit exister, car cela défie les organigrammes prévisionnels, car les invraisemblables montages financiers qui valorisent le capital ne le supporteraient pas.

Pour que les modèles que les pouvoirs mondiaux tentent d’imposer partout puissent fonctionner, il faut qu’aucune paille ne s’y glisse. Le profit et la finance flux tendu ne le supportent pas. A moins qu’après avoir remplacé avantageusement les travailleurs par des robots, l’on finisse par robotiser également les consommateurs et les électeurs. Laurent Alexandre proposera sans doute prochainement une tribune en ce sens.

On comprend aisément qu’avouer cette faille congénitale remettrait tout en cause.

Il faudrait pourtant bien qu’un jour pas trop lointain des dirigeants lucides l’admettent… mais ce ne sera pas Emmanuel Macron, bien trop occupé à faire survivre encore ce système.

Bien sûr, dans sa dernière intervention, le président a pensé nécessaire d’intervenir auprès de la nation pour mobiliser l’attention de manière solennelle sur la « crise sanitaire majeure qui s’annonce », et donner les grandes lignes de la stratégie qui allait être suivie. Il semble indéniable qu’Emmanuel Macron a saisi l’importance de l’événement en cours, et que son discours a reconnu la hauteur des enjeux.
Il est cependant plus qu’évident qu’il saisissait là une occasion rêvée de se replacer au centre de l’arène en se donnant le beau rôle. Et pas moins évident que le Covid-19 lui a fourni l’opportunité d’appeler à la cohésion et à l’union sacrée, en l’occurrence derrière lui, en posture de sauveur responsable et lucide. Sans surprise, la sauvegarde exige maintenant selon lui que « nous suivions tous le même chemin ».
Il est tout de même permis de douter de sa découverte soudaine des « failles de notre modèle de développement » alors même que toute son action, depuis son arrivée aux affaires a précisément consisté à accélérer l’adhésion à ce modèle en manœuvrant tous les leviers à sa disposition. Alors que sa récente utilisation du 49.3 ne révèle guère la passion d’un « chemin commun » iv.
Enfin, est-il possible, est-il crédible que cet homme dont l’intelligence nous a été tant louée ait mis tant de temps à réaliser le danger, l’ineptie du « modèle de développement » qu’il a servi fidèlement jusqu’ici v? A-t-il donc fallu à Jupiter cette épreuve pour découvrir qu’il « y a des biens non marchands » ? Mais que n’élargit-il ses lectures !

La tentation est alors forte de ne voir dans ce discours qu’une triviale posture opportuniste espérant couper l’herbe sous les pieds des opposants politiquesvi. Et dans ce cas, le président, une fois de plus n’aura fait que brouiller les pistes et retarder la mise en œuvre de vrais changements de cap.

Car hélas, comment abandonnerait-il ces théories de rationalisation, d’optimisation, de « libération des énergies » – étayées par des modèles mathématiques et leurs traductions en algorithmes – qui pilotent les grands choix politiques agissant sur nos viesvii, comment renoncerait-il aux fameuses « réformes » pour lesquelles les donneurs d’ordres l’ont placé là, lui et son équipe « En Marche » 

Á suivre l’actualité du Monde, on est donc stupéfaits de la duplicité des acteurs politiques, de ceux qui les interviewent, ainsi que des analystes « orthodoxes ». Car chaque nouvelle qui nous parvient met en évidence de manière criante la faillite des concepts défendus et des réformes exigées. Et chaque événement fournit une démonstration du grand-écart auquel se livrent les gouvernants pour dissimuler encore cette débâcle, des prouesses d’hypocrisie et de contradictions qu’ils doivent réaliserviii.

Voyons ça.

Des prouesses de duplicité

Ne perdons donc pas de vue les antiennes inlassablement répétées par les classes dirigeantes, du MEDEF aux économistes aux ordres et aux politiques qui les servent. Ils nous ressassent sans fin les risques de l’endettement public, les déséquilibres des comptes de la sécurité sociale, la faillite des hôpitaux endettés, les méfaits de l’impôt, le handicap des lois sociales et des charges afférentes. Ils ne manquent pas une occasion de rappeler les dangers de « l’assistanat » et de « l’État providence ». Et d’un bord à l’autre de l’échiquier, ils n’attendent le salut éventuel que d’une renaissance de la croissance. Ils n’ont sur les lèvres que les mots de compétitivité, de coûts de production, qui pilotent organisations économiques et choix politiques.
La logique de leur credo les a conduits à parier sur la désindustrialisation de nos pays, à la « délocalisation » de toutes les activités fussent-elles stratégiques, et mène tambour battant les divisions du macronisme à avaliser la vente des aéroports, des barrages, bientôt de la SNCF, d’EDF… et à préparer en sous-main un glissement des retraites vers la capitalisation…

Or qu’entend-on sans relâche, que lit-on partout, que répètent jusqu’à la nausée nos dirigeants ?

Eh bien, culbutant soudain sans la moindre honte leurs rengaines libérales et leur volonté de réduire les dépenses de l’État, ils s’acharnent à chaque actualité imprévue à affirmer que c’est l’État qui répondra présent, et fournira les solutionsix.

Et il saute aux yeux les moins avertis qu’en effet, qu’il s’agisse d’accident industriel, de catastrophe naturelle, de crise financière ou de fermeture d’usine retentissante, ce n’est pas l’entreprise, ce n’est pas la sphère financière qui apportera la réponse, fussent-elles directement responsables des dégâts. Car ce n’est pas leur rôle, ce n’est pas la logique qui les anime. Car cela n’entre pas dans leurs bilans, pas dans leurs attributions. Plus fondamentalement, parce que le modèle entrepreneurial, le modèle capitaliste du fonctionnement des entreprises, des montages financiers qui les téléguident et de leurs exigences de profit ne porte que sur leur propre sphère d’influence. Les conglomérats multinationaux (ou pas) ne s’intéressent en rien aux « effets de bord » de leurs activitésx, qu’il s’agisse de naufrages de pétroliers, d’explosions d’usines chimiques ou de bulles financièresxi.

Ne comptons pas non plus sur ce modèle du monde pour tenir compte des effets de bord dévastateurs de ses activités dans les questions environnementales ou climatiques ; le réchauffement pas plus que les effets du glyphosate, du tabac, des sacs plastiques ou de l’amiante n’entrent dans les schémas de ses glorieux PDG, de ses conseils d’administration ni ne répondent aux attentes de ses actionnaires. Interpellés, tous répondront invariablement : « non coupable », « pas les seuls », voire : « Qu’ils viennent me chercher ! » Car ce modèle ne possède aucune théorie des bien communs, aucune théorie du maintien des conditions de vie sur notre Terrexii, pas le moindre « indicateur » du bien être social, aucune conception de la santé publiquexiii. Tout au plus tente-t-il hypocritement de faire rentrer au chausse-pied dans son modèle marchand la problématique de libération du carbone dans l’atmosphère, feignant de ne pas connaître les effets financiers pervers inévitables du « marché du carbone ».

Tout se passe donc comme si chaque interpellation du politique par les aléas du monde rappelait le rôle irremplaçable de l’état, seul représentant valide de l’intérêt collectif, seul susceptible de le prendre en comptexiv. Alors que dans le même temps, appliquant imperturbablement les croyances de ses dirigeants, ce même état s’évertue à se priver de tous les moyens d’action, à vendre à l’encan les biens publics fussent-ils d’importance stratégique, à rogner ses propres ressources en baissant l’impôt et en tolérant l’évasion fiscale, à dénoncer le coût des services qui sont précisément ceux qui lui permettent de faire face à l’adversitéxv. Et à renoncer progressivement à tous les leviers qui le lui permettent réellement.

Modèle « entrepreneurial »

Or si l’État peut être pénétré par des logiques privéesxvi, l’entreprise ne l’est jamais par celle du bien commun.

Il convient de dénoncer l’obstination des néolibéraux à accréditer l’idée de l’omnipotence du « modèle entrepreneurial », sensé être le plus « efficient », et à faire admettre qu’il est à même de traiter, à moindre coût et beaucoup mieux que les pouvoirs publics, un nombre croissant de tâches. De l’hôpital à l’université, puis subrepticement à l’enseignementxvii et à la recherche, ce modèle fait inexorablement tâche d’huile… jusqu’à légitimer l’idée qu’un promoteur immobilier sachant gérer une chaîne de télé-réalité est le mieux placé pour présider aux destinées d’un grand état.

La crise en cours porte à relativiser le verbe « gérer », fétiche des lauréats d’écoles de management.

Certes, pour ce qui est de la France, Macron et sa REM ne sont pas les inventeurs de cette dérive aveugle. On sait qu’elle est à l’œuvre depuis la fin des 30 glorieuses, depuis M. Reagan et Mme Thatcher, et qu’elle est congénitale à la fondation de l’UE qui intégrait dès l’origine tous les impératifs d’un capitalisme libéral affamé d’expansionxviii.

Cependant, il est évident que la Macronie accélère singulièrement le rythme ; c’est d’ailleurs la raison pour laquelle elle a été propulsée aux commandes. La logique interne aux credo néolibéraux s’enivre de sa propre course comme un cheval fou que personne ne retient. Cette mécanique implacable l’entraîne sans possibilité de retour, exigeant sans cesse davantage de croissance, de productivité, d’ouverture des marchés, davantage de privatisationsxix, de réduction de dépenses publiquesxx, de recul des droits sociaux…

Un imaginaire collectif délétère

Et pendant toute cette période, conscients de l’importance de « l’hégémonie culturelle » chère à Gramsci, les chantres du néolibéralisme ont travaillé sans relâche à imprégner l’imaginaire collectif de concepts ad-hoc, décrits par les euphémismes de la novlangue.
N’allons pas jusqu’aux mots fétiches de la start-up nation, qui font encore sourire et s’expriment uniquement en globish ; tenons-nous en au discours devenu commun, celui des chaînes d’information, des organes de presse, celui qui a pénétré toutes les sphères professionnelles et s’impose dans les dialogues et formate les pensées.

Assistanat, austérité, charges sociales, compétitivité, compétence, cohésion sociale, concurrence, déficit structurel, dette publique, excellence, paix économique, flexibilité, fraude sociale, intérim, privatisation, rationalisation, rentabilité, partenaires sociaux, crispation, handicap salarial..xxi. Liste à laquelle s’ajoute évidemment la plus belle trouvaille du président : Premier de Cordée.

Tous ces « éléments de langage », introduits à dessein par les classes dominantes, ont un dénominateur commun : lorsqu’ils décrivent les objectifs de ces classes, ils possèdent une jolie sonorité et une connotation positive ; mais ils prennent soudain un son sinistre, louche et rétrograde s’ils parlent de leurs opposants. La compétitivité, par le biais des si belles « compétitions » – et l’on pense inévitablement à une coupe du monde de foot – , est brillante, glorieuse, dynamique, jeune et nécessairement victorieuse. Les « charges sociales », en revanche, évoquent des employeurs pliant sous le poids des revendications de leurs salariés, elles sont imposées aveuglément par un état prêt à « assister » une horde de fainéants. Il faut avant tout éviter de rappeler qu’elles fondent la protection contre l’adversité, principal progrès pour les humbles et même les moins humbles, nécessité individuelle autant que collectivexxii.

Il s’agit là d’une évidence de fait, mais le but de la manœuvre est d’accréditer ces concepts, d’en faire les seuls outils pour décrire le monde.

Le cas de la « Dette publique » est emblématique de cette manipulation des mots et des concepts. Alors que l’interprétation de cette aspect des comptes publics a donné lieu à des dizaines d’ouvrages et d’articles contradictoires, dont certains pointent son caractère inhérent au capitalisme financiarisé et non au laxisme de l’étatxxiii, la métaphore régulièrement assénée au public se limite à celle du mauvais père de famille endetté, dispendieux et joueur qu’il faut sévèrement ramener à la raisonxxiv.

Pour parfaire cette mystification symbolique, durant toute cette période, les chantres de l’économie de marché se sont efforcés de faire croire à la mainmise idéologique de « cryptomarxistes » victimisant de malheureux libéraux étouffés par la pensée collectiviste, tandis que c’était bel et bien l’inverse qui se produisait comme on le constate aujourd’hui.

Chronique d’une faillite annoncéexxv

Or voilà que l’actualité, dès qu’elle n’est plus à la main du « Maître des horloges », s’ingénie à prendre à revers les concepts majeurs de ce système, contraignant ses hérauts à des acrobaties risibles, dérisoires et délétères. Car personne n’en est dupe, de l’analyste chevronné à l’auditeur ingénu. D’où la méfiance sans cesse accrue dans le récit des Élites.

C’est donc à une pathétique faillite que nous fait assister notre président, celui que ses promoteurs, ses agents publicitaires nous ont vendu sous le label Jupiter en vantant les multiples facettes de son intelligence, de son omniscience, de sa capacité à « révolutionner » le monde en douceur, en balayant les structures surannées dont s’encombraient les « conservateurs ». Et dans cette faillite le suivent et l’assistent ses ministres et l’armée de ses élus de fraîche date.

Une faillite dans les faits

On assiste successivement, dans ce contexte économique et politique, à une série impressionnante de crises qui semblent programmées d’avance, et devraient amener à « renverser la table ». Ce que les élites promettent à chaque fois la main sur le cœur.

Pas moins d’une vingtaine de crises de type monétaire ou financier sont répertoriées depuis les années 80, dont un bon nombre portent le joli qualificatif de « systémique ». Très récemment : Explosion de la « Bulle spéculative des valeurs technologiques » culminant en 2000 ; crise des Subprimes de l’été 2007, immédiatement suivie de la crise bancaire et financière de la fin de l’été 2008, crise grecque amorcée en 2009…
Et puis il y a les crises sociales majeures (Gilets Jaunes, retraites).

Et puis il y a l’incapacité congénitale à faire face au défi climatique, emblématisée par la démission de Nicolas Hulot lui même… La fragilisation du pays par les délocalisations, par la facilitation d’une finance débridée, par la frénésie d’accords de libre échange, la dilapidation des grandes entreprises qui ont contribué à bâtir la France…

En forçant l’Hôpital public à singer le modèle « entrepreneurial », les dogmes libéraux ont conduit à sa précarisation, dénoncée par les personnels depuis des mois, sans effet notable. A Grenoble, en pleine crise sanitaire, le Groupement Hospitalier Mutualiste est en passe d’être vendu comme un vulgaire commerce, pour passer de mains en mains selon des modalités financières incompréhensiblesxxvi. Dans le même temps, le célèbre « numerus clausus » a progressivement réduit de nombreux secteurs de la médecine libérale à la portion congrue, ce que chacun constate. Au point que les conseils actuels « n’encombrez pas le 15, appelez votre médecin personnel » passent pour une fort mauvaise plaisanterie. La recherche, enfin, elle aussi en sous-effectif, sous payée et précarisée est une impasse de plus, dont les conséquences présentes et futures sont évidentes.

Là encore, l’épidémie actuelle agit comme un révélateur montrant à quel point les « réformes » libérales sont prises à revers par les réalités.

Ajoutons que tous les secteurs – même « régaliens » – sont menacés du même traitement, en danger de développer les mêmes syndromes même si cela n’apparaît pas tout de suite. Ainsi l’enseignement secondaire – après l’Université – est-il enjoint de copier peu ou prou le modèle d’entreprise, un proviseur et une principal de collège devenant gestionnaire de son « entreprise », tout étant fait pour qu’à terme il recrute « son » personnel, le juge lui même et devienne administrateur financier.

Une faillite idéologique

Ces faillites de fait dénoncent sur le fond une déroute idéologique qui est parfaitement ressentie dans les opinions publiques.
En France même, voilà qu’avec obstination, avec violence, avec dissimulation et rhétorique perverse, un chef si peu charismatique et ses lieutenants disciplinés nous démontrent jour après jour l’imposture de leurs credo, l’impasse de leurs analyses économiques et technoscientifiques, l’aveuglement de leurs schémas sociologiques, l’aventurisme de leurs méthodes politiques, la faiblesse insigne de leur vision historique prétentieuse. Et en prime la petitesse de leur rigueur morale.

Par quelque bout en effet qu’on prenne les actes qui se sont succédés depuis le début de ce néfaste quinquennat, chaque événement imprévu, chaque réaction politique du pouvoir, chaque analyse proposée par la presse vendue à ses amis est une démonstration par l’absurde. Tout dénonce les fausses pistes, les mensonges, les arguties et les inextricables contradictions des bases idéologiques et intellectuelles, de l’absurdité des modèles.

Bien entendu LREM, cette nouvelle variété d’exécutants des basses œuvres des classes possédantes ne poursuit pas des buts très différents de ses prédécesseursxxvii ; mais elle s’y attelle sans sourciller, avec plus de détermination et de dogmatisme technocratique, plus de rage et davantage de « pédagogie » perversexxviii. Et malheureusement pour nous, la conception même du politique dont Macron est le prototype les rend pires en les délivrant de responsabilités durables. Il est jeune – l’a-t-on assez répété – , issu de la « société civile » – sans passé politique, rompu déjà au mécanisme des portes tournantes qui mêle affaires publiques et affaires privées. Le président sera donc loin déjà, retourné à ses affaires bancaires, lorsqu’il s’agira d’assumer enfin les catastrophes de tous types dont sa volonté « révolutionnaire » – contre la partie du peuple qui veut bien s’intéresser aux affaires publiques – sème les germes. Il n’aura cessé de prétendre « assumer » lorsque c’était sans risque, mais se sera défaussé du futur.

Or ce que le macronisme nous donne à voir de manière intelligible, ce sont bien les apories d’un système civilisationnel à bout de souffle, et les arguties des acteurs chargés de le maintenir encore sous perfusion pour le plus grand profit de classes possédantes qui, soyons-en certains, préparent leur sortie à l’image d’Elon Musk prônant un départ vers Mars une fois les beautés de la planète Terre ravagées.

Au plan idéologique, et bien que ce choix ne soit jamais assumé, il est lumineux que le credo qui anime ces gens est celui d’un libéralisme débridé, dépasséxxix, mortifère. Au soubassement de ce credo, les impératifs du capitalisme, certes, mais aussi l’oubli des leçons qui ont montré la nécessité de le réguler de le contraindre, de l’encadrer sévèrementxxx. Les concepts qui les guident nous sont assénés jour après jour, parfois explicitement, mais plus souvent comme des vérités implicites et indiscutables, à telle enseigne qu’ils finissent par imprégner le langage et modeler la pensée. Les accepter comme principes est déjà une défaite, ils sont le langage des maîtres. Ils assènent que Le Marché est autorégulateur, et que la seule condition à cette magique vertu est la concurrence libre et non faussée. Ils introduisent subrepticement l’idée que ce qui se déroule dans ce Marché mondialisé aurait quelque-chose à voir avec le gentil marché qui se tient sur la place voisine où l’on peut regarder les tomates de Jean puis celles de Bachir, et choisir en notre âme et conscience le meilleur « rapport qualité / prix »31. Ils distillent de manière ininterrompue le venin d’une version primaire et tendancieuse de la théorie de l’évolution version socio-darwinisme mal digérée. Il pensent ainsi prouver que tout ce qui disparaît – emploi, région industrielle, ville sinistrée par la « crise », langues, cultures, ne serait que le résultat d’une loi naturelle condamnant sans appel ce qui est « inefficace », mais jamais le résultat d’une volonté de profit des possédants, jamais le résultat d’une stratégie politique.

Une faillite intellectuelle

Cette faillite idéologique qu’il leur faut dissimuler le plus longtemps possible, engendre alors une faillite intellectuelle dans laquelle tout ce qu’ils qualifient d’Élite accepte de servir ce cadre condamné. L’on voit alors des représentants d’une classe politique, des intellectuels, des scientifiques, des hommes de presse, de grands dirigeants, des « Élites », une part de ce que le pays compte de prétendus premiers de cordée, au fond, mettre son intelligence, son savoir, son aura au service de la défense de cette idéologie à bout de souffle, dangereuse comme un fauve blessé.

On se perd évidemment en conjectures quant aux raisons qui poussent la grande majorité des éditorialistes à tant de mansuétude. Mais l’élan politique qui suivit le succès imprévu de M. Macron attira aussi nombre d’intellectuels notables, qui apportèrent de facto leur caution à ses choix. Et le président, auréolé de son passage auprès de Paul Ricoeur, ne manqua pas de jouer aussi cette carte là. Il tenta donc de se montrer auprès d’aréopages de « savants », ceux-ci acceptant de rehausser son prestige et vice-versa. Ainsi reçut-il les intellectuels signataires du « Manifeste des patriotes européens ». L’occasion pour le chef de l’État de se mettre à nouveau en scène en héraut du Vieux Continent. (Le Monde, 20 mai 2019).
Ainsi
65 sommités acceptèrent-elles son invitation en vue d’un « échange sur la vie politique et sociale », ce qui selon Mediapart marqua un nouveau temps fort hélas de l’agonie du champ intellectuel …(blogs Mediapart, 18 mars 2019).
Cette rencontre, qui se situait dans le cadre du « Grand débat » suivant la crise des Gilets Jaunes, fut une occasion pour le Président de s
e parer d’une auréole académique. Or si beaucoup de nominés refusèrent l’invitation (Thomas Piketty, Sophie Agacinski…), et si Frédéric Lordon a expliqué haut et fort sa défection, une bonne soixantaine acceptèrent sans sourciller d’apporter leur caution à ce renvoi d’ascenseur pour le moins ambigu.

Une faillite morale

Alors les mensonges, dissimulations, retournements de vérité, exigés par le maintien au pouvoir et par les exigences des donneurs d’ordres accentuent le discrédit croissant qui pèse sur la classe politique, les média aux ordres imprégnés de cette hégémonie culturelle. Tous le savent, mais leur seule parade est dans le mensonge, l’hypocrisie, la dissimulation. Ils savent que l’on sait qu’ils mentent, mais le jeu de dupes se poursuit.

Et dans l’ombre de cette vision du monde se tapit celle de l’existence de deux variétés d’humains : ceux qui ont du talent, les élus de cette sélection des plus aptes pour le plus grand bien de l’humanité future, et ceux qui ne peuvent que se soumettre.

Les élus agissent bien entendu pour le plus grand bien de tous, mais si les choses tournaient mal, il n’y aurait pas de place pour tous, dans l’Exodus de Musk en partance vers Mars.

M. Macron a trouvé pour dissimuler cette conception le joli mot de « premiers de cordée », prouvant par là même qu’il n’a jamais réfléchi à ce que pouvait bien être une cordée, son éthique, sa méthode, sa constitution. Mais cette « philosophie » erronée et faussement naturelle fait fi de notions aussi centrales que la coopération, les symbioses,les synergies qui sont la vraie force des hommes.

Conclusions

Le coronavirus, une leçon ? Une leçon pour qui ?

Alors qu’il conviendrait, pour faire face aux défis qui s’annoncent, de penser l’avenir en termes de « résilience », le monde que construit le néolibéralisme ne sait qu’empiler des constructions de plus en plus fragiles, où la sphère financière tient un rôle central et sans cesse plus prégnant alors même que cet édifice est celui qui supporte le plus mal les incertitudes et les accidents de parcours.

La « science » elle-même, sur laquelle le Président compte soudain pour chasser le virus – tout en précarisant le recherche – , ne doit pas être parée de toutes les vertus. M. Macron ne devrait pas ignorer aussi que, pilotée par les mêmes choix économiques, elle porte elle-même une part importante de responsabilité dans les impasses du « modèle de développement » dont il doute maintenant.
La science n’est pas porteuse en elle-même d’un monde plus équilibré ;
elle doit procéder d’une vision humaniste et non servir les intérêts d’une idéologie productiviste.
Notre travail, notre énergie, notre intelligence, nos savoirs, notre intelligence peuvent-ils encore être mis au service de la production de gadgets périssables, inutiles, polluants, véhiculés sur des milliers de milles nautiques et emballés dans des tonnes de cartons et de plastiques ?
Ou bien doivent-ils plutôt œuvrer à la construction d’une société résiliente assurant l’essentiel ?

On peut comprendre qu’aucun politique prétendant aux manettes, élaborant un « programme de gouvernement » ne puisse d’emblée proposer de renverser la tablexxxi. On peut comprendre qu’aucun ne dispose d’une théorie « prêt-à-porter » susceptible de mettre fin à 40 années d’offensives financières, organisationnelles, idéologiques et culturelles.

En revanche, il serait de la responsabilité de dirigeants politiques lucides d’amorcer ce virage. Il est spectaculaire qu’aucun leader au monde n’ose dire que la croissance est le nœud de ce problème. N’ose faire avancer l’idée qu’il nous faut imaginer un monde sans croissance, ou plutôt les modalités d’une croissance différentiée permettant à certaines régions du monde les bases matérielles d’un progrès humain, tout en freinant celle des régions les plus dispendieuses. La question n’étant évidemment pas uniquement régionale, mais bien sociologique. Au lieu de quoi l’on voit sans cesse accréditer la nécessité incontournable de cette croissance, sans bien discerner à qui elle profite et pour qui elle serait nécessaire, en masquant le fait que la plus grande partie des gens n’en verra pas l’effet, mais que le capitalisme en percevra les dividendes.

Et l’on nous ment alors effrontément, nous abreuvant d’inepties soi disant favorables au climat. Efficacité énergétique, ampoules basse consommation, isolation pour 1 euro… alors que dans l’optique non négociable du changement climatique, la question n’est pas de l’efficacité des ampoules, mais in fine de la consommation globale d’énergie. Or lorsqu’on parle de réduire notre consommation assume-t-on une baisse d’activité de Total, d’EDF, d’Engie, des aéroports de Paris et autres fleurons ? Alors même qu’il n’est question que de les privatiser, ce qui suppose évidemment de faire briller leurs possibilités de croissance…

Et de ce point de vue, force est de reconnaître que le macronisme, s’il n’est pas l’inventeur du « système », marque tout de même une étape « décomplexée », un parachèvement pour lequel les commanditaires ont placé là leur homme-lige.

i Ainsi le Coronavirus a-t-il spectaculairement éclipsé le passage en force de la loi sur les retraites : voir « Coronavirus et 49.3 : Édouard Philippe déroule sur TF1 ». https://www.acrimed.org/Coronavirus-et-49-3-Edouard-Philippe-deroule-sur
ii « Partout l’épidémie va rencontrer des exigences sanitaires et des systèmes de santé déjà largement mis sous tension par les politiques de réduction des dépenses dans les services publics » (J.L. Mélenchon, 10/03/2020). Pour ce qui est des causes du coronavirus, on voit clairement le lien avec la rapidité des transports, l’abolition des distances, les échanges permanents de biens, tandis que les conséquences sont aggravées par les dépendances stratégiques (pénurie de médicaments, de masques…), fragilités financières, engendrées par les « avantages concurrentiels »…
iii A l’exemple de Friedrich Hayek, inspirateur de Margaret Thatcher. Quand ils n’oeuvrent pas à les mettre en place.
iv Il était caricatural d’entendre M. Macron conclure par le superbe aphorisme : On se sauve en disant « nous », pas en disant « Je », après un discours dont chaque phrase s’enflait d’un prétentieux « Je veux… »…
Caricatural et révoltant de l’entendre en appeler à la responsabilité des personnels médicaux et de louer leur rôle essentiel en feignant d’oublier les luttes que mènent depuis des mois ces personnels en étant si peu écoutés.
v Les « Élites » tireront-elles leçon de ce coup de semonce ? On peut douter qu’elles veuillent reconsidérer le seul « modèle » qu’elles révèrent ; d’ores et Déjà le Japon fait connaître qu’il n’est pas question de différer ses J.O.
vi DERNIERE SECONDE : « Ce matin, Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac France, a été arrêtée avec plusieurs autres participant·e·s de l’action « démasquons Macron ». Elle a été placée en garde à vue au commissariat du 5e arrondissement de Paris. Décidément, M. Macron a décidé de prendre au sérieux les affaires climatiques.
vii Ce sont eux aussi qui poussent à l’extension des mégalopoles, des aéroports, des installations portuaires, du tourisme de masse…
viii Et voici ce jour mémorable où l’on fait face « quel que soit le coût », et où M. Macron nous révèle sa découverte tardive de la beauté de l’ « État Providence », jusqu’ici père de tous les vices…
ix « Faire face quel que soit le coût », ne signifie-t-il pas , au-delà des formules, avoir la volonté de remettre en cause le partage des fruits du travail ?
x Il ne s’agit pas là évidemment d’un jugement moral. PDG, administrateurs, actionnaires ne sont pas forcément plus « méchants » que la moyenne des hommes. Mais leur fonction consiste à valoriser le capital de l’entreprise, à doper sa valeur boursière. Il n’est pas de promouvoir l’humanisme.
xi Tout au plus dans les meilleurs des cas certaines victimes parviennent-elles à obtenir un dédommagement symbolique au bout de décennies de procédures.
xii Sauf à déclarer que ces biens communs ne devraient pas exister, comme le fit avec une insolence insupportable le président de Nestlé au sujet de la gestion de l’eau dans le film « We feed the world ».
xiii Pas même celle qu’avaient les grands « Maîtres de forges » du XIX° siècle, préoccupés de la capacité de production de leurs ouvriers. Mais c’était aux balbutiements du grand capitalisme, avant le néolibéralisme et la mondialisation, avant l’invention de la flexibilité et des livreurs Uber.
xiv Quelles que soient les critiques que l’on peut faire du mode de représentativité « démocratique », les instances politiques sont bien le seul lieu où règne une part de démocratie ; il n’en existe aucune trace dans l’entreprise.
xv A l’exception notable des forces de maintien de l’ordre. Et encore ces fonctionnaires n’ont-ils perçu leurs heures supplémentaires que grâce aux Gilets-Jaunes. Sans pour autant les en remercier.
xvi Via en particulier les lobbyings et le système des « portes tournantes ».
xvii La privatisation de l’enseignement est à l’ordre du jour au sein des instances mondiales, comme en témoignent les travaux de l’IIEP (UNESCO). Voir : http://www.iiep.unesco.org/fr/limpact-de-la-privatisation-ou-linvestissement-public-dans-le-systeme-educatif-sur-les-resultats et http://veille-eip.org/fr/content/privatisation-de-leducation-quelques-elements-de-comprehension
xviii Ces impératifs et ces credo s’appellent : croyance dans une économie de marché pacificatrice par nature, instauration de la concurrence en principe fondateur, de la libre circulation – des capitaux principalement – , abandon des prérogatives régaliennes des états, avec en tête la maîtrise de la monnaie. Le très célébré Jean Monnet avait posé les bases de ces croyances, et l’on sait qu’en remontant au gouvernement de L. Jospin, on trouve la signature des accords de Lisbonne, pierre importante de l’édifice. Le mouvement est donc amorcé depuis longtemps.
xix Quand soudain… Ce devait être l’année de la privatisation d’ADP, mais ce pourrait être plutôt celle de la reprise en main d’Air France-KLM. (Les Echos , 14 mars 2020)
xx Dans ce discours, il s’agit en fait des dépenses d’intérêt général, car jamais le libéralisme financiarisé ne hurle à la gabegie lorsqu’il s’agit de sauver des banques.
xxi Dictionnaire du Petit Menteur (mon ordi), voir aussi Lexique Acrimed.
xxii Et très tardivement révélée à M. Macron : Vieillesse, maladie et maternité, accident du travail et maladie professionnelle, invalidité et décès, chômage, formation professionnelle…
xxiii Voir : Une dette publique construite, voire illégitime ? https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-4-ete-2014/debats/article/une-dette-publique-construite ; voir aussi : http://www.acontrecourant.org/wp-content/uploads/2014/01/livresdette.pdf
xxiv J’encourage [les entreprises] à se déclarer en activité partielle, déclare Bruno Le Maire. Les coûts sont pris à notre charge, l’État et l’Unedic. Quel que soit le coût, nous répondrons présents. 
xxv Le #Coronavirus dissout le néolibéralisme : #Merkel supprime la règle du 0 déficit. #Macron annule le jour de carence et la privatisation d’#ADP. (Twit de J.L. Mélenchon, 11 mars 2020.
xxvi Voir: https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/isere/grenoble/grenoble-groupe-hospitalier-mutualiste-va-etre-vendu-1728453.html
xxvii Les principes fondateurs de l’Europe ont gravé des règles de base dictées par les intérêts capitalistes et leurs modèles économiques, conduisant tout droit aux impasses actuelles. A « Gauche » même, l’abdication n’est pas d’hier, qui a fait adhérer aux contingences du libre échangisme, de la financiarisation et du productivisme aveugle.
xxviii Il faut admirer la volonté tenace d’imposer la réforme des retraites, en gazant les manifestants, en ignorant les « corps intermédiaires », en piétinant les débats, au mépris des mobilisations, des sondages, des promesses de référendum, et de l’importance civilisationnelle et quasi philosophique de la question.
xxix Que nombre de spécialistes comparent à celui de Mme Thatcher et de M. Reagan, étayé sur des concepts théoriques depuis largement contestés.
xxx Il n’est pas prouvé que le capitalisme soit réformable, on sait aussi les apports qu’on lui doit en termes de production de richesses, mais tout montre aujourd’hui qu’il ne peut seul diriger le monde vers des lendemains vivables, et qu’il est indispensable de le soumettre aux attentes d’une conception humaine de ce monde.
xxxi Il semble que Bernie Sanders – à rebours des clichés erronés sur les US – soit aujourd’hui seul capable d’amorcer prudemment un mouvement de pensée vital, ressuscitant le collectif, les biens communs, les questions environnementales…

Le coronavirus en Grèce

Quelques articles traduits de versions en anglais :

COVID-19 Ouvre la voie à la détention massive de migrants  
19 mars 2020 Camp de réfugiés de Moria, mars 2020

Depuis son élection sur une plate-forme anti-immigrants, le parti grec au pouvoir, la Nouvelle Démocratie, a publiquement fait pression pour la création de centres de détention fermés pour les migrants qui entrent dans le pays en provenance de Turquie, avec l’intention de les expulser éventuellement vers la Turquie ou leur pays d’origine.
Après des mois d’obstacles, notamment l’opposition des groupes de défense des droits de l’homme, des communautés locales et des gouvernements des îles de la mer Égée à la construction de ces structures fermées, les récentes mesures prises apparemment pour contrôler la propagation de COVID-19 ouvrent la voie à la détention massive de migrants à Lesvos.

Dans les camps de réfugiés de Kara Tepe et de Moria, les autorités ont annoncé que la circulation à l’extérieur du camp sera limitée à 100 personnes par heure, entre 7h et 19h, et qu’un seul individu par famille est autorisé à quitter les camps à la fois. Étant donné que la population totale des camps est de plus de 20 000 personnes, seule une personne sur vingt pourra quitter le camp chaque jour.

Le camp de Kara Tepe, qui accueille depuis quatre ans des familles – dont de nombreuses personnes vulnérables, des enfants et des réfugiés reconnus – a fermé ses portes, et les gardes qui y travaillent appliquent les mesures susmentionnées depuis la nuit dernière. Ceux qui sont autorisés à sortir sont informés qu’ils ne sont autorisés que pour aller au supermarché d’à côté, Lidl, et à la pharmacie. Entre 19 heures et 7 heures du matin, personne n’est autorisé à entrer ou à sortir du camp.

Depuis ce matin, la police a également bloqué les principales routes qui mènent au camp de réfugiés de Moria. Il semble qu’il n’y ait aucun moyen de faire respecter l’ordre ci-dessus, qui est diffusé par un haut-parleur : la police a empêché la plupart des gens de quitter le camp, mais en a laissé d’autres passer. Des bus publics continuent de circuler pour emmener les personnes de Mytilène au camp de Moria, mais le service du camp de Moria vers la ville a été soit supprimé, soit fortement réduit à partir d’aujourd’hui.

À Lesvos, pour ceux qui se trouvent en dehors des camps de réfugiés, les mesures appliquées pour empêcher la propagation de COVID-19 sont les mêmes que celles mises en œuvre dans toute la Grèce : les rassemblements récréatifs en salle impliquant 10 personnes ou plus sont fortement déconseillés, et il est vivement recommandé aux citoyens de rester chez eux pour éviter tout contact avec des personnes extérieures à leur cercle familial immédiat. La circulation des personnes n’a cependant pas été restreinte comme pour les résidents des camps de Moria et de Kara Tepe.

DES PLANS DE PRÉVENTION INADÉQUATS POUR PRÉVENIR OU TRAITER L’ÉPIDÉMIE

En attendant, les plans de traitement d’une éventuelle épidémie de COVID-19 dans les camps sont minimes. Bien que des renforts de police aient été envoyés au camp de Moria ce matin, aucune équipe médicale supplémentaire n’a été amenée. Selon un médecin, depuis le début de cette semaine, les personnels médicaux créent des lignes séparées pour les personnes qui ont de la fièvre et celles qui cherchent d’autres soins médicaux, et donnent simplement l’ancien paracétamol (à bout de bras, mais sans autres mesures de protection) et leur conseillent de retourner dans leurs tentes et de rester isolés pendant deux semaines. Bien entendu, l’isolement est impossible dans les camps de KaraTepe et de Moria, car les individus partagent normalement leur espace de vie avec 5, 10, 20 autres personnes. En outre, le mauvais temps de ces dernières semaines signifie que les personnes vulnérables et malades peuvent être isolées dans des tentes fragiles dans le froid et lors de fortes pluies d’orage – sans aucun endroit sûr, sec ou chaud pour récupérer. L’île de Lesvos ne compte qu’un seul cas confirmé de COVID-19 (qui ne s’est produit dans aucun des deux camps) ; cependant, seuls les cas les plus graves sont envoyés pour être testés, de sorte que le nombre réel pourrait être beaucoup plus élevé.

La majorité des migrants arrivés après le 1er mars, suite à la suspension par le gouvernement grec du droit de demander l’asile, continuent d’être détenus dans des conditions insalubres sans accès à des soins médicaux adéquats. Le manque d’eau courante, l’exiguïté des espaces de vie dans les tentes ou les bus publics, et l’insuffisance – ou l’absence totale – d’installations d’hygiène rendent les mesures de précaution de base impossibles. Cependant, plus de 450 détenus qui étaient auparavant détenus dans le port de Mytiline ont maintenant été transférés dans un camp fermé sur le continent ; demain, il est prévu de transférer 189 autres nouveaux arrivants dans des structures fermées ailleurs en Grèce. Cela démontre que l’État a la capacité de transférer un grand nombre de personnes – et pourrait donc intervenir pour soustraire les plus vulnérables aux risques graves des camps de Moria et de Kara Tepe – mais le facteur décisif reste de savoir si ces relocalisations correspondent au programme politique du gouvernement. À l’heure actuelle, le confinement continue de primer sur les soins.

L’isolement des deux camps semble aujourd’hui être un effort pour maintenir la population migrante à l’écart du reste de la population de l’île. Une épidémie serait impossible à contrôler aujourd’hui, et le système de santé déjà mis à rude épreuve serait incapable de réagir. Il serait fallacieux de suggérer que l’isolement des camps vise à protéger la population migrante, car les résidents ne disposent d’aucune autre mesure pour se protéger, notamment l’accès à l’eau, au savon et la capacité à s’isoler. Au lieu de les protéger, il abandonne ces personnes aux réalités d’une crise sanitaire longtemps négligée qui sera affectée par une pandémie mondiale. Si des mesures rapides ne sont pas prises pour évacuer les personnes les plus vulnérables et préparer la fourniture de soins de santé d’urgence à cette population, la Grèce signe la condamnation à mort de centaines de personnes potentiellement vulnérables vivant dans ces camps.

La Turquie va fermer ses frontières terrestres avec la Grèce et la Bulgarie en raison du coronavirus Par Nick Kampouris – 18 mars 2020

La chaîne publique turque TRT Haber a déclaré mercredi après-midi que les frontières terrestres du pays avec la Grèce et la Bulgarie seront fermées en raison de la pandémie de coronavirus.

Ainsi, les frontières de la Turquie avec l’Union européenne resteront fermées à l’entrée et à la sortie des personnes ; cependant, les échanges commerciaux habituels qui se déroulent entre ces pays ne devraient pas être interrompus.

On ne sait pas encore combien de temps les frontières resteront fermées.

Plus tard dans la journée de mercredi, le ministère de l’intérieur du pays a publié une déclaration confirmant la fermeture des frontières.

Il reste à voir si cela affectera les tensions frontalières à Evros en raison des milliers de migrants qui tentent d’entrer en Grèce depuis fin février

Source https://greece.greekreporter.com/2020/03/18/turkey-to-close-land-borders-with-greece-bulgaria-due-to-coronavirus/

La Grèce interdit les rassemblements de plus de 10 personnes à l’extérieur et à l’intérieur, inflige des amendes aux contrevenants et impose des restrictions supplémentaires

La Grèce interdit les rassemblements de plus de 10 personnes et imposera des amendes administratives à chaque personne dépassant le maximum, a annoncé mercredi après-midi le chef de la protection civile, Nikos Hardalias. Le porte-parole du gouvernement, Stelios Petsas, a précisé que l’interdiction concerne les rassemblements non seulement à l’extérieur mais aussi à l’intérieur. « il ne peut pas y avoir une telle interdiction et 10 à 15 personnes se rassemblent dans une maison », a-t-il déclaré en soulignant que « c’est la promiscuité qu’il faut éviter pour contenir la propagation du virus ».

Dans le même temps, le chef de la protection civile a annoncé qu’il recommandait également des « restrictions » pour les personnes devant sortir.

« Les rassemblements publics de 10 personnes ou plus sont fortement déconseillés », ceux qui enfreignent l’interdiction se verront infliger une amende de 1 000 euros par personne.

Exhortant les gens à rester chez eux et à éviter tout contact avec des personnes extérieures à leur famille immédiate, Hardalias a annoncé une nouvelle série de restrictions de mouvement

Le trafic hors domicile ne devrait être limité au minimum que pour des raisons très spécifiques et dans la mesure nécessaire pour répondre aux seuls besoins vitaux.

Source https://www.keeptalkinggreece.com/2020/03/18/coronavirus-greece-ban-gatherings-of-more-than-   

« La violation des mesures de lutte contre les coronavirus est un crime », déclare la Cour suprême de Grèce »     

La violation des mesures imposées par les autorités sanitaires grecques pour contenir la propagation du coronavirus doit être traitée comme un crime et poursuivie, a déclaré la Cour suprême jeudi. La peine peut aller jusqu’à la prison à vie si la violation des mesures entraîne la mort.

Dans une note envoyée aux bureaux du procureur, le procureur de la Cour suprême a cité l’article 285 du code pénal, qui prévoit des peines sévères pour les personnes violant les règlements destinés à prévenir la propagation de maladies dangereuses.

Le procureur a exhorté les autorités judiciaires à « intervenir » dans le cas où un individu se comporterait d’une manière qui « met en danger des droits fondamentaux protégés par la loi comme le droit à la vie et au bien-être physique ».

Les peines vont de 3 ans d’emprisonnement et d’amendes à la prison à vie si la mort est causée.

Le mémo de la Cour suprême intervient après que le maire de Pyrgos, dans le Péloponnèse, ait dénoncé le fait que les personnes diagnostiquées avec un coronavirus et ayant reçu l’ordre de « vivre en isolement » défiaient les ordres et sortaient dans les cafés et au marché.

Source https://www.keeptalkinggreece.com/2020/03/12/greece-violating-coronavirus-measures-punishment/

La pandémie et la fin de l’austérité ?

La pandémie de Covid-19 va-t-elle mettre fin à trois décennies d’austérité imposée à l’hôpital ? par Ivan du Roy, Rachel Knaebel

Le gouvernement Macron n’est pas le seul responsable de la situation d’abandon de l’hôpital public. Trente ans de politiques de réduction des dépenses l’ont mis à genoux, malgré les alertes des personnels soignants.

« Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché », a déclaré Emmanuel Macron lors de son allocution télévisée du 12 mars. « La santé n’a pas de prix. Le gouvernement mobilisera tous les moyens financiers nécessaires pour porter assistance, pour prendre en charge les malades, pour sauver des vies quoi qu’il en coûte », a-t-il ajouté. Si ces annonces se concrétisent et dépassent le stade de la communication élyséenne, elles rompront avec trois décennies de lent démantèlement de l’hôpital public.

Il aura cependant fallu une pandémie risquant de faire imploser l’hôpital public. Pourtant, depuis un an, les services d’urgences ont multiplié les grèves, les actions et les « SOS » pour dénoncer les effets dévastateurs des restrictions budgétaires et des suppressions de lits. Après des mois d’un mouvement inédit, le gouvernement avait déjà promis quelques mesures jugées bien trop minimes par les soignants. Brigitte Macron, l’épouse du président, a même appelé à aider les hôpitaux via une opération de charité « pièces jaunes », dont elle pris la tête, et qui s’est terminée le 15 février [1]. Une logique caritative bien éloignée des déclarations présidentielles un mois plus tard.

C’était sans compter le Covid-19, qui place des hôpitaux déjà occupés à combattre la fin de la grippe saisonnière, en première ligne face à cette nouvelle pandémie. Le virus, apparu en décembre à Wuhan en Chine et détecté en France le 24 janvier, a poursuivi sa progression exponentielle, contaminant de plus en plus de personnes. Si sa létalité semble demeurer faible, les personnes chez qui la maladie se déclare sous forme sévère ont besoin de soins intensifs pendant une à deux semaines pour guérir. Conséquence : de plus en plus de lits sont occupés durablement alors même que l’épidémie pousse chaque jour de nouveaux malades vers les urgences.

Six semaines après l’apparition du virus en France, des personnels de services de soins intensifs de plusieurs hôpitaux, en particulier dans l’Oise, l’un des foyers de contamination, disent déjà être débordés. Que se passera-t-il en cas de pénurie de places en réanimation face à un afflux de personnes gravement atteintes ? En Italie, certains hôpitaux ont été contraints de trier les patients en catastrophe, ce qui pose de lourdes questions éthiques : qui sauver et qui laisser mourir ? [2]

« Il est donc de notre devoir de continuer, malgré l’épidémie de coronavirus, à tirer la sonnette d’alarme sur la situation catastrophique dans laquelle opère un certain nombre de services hospitaliers. Derrière ce constat, ce sont des soignant·es totalement dévoué·es à leur tâche, qui pallieront une fois de plus les manquements du système afin de protéger la population face à cette nouvelle menace », alertent le 28 février Justin Breysse et Hugo Huon, deux porte-parole du Collectif inter-urgences, qui mène la mobilisation des soignants de l’hôpital depuis un an [3]. Pour la première fois depuis un an auront-ils été entendus ?

Inverser la tendance et renforcer les moyens de l’hôpital public constitue effectivement une « rupture ». Car sa « situation catastrophique » ne vient pas de nulle part. Si l’ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn n’a rien fait pour y remédier rapidement, plusieurs de ses prédécesseurs sont également responsables de cet abandon. Trois décennies de politiques budgétaires ont visé avant tout à réduire les dépenses publiques de santé.

On commence par chiffrer l’activité de l’hôpital

Tout commence en 1983, avec le tournant de la « rigueur » pris par le gouvernement socialiste. Un haut-fonctionnaire, Jean de Kervasdoué, met en place un « programme de médicalisation des systèmes d’information ». L’objectif est de quantifier et de standardiser l’activité et les ressources des établissements de santé. Officiellement, il s’agit de diminuer les inégalités entre hôpitaux. Il s’agit aussi de mieux contrôler les dépenses [4]. Le ministère de la Santé développe progressivement un système d’information qui classe les séjours à l’hôpital en grandes catégories et permet d’en établir le coût moyen. « Au début des années 2000, le ministère est en mesure de connaître la “production” de chaque hôpital ainsi que son coût », rapportent les sociologues Pierre-André Juven, Frédéric Pierru et Fanny Vincent dans leur ouvrage La casse du siècle, sorti l’an dernier [5].

Puis on fixe des « objectif des dépenses de santé » à ne pas dépasser quels que soient les besoins

Alain Juppé est alors Premier ministre du premier mandat de Chirac. Il édicte par ordonnance, sans vote des parlementaires, l’« Objectif national des dépenses d’assurance maladie » (Ondam). Il s’agit d’un plafond de dépenses de santé à ne pas dépasser, quels que soient les besoins de la population. Chaque année, ce plafond est défini dans la loi de financement de la Sécurité sociale. « Les objectifs clairement avoués par les pouvoirs publics étaient de réduire de 100 000 lits le parc hospitalier français, soit près du tiers de sa capacité », explique l’Institut de recherche et documentation en économie de la Santé [6].

Ces ordonnances aboutissent rapidement à la fermeture des plus petits établissements. Plus de 60 000 places d’hospitalisation à temps complet (définies en nombre de lits) disparaissent entre 2003 et 2016, dont près de la moitié en médecine et chirurgie [7]. Les gouvernements se succèdent, mais ce plafond des dépenses devient de plus en plus coercitif. Pourtant la population augmente, ainsi que la part des plus âgés donc des plus fragiles, et que le recours aux urgences s’intensifient [8].

On instaure la tarification à l’acte et on pousse les hôpitaux à s’endetter

« Moderniser la gestion, favoriser l’investissement, motiver chaque acteur. » Voilà comment le ministre de la Santé Jean-François Mattéi – sous le second mandat Chirac – présente son « plan hôpital 2007 » [9]. Ce projet est lui aussi adopté par ordonnances, sans débat démocratique. Il instaure la controversée tarification à l’acte (T2A) pour la médecine, l’obstétrique et la chirurgie pratiquées dans les hôpitaux publics.

Selon ce nouveau mode de financement, les établissements reçoivent un budget en fonction du nombre d’actes qui y sont réalisés. Chaque acte a une tarification particulière. Plus il y en a, plus le budget augmente. Ce nouveau mode de calcul privilégie ainsi les actes techniques et quantifiables. Il pousse à délaisser le travail de suivi, d’accompagnement et d’échange avec le patient, tout ce temps qui n’est pas quantifié et monétisé par les tableurs des managers. Les hôpitaux sont ainsi soumis à plus de pression et à une logique de rentabilité. « La tarification mise en œuvre à partir de 2004 a été utilisée par l’État pour forcer les hôpitaux à comprimer leurs coûts de production », écrivent les auteurs du Casse du siècle.

Un autre volet du plan hôpital 2007 consiste à pousser les hôpitaux à se moderniser et à construire de nouveaux bâtiments. Une bonne chose en apparence. Sauf que cette modernisation est financée en grande partie par l’emprunt sur les marchés financiers. La même politique se poursuit avec le plan hôpital 2012, lancé trois ans plus tôt, au moment où éclate la crise financière.

Résultat : les hôpitaux, comme nombre de collectivités locales, se retrouvent piégés par des emprunts toxiques, notamment ceux accordés par la banque Dexia. Les taux de ces prêts étaient indexés sur les cours de monnaies comme le franc suisse, cours qui ont monté en flèche avec la crise. L’endettement est presque devenu aussi incontrôlable qu’une pandémie : entre 2002 et 2012, la dette des établissements publics de santé triple [10].

Une loi consacre les directeurs-managers contre les médecins

En 2009, la ministre de la Santé Roselyne Bachelot – sous la présidence Sarkozy cette fois – fait voter la loi dite « Hôpital, patients, santé et territoire ». Celle-ci démet les médecins d’une grande partie de leur pouvoir. La commission médicale d’établissement, composée de médecins, devient subordonnée au chef d’établissement, qui joue le rôle du manager. Le pouvoir est transféré dans son intégralité aux directeurs. Or, ces directeurs ne sont souvent plus des médecins, issus du terrain, et n’ont pas de formation médicale. Ce sont des hauts-fonctionnaires passés par l’École des hautes études en santé publique, une sorte d’ENA dédiée à la gestion financière des hôpitaux.

Une nouvelle loi impose les regroupements

Sous la présidence de François Hollande, Marisol Tourraine fait à son tour adopter une loi pour réorganiser l’hôpital. Cette « loi de modernisation de la santé » est votée en 2016. L’une de ces mesures centrales est la création des « groupements hospitaliers de territoire ». Tout hôpital a l’obligation d’y adhérer. Ces groupements doivent inciter aux fusions entre hôpitaux, ce qui permet, au final, de réduire les nombre des établissements et de poursuivre la suppression de lits.

On le sait depuis la crise de la dette : l’austérité nuit aux soins

« Si les Italiens n’ont pas la capacité à soigner, c’est parce que ça fait dix ans qu’ils pratiquent une austérité sur les services publics et sur l’hôpital. Et nous en France, on en est pas loin », alerte l’économiste Thomas Porcher il y a quelques jours sur Regards, avant que la pandémie ne soit officiellement reconnue [11]. Au début des années 2010, des pays du Sud de l’Europe, comme l’Espagne, la Grèce et le Portugal, font face à une crise de leur dette publique et aux mesures de réduction des dépenses imposées par l’Union européenne. Leurs systèmes de santé, et donc la santé des citoyens, en pâtissent. En Espagne, le gouvernement adopte en 2012 un plan de réduction des dépenses de santé de sept milliards d’euros sur deux ans (Bastamag vous en parlait en 2015 ici). Le pays ferme ou privatise des dizaines d’hôpitaux et centres de santé. Près de 20 000 postes de soignants sont supprimés.

Au Portugal, l’accord conclu en 2011 entre Lisbonne et la troïka (Commission européenne, Fonds monétaire international, Banque centrale européenne) prévoit une coupe de plus de 600 millions d’euros dans la santé. En Grèce, des milliers de lits d’hôpital sont aussi supprimés. Des expérimentations d’hôpitaux autogérés apparaissent même pour pallier la pénurie et garantir l’accès aux soins pour tous.

« Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite, sans condition de revenus, de parcours ou de profession, notre État-providence ne sont pas des coûts ou des charges, mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe », semble comprendre Emmanuel Macron. Même les tenants allemands du budget à déficit zéro, dont la chancelière Angela Merkel, estiment que cette « règle d’or » ne vaut plus dans la situation actuelle. Le Covid-19 va-t-il obliger les gouvernements à admettre leurs dramatiques erreurs ?

Rachel Knaebel et Ivan du Roy

 L’héritage de l’accord toxique UE-Turquie : Quatre ans plus tard

Déclaration UE-Turquie : « Stop The Toxic Deal » 18 mars 2020

Au cours de l’année écoulée, les îles de la mer Égée du Nord ont vécu de manière dramatique les derniers moments et les conséquences possibles de l’accord toxique entre l’UE et la Turquie. Environ 41 500 personnes se retrouvent aujourd’hui entassées dans des abris informels à l’intérieur, à l’extérieur et autour des cinq centres d’accueil et d’identification des îles de la mer Égée. Après plusieurs mois de protestations, les habitants ont affronté avec intensité pendant des jours la police anti-émeute contre la construction de nouveaux centres – un événement totalement nouveau dans l’histoire contemporaine des îles.

Il s’en est suivi des manipulations de la Turquie qui ont encouragé le franchissement des frontières par des milliers de réfugiés et intensifié le climat de pression insupportable pour les insulaires. Des groupes d’extrême droite soutenus par des néo-nazis du reste de l’Europe ont pris le contrôle, battu et terrorisé les citoyens, ceux qui soutenaient les réfugiés et le personnel des ONG. La peur fait désormais partie de la vie quotidienne.

« L’UE est coresponsable du fait que l’atmosphère sur les îles a changé. Au lieu de soutenir Lesvos et les autres îles, l’UE tolère que le gouvernement grec ait durci sa politique d’asile. Les réfugiés veulent se rendre en Europe. Mais l’Europe nous a laissés seuls, et cautionne la violation des droits de ces réfugiés, qui  sont devenus des ennemis. Et ce faisant, l’Europe accepte que notre société, ici en Grèce mais aussi dans d’autres pays européens, se radicalise par la xénophobie et le racisme ».

Le besoin impératif d’une approche politique fondamentalement différente de celle qui existe gagne du terrain parmi les sociétés locales en colère et épuisées. Mais vers quelle direction ?

Il est clair qu’avant les élections, le nouveau gouvernement a instrumentalisé la question des réfugiés comme quelque chose qui peut être résolu relativement facilement puisque, en tant que futur gouvernement, il mettra en œuvre des politiques généralisées de dissuasion, de durcissement et de découragement (en ce qui concerne les frontières, les conditions d’accueil, le cadre juridique et les procédures). Cependant, la question n’a pas été résolue et nous connaissons aujourd’hui une double impasse. D’une part, la Turquie négocie le prochain accord en utilisant comme monnaie d’échange les réfugiés et les migrants résidant temporairement sur son territoire. D’autre part, la Grèce a accepté le rôle de gardienne des frontières de l’UE et applique des mesures de plus en plus militaires et répressives aux frontières, transformant les îles en zones militaires à haut risque.

L’accord toxique UE-Turquie a été initialement présenté comme une réponse d’urgence et on a fait la propagande qu’avec sa mise en œuvre les morts en mer seraient réduites.

En réalité, l’accord UE-Turquie a utilisé la peur comme un outil qui a stimulé le racisme et la xénophobie, a créé une zone où les droits de l’homme ne s’appliquent pas et a donné de l’argent et de l’influence à la Turquie. Erdogan utilisant cette influence qui lui a été donnée, fait aujourd’hui pression sur l’UE afin d’éloigner les réfugiés de l’Europe. C’est en soi cynique, et bien plus encore si l’on pense au rôle de la Turquie dans le conflit syrien et les opérations militaires qui ont conduit de nombreuses personnes à chercher une protection. Ou si l’on pense que l’accord exigeait que la Turquie soit considérée comme un pays tiers sûr alors que, surtout après l’échec du coup d’État, elle a violé les droits de l’homme fondamentaux à l’intérieur de son territoire.

Nous avons constamment affirmé au cours des quatre dernières années que l’héritage de l’accord UE-Turquie, actuellement non fonctionnel et toxique, nous laisse avec :

Un manque de confiance significatif des citoyens dans les décisions du gouvernement et un virage profond vers un conservatisme à caractère xénophobe dans les sociétés locales, épuisées après quatre années de pression continue des conséquences établies de l’accord toxique. Les résultats d’une recherche menée en février 2020 montrent que les îles de la mer Égée orientale sont passées d’îles de solidarité et d’humanité à des zones où la question des réfugiés semble être le problème le plus important pour la population locale dans un pourcentage de 79 % . Ce pourcentage est plus du double par rapport aux autres sujets. La conviction que la situation générale dans les îles évolue dans la mauvaise direction a reçu 81 % des réponses. 90 % ont répondu que les îles ont été affectées négativement par la gestion de la question des réfugiés. 91 % ont répondu que l’UE avait une contribution négative. 87 % ont répondu la même chose au sujet du gouvernement grec ; 70 % pour les Nations Unies et 77 % pour les ONG.

Source https://rsaegean.org/en/the-inheritance-of-the-toxic-eu-turkey-deal-four-years-later/

Un nuage néo-fasciste plane au-dessus des frontières entre la Grèce et la Turquie

Chronologie de la situation aux frontières 12 mars par Eva Betavatzi Militante au CADTM Bruxelles

 

L’école One happy family accueillant des personnes migrantes à Lesbos. L’incendie a été provoqué par un groupe néo-fasciste.

 

L’Europe vit une période sombre, la situation aux frontières entre la Grèce et la Turquie en atteste. Les discours se multiplient et l’heure est à la confusion. Chacun.e apporte « son soutien » à l’une ou l’autre partie « victime », tantôt de la dictature d’Erdogan, tantôt d’une prétendue « invasion » de personnes migrantes, tantôt d’une folie humaine déjà installée depuis bien trop longtemps. Une folie humaine qui est restée dans l’ombre des préoccupations grâce à un gros chèque que l’Union européenne s’est accordée à verser à Erdogan. Six milliards d’euros, c’est le montant reçu par la Turquie à la suite de l’accord signé entre son État et l’UE en 2016. Six milliards d’euros, c’est le prix que l’Europe de « l’Union » a payé pour son incapacité à exprimer son refus « d’accueillir » des personnes en exil. Des personnes qui fuient les nombreuses guerres et conflits qui sévissent dans leur pays, résultat de l’impérialisme des puissants (Trump, Assad, Poutine pour ne nommer que quelques-uns des grands responsables de ces tragédies). Six milliards d’euros c’est bien plus que ce que l’UE n’aurait accepté de rembourser à la Grèce sur les intérêts de sa dette. Dépenser pour refouler des personnes extrêmement vulnérables, oui, annuler la dette illégitime de la Grèce pour éviter le massacre social, non. On ne peut plus clairement résumer les politiques de l’UE.

  Sommaire
  • Janvier 2020 – le gouvernement grec annonce ses premières intentions
  • Début février 2020 – montée des attaques néo-fascistes
  • Fin février 2020 – des affrontements proches d’un début de pré-guerre civile
  • Mars 2020 – les violences politiques et physiques conduisent à la mort de personnes (…)
  • La question migratoire est loin d’être le seul enjeu

Nulle question de « place disponible à l’accueil », nulle question « d’origine », que ces personnes migrantes viennent de Syrie, de Palestine, d’Irak, d’Afghanistan ou d’ailleurs peu importe, il s’agit de créer une Europe de l’investissement vide de sens et pleine d’argent, vide de gens et pleine de morts.

Les mots ne sont pas encore assez durs et la colère est légitime.

La Grèce est devenue aujourd’hui un territoire de toutes les batailles. Des personnes tentent de sauver ce qu’il reste de notre humanité, en sauvant des vies aux larges des côtes grecques et turques tandis que d’autres se lancent dans une croisade contre l’« étranger » et ses « allié.e.s ». La police anti-émeute grecque (MAT), chargée de canons à eau, de grenades assourdissantes et de gaz lacrymogènes, avait été envoyée par bateaux par ordre du gouvernement à la fin février sur les îles de la mer Egée contre la population locale en colère d’apprendre la réquisition par le gouvernement de leurs petites propriétés (terrains) pour la construction de nouveaux centres fermés. Ce même gouvernement avait annoncé quelques jours plus tôt son plan en trois points : construire de nouveaux centres fermés pour 20.000 demandeurs et demandeuses d’asile (alors que les camps comptent au total plus de 40.000 personnes aujourd’hui), renforcer les frontières physiques, refuser presque automatiquement les potentielles nouvelles demandes d’asile. S’en sont suivies des images de guerre civile – des affrontements violents ont éclatés entre la population et les autorités locales et la police de l’État – qui laissaient présager le pire.

Photo issue d’une vidéo qui a été mise en circulation par une militante sur les réseaux sociaux

 

Les partis néo-fascistes d’Europe n’ont pas manqué d’y voir une opportunité à leur propagande raciste et hypocrite. Le 10 mars dernier, le parti flamand Vlaams Belang organisait un rassemblement devant l’ambassade de Turquie à Bruxelles pour soutenir les grec.que.s qui « résistent avec vigueur » au « déboulement » des milliers de personnes migrantes envoyées par le « dictateur turc Erdogan ». Il se vantait d’être le seul parti « solidaire au peuple grec » ! Ce discours écœurant a été lu sur les réseaux sociaux par au moins des centaines de sympathisant.e.s dont des grec.que.s qui remerciaient le Vlaams Belang de son soutien au pays ! À l’heure où le peuple grec luttait pour sa survie contre les mesures d’austérité imposées par la Troïka, le Vlaams Belang tenait un discours radicalement opposé.

Les clarifications qui suivent ne sont certainement pas adressées aux sympathisant.e.s de ce parti fasciste, mais elles nous ont semblé utiles car l’heure est à la confusion et au choc. Les déclarations officielles des États se contredisent et les médias relaient leur propagande au service du pouvoir qu’ils défendent. La confusion est également créée de toute pièce par l’assemblage de mots tels que « invasion », « attaque programmée », « protection des frontières », et en criminalisant les principales victimes de cette situation dramatique, les personnes migrantes. La liste des évènements cités plus bas n’est pas exhaustive et ne prétend pas l’être, elle reprend dans les grandes lignes ce qu’il se passe en Grèce depuis le début de l’année. Le silence médiatique en Europe occidentale est aberrant.

 Janvier 2020 – le gouvernement grec annonce ses premières intentions

La Grèce veut ériger une frontière flottante sur la mer pour limiter l’arrivée des personnes migrantes. Le 29 janvier, le Ministère de la Défense lance un appel d’offre (notez bien la marchandisation de la crise) pour installer un mur flottant en mer Égée pour un budget estimé à 500.000 euros. Ce montant est tout aussi ridicule que l’étendue du projet (voir carte plus bas). Il s’agit bien d’annoncer la couleur : la crise sera privatisée et bénéficiera à certains entrepreneurs.

Sur cette photo, vous pouvez voir la taille réelle d’un barrage de 2 700 mètres par rapport à l’île de Lesbos”, écrit Chios News. Crédit : Google Maps / ChiosNews.com [1]

 Début février 2020 – montée des attaques néo-fascistes

Aube Dorée s’attaque aux ONG et aux personnes migrantes sur les îles du Nord-Est de la mer Égée. Un groupe de jeunes cagoulés armés de bâtons entrent de force de maison en maison pour vérifier la présence de personnes migrantes ou solidaires. Une maison abandonnée, souvent occupée par des demandeurs et demandeuses d’asile, est incendiée le 4 février. Heureusement les trois occupant.e.s ont pu partir à temps.

Des étudiant.e.s de Lesbos organisent une manifestation antifasciste dans le chef-lieu de l’île et sont ensuite attaqué.e.s dans un café par des personnes portant des casques et armées de battes.

Le 10 février, le porte-parole du gouvernement Stelios Petsas annonce la publication d’une loi autorisant le ministère de l’immigration et de l’asile à réquisitionner des propriétés et des terrains « pour des raisons d’intérêt public et de gestion de crise », le but étant de construire de nouveaux centres fermés à Lesbos, Chios, Samos, Leros et Kos d’ici l’été. Les autorités locales de Lesbos et Chios réagissent en voulant d’abord imposer des contre-mesures puis en coupant le dialogue avec Athènes.

 Fin février 2020 – des affrontements proches d’un début de pré-guerre civile

Le 24 février, des affrontements entre la police anti-émeute et les habitant.e.s et autorités locales de Chios et Lesbos éclatent et durent plusieurs jours. Gaz lacrymogènes et grenades explosives sont tirés par la police anti-émeute alors que les résident.e.s des îles lancent des pierres et parfois des cocktails molotovs. Beaucoup de personnes âgées se trouvent parmi elleux, femmes et hommes, ainsi que des popes (prêtres orthodoxe grecs).

La colère des habitant.e.s s’exprime pour plusieurs raisons. D’un côté, iels refusent l’expropriation de leurs terrains pour la construction de nouveaux centres fermés. Ensuite iels sont opposé.e.s à la construction de nouveaux centres, les centres existants étant déjà insalubres, surpeuplés, inhumains même, rien de surprenant à s’y opposer. Mais là encore il y a différentes réalités, certain.e.s s’opposent à l’accueil des personnes migrantes tout court, alors que d’autres s’opposent aux centres fermés comme solution d’accueil et demande à ce que les frontières ouvrent et que chacun.e puisse aller où iel veut. Enfin, certain.e.s dénoncent le fait que le gouvernement leur impose la « charge » de l’accueil et refuse de mieux la répartir sur l’ensemble du territoire. Ce que l’Union européenne fait à la Grèce, le gouvernement grec le fait à l’intérieur du pays : repousser les migrant.e.s aux frontières. Les habitant.e.s de Chios, Lesbos, Samos, Leros et Kos se sentent abandonné.e.s par le pouvoir central. Il y a aussi le fait que les économies de ces îles sont largement basées sur le tourisme et que les habitant.e.s craignent une baisse d’attractivité touristique. Pour toutes ces raisons il serait absolument erroné de penser que les habitant.e.s qui affrontent la police anti-émeute envoyée par le gouvernement central soient racistes et qu’iels agissent de la sorte pour cette seule raison, si elle en est une.

Stelios Petsas, le porte-parole du gouvernement, tente une réponse aux accusations des habitant.e.s des îles du Nord-est de la mer Égée qui dénoncent l’autoritarisme du gouvernement central et son refus de construire des centres fermés pour personnes migrantes à l’intérieur du territoire de la Grèce continentale en prétendant que le gouvernement grec serait contraint de planifier ces centres sur des îles à cause des dangers du coronavirus.

Pendant ce temps, les violences policières ne font qu’accroître la colère de la population locale, qui a organisé une grève générale les 25 et 26 février soutenue par une grande majorité d’habitant.e.s. La forêt de Diavolorema située sur l’île de Chios prend feu à cause de fusées éclairantes lancées par la police selon des témoignages de personnes se trouvant sur place. Six autres incendies sont déclarés sur les îles de Chios et Lesvos.

Le même jour à Chios, des policiers anti-émeutes sont « victimes » d’une attaque dans leur hôtel par des groupes de personnes. Six policiers sont blessés, 12 personnes arrêtées. À Lesbos, la situation est loin d’être calme, 46 policiers blessés et menacés par des groupes armés de fusils selon le quotidien Ethnos et divers quotidiens locaux. Une centaine de véhicules auraient été détruits par la police selon le quotidien ERT.

Pendant ce temps, des bulldozers envoyés eux aussi par le gouvernement grec tentent de commencer le terrassement pour l’installation des nouveaux centres fermés mais sont bloqués par des groupes d’habitant.e.s qui s’opposent à la construction de ces nouveaux centres.

Les syndicats de police finissent par demander que les forces déployées sur Lesbos et Chios soient évacuées. C’est à partir de jeudi 27 février que les policiers et tout l’attirail qui les accompagnait, machines et autres équipements, commencent à quitter les îles, embarqués par des ferrys en service spécial.

En Grèce continentale, la tension monte, notamment à Evros, à la frontière dite terrestre entre la Grèce et la Turquie. Des personnes en grand nombre tentent de passer la frontière ayant entendu qu’elles seraient ouvertes. Des familles, enfants, femmes et hommes se retrouvent finalement coincées dans la zone tampon, ni turque, ni grecque, et sont attaquées par les forces de police grecques qui n’hésitent pas à envoyer entre autres des gaz lacrymogènes sur la foule. Des habitants de la région viennent en renfort contre « l’arrivée » de personnes en plein exil, épuisées et sans autre alternative, certains à l’aide de leurs tracteurs ou autres outils.

Au même moment, des navires de Frontex, des gardes-côtes grecs et des hélicoptères des forces armées augmentent leurs patrouilles pour arrêter des personnes migrantes.

Le 29 février, 17 personnes migrantes sont arrêtées pour avoir tenté de traverser le frontière qui sépare la Turquie et la Grèce, et sont condamnées à trois ans et demi de prison alors que cela est illégal. Des dizaines d’autres arrestations ont lieu le même jour et plus tard.

Les porte-paroles grec et turc font des déclarations à tour de rôle. Omer Celik, le porte-parole du gouvernement turc accuse l’Europe de ne pas avoir respecté l’accord signé en 2016, tandis que le Ministre turc des affaires étrangères met en lien la situation à Idlib (frontière turco-syrienne) avec l’arrivée de personnes migrantes en Grèce. Il est assez évident que la Turquie dispose d’un levier important pour faire du chantage à l’Union européenne.

Charles Michel, président du Conseil européen, s’exprime quant à lui en faveur du renforcement des frontières de l’UE, faisant référence aux frontières grecques et bulgares. Merkel se prononce positivement à la demande d’Erdogan de recevoir plus d’argent de la part de l’UE mais de nombreux dirigeants européens n’y sont pas favorables. La question de comment répondre aux pressions d’Erdogan et de son gouvernement ne font pas l’unanimité en Europe.

 Mars 2020 – les violences politiques et physiques conduisent à la mort de personnes migrantes

Le ton monte entre les gouvernements grecs et turcs. Stelios Petsas accuse la Turquie de « trafiquant » et prononce un discours qui alimente la haine nationaliste et xénophobe, déjà bien installée. C’est sur ce ton que le gouvernement grec annonce le renforcement de ses interventions aux frontières et sa décision de suspendre l’asile pendant une période d’un mois (ou d’un an selon les sources), ce qui est interdit en vertu du droit d’asile international. L’article 78.3 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne est invoqué pour justifier cette décision.

Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, exprime son soutien total à la Grèce et à la Bulgarie et remercie la Grèce d’être « le bouclier de l’Europe en ces temps difficiles ». Elle assume donc de laisser mourir – voire de tuer activement – de nombreuses personnes (tout en alimentant les raisons de leur migration par ailleurs), et utilise un langage guerrier pour des hommes, femmes et enfants en exil. Elle promet 350 millions d’euros à la Grèce alors que la chancelière allemande Angela Merkel décide finalement de donner 32 millions d’euros à la Turquie pour « empêcher les migrations incontrôlées » (sic). Un hélicoptère et 20 policiers allemands sont également envoyés en Grèce pour renforcer Frontex. La présidente de la Commission européenne finit par demander à la Turquie de repousser les personnes migrantes loin de la frontière grecque. On ne peut passer à côté de l’hypocrisie qui caractérise les discours des dirigeants européens pour « résoudre » cette grave crise de l’accueil puisque leurs choix montrent au contraire qu’il n’est pas question de résoudre quoi que ce soit. Cette « crise » ne sera pas « résolue » de sitôt.

L’ONU quant à elle se contente de rappeler que la Grèce n’a pas le droit de refuser une demande d’asile.

Il y a pire, ce 2 mars, l’armée grecque a fait usage de vraies munitions le long de la rivière d’Evros. Des attaques violentes sont perpétrées par des milices – encouragées par cette violence d’État raciste – contre des bateaux de personnes migrantes, elles sont repoussées et mises en danger, tandis que des journalistes et des personnes solidaires sont attaquées. Des centres d’accueil désertés par les ONG, sont brûlés par des fascistes grecs et étrangers. En effet des groupes fascistes allemands et autrichiens tentent de se faire passer pour des reporters, mais sont vite démasqués par la population locale qui n’a pas manqué d’exprimer son mécontentement radical à leur présence. Le mouvement « Identitäre Bewegung Deutschland » était notamment présent.

Le même jour, un petit garçon est retrouvé mort au large de Lesbos après le naufrage de l’embarcation où il se trouvait. Le bateau aurait été renversé par les personnes à bord pour déclencher une opération de sauvetage selon les garde-côtes grecs. Les garde-côtes prétendent ce qu’ils veulent, il n’en reste pas moins qu’il est de la responsabilité des gouvernements grec et européens de protéger ces personnes vulnérables plutôt que de les inciter à prendre le risque de se noyer pour être secourues.

Les demandeurs et demandeuses d’asile à Moria se retrouvent dans des conditions toujours plus sordides.

Muhammad Al Arab, 22 ans, réfugié syrien, est tué par le feu à la frontière terrestre avec la Turquie. Le groupe d’investigation Forensic Architecture, connu notamment pour ses très sérieuses enquêtes sur les morts de Pavlos Fyssas et Zak Kostopoulos, démontre que Muhammad Al-Arab est touché par une balle provenant des forces de l’ordre grec. Ce qui est immédiatement démenti par le porte-parole du gouvernement dénonçant qu’il s’agit d’une propagande turque. Quelques médias internationaux reprennent l’information mais les médias locaux ont tous opté pour le silence.

Et puis, il y a quelques jours, on apprend le décès tragique de Muhammad Gulzar, deuxième victime des gardes-frontières grecs. Il a été tué à la frontière d’Evros, atteint lui aussi par une balle des autorités grecques.

De leur côté, 75 ONG appellent les dirigeants de l’UE à réagir face à la situation. En attendant, des personnes continuent de se noyer dans la mer Égée, des corps sont retrouvés déshydratés, gelés et/ou méconnaissables, alors que d’autres meurent dans les camps de la honte de l’UE et dans les prisons européennes hors de l’Europe.

Le 2 mars encore, des garde-côtes grecs sont filmés alors qu’ils tiraient sur des bateaux transportant des personnes migrantes. Le lendemain, plusieurs ONG annoncent la suspension de leurs activités en réaction aux nombreuses attaques fascistes dont elles sont victimes.

Quelques jours plus tard, des mobilisations importantes sont organisées à Athènes et dans d’autres villes grecques contre la montée de la xénophobie et de la haine. L’ouverture des frontières et la solidarité avec les réfugiés étaient leurs principales revendications.

Á la vue des réactions vives de toutes parts, le gouvernement grec s’enfonce encore plus dans sa politique de haine en proposant que des camps fermés soient construits, non pas sur les 5 îles évoquées plus haut, mais sur des îles désertes. Cela renvoie aux pages les plus noires de l’histoire de la Grèce et notamment aux camps de concentration qui avaient été mis en place pour les résistant.e.s pendant et après la guerre civile et lors de la dictature des colonels.

Le 8 mars, « One happy family », une école pour personnes réfugiées et migrantes sans distinction, située à Lesbos, est incendiée par un groupe néo-fasciste. Elle se trouvait entre les camps de Kara Tepe et Moria. C’était un lieu où des repas étaient servis et où des cours de langue étaient donnés.

Depuis juillet 2019, les personnes demandeuses d’asile, ainsi que les enfants dont les parents sont en situation jugée « irrégulière » par l’État, n’ont plus accès au système de santé public. Malgré cela, le gouvernement a annoncé l’expulsion ce 13 mars du plus grand dispensaire social grec Helliniko qui a déjà soigné gratuitement et sans sélection des milliers de patient.e.s. L’expulsion est programmée pour permettre au promoteur Lambda Development d’exploiter ce terrain et d’y construire des tours. Nous nous opposons radicalement à cette expulsion. Jeudi 12 mars, un rassemblement devant le consulat grec à Bruxelles est prévu pour réclamer l’annulation de l’expulsion de ce dispensaire social.

Par ailleurs, le procès contre Aube Dorée devrait toucher à sa fin prochainement mais la procureure de la République, Adamantia Oikonomou, ne serait pas en faveur de reconnaître le parti néo-nazi comme une organisation criminelle. Si Aube Dorée échappe à cette accusation, ce serait extrêmement grave dans le contexte actuel car le parti bénéficierait d’un remboursement de quelques millions d’euros, de l’argent bloqué le temps du procès. Le retour du parti néo-nazi, dans le contexte actuel et avec tous ces moyens, pourrait être un coup fatal à ce qui reste de démocratie dans le pays.

 La question migratoire est loin d’être le seul enjeu

Il serait faux de voir derrière cette situation tragique l’unique retour en force des extrêmes droites et du fascisme en général. Cette crise en cache malheureusement bien d’autres : sociales, économiques et géostratégiques.

L’enseignement, la santé, le logement sont des droits fondamentaux dont une grande partie de la population grecque est toujours privées aujourd’hui – ainsi que leurs voisin.e.s turc.que.s. Les pensions, les salaires et les aides sociales (pour ce qu’il en reste) sont trop bas alors que le coût de la vie augmente. Le gouvernement grec profite de la situation aux frontières pour garder sous silence l’ampleur de la crise sociale et sa propre incapacité et son manque de volonté à la résoudre. Il décide de pointer du doigt les personnes migrantes comme tant de gouvernements le font ailleurs.

D’un autre côté, la Grèce veut relancer un accord militaire avec les USA et renforcer sa coopération avec la France pour s’assurer un soutien contre la Turquie qui, par son accord signé avec la Libye (qui ignore l’existence du territoire grec entre les deux pays), montre qu’elle n’en a que faire de ses frontières avec la Grèce et Chypre. Le gouvernement turc est en effet trop préoccupé de trouver un moyen de tirer profit du gaz naturel et des réserves de pétrole qui se trouvent dans les territoires maritimes chypriotes (dans la partie Sud) au même titre que les compagnies italiennes et françaises qui sont déjà là (ENI et Total entre autres).

Au travers des quelques éléments relatés dans cette brève chronologie apparaît au grand jour le rôle des gouvernements d’Erdogan et de Mitsotakis qui utilisent tous deux cette situation pour attiser la haine de l’étranger. Cela leur permet de créer un effet de choc. Il ne serait pas surprenant de voir après ça l’État grec exiger des mesures économiques encore plus catastrophiques pour la population. Il y a encore trop de résistances en Grèce, et les investisseurs en sont très probablement encore préoccupés. D’un autre côté c’est le rôle réel de l’Union européenne qui, nous l’espérons, est une nouvelle fois rendu plus apparent. En effet, ce sont les multinationales des pays centraux de l’Union qui profitent le plus de cette situation de crise continue (la preuve en est l‘exploitation du gaz naturel et l’achat de la plupart des aéroports de Grèce par des compagnies allemandes), alors que les dirigeants européens se contentent de prononcer des discours d’une mollesse et d’une hypocrisie sans pareil malgré les conséquences meurtrières.

Les personnes migrantes apparaissent elles comme des « pions » sur l’échiquier politique de tous ces dirigeants qui n’en ont que faire des vies humaines. Il s’agit d’installer un rapport de forces entre un pays faible qui n’a qu’un semblant d’appartenance à une Union qui ne cesse de l’ignorer, en réalité de le noyer, et une puissance mondiale, faible elle aussi mais pour d’autres raisons, qui profite du contexte de crise à ses frontières pour étendre son hégémonie. Les deux gouvernements, grec et turc, sont tous deux des gouvernements d’extrême droite. Nous nous opposons fermement à leurs lignes politiques qu’elles soient économiques, sociales, militaires ou géostratégiques. Ce que nous exigeons ce sont des frontières ouvertes, que les personnes migrantes passent sur le continent et que de là elles aillent où elles veulent ! Des milliers de vies humaines sont détruites à cause de rapports de pouvoir entre puissances impérialistes, mais aussi à cause d’une volonté de préserver à tout prix des rapports de domination et de hiérarchisation tant entre territoires qu’au sein même de nos sociétés. Il est plus que temps d’arrêter de se tromper d’ennemi. Il faut un cessez-le-feu durable, général et inconditionné car pendant ce temps, les massacres, bombardements et gazage de la population syrienne continuent. En attendant, le droit d’asile doit être respecté à tout prix avec des points d’accueil et de soins humains. Enfin, rappelons que le droit d’asile moderne est né du « plus jamais ça » après le génocide nazi.

Merci à Loïc Decamp, Jérémie Cravatte, Renaud Duterme et Gilles Grégoire pour leurs relectures et suggestions précieuses.


Quelques sources :

Quand une épidémie en cache une autre !

Répression du mouvement social : quand une épidémie en cache une autre !

Ayant perdu la bataille de la communication, le gouvernement s’enfonce toujours plus loin dans la répression violente pour tenter de faire taire la parole dissidente à son monde et ses politiques antisociales. A Paris et Lille ce samedi 7 mars mais également à Nantes tout au long de ce week end, les manifestations féministes ont été l’objet d’une répression brutale jamais vue de la part de la police et notamment celle sous les ordres du tristement célèbre préfet Lallement. A telle enseigne que le gouvernement lui même s’est senti obligé de réagir, déclarant demander un rapport sur les évènements de Paris. Matraques, agressions physiques et gaz lacrymogènes, usage de chiens lâché sur les manifestant-es le 6 à Lille, telle fut donc la réponse du pouvoir à la dénonciation des violences sexistes, sexuelles et machistes, signifiant ainsi à quel point le système patriarcal dispose de soutiens puissants.

Mais c’est aussi à Nancy, La Roche sur Yon, en Aveyron ou encore à Chalon sur Saône, dans les entreprises et dans les administrations qu’une épidémie de répression antisyndicale et autoritaire s’abat sur les militant.es syndicalistes dont Solidaires engagé.es dans la lutte contre la réforme des retraites. Convocations au commissariat pour « entraves à la libre circulation » ou « à la liberté du travail » puis poursuites devant le tribunal pour des faits qui déboucheront espérons-le sur des relaxes, conseils de discipline dans les entreprises : c’est la possibilité même de s’opposer aux projets antisociaux du gouvernement qui est dans le collimateur. Il s’agit là encore de faire peur et intimider celles et ceux qui font entendre pacifiquement et démocratiquement leur opposition à un ordre social violent et un projet de loi retraites sur lequel le gouvernement s’obstine dans l’erreur et l’impose malgré son impopularité par la violence et par la procédure sans débats du 49-3.

Face au virus autoritaire d’un pouvoir aux abois qui n’a d’autres arguments que pratiquer la répression, Solidaires appelle à soutenir sans réserve les militant-es visé-es par cette répression aveugle. Elle appelle à renforcer massivement le rapport de force qui, fort du soutien majoritaire, nous fera gagner sur la bataille des retraites. Ce n’est certainement pas l’appareil judiciaire, par ailleurs lui-même en révolte en partie contre ce projet de loi injuste, qui tranchera ce conflit social : ce sera à la mobilisation forte des travailleurs-euses d’imposer son retrait.

Tout au long du mois de mars et au besoin ensuite, rassemblons-nous, manifestons, grévillons pour imposer un autre monde que celui imposé par ce pouvoir illégitime !

Le communiqué en pdf Communiqué répression

Grèce : les réfugiéEs otages des fauteurs de guerre et des nationalismes

Les événements en cours aux frontières gréco-turques sont très inquiétants. Suite à la fermeture des frontières décrétée par le Premier ministre grec Mitsotakis, applaudi par l’Union européenne, ceux qui tentent le passage en Grèce sont violemment repoussés (au moins un mort, peut-être suite à un tir grec, et un enfant noyé sous les yeux des garde-côtes).

Parallèlement, des mesures extrémistes sont prises contre les réfugiéEs : suspension pour un mois des procédures d’examen du droit à l’asile, décision de renvoyer dans le « pays de provenance » touTEs les migrantEs arrivés ces derniers jours et sans titre de réfugié, avec construction de deux camps spécifiques près d’aéroports. Ce dimanche, annonce de l’arrêt du versement d’une aide financière aux réfugiéEs, et le projet de centres fermés sur des îles désertes a vu le jour…

Si l’armée et la police sont en action pour « défendre les frontières » face à ce que des ministres d’extrême droite nomment « l’invasion des immigrés clandestins », le climat nationaliste et raciste a aussi permis que s’organisent des patrouilles de pseudo garde-frontières sur les îles et le long du fleuve Evros, épaulés par des nervis fascistes grecs et étrangers frappant migrantEs et personnes solidaires, ou incendiant des lieux pour réfugiéEs. Des nazis allemands revendiquant les massacres d’Hitler contre la population grecque sont protégés par la police contre les antifascistes. Résultat du climat d’hystérie nationaliste encouragé par les médias dominants, deux sondages indiquent que 90 % des Grecs approuvent la ligne dure du gouvernement.

Climat malsain et contradictions à droite 

On connaît les deux causes de cette flambée, sur fond d’Europe forteresse : la décision machiavélique d’Erdogan de suspendre l’infâme traité de 2016 avec l’UE visant à enfermer 3 à 4 millions de réfugiéEs en Turquie, et l’exaspération des réfugiéEs enfermés dans des camps surpeuplés et insalubres de quelques îles grecques (plus de 20 000 à Moria–Lesbos, pour 3 000 places) ainsi que des habitants de ces îles où le gouvernement souhaite maintenir ces réfugiéEs, avec comme projet des camps fermés en pleine île, plutôt que laisser les réfugiéEs rejoindre le continent. Ces derniers mois, la colère insulaire est montée, avec des exigences de transferts vers le continent et le refus des camps fermés. Une situation confuse en a résulté, propice à des infiltrations fascistes avec attaques de réfugiéEs et d’ONG. Mais on voit aussi des tentatives de revendications communes aux insulaires et aux réfugiéEs. D’où des contradictions à droite, le président de la région s’opposant au gouvernement qui a envoyé les CRS à Lesbos matraquer tout le monde… et se faire repousser. Dans cette situation très tendue, la gauche débat de la nécessité d’aller ou pas aux rassemblements insulaires : une bonne partie pense que oui, justement pour lutter contre le racisme impulsé par des fascistes minoritaires sur une île aux traditions démocratiques comme Lesbos.

Riposte antiraciste européenne !

L’actuel climat nauséabond commence à faire réagir : même à droite, certains s’inquiètent de voir Mitsotakis laisser agir les fascistes locaux et européens ainsi que les milices (dimanche, un de ces guignols aurait tiré sur un policier pris pour un migrant !). Un appel de 66 ONG est paru, dénonçant les mesures illégales, exigeant le respect des droits des réfugiéEs, la protection des personnes solidaires et la libre installation en Europe. Et, alors que la direction de Syriza demande le retour à l’accord de 2016, la gauche anticapitaliste a lancé un début de riposte nationale, avec jeudi une grosse manifestation à Athènes (pas loin de 10 000), et des défilés dans huit autres villes du pays, avec un appel de la jeunesse de Syriza à se mobiliser. L’exigence capitale, c’est celle de l’ouverture immédiate des frontières européennes, qui doit être un objectif prioritaire pour toute la gauche européenne. Et qui pourrait se traduire, pour les municipales en France, par la revendication « Installation immédiate de réfugiéEs dans la commune » ?

À Athènes, A. Sartzekis

Source https://npa2009.org/actualite/international/grece-les-refugiees-otages-des-fauteurs-de-guerre-et-des-nationalismes

Réfugiés en Grèce : l’île de Lesbos au bord de l’explosion

par Antoine Besson

Pris en étau entre le régime autoritaire Turc et la gouvernement de droite grec, les réfugiés coincés dans le camp de Moria sur l’île de Lesbos sont totalement abandonnés par les pays de l’Union européenne. 21 000 personnes s’y entassent, sans nourriture et sans chauffage.

Des « check points » sont improvisés sur les routes par des militants d’extrême droite, des étrangers sont attaqués, les voitures de location visées. Depuis quelques jours, l’île grecque de Lesbos (86 000 habitants), à quelques encablures des côtes turques et « hotspot » d’arrivée de réfugiés par la Turquie, connait une tension et des violences inédites. Que les annonces d’Erdogan sur l’ouverture des frontières turques ne devraient pas contribuer à calmer. Le gouvernement grec vient d’annoncer qu’il suspendait toutes les procédures de demande d’asile.

« Cela a commencé il y a environ un mois, avec un appel du gouverneur régional [Kostas Moutzouris] à une grève générale », raconte Lorraine Leete, coordinatrice du « Legal Centre Lesvos », une petite ONG basée à Mytilene, la capitale de l’île. Le mot d’ordre de la grève : “We want our islands back, we want our lives back” (« Nous voulons retrouver nos îles, nous voulons retrouver nos vies »). Des messages anti-migrants alors que l’île est en surchauffe.

Sur-concentration de 21 000 personnes dans le camp de Moria

Depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement conservateur en juillet dernier, les transferts de migrants et réfugiés vers Athènes ont subi un coup d’arrêt. Dans le même temps, les arrivées ont recommencé à augmenter en 2019. Elles risquent de s’accélérer avec la fuite des populations civiles coincées dans la poche d’Idlib, en Syrie, prises en étau entre l’armée de Bachar al-Assad soutenue par la Russie, les factions rebelles et l’armée turque. Résultat : plus de 21 000 personnes s’entassent aujourd’hui dans le camp de Moria, conçu à l’origine pour accueillir 3000 réfugiés maximum !

Les conditions de vie y sont plus épouvantables que jamais, et la tension monte depuis des mois. « Il y a eu une escalade. Des gens ont coupé des arbres, parce qu’ils avaient besoin de se chauffer. Il y a eu aussi des vols de moutons, parce qu’ils n’avaient rien à manger. Il faut remettre ça dans un contexte où on a, côte à côte, un petit village de 1000 habitants et un camp insalubre de 21 000 personnes, qui n’ont rien », explique Lorraine Leete.

Un gouvernement conservateur qui ferme les routes de l’asile et veut construire un camp fermé

Forts du succès de la grève générale, les mouvements d’extrême droite continuent depuis les attaques sporadiques, visant les migrants et ceux qui les aident. En parallèle, les réfugiés tentent également de s’organiser. Afghans ou Syriens, ils demandent des solutions pour arrêter de s’entasser sur l’ile. Problème : depuis janvier, une nouvelle loi sur l’asile rend pratiquement impossible leur régularisation. Le gouvernement de Kyriakos Mitsotakis (Nouvelle démocratie, droite) entend appliquer strictement l’accord entre l’Europe et Ankara. Il refuse de laisser les demandeurs d’asile rejoindre le continent, et déporte tous ceux dont la demande est rejetée.

Le gouvernement grec envisage la construction d’un centre fermé sur Lesbos, pour faciliter ces expulsions. Un nouveau camp auquel l’extrême droite grecque comme les migrants se sont opposés brutalement. En début de semaine, les forces de police envoyées pour protéger le chantier ont dû faire face à des émeutes des deux groupes. La base militaire dans laquelle les policiers étaient hébergés à été attaquée de nuit, précipitant le départ de la plupart des unités.

Des bateaux empêchés d’accoster

L’alliance entre les deux camps n’aura évidemment pas duré. Certains habitants empêchent les bateaux de migrants d’accoster. Des Syriens venus aider les naufragés se seraient fait attaquer. La route entre le nord de l’île et le camp de Moria a été bloquée. Des tentes d’un camp temporaire ont été détruites. La police n’interviendrait que très peu pour stopper ces violences.

« L’ambiance est très tendue sur l’île. Des attaques continuent, il y a des routes bloquées, des journalistes et des migrants ont été tabassés. Il suffit d’avoir un autocollant d’une ONG sur une voiture pour que les vitres soient brisées. À côté de ça, d’autres habitants vont, au contraire, exprimer leur solidarité avec les réfugiés », commente Lorraine Leete. Un journaliste allemand, Michael Trammer, a été agressé et blessé par des militants d’extrême droite, qui tentaient de s’opposer à l’accostage d’une embarcation en détresse.

L’annonce d’Erdogan d’ouvrir la frontière turque ne pourra que faire monter les tensions. L’armée grecque a annoncé la tenue d’exercices militaires et a prévenu qu’elle ouvrirait le feu à balles réelles… De l’avis de tous, les migrants ne peuvent et ne doivent pas rester entassés sur les îles. Aux gouvernements, en Grèce et ailleurs en Europe, d’ouvrir d’autres voies.

Source https://www.bastamag.net/Grece-Turquie-refugies-Lesbos-extreme-droite-Idlib-Syrie

Non, le coronavirus n’est pas le responsable de la chute des cours boursiers

4 mars par Eric Toussaint

On assiste à une grosse crise des bourses de Wall Street, d’Europe, du Japon et de Shanghai, et certains en attribuent la responsabilité au coronavirus. Au cours de la dernière semaine de février 2020, la pire semaine depuis octobre 2008, le Dow Jones a baissé de 12,4 %, le S&P 500 a baissé de 11,5 % et le Nasdaq Composite a baissé de 10,5 %. Même scénario en Europe et en Asie pendant la dernière semaine de février. À la bourse de Londres, le FTSE-100 a baissé de 11,32 %, à Paris le CAC40 a chuté de 12 %, à Francfort le DAX a perdu 12,44 %, à la bourse de Tokyo, le Nikkei a baissé de 9,6 %, les bourses chinoises (Shanghai, Shenzhen et Hong-Kong) ont également baissé. Lundi 2 mars suite à des (promesses d’) interventions massives des banques centrales pour soutenir les bourses, les indices sont repartis à la hausse sauf à Londres. Le mardi 3 mars, la banque centrale des États-Unis, la Fed, paniquée, a baissé de 0,50 % son taux directeur, ce qui constitue une baisse considérable. Le nouveau taux directeur de la Fed se situe désormais dans une fourchette de 1 à 1,25 %. Il faut savoir que le taux d’inflation aux États-Unis entre février 2019 et janvier 2020 a atteint 2,5 %, cela veut dire que le taux d’intérêt réel de la FED est négatif. La grande presse écrit que cette mesure vise à soutenir l’économie américaine menacée par l’épidémie de COVID-19. Le quotidien français Le Figaro titre « Le coronavirus précipite une forte baisse du taux directeur de la Fed » (https://www.lefigaro.fr/conjoncture/coronavirus-la-fed-baisse-ses-taux-de-0-5-point-a-la-surprise-generale-20200303 voir aussi en anglais https://edition.cnn.com/2020/03/03/investing/federal-reserve-interest-rate-cut-coronavirus-emergency/index.html ). Or la mauvaise santé de l’économie américaine date de bien avant les premiers cas de coronavirus en Chine et ces effets sur l’économie mondiale (voir https://www.cadtm.org/Panique-a-la-Reserve-Federale-et-retour-du-Credit-Crunch-sur-un-ocean-de-dettes). En résumé, la Fed et la grande presse, à sa suite, ne disent pas la vérité quand elles expliquent que la mesure est destinée à faire face au coronavirus. Malgré la décision de la Fed, le mardi 3 mars, le S&P 500 a à nouveau baissé de 2,81 %, le Dow Jones a baissé de 2,9 % (https://edition.cnn.com/2020/03/03/investing/dow-stock-market-today/index.html ). Les 3 et 4 mars, plusieurs bourses asiatiques ont connu également une baisse. Il ne faut pas exclure une remontée de la bourse à New York le 4 mars pour saluer le retour de Joe Biden dans la course à la présidentielle aux États-Unis lors des primaires démocrates du 3 mars car cela représente pour eux un soulagement face à Bernie Sanders qui reste néanmoins en tête. Joe Biden est clairement le candidat de l’Establishment démocrate et des milliardaires qui soutiennent ce parti. A noter également que Donald Trump a dans un tweet la semaine passée lié son sort à celle de la bourse à Wall Street. Le 26 février, il a appelé ses collègues du 1 % le plus riche à ne pas vendre leurs actions et à soutenir la bourse. Il a en plus affirmé que s’il était réélu à la présidence des États-Unis en octobre 2020 la bourse grimpera énormément tandis que s’il perd on assistera à un crash boursier d’une ampleur jamais vue (selon le Financial Times, Trump a annoncé que « The market will “jump thousands and thousands of points if I win,” … “and if I don’t, you’re going to see a crash like you’ve never seen before . . . I really mean it.” https://www.ft.com/content/399783e2-57e9-11ea-a528-dd0f971febbc ). Ce qui va se passer précisément sur les marchés boursiers dans les jours et les semaines qui viennent est imprévisible mais il est très important d’analyser les véritables causes de la crise financière en cours.

Les grands médias affirment de manière ultra simplificatrice que cette chute généralisée des bourses de valeur est provoquée par le coronavirus et cette explication est reprise largement sur les réseaux sociaux. Or ce n’est pas le coronavirus et son expansion qui constituent la cause de la crise, l’épidémie n’est qu’un élément détonateur. Tous les facteurs d’une nouvelle crise financière sont réunis depuis plusieurs années, au moins depuis 2017-2018 (voir https://www.cadtm.org/Tout-va-tres-bien-madame-la datant de novembre 2017 ; https://www.cadtm.org/Tot-ou-tard-il-y-aura-une-nouvelle-crise-financiere datant d’avril 2018 ; voir plus récemment Source : https://pour.press/les-conditions-sont-reunies-pour-une-nouvelle-crise-financiere-eric-toussaint/). Quand l’atmosphère est saturée de matières inflammables, à tout moment, une étincelle peut provoquer l’explosion financière. Il était difficile de prévoir d’où l’étincelle allait partir. L’étincelle joue le rôle de détonateur mais ce n’est pas elle qui est la cause profonde de la crise. Nous ne savons pas encore si la forte chute boursière de la fin février 2020 va « dégénérer » en une énorme crise financière. C’est une possibilité réelle. Le fait que la chute boursière coïncide avec les effets de l’épidémie du coronavirus sur l’économie productive n’est pas fortuit, mais dire que le coronavirus est la cause de la crise est une contrevérité. Il est important de voir d’où vient réellement la crise et de ne pas être berné par les explications qui dressent un rideau de fumée devant les causes réelles.

Les grands médias affirment de manière ultra simplificatrice que la chute généralisée des bourses de valeur est provoquée par le coronavirus […] Or, l’épidémie n’est qu’un élément détonateur. Tous les facteurs d’une nouvelle crise financière sont réunis au moins depuis 2017-2018

Le Grand Capital, les gouvernants et les médias à son service ont tout intérêt à mettre sur le dos d’un virus le développement d’une grande crise financière puis économique, cela leur permet de s’en laver les mains (excusez-moi l’expression).

La chute des cours boursiers était prévue bien avant que le coronavirus fasse son apparition.

Le cours des actions et le prix des titres de la dette (appelés aussi obligations) ont augmenté d’une manière totalement exagérée par rapport à l’évolution de la production au cours des dix dernières années, avec une accélération au cours des deux ou trois dernières années. La richesse du 1 % le plus riche a aussi fortement crû car elle est largement basée sur la croissance des actifs financiers.

Il faut souligner que le moment où intervient la chute des cours boursiers est le résultat d’un choix (je ne parle pas de complot) : une partie des très riches (le 1 %, le Grand Capital) a décidé de commencer à vendre les actions qu’il a acquises car il considère que toute fête financière a une fin, et plutôt que la subir il préfère prendre les devants. Ces grands actionnaires préfèrent être les premiers à vendre afin d’obtenir le meilleur prix possible avant que le cours des actions ne baisse très fortement. De grandes sociétés d’investissements, de grandes banques, de grandes entreprises industrielles et des milliardaires donnent l’ordre à des traders de vendre une partie des actions ou des titres de dettes privées (c’est-à-dire des obligations) qu’ils possèdent afin d’empocher les 15 % ou 20 % de hausse des dernières années. Ils se disent que c’est le moment de le faire : ils appellent cela prendre « leurs bénéfices ». Selon eux, tant pis si cela entraîne un effet moutonnier de vente. L’important à leurs yeux est de vendre avant les autres. Cela peut provoquer un effet domino et dégénérer en une crise généralisée. Ils le savent et se disent qu’ils finiront par s’en tirer sans trop de mal comme cela s’est passé pour un grand nombre d’entre eux en 2007-2009. C’est le cas notamment aux États-Unis, des deux principaux fonds d’investissement et de gestion d’actifs BlackRock et Vanguard qui s’en sont très bien tirés, de même que Goldman Sachs, Bank of America, Citigroup ou les Google, Apple, Amazon, Facebook, etc.

Un autre élément important est à souligner : le 1 % vend des actions d’entreprises privées, ce qui provoque une chute de leur cours et entraîne la chute des bourses. Or dans le même temps, ils achètent des titres de la dette publique considérés comme des valeurs sûres. C’est notamment le cas aux États-Unis où le prix des titres du trésor étatsunien a augmenté suite à une demande très forte. À noter qu’une augmentation du prix des titres du trésor qui se vendent sur le marché secondaire a pour conséquence de baisser le rendement de ces titres. Les riches qui achètent ces titres du Trésor sont disposés à un faible rendement, car ce qu’ils cherchent, c’est la sécurité à un moment où le cours des actions des entreprises est en baisse. En conséquence, il faut souligner qu’une fois de plus c’est bien les titres des États qui sont considérés par les plus riches comme les plus sûrs. Gardons cela en tête et soyons prêts à le dire publiquement car il faut s’attendre à ce que revienne bientôt le refrain bien connu de la crise des dettes publiques et des craintes des marchés à l’égard des titres publics.

Le Grand Capital (le 1 %) a réduit la part qu’il investit dans la production et a augmenté la part qu’il met en circulation dans la sphère financière

Mais revenons à ce qui se passe à répétition depuis un peu plus d’une trentaine d’années, c’est-à-dire depuis l’approfondissement de l’offensive néolibérale et de la grande dérèglementation des marchés financiers [1] : le Grand Capital (le 1 %) a réduit la part qu’il investit dans la production et a augmenté la part qu’il met en circulation dans la sphère financière (c’est y compris le cas d’une firme « industrielle » emblématique comme Apple). Il a fait cela au cours des années 1980 et cela a produit la crise du marché obligataire de 1987. Il a refait cela à la fin des années 1990 et cela a produit la crise des dot-com et d’Enron en 2001. Il a remis cela entre 2004 et 2007 et cela a produit la crise des subprimes, des produits structurés et une série de faillites retentissantes dont celle de Lehman Brothers en 2008. Cette fois-ci, le Grand Capital a principalement spéculé à la hausse sur le prix des actions en bourse et sur le prix des titres de la dette sur le marché obligataire (c’est-à-dire le marché où se vendent les actions des entreprises privées et les titres de dettes émis par les États et d’autres pouvoirs publics). Parmi les facteurs qui ont entraîné la montée extravagante des prix des actifs financiers (actions en bourses et titres des dettes privées et publiques), il faut prendre en compte l’action néfaste des grandes banques centrales depuis la crise financière et économique de 2007-2009. J’ai analysé cela notamment dans https://www.cadtm.org/La-crise-de-la-politique-des-banques-centrales-dans-la-crise-globale

Ce phénomène ne date donc pas du lendemain de la crise de 2008-2009, il est récurrent dans le cadre de la financiarisation de l’économie capitaliste. Et avant cela, le système capitaliste avait aussi connu des phases importantes de financiarisation tant au 19e siècle que dans les années 1920, ce qui avait abouti à la grande crise boursière de 1929 et la période prolongée de récession des années 1930. Puis le phénomène de financiarisation et de dérèglementation a été en partie muselé pendant 40 ans suite à la grande dépression des années 1930, à la Seconde Guerre mondiale et à la radicalisation de la lutte des classes qui s’en est suivi. Jusqu’à la fin des années 1970 il n’y a plus eu de grandes crises bancaires ou boursières. Les crises bancaires et boursières ont fait leur réapparition quand les gouvernements ont donné toutes libertés au Grand Capital pour faire ce qu’il voulait dans le secteur financier.

Les crises bancaires et boursières ont fait leur réapparition quand les gouvernements ont donné toutes libertés au Grand Capital pour faire ce qu’il voulait dans le secteur financier

Revenons à la situation des dernières années. Le Grand Capital, qui considère que le taux de rentabilité qu’il tire dans la production n’est pas suffisant, développe les activités financières non directement liées à la production. Cela ne veut pas dire qu’il abandonne la production, mais qu’il développe proportionnellement plus ses placements dans la sphère financière que ses investissements dans la sphère productive. C’est ce qu’on appelle aussi la financiarisation ou la mondialisation financiarisée. Le capital « fait du profit » à partir du capital fictif par des activités largement spéculatives. Ce développement de la sphère financière augmente le recours à l’endettement massif des grandes entreprises, y compris de firmes comme Apple (j’ai écrit une série d’articles là-dessus https://www.cadtm.org/La-montagne-de-dettes-privees-des-entreprises-sera-au-coeur-de-la-prochaine).

Le capital fictif est une forme du capital, il se développe exclusivement dans la sphère financière sans véritable lien avec la production (voir encadré : Qu’est-ce que le capital fictif ?). Il est fictif au sens où il ne repose pas directement sur la production matérielle et sur l’exploitation directe du travail humain et de la nature. Je parle bien d’exploitation directe car évidemment le capital fictif spécule sur le travail humain et sur la nature, ce qui généralement dégrade les conditions de vie des travailleurs·ses et la Nature elle-même.

Qu’est-ce que le capital fictif ?

« Le capital fictif est une forme de capital (des titres de la dette publique, des actions, des créances) qui circule alors que les revenus de la production auxquels il donne droit ne sont que des promesses, dont le dénouement est par définition incertain ».Entretien avec Cédric Durand réalisé par Florian Gulli, « Le capital fictif, Cédric Durand », La Revue du projet : http://projet.pcf.fr/70923.

Selon Michel Husson, « le cadre théorique de Marx lui permet l’analyse du « capital fictif », qui peut être défini comme l’ensemble des actifs financiers dont la valeur repose sur la capitalisation d’un flux de revenus futurs : « On appelle capitalisation la constitution du capital fictif » [Karl Marx, Le Capital, Livre III]. Si une action procure un revenu annuel de 100 £ et que le taux d’intérêt est de 5 %, sa valeur capitalisée sera de 2000 £. Mais ce capital est fictif, dans la mesure où « il ne reste absolument plus trace d’un rapport quelconque avec le procès réel de mise en valeur du capital » [Karl Marx, Le Capital, Livre III]. Michel Husson, « Marx et la finance : une approche actuelle », À l’Encontre, décembre 2011, https://alencontre.org/economie/marx-et-la-finance-une-approche-actuelle.html

Le capital fictif est une forme du capital, il se développe exclusivement dans la sphère financière sans véritable lien avec la production. Il est fictif au sens où il ne repose pas directement sur la production matérielle et sur l’exploitation directe du travail humain et de la nature

Pour Jean-Marie Harribey : « Les bulles éclatent quand le décalage entre valeur réalisée et valeur promise devient trop grand et que certains spéculateurs comprennent que les promesses de liquidation profitable ne pourront être honorées pour tous, en d’autres termes, quand les plus-values financières ne pourront jamais être réalisées faute de plus-value suffisante dans la production. » Jean-Marie Harribey, « La baudruche du capital fictif, lecture du Capital fictif de Cédric Durand », Les Possibles, N° 6 – Printemps 2015 : https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-6-printemps-2015/debats/article/la-baudruche-du-capital-fictif.
Lire également François Chesnais, « Capital fictif, dictature des actionnaires et des créanciers : enjeux du moment présent », Les Possibles, N° 6 – Printemps 2015 : https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-6-printemps-2015/debats/article/capital-fictif-dictature-des

Je suis d’accord avec Cédric Durand quand il affirme : « Une des conséquences politiques majeures de cette analyse est que la gauche sociale et politique doit prendre conscience du contenu de classe de la notion de stabilité financière. Préserver la stabilité financière, c’est faire en sorte que les prétentions du capital fictif se réalisent. Pour libérer nos économies de l’emprise du capital fictif, il nous faut engager une désaccumulation financière. Concrètement, cela renvoie bien sûr à la question de l’annulation des dettes publiques et de la dette privée des ménages modestes, mais aussi à la diminution des rendements actionnariaux, ce qui se traduit mécaniquement par une diminution de la capitalisation boursière. Ne nous y trompons pas, de tels objectifs sont très ambitieux : ils impliquent inéluctablement de socialiser le système financier et de rompre avec la liberté de circulation du capital. Mais ils permettent de saisir précisément certaines conditions indispensables pour tourner la page du néolibéralisme. » Cédric Durand, « Sur le capital fictif, Réponse à Jean-Marie Harribey », Les Possibles, N° 6 – Printemps 2015 : https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-6-printemps-2015/debats/article/sur-le-capital-

Le capital fictif souhaite capter une partie de la richesse produite dans la production (les marxistes disent une partie de la plus-value produite par les travailleurs·ses dans la sphère de la production) sans mettre les mains dans le cambouis c’est-à-dire sans passer par le fait d’être investi directement dans la production (sous la forme d’achat de machines, de matières premières, de paiement de la force de travail humaine sous la forme de salaires, etc.). Le capital fictif, c’est une action dont le possesseur attend qu’elle donne un dividende. Il achètera une action Renault si celle-ci promet un bon dividende mais il pourra aussi revendre cette action pour acheter une action General Electric ou Glaxo Smith Kline ou Nestlé ou Google si celle-ci promet un meilleur dividende. Le capital fictif, c’est aussi une obligation de dette émise par une entreprise ou un titre de la dette publique. C’est aussi un dérivé, un produit structuré… Le capital fictif peut donner l’illusion qu’il génère par lui-même des profits tout en s’étant détaché de la production. Les traders, les brokers ou les dirigeants des grandes entreprises sont convaincus qu’ils « produisent ». Mais à un moment donné, une crise brutale éclate et une masse de capitaux fictifs repart en fumée (chute des cours boursiers, chute des prix sur le marché obligataire, chute des prix de l’immobilier…).

Les traders, les brokers ou les dirigeants des grandes entreprises sont convaincus qu’ils « produisent ». Mais à un moment donné, une crise brutale éclate et une masse de capitaux fictifs repart en fumée

Le Grand Capital, de manière répétée, veut croire ou faire croire qu’il est capable de transformer le plomb en or dans la sphère financière, mais de manière périodique la réalité le rappelle à l’ordre et la crise éclate.

Lorsque la crise éclate il faut faire la distinction entre l’élément détonateur d’une part (aujourd’hui, la pandémie du coronavirus peut constituer le détonateur) et les causes profondes, d’autre part.

Au cours des deux dernières années, il y a eu un ralentissement très important de la production matérielle. Dans plusieurs grandes économies comme celles de l’Allemagne, du Japon (dernier trimestre 2019), de la France (dernier trimestre 2019) et de l’Italie, la production industrielle a reculé ou a fortement ralenti (Chine et États-Unis). Certains secteurs industriels qui avaient connu un redémarrage après la crise de 2007-2009 comme l’industrie de l’automobile sont rentrés dans une très forte crise au cours des années 2018-2019 avec une chute très importante des ventes et de la production. La production en Allemagne, le principal constructeur automobile mondial, a baissé de 14 % entre octobre 2018 et octobre 2019 [2]. La production automobile aux États-Unis et en Chine a également chuté en 2019, de même en Inde. La production automobile chute fortement en France en 2020. La production d’un autre fleuron de l’économie allemande, le secteur qui produit les machines et les équipements, a baissé de 4,4 % rien qu’au mois d’octobre 2019. C’est le cas également du secteur de la production des machines-outils et d’autres équipements industriels. Le commerce international a stagné. Sur une période plus longue, le taux de profit a baissé ou a stagné dans la production matérielle, les gains de productivité ont aussi baissé.

En 2018-2019, ces différents phénomènes de crise économique dans la production se sont manifestés très clairement, mais comme la sphère financière continuait de fonctionner à plein régime, les grands médias et les gouvernements faisaient tout pour affirmer que la situation était globalement positive et que ceux et celles qui annonçaient une prochaine grande crise financière s’ajoutant au ralentissement marqué dans la production, n’étaient que des oiseaux de malheur.

Le point de vue de classe sociale est aussi très important : pour le Grand Capital, tant que la roue de la fortune dans la sphère financière continue de tourner, les joueurs restent en piste et se félicitent de la situation. Il en va de même pour tous les gouvernants car ils sont présentement liés au Grand Capital, tant dans les vieilles économies industrialisées comme l’Amérique du Nord, l’Europe occidentale ou le Japon, qu’en Chine, en Russie ou dans les autres grandes économies dites émergentes.

Malgré le fait que la production réelle a cessé en 2019 de croître de manière significative ou a commencé à stagner ou à baisser, la sphère financière a continué son expansion

Malgré le fait que la production réelle a cessé en 2019 de croître de manière significative ou a commencé à stagner ou à baisser, la sphère financière a continué son expansion : les cours en bourse ont continué d’augmenter, ils ont même atteint des sommets, le prix des titres des dettes privées et publiques a continué sa progression vers le haut, le prix de l’immobilier a recommencé à croître dans une série d’économies, etc.

En 2019, la production a ralenti (Chine et Inde), a stagné (une bonne partie de l’Europe) ou a commencé à baisser dans la deuxième moitié de l’année (Allemagne, Italie, Japon, France) notamment parce que la demande globale a baissé : la plupart des gouvernements et le patronat interviennent pour faire baisser les salaires, les retraites, ce qui réduit la consommation car l’endettement des familles, en augmentation, ne suffit pas à pallier à la baisse de revenus. De même, les gouvernements prolongent une politique d’austérité qui entraîne une réduction des dépenses publiques et des investissements publics. La conjonction de la chute du pouvoir d’achat de la majorité de la population et la baisse des dépenses publiques entraînent une chute de la demande globale et donc une partie de la production ne trouve pas de débouchés suffisants, ce qui entraîne une baisse de l’activité économique [3].

Il est important de préciser de quel point de vue on se situe : je parle de crise de la production non pas parce que je suis un adepte de la croissance de la production. Je suis pour l’organisation (la planification) de la décroissance afin de répondre notamment à la crise écologique en cours. Donc, personnellement, la chute ou la stagnation de la production au niveau mondial ne me chagrine pas, au contraire. C’est très bien si l’on produit moins de voitures individuelles et si leurs ventes chutent. Par contre pour le système capitaliste, il n’en va pas de même : le système capitaliste a besoin de développer sans cesse la production et de conquérir sans cesse de nouveaux marchés. Quand il n’y arrive pas ou quand cela commence à coincer, il répond à la situation en développant la sphère de la spéculation financière et en émettant de plus en plus de capitaux fictifs non reliés directement à la sphère productive. Cela semble fonctionner pendant des années, et puis à un moment donné des bulles spéculatives éclatent. À plusieurs moments de l’histoire du capitalisme, la logique d’expansion permanente du système capitaliste et de la production s’est exprimée par des guerres commerciales (et c’est de nouveau le cas aujourd’hui notamment entre les États-Unis et ses principaux partenaires) ou bien par de véritables guerres, et cette issue n’est pas tout à fait exclue aujourd’hui.

Il faut entamer immédiatement et planifier de manière urgente la décroissance pour combattre la crise écologique. Il faut produire moins et mieux

Si l’on se situe du point de vue des classes sociales exploitées et spoliées qui constituent l’écrasante majorité de la population (d’où l’image des 99 % opposés au 1 %), il est clair que la conclusion est qu’il faut rompre radicalement avec la logique d’accumulation du capital qu’il soit productif ou financier, ou productif financiarisé, peu importe les appellations. Il faut entamer immédiatement et planifier de manière urgente la décroissance pour combattre la crise écologique. Il faut produire moins et mieux. La fabrication de certains produits vitaux pour le bien-être de la population doit croître (constructions et rénovations de logements décents, transports collectifs, centres de santé et hôpitaux, distribution d’eau potable et épuration d’eaux usées, écoles, etc.) et d’autres productions doivent radicalement baisser (voitures individuelles) ou disparaître (fabrication d’armes). Il faut réduire radicalement et brutalement les émissions de gaz à effet de serre. Il faut reconvertir toute une série d’industries et d’activités agricoles. Il faut annuler une grande partie des dettes publiques, et dans certains cas l’entièreté de celles-ci. Il faut exproprier sans indemnité et transférer dans le service public les banques, les assurances, le secteur de l’énergie et d’autres secteurs stratégiques. Il faut donner d’autres missions et d’autres structures aux banques centrales. Il existe d’autres mesures telles la mise en œuvre d’une réforme fiscale globale avec une forte taxation du capital, une réduction globale du temps de travail avec des embauches compensatoires et le maintien des niveaux de salaire, la gratuité des services de santé publique, de l’éducation, des transports publics, des mesures effectives pour garantir l’égalité entre les sexes. Il faut répartir les richesses en respectant la justice sociale et en faisant primer les droits humains et le respect des fragiles équilibres écologiques.

La grande masse de la population qui voit ses revenus réels diminuer ou stagner (c’est-à-dire son pouvoir d’achat réel) compense cette baisse ou cette stagnation par le recours à l’endettement pour maintenir son niveau de consommation, y compris sur des questions vitales (comment remplir son frigo, comment assurer la scolarité des enfants, comment se déplacer pour aller au travail s’il faut acheter une voiture car il n’y a pas de transports en communs, comment payer certains soins de santé, etc.). Il faut apporter des solutions radicales à cet endettement croissant d’une majorité de la population aux quatre coins de la planète et recourir à des annulations de dette. Il faut donc annuler une grande partie des dettes privées des ménages (notamment les dettes étudiantes, les dettes hypothécaires abusives, les dettes abusives de consommation, les dettes liées au microcrédit abusif…). Il faut augmenter les revenus de la majorité de la population et améliorer fortement la qualité des services publics dans la santé, l’éducation, les transport collectifs, en pratiquant la gratuité.

Nous devons mener la lutte contre la crise multi-dimensionnelle du système capitaliste et nous engager résolument sur la voie d’une sortie écologiste-féministe-socialiste. Il s’agit d’une nécessité absolue et immédiate

Nous sommes confrontés à une crise multidimensionnelle du système capitaliste mondial : crise économique, crise commerciale, crise écologique, crise de plusieurs institutions internationales qui font partie du système de domination capitaliste de la planète (OMC, OTAN, G7, crise dans la Fed – la banque centrale des États-Unis –, crise dans la Banque centrale européenne), crise politique dans des pays importants (notamment aux États-Unis entre les deux grands partis du grand capital), crise de santé publique, guerres… Dans l’esprit d’un grand nombre de personnes dans de nombreux pays, le rejet du système capitaliste est plus élevé qu’il ne l’a jamais été au cours des cinq dernières décennies, depuis le début de l’offensive néolibérale sous Pinochet (1973), Thatcher (1979) et Reagan (1980).

L’abolition des dettes illégitimes, cette forme de capital fictif, doit s’inscrire dans un programme beaucoup plus large de mesures supplémentaires. L’écosocialisme doit être mis au cœur des solutions et non laissé de côté. Nous devons mener la lutte contre la crise multidimensionnelle du système capitaliste et nous engager résolument sur la voie d’une sortie écologiste-féministe-socialiste. Il s’agit d’une nécessité absolue et immédiate.

Notes

[1Voir Éric Toussaint, Bancocratie, 2014, chapitre 3 « De la financiarisation/dérèglementation des années 1980 à la crise de 2007-2008 ».

[2L’industrie automobile allemande emploie 830 000 travailleurs et 2 000 000 d’emplois connexes en dépendent directement (Source : Financial Times, « German industrial output hit by downturn », 7-8 décembre 2019).

[3Concernant l’explication des crises, parmi les économistes marxistes, « deux grandes « écoles » se font face : celle qui explique les crises par la sous-consommation des masses (la surproduction de biens de consommation) ; et celle qui les explique par la « suraccumulation » (l’insuffisance du profit pour poursuivre l’expansion de la production des biens d’équipement). Cette querelle n’est qu’une variante du vieux débat entre les partisans de l’explication des crises par « l’insuffisance de la demande globale » et ceux de l’explication par la « disproportionnalité ». » Ernest Mandel. La crise 1974-1982. Les faits. Leur interprétation marxiste, 1982, Paris, Flammarion, 302 p. À la suite d’Ernest Mandel, je considère que l’explication de la crise actuelle doit prendre en compte plusieurs facteurs qu’on ne peut pas la réduire à une crise produite par la surproduction de biens de consommation (et donc une insuffisance de la demande) ou bien par la suraccumulation de capitaux (et donc l’insuffisance du profit).

Auteur.e Eric Toussaint :  Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.

Il est l’auteur des livres Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation,Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015. Suite à sa dissolution annoncée le 12 novembre 2015 par le nouveau président du parlement grec, l’ex-Commission poursuit ses travaux et s’est dotée d’un statut légal d’association sans but lucratif.

Source www.cadtm.org/Non-le-coronavirus-n-est-pas-le-responsable-de-la-chute-des-cours-boursiers

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