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Réfugies : tentative de récupération de l’extrême droite

Réfugiés en Grèce: chronique d’une tentative de récupération de l’extrême droite locale et européenne

Par Elisa Perrigueur et Sébastien Bourdon

Début mars, l’île de Lesbos était au centre de la communication des groupes d’extrême droite européens. L’espace de quelques jours, après l’annonce de l’ouverture des frontières par Ankara aux migrants voulant rejoindre l’Europe, une poignée de militants se sont rendus sur place. Une tentative de récupération ratée, selon les riverains qui s’inquiètent davantage d’une montée de l’extrême droite locale.

Lesbos s’est arrêtée, soumise au confinement total en raison du Covid-19. Les habitants désertent le port de Mytilène. Les 19 000 réfugiés de Moria sont sommés de rester au camp. Les quelques exilés égarés qui arrivent encore depuis la Turquie sont directement placés en quarantaine à leur arrivée. Les 39 passagers, parmi lesquels des Congolais, des Afghans et des Mauritaniens, qui ont par exemple accosté le 1er avril, ont entamé leur confinement sous des tentes installées sur le rivage, faute de structures disponibles.

L’île grecque attend désormais la régression du virus, qui a causé à ce jour 116 décès en Grèce. Un mois plus tôt, avant que la pandémie ne déferle sur le monde, c’était une autre menace qui submergeait Lesbos. Celle d’une poussée de l’extrême droite, aujourd’hui en suspens mais toujours tenace, estime Christos, professeur de 58 ans, natif de Mytilène.

« Les habitants seront d’abord préoccupés après le passage du virus par le droit du travail, les questions économiques, car nous sortions à peine de dix ans d’austérité. Plus personne ne risque d’aider les réfugiés… Le repli sur soi et l’extrémisme seront de graves menaces », prédit ce militant du groupe d’initiative antifasciste locale. Car il n’oublie pas la poussée extrémiste « choquante », à laquelle il a assisté au cours des premières semaines de mars, épisode désormais éclipsé par le virus mondial. « C’est désormais devenu très difficile pour les ONG, les antifascistes, les réfugiés de s’exprimer, l’environnement est devenu hostile », résume-t-il.

Lesbos a vu début mars la montée des extrémistes locaux mais aussi le passage d’identitaires étrangers venus profiter de la confusion causée par l’annonce de la Turquie. Le 27 février, Ankara a ouvert sa frontière, incitant les migrants en quête d’Europe à s’y rendre. Pleins d’espoir, ces réfugiés manipulés dans ce jeu politique ont alors débarqué sur l’île, parfois accueillis dans une ambiance de haine.

Une scène, surtout, semble avoir cristallisé la tension, le 1er mars, dans le petit port de Thermis, dans l’est. Un groupe de plusieurs dizaines de badauds accueillent un zodiac d’une trentaine de migrants aux cris de « Rentrez chez vous », « dégagez ». Une poignée d’extrémistes présents retournent leur haine contre des journalistes et membres d’ONG sur place, brutalisés. Cette séquence de plusieurs heures, virulente, est largement médiatisée.

Ce jour de colère, Lesbos est déjà à bout. Les arrivées d’exilés ont explosé depuis l’accession au pouvoir du premier ministre conservateur Kyriakos Mitsotakis, en juillet. Leur nombre est passé en neuf mois de 6 000 à 19 000 dans le camp insalubre de Moria. Ici, migrants, volontaires et habitants se disent « oubliés » par les autorités grecques et européennes. La colère des riverains, de tous bords politiques, vient d’exploser alors que le gouvernement a annoncé la construction d’un nouveau camp. Envoyés le 24 février pour encadrer les travaux, les MAT (CRS grecs) affrontent les riverains, dans un climat de violence inédite, pendant trois jours. Ils sont finalement repartis le 26 février, hasard du calendrier, la veille des annonces turques sur l’ouverture de la frontière.

Ces affrontements ont signé « l’affirmation de l’extrême droite sur l’île, présente dans ce mouvement contestataire », explique le militant antifasciste Christos. « Les fascistes l’ont clamé haut et fort : “Après les CRS, ce sont les réfugiés qu’on mettra dehors” », relate le professeur.

Début mars, les extrémistes locaux sortent ainsi de l’ombre : barrages mis en place sur les routes de l’île, attaques des voitures de location soupçonnées d’être empruntées par des reporters ou volontaires. Un incendie ravage le centre d’accueil pour réfugiés – inoccupé – Stage2, du Haut-Commissariat aux Nations unies (HCR). Un autre local vide de l’association suisse One Happy Family est réduit en cendres. Quelques semaines plus tard, ce sont les installations de l’association locale Stand By Me qui brûlent. Des enquêtes sont en cours.

Les ONG sont sous le choc, certaines fuient l’île. « Il n’y a jamais eu un tel niveau de violence, témoigne aujourd’hui Effy Latsoudi membre de Lesbos Solidarity. Nous [travailleurs humanitaires – ndlr] nous sentons très exposés, nous sommes devenus des cibles car nous aidons les réfugiés. Les menaces ont déferlé sur Facebook. Nos noms, parfois nos adresses, ont été diffusés. Tout cela est le fait de groupes grecs. » L’humanitaire estime que « derrière ces opérations, il y a le parti grec néonazi Aube dorée et des partisans radicaux du gouvernement Nouvelle Démocratie (ND). » Le militant antifasciste Christos précise : « On ignore officiellement si les groupes locaux sont liés à Aube dorée, mais ils partagent les mêmes idées xénophobes. »

Sur les réseaux sociaux, les mouvances identitaires européennes scrutent Lesbos mais aussi la frontière terrestre gréco-turque, à des centaines de kilomètres dans le nord-est du continent grec. Là-bas aussi les migrants affluent, ils sont alors 12 000 bloqués côté turc, face aux militaires grecs. Autour du hashtag #IStandWithGreece (« Je soutiens la Grèce »), des groupes dénoncent l’« invasion » du pays et certains réclament notamment « l’envoi de troupes françaises à la frontière gréco-turque » via une pétition, ayant récolté à ce jour plus de 4 300 signatures. Les fausses informations sont largement relayées. Comme cette vidéo, reprise par des sites d’extrême droite internationaux, montrant des migrants côté turc de la frontière en train de secouer des enfants et de les placer au-dessus de feux afin de présenter leurs yeux larmoyants aux caméras. Des gestes qui permettaient en réalité d’atténuer les effets des gaz lacrymogènes, tirés ce jour-là par les forces de l’ordre grecques.

Des mouvements nationalistes français entament alors leur communication, touchant néanmoins une audience restreinte. Certains diffusent des images de banderoles déployées en « soutien au peuple grec » ou dénonçant une « invasion migratoire ». Ils relaient aussi des photos de leurs affiches, comme le groupe l’Alvarium à Angers – proche de la mouvance de l’ex-Bastion social – qui poste la sienne avec le message « Aujourd’hui Lesbos, demain Angers ! Contre la guerre, vive les frontières ! Soutien aux Grecs ».

Un militant de Génération identitaire évoque, lui, sur Twitter des « scènes de guerre à la frontière grecque ». Le 7 mars, ce groupe organise un happening devant l’ambassade de Turquie, à Paris. Une trentaine de militants se réunissent brièvement derrière une banderole « Erdogan ennemi de l’Europe », agitant des fumigènes et un drapeau grec. Habitués des coups de communication médiatiques, plusieurs membres de ce groupe avaient été condamnés en 2019 pour avoir sillonné symboliquement la frontière franco-italienne dans les Hautes-Alpes en avril 2018, tentant de bloquer les passages de migrants au cours d’une opération baptisée Defend Europe.

D’autres actions similaires sont menées devant le consulat de Turquie à Marseille par le mouvement Tenesoun ainsi qu’à Lyon par Lyon Populaire. À chaque fois, ils sont une dizaine de militants. Dans ces deux cas, il s’agit des groupes héritiers du Bastion social, un mouvement dissous en avril 2019 pour l’implication de plusieurs de ses membres dans des agressions racistes..

.« La mouvance antifasciste de l’île s’est renforcée »

En Grèce, la rumeur d’une arrivée imminente de nombreux militants d’extrême droite sur les îles se répand parmi les ONG et journalistes sur place. Dès le 5 mars, un document en anglais intitulé « French Volunteers in Greece » (« Volontaires français en Grèce ») est publié via la messagerie chiffrée Telegram sur une chaîne de diffusion marquée à l’extrême droite comptabilisant plus de 5 000 abonnés. Ses auteurs anonymes, vraisemblablement les gestionnaires de la chaîne de diffusion, affirment avoir la confirmation qu’entre 90 et 120 Français se rendraient en Grèce au cours des trois prochaines semaines. D’après ce document, une trentaine seraient « d’anciens soldats » et des « vétérans des guerres en Croatie, Liban, Bosnie, Zaïre et au Donbass ».

À Lesbos, les locaux semblent plus inquiétés par la violence de certains Grecs que par la présence de militants étrangers. Finalement, ceux-ci ne sont qu’une poignée à avoir visiblement fait le déplacement. Seuls le porte-parole de Génération identitaire, et le responsable de la section Provence du mouvement, ont signalé leur présence en Grèce autour du 8 mars. Ils se sont rendus dans le village et dans le camp de Moria, se faisant passer pour des étudiants en école de journalisme, d’après une reporter Instagram sur place. Enfin, les deux militants ont pris la pose sur le site de la bataille des Thermopyles, à des centaines de kilomètres de l’île, dans l’ouest du continent grec. Plus discret, le responsable du local l’Alvarium à Angers se serait également rendu, d’après ses dires, à Lesbos, signant à son retour un article pour le journal d’extrême droite Présent.

D’autres militants de l’extrême droite européenne ont reçu un accueil plus houleux. Le Youtubeur irlandais Grand Torino a été pris à partie alors qu’il diffusait en direct sur Facebook des images de ses déambulations. Des membres d’un groupe d’identitaires allemands et autrichiens ont été frappés en pleine rue commerçante à Mytilène. Les images montrant ces extrémistes ensanglantés ont fait le tour des médias. Cette visite, la plus remarquée, se serait faite en lien avec des habitants de l’île, affirme le média local Sto Nisi. « [Ces militants identitaires] seraient venus après avoir été contactés par des locaux, par des personnes de la sphère publique, dont certains veulent jouer un rôle ces derniers temps dans les luttes patriotiques, rapporte ce journal. Les quatre hommes (de ce groupe) se sont déclarés “journalistes d’un magazine patriotique”. »

En réaction à cette situation, « la mouvance antifasciste de l’île s’est renforcée », indique le militant antifasciste Christos. Le 8 mars, une manifestation de soutien aux réfugiés a réuni plusieurs centaines de personnes sur le port de Mytilène alors qu’à Athènes, des milliers de personnes ont défilé en solidarité avec les migrants.

Côté institutionnel, quatre eurodéputés ont fait le déplacement le 10 mars dans le nome grec [district – ndlr] de l’Evros, à la frontière terrestre. Parmi eux, les élus français du Rassemblement national (RN) Jérôme Rivière et Jordan Bardella. Le vice-président du RN publie ainsi sur son compte Twitter des images avec les militaires omniprésents ou le maire d’une petite commune. Dans la région, des milices de citoyens se sont formées « pour défendre les portes de la Grèce et de l’Europe », d’après l’AFP.

Pour un riverain, ingénieur de 40 ans qui préfère rester anonyme, le problème est moins la venue d’identitaires européens que « l’émergence locale d’un système organisé sur l’île qui agit en toute impunité, sans qu’il n’y ait d’action des autorités, de la police ou des élus locaux ». Deux insulaires ont été condamnés le 7 mars à trois mois de prison avec sursis pour menaces à l’encontre d’ONG. Une plainte de la police routière de Mytilène a été déposée contre 55 personnes ayant bloqué les routes aux réfugiés et ONG. Personne n’a encore été convoqué, l’activité judiciaire étant suspendue en raison du Covid-19.

Source https://www.mediapart.fr/journal/international/210420/refugies-en-grece-chronique-d-une-tentative-de-recuperation-de-l-extreme-droite-locale-et-europeenn?onglet=full

53 ans après le coup d’État des colonels grecs. Hommage à Periclès Korovessis

Manifestation en Grèce devant l’École polytechnique : des étudiants brandissent des pancartes et crient des slogans le 19 novembre 1973 (révolte contre la dictature des colonels) Neg:A80423 —

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Après Manolis Glezos, parti le 30 mars, la gauche grecque a perdu avec Periclès Korovessis, qui s’est éteint le 11 avril, « une deuxième de ses boussoles tout à la fois morales et politiques » (comme le dit plus bas Stathis Kouvélakis). Contretemps lui rend hommage en publiant un texte de Bernard Dreano, qui revient sur sa rencontre au début des années 1970 et sa relation au long cours avec celui qui fut notamment une figure de la lutte contre la dictature des colonels.

Dans les deux textes ci-dessous, Stathis Kouvélakis et Antonis Ntavanellos restituent le contexte historique et politique dans lequel cette dictature s’est installée et le rôle qu’a joué Périclès Korovessis dans la résistance démocratique puis dans la reconstruction de la gauche grecque. Nous proposons enfin, pour conclure cet hommage, un texte de Périclès Korovessis lui-même datant de septembre 2015, dans lequel il analysait les logiques de la capitulation de Tsipras seulement quelques semaines auparavant.

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La Grèce comme laboratoire de la contre-révolution

Il y a très exactement cinquante-trois ans, le 21 avril 1967, des chars s’élançaient dans les rues d’Athènes et d’autres villes grecques et prenaient le contrôle des points stratégiques du pays. Le coup d’État « des colonels » – c’étaient en effet des officiers de rang intermédiaires qui en avait pris la direction – accouchera d’une dictature militaire qui durera un peu plus de sept ans et s’effondrera face à la tragédie de Chypre en juillet 1974 – un coup d’État d’extrême-droite, manigancé depuis Athènes, qui se soldera par un fiasco sanglant et offrira à l’armée turque le prétexte dont elle rêvait pour intervenir et occuper 40% de l’île. Avec le recul, on peut dire que, plutôt qu’une rupture, la dictature des colonels était l’aboutissement d’une longue séquence contre-révolutionnaire dont les racines plongent dans les années de la guerre civile qui a déchiré le pays entre 1944 et 1949 et s’est soldée par l’écrasement des forces de la gauche communiste.

Une contre-révolution implacable

Le coup d’État à proprement parler n’avait en effet rien d’un coup de tonnerre dans un ciel serein. Les rumeurs bruissaient depuis un bon moment à propos de la préparation d’une action de l’armée destinée à empêcher les élections prévues pour le mois de mai 1967, et dont le résultat prédit d’avance confirmerait la défaite de la droite anticommuniste et monarchiste qui gouvernait quasiment sans interruption le pays depuis la fin de la guerre civile. En réalité, même s’il a pris de court le personnel politique traditionnel, le coup d’État était l’ultime spasme de l’édifice de terreur et de répression qui s’était érigé dans la foulée de la victoire militaire du camp bourgeois, bénéficiant de l’appui illimité des britanniques, puis des États-Unis, au cours de la « décennie révolutionnaire » 1940. Malgré sa bestialité, la répression mise en œuvre par le régime des colonels n’était qu’une reprise atténuée de la violence contre-révolutionnaire extrême qui s’était abattue sur la gauche communiste à partir de 1944 : exécutions en masse (qui se poursuivront même après la fin de la guerre civile), exactions systématiques perpétrées par des milices (anciennement collaborationnistes) dans les villes et, davantage encore, dans les campagnes, déportations et emprisonnement qui briseront tout une génération (près de 70 mille déportés pour le seul bagne de Makronissos, dont l’évocation du seul nom suffit à distiller l’horreur), mise hors la loi du parti communiste et des organisations (suspectées d’être) liées à lui (interdiction qui durera jusqu’en septembre 1974), régime de discrimination institutionnalisée à l’encontre des citoyens en défaut de « convictions nationales ». Pendant des décennies, la non-obtention du fameux « certificat de civisme (or il suffisait qu’un membre de la famille proche ait participé aux organisations de résistance dirigée par les communistes pour se le voir refuser) signifiait que l’accès à la fonction publique, aux études universitaires, et même au permis de conduire, était barré.

Rappelons également que c’est en Grèce, sous la houlette des conseillers britanniques et (surtout) étatsuniens de l’armée monarchiste, que furent expérimentées pour la première fois à grande échelle les techniques « contre-insurrectionnelles » qui se généraliseront par la suite en Asie, en Afrique et en Amérique latine : actions coordonnées de l’armée régulière et des milices chargées du (plus) « sale boulot », évacuation planifiée des campagnes de leur population pour « vider l’eau du bocal » et couper les partisans de leur base logistique, techniques de torture de masse déjà appliquées dans les colonies, usage de bombes incendiaires de nouveau type (napalm) dans des environnements non-urbains, rafles d’enfants dans les zones de conflit et placement dans des institutions de formatage idéologique, création de lieux de déportation pouvant accueillir des dizaines de milliers de détenus dans des zones difficilement accessibles du territoires (les îles les plus arides étaient toutes désignées à cet usage). Entre 1947 et le milieu des années 1950, la Grèce offre un cas d’univers carcéral et, surtout, concentrationnaire unique par son ampleur et sa brutalité en Europe occidentale.

Vers le coup d’État

Malgré l’écrasement de la guerre civile, ce régime de répression féroce est rapidement confronté à une résistance acharnée. En 1958, neuf ans à peine après que la chute des derniers bastions des partisans de l’Armée Démocratique, la Gauche Grecque Démocratique (EDA), forme d’existence légale de la gauche communiste, devient avec près de 25% des voix la principale force d’opposition et se place en tête à Athènes et dans la plupart des villes du pays. Il faudra un recours à la fraude massive dans les urnes et un redoublement de la répression pour permettre à la droite monarchiste de garder le pouvoir. L’assassinat en mai 1963 du député de l’EDA, et figure de proue du mouvement pacifiste grec, Grigoris Lambrakis, immortalisé par le roman Z de Vassilis Vassilikos, adapté au cinéma par Costa Gavras, s’inscrit dans ce contexte d’extrême tension. Et pourtant, aux élections qui suivent de peu l’assassinat de Lambrakis, la droite est largement battue dans les urnes. Georges Papandréou, un politicien bourgeois au passé anticommuniste, devient premier ministre à la tête d’un parti hétéroclite, l’Union du Centre, qui compte dans ses rangs à la fois des notables conservateurs et une aile gauche socialisante dirigée par son fils (et futur fondateur du PASOK) Andréas Papandreou. Il vide les prisons des derniers détenus politiques et s’engage dans une démocratisation contrôlée mais réelle de la vie politique qui redonne confiance aux mobilisations ouvrières, paysannes et estudiantines. Étouffée depuis des décennies par la répression et une censure tatillonne, la vie culturelle explose. C’en est décidément trop pour le « triangle », selon l’expression de l’époque, où se concentrait le vrai pouvoir : l’armée, pilier d’un régime fondé sur la victoire militaire de 1949, la monarchie, véritable centre politique du camp bourgeois bien plus que le personnel politique parlementaire, et l’ambassade étatsunienne, dont l’approbation constitue un préalable à toute décision politique. Georges Papandréou est renversé en juillet 1965 par un coup d’État parlementaire fomenté par le « triangle », qui s’appuie sur une minorité de députés centristes qui font défection (les « apostats » selon l’expression consacrée, avec à leur tête l’ancien premier ministre Konstantinos Mitsotakis, et père de l’actuel, Kyriakos Mitsotakis) contre espèces sonnantes et trébuchantes.

La riposte populaire ne tarde guère. Tout au long du mois de juillet 1965 un véritable soulèvement populaire déferle dans les rues d’Athènes et des grandes villes du pays. A sa tête, la jeunesse étudiante, les secteurs combatifs du mouvement ouvrier (en particulier les ouvriers du bâtiment), la base sociale de la gauche et de l’ensemble des forces démocratiques. Le grand romancier Stratis Tsirkas a dépeint de façon inoubliable ce moment dans son récit au titre évocateur Le printemps perdu[1]. On a pu parler, à juste titre, de « mai 68 » par anticipation. C’est malheureusement vrai aussi pour son issue : privé de perspectives politiques, confronté à la pusillanimité légaliste de la gauche et de Georges Papandréou, le mouvement s’éteint et se résigne à la perspective de nouvelles élections, finalement fixées pour mai 1967. Un raz-de-marée anti-droite était attendu avec certitude. Mais le « triangle » du pouvoir réel était déterminé à annuler leur tenue.

Traquer la résistance

Largement attendu, le coup d’État surprend toutefois les forces de la gauche dans un état d’impréparation totale, malgré leur longue expérience de la clandestinité et de la répression. Il faut dire aussi que les plans de riposte envisagés (lieux de repli, manifestations, mise en place de planques) ont d’emblée été neutralisés par la mise en œuvre d’une nouvelle technique de contre-insurrection. Pour paralyser préventivement toute tentative de résistance populaire, les militants et, surtout, les cadres sont arrêtés au petit matin, rassemblés dans des stades et acheminés vers des lieux de déportation. Dans le cas grec cette tâche était grandement facilitée par le fait que, suite aux décennies de répression, la totalité des militants (et même des simples sympathisants) de la gauche étaient repérés grâce au système de fichage policier de l’ensemble de la population mis en place dès les années 1940 et soigneusement entretenu par un système de strict quadrillage policier s’appuyant sur une armée d’informateurs peuplant chaque recoin de la vie sociale.

Ainsi, au matin du 21 avril 1967 des milliers de militants se trouvent pris dans le gigantesque coup de filet, la plupart du temps en pyjama. Pour la plupart, ils reprennent le chemin déjà familier du bagne et de la prison, avec la rage de ne même pas avoir été en mesure d’agir. Certains réussissent pourtant à s’échapper et passent, ou repassent, dans la clandestinité. Dans les semaines qui suivent le coup d’État sont ainsi créées les premières organisations de résistance. Les principales seront, du côté de la gauche communiste, le Front Patriotique (PAM) et, parmi les jeunes, l’organisation « Rigas Féréos » (du nom du fervent patriote républicain assassiné par les Ottomans en 1797), et du côté de l’aile gauche des centristes, la Défense Démocratique, puis le Mouvement Panhellénique de Libération (PAK), animé de l’étranger par Andréas Papandréou. De nombreux autres noyaux de résistance se créent, couvrant une très large part du spectre politique, de l’extrême-gauche encore balbutiante à la droite libérale, y compris au sein des forces armées, par des officiers certes conservateurs, voire monarchistes, mais opposés au coup d’État.

L’action de ces réseaux sera essentiellement symbolique : lâchage de tracts, presse clandestine, attentats à la bombe visant des cibles matérielles, souvent liées à la présence étatsunienne. Exception à cette règle, Alekos Panagoulis, agissant quasiment en solitaire, échouera dans son attentat contre le dirigeant du régime, Georgios Papadopoulos, le 13 août 1968. Ces noyaux de résistance ne résisteront pas longtemps à la traque de la police, leurs militants et leur appuis logistiques étant, nous l’avons vu, pour la quasi-totalité déjà repérés par la police. Leur démantèlement s’opère entre 1967 et 1969, entraînant des milliers d’arrestations et de condamnations à de lourdes peines de déportation et de prison par les tribunaux militaires, en général précédées par des séjours dans les locaux de la sécurité et/ou de la police militaire où se déchaîne la sauvagerie des tortionnaires.

Malgré son échec sur le plan opérationnel, cette première phase de la résistance intérieure est toutefois décisive pour ce qui suivra. D’un point de vue moral, elle permet, dans un contexte qui n’offre guère de possibilités concrètes d’action de masse, de montrer que des forces existent qui rendent visible l’opposition largement majoritaire de la population au régime. Au niveau proprement politique, c’est dans cette constellation mouvante que se posent pour la première fois un questionnement stratégique, en particulier au sein de la gauche communiste, sur les raisons qui ont conduit à l’impuissance face à une menace imminent et prévisible. Ce questionnement se combine aux soubresauts de la déstalinisation, qu’exacerbe l’intervention des armées du pacte de Varsovie contre le « printemps de Prague », et conduit à la scission du Parti Communiste Grec (KKE) en 1968 entre une aile entièrement alignée sur l’URSS et une partie qui s’engage dans la voie de ce qu’on appellera par la suite l’« eurocommunisme ». Enfin, au niveau international, l’existence de cette résistance intérieure permet au mouvement international de solidarité de déployer sa campagne de dénonciation du régime et de ses protecteurs étatsuniens, épaulée par la nombreuse diaspora grecque, dont les rangs grossissent par la venue de toutes celles et ceux, directement ou non en prise avec la répression, pour qui la vie est devenue impossible dans un pays devenu une vaste prison à ciel ouvert.

Korovessis, acteur d’une nouvelle période

Le texte qui suit, et celui de Bernard Dreano, portent sur un acteur important de cette période, Périclès Korovessis, décédé le 11 avril dernier à Athènes. Après Manolis Glezos, parti le 30 mars, la gauche grecque a perdu une deuxième de ses boussoles tout à la fois morales et politiques[2]. Son rôle, à ce tournant des années 1960-1970, se situe en effet au croisement des trois plans que nous venons d’évoquer. Jeune comédien militant dans les rangs de l’EDA, Korovessis prend activement part à la constitution des premiers noyaux de résistance, affiliés au Front Patriotique, et se jette dans une clandestinité inédite pour lui et quasiment désespérée, qui prendra fin au bout de cinq mois. Cette expérience le conduira à s’engager avec non moins de force dans les remises en cause qui affectent la gauche communiste et l’amèneront par la suite à explorer les voies du nouveau radicalisme qui se déploie sous le signe de la révolte mondiale des années 68. Arrêté en octobre 1967 et sauvagement torturé, il parvient à s’échapper à l’étranger et se transforme en accusateur implacable du régime. Son ouvrage Oi Anthropofylakes [Les gardiens d’humains] provoque un choc dans l’opinion publique internationale. Il est rapidement traduit dans une dizaine de langues, et tout d’abord en français[3]. Son témoignage bouleversant, aux côtés de celui d’une autre militante du Front Patriotique, l’actrice Kitty Arseni, auprès du conseil de l’Europe joue un rôle décisif dans l’expulsion de la Grèce de cet organisme, en décembre 1969. Son action stimule l’élan mondial de solidarité avec la résistance intérieure, qui remporte sa première victoire politique. Malgré l’appui obstiné de son protecteur étatsunien, le régime ne parviendra jamais à se remettre de ce camouflet.

Après une brève éclipse, les forces de la résistance se réorganiseront à partir de 1971-1972, en reprenant pied dans la jeunesse étudiante, puis en opérant la jonction avec la jeunesse ouvrière qui se met en mouvement à partir du printemps 1973. Dans cette effervescence émergeait également un nouveau paysage politique dans la gauche, marqué par le radicalisme impétueux de cette période. Se dessinait la voie qui allait conduire au soulèvement de novembre 1973, et qui, malgré la sanglante répression qui le brisa, allait sonner la fin du régime. La chape de plomb des trois décennies contre-révolutionnaires s’était enfin fracturée.

De retour en Grèce, Korovessis ne cessera d’explorer des voies nouvelles dans le combat pour l’émancipation à sa façon intensément singulière, le plus souvent en tant que « franc-tireur », par moments dans les formes de la politique organisée, dans les rangs de l’extrême-gauche, puis, entre 2004 et 2009, de Syriza. Le portrait qu’en dressent les textes d’Antonis Ntavanelos et de Bernard Dreano restitue la vitalité et la richesse de sa personnalité. Nous y avons ajouté (ci-dessous) la traduction de l’une de ses chroniques hebdomadaires qu’il a tenues pendant de longues années dans la presse de gauche grecque, celle où avec lucidité et hauteur il analyse « à chaud » les raisons qui ont conduit à la honteuse capitulation d’Alexis Tsipras et de son gouvernement face à Troïka en juillet 2015. Elle se termine en annonçant des années de « chaos et de catastrophe ». Il ne s’est pas trompé, même si cette catastrophe s’est déroulée sur un mode muet, dans une société brisée et privée de ses repères fondamentaux. Même dans ces conditions, Korovessis est resté debout jusqu’au dernier souffle, l’aiguille de sa boussole toujours orientée vers le combat pour la révolution et l’émancipation humaine.

Stathis Kouvélakis Paris, le 21 avril 2020.

Periclès Korovessis, résistant et persistant

Beaucoup a été et sera écrit, fort heureusement, sur la mort de Periclès Korovessis. La plupart se focaliseront, peut-être à juste titre, sur son ouvrage La filière. Bien que le livre ait marqué ma jeunesse (mon exemplaire est un « collector », imprimé à Londres pendant la dictature des colonels), et je n’ai rien à ajouter à ce sujet. Périclès était l’un de ceux qui ont franchi le pas en passant de l’action légale de la gauche d’avant le coup d’Etat du 21 avril 1967 à l’action illégale de la première phase de la résistance contre la dictature. Il analyse les risques et dangers de cette étape dans La filière.

L’action de ce cercle minoritaire de cadres au cours des premières et très difficiles années de la dictature fut très important pour la vie de celles et ceux qui se sont par la suite engagé.e.s dans les rangs de la résistance et de la gauche. Mais Périclès ne s’est pourtant jamais reposé sur ses « lauriers » de résistant. Il fit partie de ceux qui ont franchi une autre étape audacieuse : celle qui conduisit de la résistance contre la dictature, mais dans la continuité de la gauche communiste grecque, vers la recherche d’une « nouvelle gauche », la gauche révolutionnaire qui surgissait de l’élan régénérant du 68 mondial.

Il a ainsi fait participé à la direction du Groupe Socialiste Révolutionnaire (ESO), actif parmi les réfugiés et émigrés grecs en Europe occidentale[4]. Avec le groupe des « Bolcheviks » et d’une partie de la Lutte Socialiste Révolutionnaire (SEP), il fonde le Mouvement Révolutionnaire Léniniste Grec (ELEK) au cours des années qui ont suivi la chute de la dictature[5]. Le Périclès de cette époque (bien qu’il ait été plus tard dénoncé par certains médias comme « le chef du groupe 17 Novembre ») avait tranché le dilemme entre Guevara et Lénine. Son « léninisme » comportait cependant de nombreuses références « spontanéistes », un radicalisme maoïste antistalinien, avec des emprunts venant du trotskysme et des références à la révolution permanente. Ce « mixte », j’en suis conscient, est difficile à comprendre aujourd’hui, mais des organisations de ce type, comme Révolution! en France ou Avanguardia Operaia en Italie, jouissaient d’une influence et d’un prestige importants dans les années 1970.

La crise de la gauche révolutionnaire au cours des éprouvantes années 1980 n’a pas conduit Périclès à se replier dans le cocon de la vie privée. Tout en suivant, à sa façon totalement originale, les développements politiques, il était prêt à des changements autocritiques. Il a maintenu son orientation vers le mouvement mondial, mettant tous ses espoirs dans ce facteur, et œuvré pour une intervention unitaire de la gauche, pour qu’elle devienne efficace sans jamais renoncer au radicalisme de son noyau programmatique.

Il a choisi de faire partie des premières tentatives unitaires de la gauche radicale, y compris avec le KKE, en étant candidat, et élu, dans la municipalité d’Athènes en 1997 sur la liste de Léon Avdis. Ce n’est pas un hasard si Périclès a activement participé au difficile lancement de Syriza dans la foulée des grandes actions du Forum Social Grec.

Pour Périclès, cette orientation unitaire, nécessaire à la concentration des forces, ne signifiait pas démission ou autocensure quant au contenu radical de la politique. En tant que membre du comité central de Syriza, il n’a pas hésité, après les élections de 2009, à rappeler publiquement les lourdes responsabilités des principaux dirigeants de Synaspismos dans les événements de 1989 et du gouvernement Tzanetakis[6]. Dans le conflit interne qui a ébranlé Syriza à l’occasion des élections régionales de 2010, qui sont à l’origine de la première tentative d’« ouverture » à la socialdémocratie engagée par le groupe dirigeant autour de Tsipras, Périclès n’a pas hésité à prendre position avec ceux qui ont formé les listes du Front pour le renversement et la solidarité. Au cours de cette confrontation, Korovessis a tiré des conclusions sévères sur le groupe dirigeant alors émergeant au sein de Syriza et en particulier sur Alexis Tsipras. Il n’est jamais revenu depuis sur ces positions. La suite a démontré que les conclusions auxquelles il était parvenu se sont largement confirmées.

Périclès était un excellent exemple de la qualité des militants issus des générations des années 1960 et 1970. Avec leurs bons et leurs mauvais côtés, leurs grandes qualités et leurs faiblesses. Face aux grands défis et aux batailles à venir, de tels combattants nous manqueront.

Antonis Ntavanelos Athènes, le 13 mars 2020 – traduction Stathis Kouvélakis.

Le coup d’État invisible – Un texte de Periclès Korovessis

Chronique publiée dans Efymerida Syntakton du 12 septembre 2015 – traduction Stathis Kouvélakis.

Il était une fois, dans les temps anciens de la lointaine Chine, un sage enseignant, peintre de profession, qui peignait une colombe si parfaite que chaque matin ses élèves allaient à l’école pour voir si elle avait volé. La tâche des étudiants était de copier cette colombe aussi fidèlement que possible. Les élèves sont à leur tour devenus des enseignants, ils ont formé de nouveaux enseignants et le sujet enseigné a toujours été la colombe parfaite du fondateur de l’école. Un beau jour, un jeune étudiant a regardé par la fenêtre et a vu une vraie colombe. Il en a été ébloui et s’est rendu compte que le volatile était complètement différent de ce qu’ils peignaient. Et il a dessiné sa propre colombe. La conséquence fut qu’on lui a refusé son diplôme.

Depuis ce temps, de nombreux siècles se sont écoulés dans le fleuve de l’histoire et le même phénomène est réapparu. Quiconque a vu une autre réalité que celle qui était permise l’a payé de sa personne. Aujourd’hui, en Europe, on ne coupe pas la tête. Mais on se débarrasse des idées alternatives et on fait en sorte qu’elles ne puissent atteindre leur but.

Il existe toutefois de nombreux foyers de Lumières et de résistance, ainsi que divers réseaux de toutes sortes, qui font un travail précieux. Mais ils ne touchent pas l’électeur-consommateur moyen, qui suit généralement ses penchants obsessionnels et pense que sa propre colombe est la bonne. Si nous examinons la mobilité de l’électorat, en dehors du noyau dur de chaque parti, nous verrons qu’il vote en fonction de l’offre proposée, tout comme dans les supermarchés. Nous l’avons vu avec [le PASOK d’] Andreas Papandréou et, sous sa forme renouvelée, avec Alexis Tsipras.

Le concept de « peuple souverain » signifie en fait que le peuple dispose du pouvoir de choisir des oligarques, mais rien pour lui-même. En substance, les élections sont un phénomène messianique. Vous choisissez le Messie, puis vous rentrez chez vous et attendez le miracle qui ne vient jamais. Vous devenez croyant, mais pas citoyen. En d’autres termes, vous choisissez votre non-existence et la considérez comme constituant votre personnalité, par le truchement du Messie.

Alors de quelle politique parlons-nous quand tout le pouvoir est dans des partis de ce type ? Les anciens camarades de Tsipras l’ont accusé de trahison. C’est une lourde accusation. Mais elle est objectivement juste. Tsipras a fait exactement le contraire du programme de Syriza et, grâce à un coup d’État parlementaire, il a fait passer un accord [le 3e mémorandum signé en juillet 2015 et approuvé au parlement grec en août 2015] qui place la Grèce sous la tutelle de la Troïka.

J’ai de mon côté une approche différente du phénomène. Dans cette chronique, à un moment insoupçonné, j’ai constaté que Syriza était une social-démocratie de droite, avec une aile forte de gauche, avec une structure centrée sur le leader qui n’avait pas besoin d’un parti et d’organisations, mais de marionnettes, de propagandistes et de mécanismes de soutien. Ses cadres dirigeants ont donc quitté le parti pour s’installer dans l’appareil d’État.

La social-démocratie de droite cherchait à retrouver sa famille, qui n’était rien d’autre que l’ancien système politique, en déroute depuis des années, et à lui redonner vie. Mais elle devait d’abord passer des examens pour gagner l’approbation vrais centres de pouvoir. Tsipras s’en est donc allé portant des cadeaux et a promis à Schäuble de geler le programme de Thessalonique[7]. Il a également expliqué à Mme Merkel que la demande d’indemnisation des dommages de guerre causés par l’Allemagne était purement morale. Et, évidemment, il attendait quelque chose en retour, peut-être une saucisse de Francfort, pour montrer que nous avons également gagné quelque chose et pour le présenter aux indigènes comme un triomphe de la diplomatie grecque.

Varoufakis a admis par la suite que le seul but de ces « négociations » était d’humilier la délégation grecque. Et, dans cette voie, il est entendu que sans accepter un mémorandum, vous ne pouvez pas être premier ministre. De plus, c’était une bonne occasion pour Tsipras de mener Syriza à la scission, afin de se débarrasser de sa gênante aile gauche. Son autre atout était que sa popularité en tant que leader était élevée et que grâce à un nouveau scrutin, mené dans la précipitation, il pourrait même gagner une majorité absolue au parlement.

Tout montre qu’aucun parti ne peut gagner une telle majorité[8]. Et divers scénarios sont envisagés. Il s’agit en substance de créer un « extrême centre », tel que celui qui gouverne dans la plupart des pays de l’Union européenne. L’accord signé par la Grèce le 12 juillet 2015, selon Tariq Ali, deviendra aussi détesté que le 21 avril 1967. Nous ne l’avons pas encore vu mis en œuvre. Ce qui nous attend c’est la catastrophe et chaos.

Illustration : Les étudiants de Polytechnique manifestent contre la dictature des colonels en novembre 1973. Rue des Archives/©Rue des Archives/RDA.

Notes

[1] Traduction française : Stratis Tsirkas, Le printemps perdu, Paris, Seuil, 1982.

[2] Sur Manolis Glezos cf. sur ce site le texte d’hommage de Panagiotis Sotiris contretemps.eu/manolis-glezos-present/

[3] Traduction française : Periclès Korovessis, La filière. Témoignage sur la torture, Paris, Seuil, 1969.

[4] Organisation de gauche, constituée principalement d’étudiants mais aussi de travailleurs de la diaspora, qui s’est formée en 1969, principalement à Londres, mais aussi dans d’autres villes d’Europe occidentale, autour des revues Mami (« accoucheuse » en référence aux formulations de Marx et d’Engels sur la violence comme accoucheuse de l’histoire) et Révolution. Rejetant la stratégie « étapiste » du parti communiste orthodoxe KKE, elle proclamait le caractère socialiste de la révolution en Grèce. Parmi ses principaux dirigeants figuraient Georges Votsis, Periclès Korovessis, Panos Garganas, Maria Stylou et d’autres. Une partie de ESO, animée notamment par Garganas, Stylou et Antonis Ntavanelos, créera en 1972 l’Organisation Révolution Socialiste (OSE), affiliée au courant international IST (dirigé par le SWP britannique) et qui deviendra en 1997 le Parti Socialiste Ouvrier (SEK), toujours actif (NdT).

[5] SEP fut une organisation trotskisante fondée dans la clandestinité, en Grèce, en 1970. Elle s’est implantée principalement parmi les jeunes travailleurs et a pris une part active au soulèvement contre la dictature de novembre 1973. Elle s’est dissoute au début de 1975 et plusieurs de ses membres ont participé à la fondation de ELEK, tandis que d’autres ont rejoint OSE. Les « Bolcheviks », organisation de type « mao-spontex », fut fondée en 1972 et participa à la création de ELEK en 1975, organisation dont Korovessis fut l’une des principales figures et qui s’est dissoute en 1977 (NdT).

[6] A cette époque, la Coalition de la gauche et du progrès (Synaspismos tis Aristeras kai tis proodou) était une simple coalition électorale formée au printemps 1989 par le parti communiste grec (KKE) et l’aile droite issue de l’eurocommunisme (Gauche grecque – EAR). A l’issue des élections de 1989, elle s’est alliée à la droite (Nouvelle Démocratie – ND) pour constituer un gouvernement commun (avec à sa tête Tzanis Tzanetakis, un dirigeant de ND) chargé de juger les dirigeants du PASOK (parti socialiste), y compris Andréas Papandréou, accusés d’être mêlés à des scandales. Cette coalition contre-nature a été sanctionnée par l’électorat au cours des scrutins qui ont suivi (Synaspismos passant de 13,5% en 1989 à 10,2% en 1990) et conduit à son éclatement, au cours d’une période où le KKE subit de plein fouet le choc de l’effondrement de l’URSS. En 1991, la majorité du KKE se retire de Synaspismos, qui devient un parti distinct. Il sera par la suite la principale composante de Syriza, fondé en 2004 (NdT).

[7] C’est le programme anti-austérité et anti-Troïka grâce auquel Syriza avait remporté les élections de janvier 2015 (NdT).

[8] En effet, bien qu’arrivant en tête du scrutin, Syriza n’arrive pas à former de majorité absolue. Il reconduira son alliance avec le petit parti de la droite souverainiste ANEL et bénéficiera en cours de la mandature de l’apport de députés issus de formations « centristes » (NdT).

VioMe Financement participatif pour un groupe électrogène

Message des VioMe

Bonjour camarades,

Notre campagne de crowdfunding a été lancée et vous pouvez y accéder ici

Nous demandons l’aide du mouvement mondial pour rétablir le courant ou acquérir un générateur, afin que nous puissions continuer la production sans obstacles et aussi nous aider à devenir plus indépendants. Nous appelons donc tous les syndicats, collectifs, camarades grecs, européens et mondiaux à aider à obtenir un générateur avec une capacité de biodiesel.

Aussi, nous vous invitons le mercredi 29/04 à participer à la Journée de Solidarité à Viome # power2viome

Voir l’article https://www.grece-austerite.ovh/29-avril-journee-de-solidarite-avec-les-viome/

Merci beaucoup mes amis! Restez en sécurité et continuez à résister!

29 avril Journée de solidarité avec les VioMe

Nous vous invitons le mercredi 29/04 à participer à la Journée de Solidarité à Viome # power2viome

1.Vous écrivez sur un morceau de carton ou de papier un slogan pour Viome
Si vous n’avez pas d’idées, certaines sont recommandées à la fin.

2. À la fin, vous mettez le hashtag # power2viome et tout ce que vous souhaitez.
Vous pouvez dessiner quelque chose, ou vous pouvez mettre le carton sur un joli fond, ou le tenir, ou poser avec vos amis en colère , comme vous voulez.

3. Vous prenez une photo

4. Mercredi à partir de 13 heures et après, vous le postez sur votre compte personnel sur les réseaux sociaux, en ajoutant le hashtag # power2viome

Exemples du même type de campagne dans le passé avec un thème différent.
Slogans recommandés
Vous pouvez les copier-coller et les publier depuis votre compte personnel. N’hésitez pas à en ajouter plus!

L’État veut fermer une usine qui produit des nettoyants pendant la pandémie de coronavirus.
Peut-être ne se soucient-ils pas autant des soins de santé? # power2viome

The state wants to shut down a factory that produces cleaners during the coronavirus pandemic.
Maybe they don’t care as much for health care? #power2viome

Viome ne fermera pas pour 2 câbles d’alimentation.
Le courant pour les Viome par tous les moyens # power2viome

Viome won’t close for 2 power cables.
Power to Viome by any means #power2viome

Les flics peuvent se rassembler pour couper l’alimentation de Viome
Les travailleurs ne peuvent pas se rassembler pour protester
Le gouvernement profite du couvre-feu # power2viome

The cops can gather to in order to cut off the power to Viome
The workers cannot gather to protest
The government takes advantage of the curfew #power2viome

L’appel des VioMe Instructions for Solidarity Day to Viome_29-04

Un autre avenir après le Covid-19

Déclaration des Attac d’Europe – Un autre avenir après le Covid-19

Le réseau des Attac d’Europe invite toutes les organisations, tous les mouvements et les militant·e·s à participer à nos débats et à nos actions dans le cadre de la crise multiple liée au Covid-19 : comment pouvons-nous empêcher de terribles dégâts sociaux et des atteintes à nos droits démocratiques ? Comment rendre possible le passage à un autre système, basé sur la solidarité sociale et le respect de l’environnement, pour remplacer le système capitaliste néolibéral ? Nos universités d’été (si elles peuvent avoir lieu en 2020) et l’Université d’été européenne en août 2021 en Allemagne seront autant d’étapes importantes dans cette réflexion urgente.

Le Covid-19 est une maladie virale qui s’est déclarée en Chine. Elle s’est désormais propagée à toute la planète grâce à l’internationalisation des chaînes d’approvisionnement et aux importants mouvements de population qu’entraîne le tourisme mondial. Toutes les régions du monde sont touchées mais les réactions à cette crise sanitaire varient d’un pays à l’autre. Certains gouvernements ont réagi rapidement alors que d’autres sont restés trop longtemps dans un optimisme béat, sans doute par crainte des conséquences économiques. Les mesures prises varient elles aussi selon les territoires.

La crise financière de 2008, l’aggravation de la crise climatique et environnementale et la pandémie actuelle de coronavirus nous montrent qu’il s’agit d’une évolution qui fait boule de neige. Le désastre qui en découle représente une menace pour l’humanité dans son ensemble. Ces crises sont la preuve que le système néolibéral est inadapté, tant pour le présent que pour l’avenir.

Le réseau des Attac d’Europe exige que soient prises les 21 mesures suivantes afin de lutter contre la pandémie de Covid-19 et la crise politique et économique qu’elle a déclenchée.

En ce qui concerne les services publics, qui sont la richesse de ceux qui n’ont rien

1. Un plan d’urgence pour la santé publique accessible à toutes et tous

Des politiques austéritaires et une logique de profit ont entraîné des coupes dans les dépenses publiques, avec comme conséquence un manque de personnel hospitalier, des carences dans l’équipement, et donc l’incapacité des structures hospitalières à faire face aux nombres de patient·e·s infecté·e·s. Des investissements dans les services publics, et celui des soins en particulier, sont bien la façon dont nos sociétés peuvent s’assurer contre le risque de crises sanitaires extraordinaires – qui pourraient bien s’avérer ne pas être tellement extraordinaires dans les années qui viennent. Les principes d’efficacité économique à court-terme (comme le taux d’occupation maximale des lits) et la gestion des stocks à flux tendu ne peuvent en aucun cas s’appliquer au secteur de la santé. Cette approche néolibérale tue dans des circonstances normales, elle tue encore davantage dans la situation présente. Des soignant·e·s doivent être recruté·e·s en masse et leurs salaires doivent être augmentés. Il faut ouvrir des dizaines de milliers de lits dans les hôpitaux et les maisons de retraite. Des équipements médicaux doivent être achetés de manière proactive, et produits localement. Il en va de même pour les médicaments ; les grands conglomérats privés de l’industrie pharmaceutique doivent être démantelés et tout brevet sur des vaccins ou médicaments vitaux doit être interdit.

2. Une recherche publique de qualité

La santé et la vie humaine doivent passer avant les profits. Il nous faut basculer d’une logique à court-terme à une recherche publique de qualité sur le long-terme si nous voulons être capables de faire face à la prochaine crise sanitaire. Il faut financer la recherche de façon à prévenir des catastrophes sanitaires et à mettre au point les vaccins nécessaires. Des emplois publics doivent être créés dans les universités et centres de recherche, et les fonds nécessaires à mener des recherches dans de bonnes conditions doivent être alloués.

En ce qui concerne la sauvegarde et l’extension de la démocratie

3. Respect absolu du droit du travail

À l’instar du gouvernement italien, les gouvernements européens doivent convoquer les syndicats pour atteindre des accords collectifs relatifs aux secteurs qui doivent être mis à l’arrêt et ceux qui doivent poursuivre leur activité pour assurer les besoins de base de la population. En attendant un tel accord, les travailleurs·ses doivent faire valoir leur droit de retrait si ils et elles considèrent que les mesures de protection sont insuffisantes. De plus, il ne faut pas que les mesures d’urgence comprennent des régressions en termes de droits économiques et sociaux comme une augmentation du temps de travail.

4. Respect absolu des droits fondamentaux

La crise sanitaire ne peut justifier des mesures qui portent atteinte aux libertés et droits fondamentaux. Le respect de la vie privée doit être garanti et les gouvernements se doivent d’être transparents dans leurs prises de décision. Toutes les mesures prises dans un contexte d’urgence doivent être prises dans le but de satisfaire les besoins de toutes et tous et doivent être strictement limitées dans le temps. Nous devons résister à la tentation de la surveillance électronique. La mise en œuvre du confinement ne peut justifier l’utilisation de la force contre les plus vulnérables (les sans-abris et les migrant·e·s).

5. Nos droits civiques doivent être préservés et étendus après la crise

Les mesures de confinement actuelles ne peuvent pas aboutir à une restriction de nos droits civiques. Après la crise ils doivent au contraire être étendus à la sphère économique afin de décider comment nous voulons vivre et ce que nous voulons produire.
Il est scandaleux qu’Amazon ait pu continuer ses activités alors que les commerces et petites entreprises étaient obligés de fermer. Nous devons mettre un terme à l’impunité des multinationales et répudier les traités dits de libre-échange de dernière génération, et en particulier les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États.

En ce qui concerne l’égalité et la protection des plus vulnérables

6. Garantie de revenus pour tous les travailleur·se·s, avec ou sans emploi, les indépendant·e·s, les petites entreprises et les artistes / intermittent·e·s du spectacle

La crise du Covid-19 va porter un coup dur à nos économies. Il va falloir prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher une crise sociale. Tout licenciement doit être interdit et un revenu minimum doit être garanti pour tou·te·s. Les gouvernements devront aider les entreprises qui ont des difficultés de trésorerie (les indépendant·e·s, les petites et moyennes entreprises) et leur permettre de faire face à des horaires réduits ou un arrêt complet de leur activité. Cependant, les aides apportées à des entreprises privées ne peuvent se faire que sous la forme d’un prêt ou d’une participation au capital.

7. Réquisition immédiate de tous les logements vides

Personne ne doit avoir à se plier aux mesures de confinement dans un logement insalubre ou pire, à la rue. La réquisition de logements vides est depuis toujours une de nos revendications, elle est plus urgente que jamais. Dans le même temps, il faut introduire un moratoire sur le paiement des loyers.

8. Protection des personnes exposées à la violence domestique

Le confinement, surtout lorsque les logements sont petits, met les personnes confinées en stress continu, ce qui favorise des dépressions mais est aussi bien souvent une source de violences, que subissent le plus souvent enfants et femmes. Dès maintenant il est nécessaire d’y remédier. Protéger contre les violences est essentiel. Des enfants et des femmes sont déjà mort·e·s. La capacité d’accueil des abris et centres doit être augmentée, les possibilités de relogement facilitées.

9. Soutien aux jeunes

Les retards scolaires détectés par les enseignants doivent être résolus immédiatement par un soutien personnel, en faisant appel à celles et ceux qui sont actuellement sans emploi, comme les artistes, qui doivent être correctement payé·e·s, et en fournissant du matériel informatique et d’autres fournitures nécessaires en ces temps de confinement.

10. Permis de séjour pour les sans-papiers

Les migrant·e·s dont les droits fondamentaux sont bafoués sous prétexte qu’ils sont en séjour illégal ne sont pas en position de respecter les mesures sanitaires. Voilà qui est inacceptable. La décision prise par le gouvernement portugais démontre que l’octroi massif de permis de séjour est possible. Tous les gouvernements devraient s’en inspirer pour s’assurer que chacune et chacun, peu importe sa nationalité, peut prendre les mesures nécessaires à sa protection. Les centres et camps de réfugié·e·s doivent être immédiatement fermés ; à l’instar des touristes, les migrant·e·s devraient être conduit·e·s dans les villes d’Europe qui ont promis de les accueillir (‘villes hospitalières’).

En ce qui concerne la justice fiscale

11. Un système fiscal équitable

La pandémie de Covid-19 montre que nos sociétés ont grand besoin de services publics de qualité. Cela a un prix. Il faut donc repenser notre système fiscal pour que les riches contribuent en fonction de leur fortune. Les cadeaux fiscaux de ces dernières décennies doivent être annulés et le niveau de l’imposition doit redevenir véritablement progressif avec une assiette qui globalise et soumet au même taux les revenus des biens mobiliers et immobiliers et les revenus du travail. Les gouvernements doivent agir de concert et efficacement pour éliminer les paradis fiscaux, appliquer une taxe sur les transactions financières et mettre fin au nivellement par le bas qui consiste à abaisser les taux d’imposition des plus riches et des sociétés transnationales.

12. Taxation des bénéfices et de la fortune

Les mesures qu’il faut prendre pour soutenir les entreprises en difficulté suite au ralentissement ou à l’arrêt de leur activité tout comme la récession qu’implique la crise du Covid-19 représentent une lourde charge pour le trésor public. Or dans le même temps, certaines multinationales font des bénéfices exceptionnels (Amazon, Netflix…). Il faut taxer ces bénéfices pour empêcher que les dépenses publiques n’entraînent un nouvel endettement sur les marchés financiers. Si nous devons tou·te·s être solidaires, cela concerne aussi ces entreprises.

13. Interdiction de distribuer des dividendes

Le coût de la crise doit être payé par un impôt sur les grandes fortunes et sur les fonds spéculatifs. Les milliards d’euros de dividendes que les entreprises doivent payer à leurs actionnaires sur base des bénéfices réalisés en 2019 ne doivent pas être distribués, mais utilisés pour faire face à la crise.

En ce qui concerne les banques et les marchés financiers dans l’UE et en Europe

14. Prêts aux pouvoirs publics par les banques centrales à un taux d’intérêt de zéro

Les banques centrales et les banques publiques doivent prêter directement aux pouvoirs publics pour les aider à financer des plans d’urgence. Ces prêts doivent être consentis à un taux d’intérêt nul ou proche de zéro. Les dettes publiques ne peuvent pas être utilisées à des fins spéculatives sur les marchés financiers comme ce fut le cas après la crise de 2008. Il faut prendre des mesures contre la spéculation sur les dettes publiques. Par ailleurs, il faut abroger le Pacte de Stabilité, de Coordination et de Gouvernance.

15. Contrôle des flux de capitaux

La pandémie de Covid-19 ne doit pas utilisée par les marchés financiers pour spéculer. Il faut les empêcher de déstabiliser des économies entières rendues déjà plus vulnérables par la crise. Les opérations spéculatives et le shadow banking doivent être interdits. C’est le moment où jamais de mettre en place la taxe sur les transactions financières proposes par dix gouvernements européens ainsi que la taxe sur les transactions en devise qui constitue le point de départ de notre association.

16. Démantèlement et socialisation des grandes banques

Certaines banques représentent un risque systémique pour l’économie : leur faillite déstabiliserait le système bancaire international. Ces banques qui sont ’trop grosses pour faire faillite’ doivent être démantelées et socialisées. Les banques de dépôt et les banques d’affaire doivent être séparées quoi qu’en dise le lobby bancaire européen.

En ce qui concerne la solidarité internationale

17. Une réaction coordonnée au niveau européen

La solidarité entre pays européens ne peut fonctionner que si la réaction des différents gouvernements n’est pas motivée par les intérêts des pays économiquement les plus forts. Le budget de l’UE doit être augmenté et utilisé pour soutenir les pays les plus durement touchés. De l’argent, mais aussi des équipements médicaux doivent être répartis entre voisins. La solidarité entre les hôpitaux ne doit pas dépendre de discriminations nationales. Plus généralement, les fondements de l’intégration au sein de l’UE doivent être revus en profondeur pour être établis sur des bases sociales et non sur les idéologies du libre marché, du libre-échange et de la libre concurrence.

18. La solidarité internationale avant tout

Les conséquences humanitaires, sociales et économiques de la pandémie seront particulièrement graves pour les pays les plus pauvres. Il convient de déployer un vaste soutien international pour aider et protéger les populations les plus vulnérables au niveau mondial. L’aide aux pays du Sud devrait prendre la forme d’une aide directe plutôt que de prêts assortis de conditions néolibérales. La dette publique devrait être annulée afin que les pays puissent réorienter leurs ressources vers la lutte contre la crise sanitaire. Il faut mettre fin aux tribunaux privés protégeant les investisseurs et à d’autres mesures commerciales injustes.

En ce qui concerne la transformation écologique et sociale de nos économies

19. Réorientation des subventions publiques aux secteurs polluants vers une transition sociale et écologique

Le soutien financier accordé aux entreprises dans les secteurs polluants doit être conditionné à une réelle transition vers un mode de production social et écologique. Il faut envisager la socialisation de ces entreprises et a minima, les droits des travailleurs·ses doivent être garantis. Il faut mettre en œuvre des plans de formation et de reconversion professionnelles. Les gouvernements se précipitant pour colmater les brèches, il ne faut pas qu’après leur intervention tout revienne à la situation antérieure, surtout après les efforts fournis par la population.

20. Des politiques monétaires au service de l’économie réelle et de la transition

La Banque central européenne (BCE) a annoncé qu’elle allait acheter 750 milliards d’euros en titres bancaires pour soutenir l’économie. Il ne faut pas que les banques et les marchés financiers s’en servent pour continuer à spéculer ou à financer des secteurs polluants et nuisibles. De même que les gouvernements doivent conditionner leur aide à un réel engagement de transformation écologique et sociale, les banques centrales doivent elles aussi imposer des conditions en échange de leur soutien.

21. La relocalisation solidaire de la production

La pandémie de Covid-19 a révélé une carence déplorable dans la production de biens stratégiques comme les médicaments et les aliments. L’internationalisation extrême de la chaîne d’approvisionnement a rendu nos sociétés plus vulnérables dans des situations comme la crise actuelle. La relocalisation de productions essentielles exige que nous abolissions les règles du libre-échange actuellement imposées par l’UE. Nous devons encourager l’agriculture locale et paysanne qui utilise peu de pesticides et d’engrais chimiques, par opposition aux pratiques agro-industrielles actuelles qui non seulement tuent les sols et la biodiversité, mais augmentent la pollution et favorisent ainsi la propagation des maladies.
C’est aux populations de décider comment elles veulent vivre, ce qu’elles veulent produire et échanger de manière équitable et écologiques ainsi que dans le respect des intérêts du plus grand nombre. Ceci s’oppose à la logique de compétition entre pays sur la base du coût du travail et des politiques fiscales et cela entraînerait une diminution des émissions de gaz à effet de serre. Il nous faut déployer une stratégie sociale et écologique à l’échelle européenne.

Source https://france.attac.org/se-mobiliser/que-faire-face-au-coronavirus/article/declaration-des-attac-d-europe-un-autre-avenir-apres-le-covid-19#En-ce-qui-concerne-les-services-publics-qui-sont-la-richesse-de-ceux-qui-nbsp

L’Ocean Viking repartira en mer sans MSF

Message de SOS Méditerranée

Chers amis,

Nous espérons que vous et vos proches vous portez bien en ces temps particulièrement difficiles.

Comme nous vous l’avons récemment indiqué, compte tenu de la situation sanitaire actuelle due au Covid-19, l’Ocean Viking est temporairement en attente dans le port de Marseille. Notre priorité est de reprendre au plus vite nos opérations de manière responsable, dans des conditions qui nous permettent de garantir la sécurité de nos équipes et des rescapés. Or nous estimons qu’en raison de la forte perturbation du secteur maritime et des réactions des États ces conditions ne sont actuellement pas réunies.

Ne partageant pas notre stratégie, notre partenaire médical, Médecins Sans Frontières a décidé de rompre le partenariat qui nous lie depuis quatre ans autour de notre mission de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale. Nous prenons acte de cette décision même si nous la regrettons du fait de la remarquable coopération entre nos deux organisations à bord de l’Aquarius puis de l’Ocean Viking, qui nous a permis de sauver plus de 30 000 vies en mer.

Néanmoins, fortes de nos expériences passées avec notre premier partenaire Médecins du Monde, puis Médecins Sans Frontières, nos équipes sont déjà à pied d’œuvre et déterminées à reprendre le plus tôt possible, les opérations de sauvetage avec l’Ocean Viking.

En effet, en Méditerranée centrale l’urgence humanitaire s’aggrave. Au cours des dix derniers jours, plus de 1000 personnes fuyant la Libye sur des embarcations de fortune ont été signalées. Des centaines ont été interceptées et renvoyées de force en Libye alors que le gouvernement de Tripoli a déclaré ses ports « non sûrs » en raison des bombardements qui font rage dans la région. Il y a deux jours, cinq corps sans vie ont été retrouvés à bord d’une embarcation après plusieurs jours passés en mer sans assistance alors que plusieurs Etats européens ont annoncé officiellement qu’ils n’étaient pas en mesure de fournir un lieu sûr ou d’aider au débarquement de personnes secourues en mer.

Bien que nous ayons pleinement conscience de la situation extrêmement difficile à laquelle les Etats sont confrontés avec le Covid-19, les préoccupations et les mesures prises pour préserver la santé publique ne devraient pas se faire au détriment de l’assistance aux personnes en danger de mort en mer.

Plus que jamais, l’Europe doit être solidaire, à terre comme en mer ! Nous insistons pour ouvrir un dialogue urgent avec les Etats européens afin de travailler à des scénarios légaux et innovants et relever ensemble ce défi.

Nous travaillons activement afin de repartir au plus vite sauver des vies en mer car cela reste notre devoir de citoyens européens et de marins. Nous vous informerons régulièrement de la suite de nos opérations.

Prenez soin de vous et merci pour votre soutien. Tant que vous serez à nos côtés, renoncer ne sera jamais une option.

http://www.sosmediterranee.fr/?cid=23&utm_source=sitesosmediterranee&utm_medium=emailing&reserved_origin=20EMA03&utm_campaign=20EMA03

Athènes : des centaines d’enfants migrants en détention abusive

La Grèce détient des centaines d’enfants migrants non accompagnés dans des conditions abusives, l’ONG Human Rights Watch, a demandé leur libération.

Selon les données citées par l’organisation, 331 enfants étaient en détention au 31 mars, « dans les cellules de postes de police et des centres de détention insalubres en Grèce ».

« Libérés de leurs conditions de détention abusives, ils seraient mieux protégés de l’infection dans le contexte de la pandémie de coronavirus », a écrit HRW, dans un communiqué qui appelle le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis à organiser leur « transfert vers des lieux d’hébergement sûrs et adaptés aux enfants ».

« Garder des enfants enfermés dans les cellules crasseuses des postes de police a toujours été une erreur, mais désormais cela les expose de surcroît au risque d’infection par le Covid-19 », a souligné Eva Cossé, chercheuse sur la Grèce à Human Rights Watch.

L’ONG déplore en particulier « l’hygiène défaillante » dans les centres de détention, rendant « impossible » la mise en place des « mesures basiques » de lutte contre le coronavirus, ainsi que les « détentions arbitraires et prolongées »: « Souvent, ils n’ont pas accès aux soins médicaux, au soutien psychologique (ni) à l’aide juridique, et peu d’entre eux connaissent les raisons de leur détention ».

Si elle rappelle le plan mis en place par Athènes le 24 novembre 2019 pour protéger les enfants non accompagnés, notamment par la création de refuges, elle en note également l’insuffisance au regard du droit international.

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a encore demandé à la Grèce, la semaine dernière, de protéger trois migrants dont deux mineurs non accompagnés, qui avaient saisi l’instance sur les conditions de vie dans les camps de réfugiés insalubres et surpeuplés, sur fond de pandémie.

La CEDH a appelé les autorités grecques à « transférer les requérants, ou du moins de leur garantir un hébergement compatible » avec la Convention européenne des droits de l’homme, qui interdit « les traitements inhumains ou dégradants ».

Environ 100.000 demandeurs d’asile vivent actuellement en Grèce, dont 70.000 dans les 38 camps installés sur son territoire, selon les autorités grecques.

Deux de ces camps, situés en Grèce continentale, ont récemment été placés en quarantaine après l’apparition d’une trentaine de cas de Covid-19.

Source https://lemuslimpost.com/athenes-doit-cesser-la-detention-abusive-de-centaines-denfants-migrants.html

Pandémie, capitalisme et climat 

Source https://www.contretemps.eu/pandemie-capitalisme-et-climat/

Daniel Tanuro est agronome, militant écosocialiste en Belgique, auteur (notamment) de L’impossible capitalisme vert (La Découverte) et de nombreux articles pour Contretemps. Le 3 avril dernier il donnait une conférence (confinée) sur les enjeux politiques qui se nouent actuellement entre crise du coronavirus et crise climatique. On peut retrouver la vidéo de cette conférence ici, dont nous présentons une retranscription ci-dessous.

***

Cette pandémie est un véritable événement avec un E majuscule, un événement historique : il y aura un avant et un après à l’échelle mondiale, pas tellement par rapport au nombre de victimes, même s’il est important, il est tout de même nettement inférieur à celui de la grippe « espagnole » après la première guerre mondiale qui avait causé plus de 20 millions de morts, on en est heureusement loin aujourd’hui.

Ce qui donne à l’événement une portée historique c’est que la machine capitaliste à profits est quasiment arrêtée à l’échelle mondiale, parce qu’il y a une petite chose qui n’est même pas un animal, qui est un virus, à peine une forme du vivant, qui détraque toute la machine et qui menace la santé des gens. Il faut donc protéger la vie, il faut protéger les malades, il faut les soigner, il faut protéger aussi la main d’œuvre pour l’économie capitaliste. Et cette crise très profonde intervient dans un contexte particulier : elle intervient au moment où le capitalisme avait commencé une récession, depuis déjà 2019. Cette récession avait commencé et la pandémie l’amplifie de façon absolument extraordinaire. Un point important est que cette situation déplace le focus médiatique et politique : en temps normal de quoi nous parle-t-on? On nous parle de la croissance du PIB, de la balance des paiements, on nous parle de l’inflation, du taux de change, des taux d’intérêt, etc., tous ces indicateurs abstraits de l’accumulation du profit capitaliste, de l’accumulation de valeur abstraite… Et aujourd’hui à la faveur de cette pandémie le focus est tout à fait différent : l’attention politique et médiatique est complètement focalisée sur le travail des infirmiers, des infirmières, leur surcharge de travail, sur les malades qui meurent, ceux qui guérissent, sur le travail des éboueurs ou du personnel dans les magasins d’alimentation, le sort des personnes confinées, des non-confinés, etc.

Pour résumer, en temps normal on nous parle de l’abstraction de la non-vie, et maintenant dans cette épidémie on nous parle de la vie et de la mort c’est-à-dire du vivant. Il y a là un changement très important au niveau de l’ambiance idéologique générale sur lequel nous reviendrons.

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Deuxièmement, l’épidémie n’est pas une régression vers les épidémies des temps anciens, ce n’est pas un retour vers la peste noire du moyen-âge par exemple, c’est tout autre chose.

Il y a plusieurs décennies que se multiplient des viroses d’un type particulier. On a connu le Sida tout d’abord, puis le zika, puis la peste porcine, la grippe aviaire, le chikungunya, le SRAS-1 en 2002, maintenant le SARS-COV2. Toutes ces viroses ont pour particularité de naitre dans des environnements naturels détraqués, agressés, ou dans des élevages industriels. Ce sont ce qu’on appelle des zoonoses, c’est à dire que le virus qui vit chez des animaux saute la barrière des espèces et contamine homo sapiens. L’origine de cette pandémie est donc tout à fait nouvelle et spécifique par rapport à celles du passé. Le virus lui-même est un produit des contradictions du capitalisme.

Le mode de diffusion de l’épidémie est également particulier ; l’épidémie va très vite, elle est très rapidement mondiale – les épidémies du passé n’étaient jamais mondiales, elles étaient continentales – et elle se diffuse évidemment grâce aux moyens de communication modernes en particulier les transports aériens, d’autant plus vite que l’humanité est regroupée dans d’énormes cités, des mégapoles, comme Wuhan qui est une ville de plusieurs millions d’habitants.

Ces deux facteurs-là, l’origine particulière du virus et son mode de diffusion, signifient qu’on n’a pas à faire à des virus archaïques, on n’a pas d’épidémie archaïque, on a au contraire, pour parler comme Bruno Latour, des épidémies modernes, des épidémies de l’Anthropocène.

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Troisièmement, il ne s’agit pas uniquement d’une crise sanitaire. Il y a évidemment un aspect de crise sanitaire qui est aigu et très important, mais cette crise sanitaire fait partie en fait d’une crise écologique et sociale beaucoup plus vaste. En fait, la crise du covid-19 est la première crise globale – sociale, écologique et économique – de l’Anthropocène.

Des scientifiques qui, depuis quelques années 2000 se sont mis à étudier ce qu’on appelle la grande accélération et le changement global, ont identifié les paramètres de la soutenabilité de l’existence humaine sur cette terre : 1) Le changement climatique ; 2) le déclin de la biodiversité ; 3) les ressources en eau douce ; 4) la pollution chimique ; 5) la pollution atmosphérique aux particules fines ;  6) l’état de la couche d’ozone ; 7) l’état des cycles de l’azote et du phosphore ; 8) l’acidification des océans ; 9) l’occupation des sols ; 10) la couche d’ozone. En conclusion de leur rapport, remis en 2015, ces scientifiques ont estimé que le plafond de la soutenabilité était franchi pour quatre de ces paramètres : le climat, la biodiversité, l’azote et les sols.

Pour reprendre un langage biblique on pourrait dire que ces quatre paramètres sont les quatre cavaliers de l’apocalypse de l’Anthropocène, et la pandémie que nous sommes en train de vivre nous envoie un message, elle nous signale que ce quatuor de cavaliers est rejoint par un cinquième qui est aujourd’hui le risque épidémique.

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Quatrième point, ce risque épidémique ne tombe pas du ciel, c’est une menace connue. Car nous avons la chance aujourd’hui de bénéficier d’un progrès des sciences absolument extraordinaire avec des capacités d’anticipation qui sont magnifiques. Les scientifiques nous ont prévenu des risques – non seulement d’une épidémie en général mais même très précisément du risque d’une épidémie de ce type-là. Après l’épidémie du SRAS en 2002 qui était déjà un coronavirus, une série de scientifiques sont arrivés à ces conclusions qui ont été traduites dans des rapports officiels, notamment deux rapports à l’assemblée nationale française (2005 et 2009), qui pointaient la grande probabilité de voir se répéter une nouvelle épidémie comme celle du SRAS, provoquée par une zoonose, un virus d’origine animale qui saute la barrière des espèces et se répand au sein de l’espèce homo sapiens. L’OMS elle-même, pas plus tard qu’en 2018, dressait une liste des menaces sanitaires qui pèsent sur le globe avec une série d’agents pathogènes connus, dans laquelle elle avait inséré une maladie X, parce que l’OMS estimait probable l’apparition d’un pathogène inconnu, capable de provoquer une épidémie aux conséquences très graves, une perturbation complète de la société à l’échelle mondiale. Et l’OMS estimait probable que ce nouvel agent pathogène soit de nouveau du type coronavirus.

Nous sommes donc dans un scénario connu, comme celui du changement climatique, pour lequel il y a plus de 50 ans que les scientifiques tirent la sonnette d’alarme en disant que si nous continuons à envoyer des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, on va déséquilibrer complètement le système climatique et que ça pourrait avoir des conséquences absolument dramatiques. Là aussi, les gouvernements n’en tiennent absolument pas compte ; comme on le sait, les émissions de gaz à effet de serre continuent à augmenter – sauf maintenant avec la pandémie, elles se réduisent substantiellement. Le comble de l’absurdité ou de l’aveuglement des décideurs politiques, c’est que, concernant la pandémie, en 2003, des chercheurs belges et français sont arrivés à la conclusion que les coronavirus constituent une catégorie très stable de virus et qu’il serait donc assez facilement possible de trouver un traitement qui serait valable non seulement pour le SRAS-1 mais aussi pour d’autres coronavirus qui viendraient après. Ils estimaient le coût de ces recherches à 200 ou 300 millions d’euros. Il leur fallait bien évidemment des subsides publics qu’ils n’ont pas obtenus, parce que les gouvernements considèrent que la recherche sur les médicaments appartient à l’industrie pharmaceutique, alors que celle-ci ne fait pas de recherche pour le bien de l’humanité ou la santé publique mais pour le profit. Il lui faut donc un marché et des clients solvables. Or l’épidémie de SRAS était passée, il n’y avait donc plus de marché, plus de clients, donc on n’a pas fait de recherches à ce sujet. Cela illustre la marque de l’attitude politique des décideurs et des responsables économiques face aux grandes menaces écologiques dont la pandémie fait désormais partie, à savoir cette incapacité à prendre compte ce qui est connu et les avertissements qui leurs sont lancés.

Cette surdité ou cet aveuglement sont d’abord dus au fait que les décideurs politiques sont complètement subordonnés au diktat des impératifs capitalistes du profit à court terme, ils ont donc le « nez dans le guidon ». Deuxièmement, il y a une raison plus idéologique : ils sont eux-mêmes intoxiqués par l’idéologie du capitalisme, l’idéologie néolibérale et considèrent que les lois du marché sont plus fortes que les lois de la biologie pour le virus ou que les lois de la physique pour ce qui est du changement climatique. Ils considèrent que les lois de leur système économique sont des lois naturelles supérieures et que le marché va tout régler en cas de problème. Or on constate plus que jamais que le marché ne règle pas tout : si l’on compte commander des masques en Chine pour protéger des soignants chez nous mais que la Chine est bloquée en raison de la pandémie, il n’y a plus de masques et on ne protège pas les soignants ni la population, c’est aussi simple que cela.

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Le cinquième point touche à la gestion de la pandémie. Aujourd’hui, tous les politiques sont obligés de se résoudre à cette gestion, même ceux qui ne croyaient pas devoir le faire, comme Trump, Johnson, Rutte (Premier Ministre des Pays-Bas), qui voulaient laisser le virus se répandre et la collectivité s’immuniser. Même ceux-là sont obligés de faire machine arrière de façon précipitée. En effet ne rien faire, comme ils le préconisaient au départ, non seulement coûtera plus cher financièrement au système capitaliste mais aussi leur coûtera très cher à eux électoralement, et par exemple pour Trump ce n’est pas une considération mineure, loin s’en faut. Donc ils nous disent tous la même chose : que c’est une question de bien commun, et qu’il faut tous être unis autour de nos dirigeants éclairés pour combattre le virus. Bien évidemment, il faut respecter les consignes de sécurité : rester confiner, respecter la distanciation physique (plutôt que sociale)… Ne pas le faire serait irresponsable mais respecter les consignes de sécurité ne signifie pas qu’il faut se soumettre à la logique politique qui se cache derrière ces consignes. Cette logique c’est une logique de classe, de capitalisme pur et dur. La première priorité de cette logique c’est de réduire au minimum l’impact de la pandémie sur le secteur productif, là où on fait du profit, qui est le cœur de l’économie capitaliste, et c’est la raison pour laquelle on va envoyer les ouvriers au travail dans des secteurs qui ne sont pas de production essentielle.

La deuxième priorité de cette gestion de la pandémie c’est de ne pas remettre en cause la politique antisociale, les plans d’austérité qu’ils imposaient jusqu’à maintenant, surtout dans le secteur des soins, d’où la surcharge de travail de tous les personnels de ces secteurs. Évidemment la condition pour que cette équation puisse s’équilibrer, c’est de mettre le couvercle sur toutes les activités sociales, culturelles ou personnelles qui ne relèvent pas de ces catégories-là, d’où le lockdown et le confinement.

Il y a aussi une préoccupation politique qui s’ajoute à ces considérations, à savoir que tous les gouvernements (ou la plupart d’entre eux) sont confrontés à une terrible crise de légitimité ; les gens n’y croient plus et veulent du changement. La pandémie offre aux dirigeants une possibilité de se présenter comme chefs de guerre, comme le fait Macron à la télévision, des mécanismes de pouvoir fort s’instituent au prétexte de la lutte contre la pandémie. Le cas d’école, c’est Orban en Hongrie, qui s’est institué dictateur pour la gestion de l’épidémie. On est dans la logique décrite par Michel Foucault : la biopolitique couplée au « surveiller et punir ». Il s’agit d’un sérieux avertissement car la pandémie est grave mais n’a rien à voir en comparaison avec l’impact du changement climatique, si on a un basculement vers un cataclysme climatique et une montée du niveau des océans de 2 ou 3 mètres. Mais la gestion de la pandémie nous donne une image de ce que serait la gestion capitaliste d’une situation de ce genre, qu’ils n’auront évidemment pas vue venir, et qu’ils seront obligés de gérer. Leurs priorités seront alors les mêmes : priorité à la production, mise sous le boisseau des libertés, de la vie sociale, de la vie culturelle, et au nom de la lutte contre le fléau, s’accorder des pouvoirs spéciaux, créer un État fort.

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Sixième point, l’objectif stratégique de la gestion sanitaire est évidement de relancer la machine capitaliste, qui est pour l’instant complètement en panne du fait de la pandémie. La situation va déboucher sur une crise économique d’une très grande ampleur, pire que la crise financière de 2007-2008. Pour faire face à la situation, les gouvernements doivent aujourd’hui lâcher du lest dans leurs politiques néolibérales : l’Union Européenne a mis au frigo le pacte de stabilité budgétaire et ses objectifs de zéro dettes/zéro déficit. Ils sont même obligés d’aller plus loin et de remettre en cause non seulement certains dogmes néolibéraux mais également un certain nombre de règles capitalistes, par exemple la sacro-sainte liberté d’entreprendre pour les entreprises. On évoque des nationalisations, des réquisitions, autrement dit il faut sauver le capitalisme mis en danger par le capital. Cela ne signifie absolument pas qu’il y aurait déjà rupture avec le néolibéralisme et a fortiori avec le capitalisme, cela signifie au contraire que se prépare une offensive sociale de très grande ampleur, à laquelle les classes populaires doivent se préparer à riposter.

Je me limite ici à l’impact écologique de la relance de l’économie capitaliste. Cet impact est très dangereux. François Gemenne[1] n’a pas tort quand il déclare que la crise du coronavirus est une catastrophe climatique[2]. Car le discours qu’on va nous tenir est celui de la priorité à l’économie, à la relance, en prenant le prétexte de l’emploi. Donc, pour relancer l’économie, il faudra donner amoindrir les objectifs climatiques, assouplir des réglementations environnementales jugées comme trop rigides, etc. Mais François Gemenne n’a pas raison non plus, car tout cela n’est pas dû au Coronavirus, au contraire cette crise aujourd’hui nous prouve qu’on pourrait réduire assez radicalement les émissions de CO2 d’environ 7% par année à condition de produire et de transporter moins de marchandises sur la planète. Le danger ne vient pas de la crise du coronavirus mais de la réponse capitaliste à cette crise du coronavirus, et il est d’autant plus grand que cette crise sert de prétexte ou de paravent pour répondre à une crise économique qui avait commencé avant la pandémie.

Nous devons nous préparer à une attaque très dure car ils vont mettre en balance, comme c’est très souvent le cas dans le capitalisme, l’emploi d’une part et la défense de l’environnement d’autre part. Cependant il y a une contradiction très importante dans cette volonté d’offensive : c’est que la volonté de relancer et de donner la priorité au capital et à sa rentabilité va a à l’encontre du sentiment de la population qui pense que nous sommes allés trop loin avec l’économie, le profit, qu’on a oublié le social, la santé, les soins aux gens. Cette contradiction constitue un obstacle majeur pour l’offensive capitaliste que les gouvernements veulent mener.

Parce que prendre soin à la lumière de la crise de la pandémie, cela prend un contenu très concret aujourd’hui. Il s’agit d’éviter d’autres pandémies qui pourraient être plus graves et qui auraient la même origine dans la destruction des écosystèmes.

La conclusion coule de source, si nous voulons éviter d’autres pandémies, il faut sortir de l’agrobusiness, de l’élevage industriel, il faut arrêter la déforestation, il faut une réforme urbaine de longue haleine qui déconstruise toutes ces mégapoles et qui construise des villes plus interconnectées avec des milieux naturels ou semi-naturels. Pour lutter contre les pandémies il faut surtout de l’eau propre, à laquelle des centaines de millions de gens n’ont pas accès. L’eau doit être publique et ne pas servir à irriguer les plantations agro-industrielles. De même, si on veut instaurer des systèmes de santé robustes, capables de faire face aux nouvelles pandémies de l’Anthropocène, il faut les refinancer radicalement. Pour cela, il faut faire payer les actionnaires, et annuler la dette dans les pays du sud. Quarante-six pays consacrent plus d’argent aux intérêts sur la dette qu’aux soins de santé. L’annulation de la dette est une condition sine qua non de lutte contre les pandémies.

Il y a aussi le changement climatique lui-même. On sait que la fonte du permafrost va fort probablement libérer des virus ou des bactéries anciens qui vont se répandre par le biais des ouvriers qui travaillent dans des mines des régions concernées. C’est pourquoi il faut absolument respecter l’objectif fixé à Paris de 1,5°C de réchauffement maximum, donc socialiser l’énergie et la finance.

Bref, il s’agit de tirer sur le fil du « prendre soin » – une thématique développée par les (éco)féministes – pour dévider l’ensemble des objectifs anticapitalistes. Il s’agit de reformuler l’alternative écosocialiste en partant de ce point de vue-là, en partant de ce changement majeur qui est qu’aujourd’hui les gens tirent de la crise la conclusion qu’il faut donner une priorité beaucoup plus forte à la santé, au bien-être, au prendre soin et qu’il faut pour cela mettre les moyens sur la table. Cela représente un tournant stratégique majeur, car depuis des décennies les écosocialistes sont confrontés à un problème : la lutte écologique, bien que sociale à long terme, apparaît comme en contradiction avec le bien-être social à court terme. Ici, avec ce changement majeur, l’irruption du « prendre soin », les deux problématiques se superposent, le social et l’écologique coïncident : mener le combat social c’est mener une lutte écologique.

C’est ce tournant qu’il faut essayer de saisir et dont il faut voir l’opportunité. Cela a des conséquences immédiates et il faut commencer maintenant ce combat, en luttant contre ce système et les projets productivistes comme la 5G, en luttant pour que la santé soit mise définitivement hors du marché et qu’elle soit refinancée, que l’industrie pharmaceutique soit confisquée, que les banques soient socialisées, etc.

Transcription réalisée par Le Groupe écosocialiste de solidaritéS et révisée par le conférencier.

Notes

[1] Membre du GIEC et coauteur de l’Atlas de l’Anthropocène, Paris, Presses de Sciences Po, 2019.

[2] « Pourquoi la crise du coronavirus est une bombe à retardement pour le climat », Le Soir, 20 mars 2020,

Grèce Le codiv prétexte pour enfermer les réfugiés

Le gouvernement grec utilise le Covid comme prétexte pour enfermer les réfugiés et les laisser sans soins par Fabien Perrier

En Grèce, les conditions d’accueil des exilés, catastrophiques, font craindre le pire si le coronavirus atteint les camps de réfugiés. L’accès à l’eau est difficile. Se faire soigner presque impossible. Des ONG demandent l’évacuation des camps. Les autorités grecques optent au contraire pour les barbelés.

« C’est la jungle ici ! Et maintenant, avec le coronavirus, nous risquons notre vie au moindre déplacement dans le camp… », se désole Abdullah*, un Afghan de 20 ans qui tente de survivre dans le camp de Moria, sur l’île grecque de Lesbos. Joint par téléphone, il explique : « En débarquant ici, en septembre, je n’imaginais pas l’Europe comme ça. Maintenant, c’est encore pire. Nous n’avons même plus le droit de sortir. »

Cette interdiction date du 18 mars. Pour cause de coronavirus, la Grèce avait déjà fermé depuis plus d’une semaine tous ses établissements scolaires et universitaires, ses restaurants, ses bars… Puis le ministre grec des Migrations, Notis Mitarachi, a en plus exigé que « les mouvements des résidents des camps des îles soient drastiquement réduits. » En conséquence, les demandeurs d’asile n’ont plus le droit de se déplacer hors du « hotspot » de Moria entre 19 h du soir et 7 h du matin. La journée, en cas de nécessité, seul un membre par famille est autorisé à aller en ville, accompagné par la police. Seules 100 personnes peuvent sortir du camp à la fois, par tranche d’une heure.

« Quand nous faisons la queue pour la distribution des repas, nous sommes les uns sur les autres »

La route menant à Moria est contrôlée par la police. Et dans le camp, les haut-parleurs diffusent un message demandant aux migrants de rester sous les tentes. La situation est « stressante », affirme le jeune Afghan. « La nuit dernière, une bagarre a éclaté. Il y a eu un mort, des blessés. Les gens sont à bout ici ! » relate Abdullah. Son quotidien ressemble à une juxtaposition de peurs : celle d’aller aux toilettes, de ne pas avoir d’eau potable quand elle arrive sur le camp, d’une rixe dégénérant en affrontement massif ou encore, peur d’aller chercher à manger. « C’est l’angoisse. Quand nous faisons la queue pour la distribution des repas, nous sommes les uns sur les autres. On nous dit de garder une distance d’un mètre ! Comment faire ? »

Pour Apostolos Veizis, directeur de Médecins sans frontières (MSF) en Grèce, il faut agir au plus vite. Car l’état des camps est « déplorable ». Tel est le mot qui revient dans la bouche de tous les responsables d’ONG, qu’il s’agisse des camps des îles ou de ceux du continent. Ils sont un triste miroir de la politique menée par l’Union européenne en matière migratoire.

Il faut remonter au printemps 2015 pour comprendre comment la Grèce en est arrivée là. Porte d’entrée dans l’Union européenne, elle connaît une augmentation du nombre de migrants venus de Syrie, d’Afghanistan… L’Europe décide alors d’implanter, sur les îles, des centres, appelés « hotspots », où les exilés sont hébergés, enregistrés, et triés. Ceux qui viennent de pays en guerre ou qui sont persécutés peuvent solliciter le statut de réfugiés. Les autres, considérés comme migrants économiques, sont normalement renvoyés vers leur pays d’origine. Sur l’île de Lesbos, à quelques kilomètres des côtes turques, un hotspot est installé dans le lieu-dit de Moria. Étape supplémentaire en mars 2016 : suite à un accord entre l’Union européenne et la Turquie, les migrants se retrouvent bloqués sur les îles grecques jusqu’à l’obtention de l’asile s’ils sont éligibles, ou à leur renvoi vers leur pays s’ils ne répondent pas aux critères.

Un seul WC pour 167 personnes, une douche pour 242 personnes

Faute de moyens, de personnel et de relocalisation vers d’autres pays d’Europe, le camp déborde vite sur l’oliveraie alentour. Prévu pour 2880 personnes, il en accueille aujourd’hui plus de 20 000, dans des tentes du Haut Commissariat aux réfugiés (HCR), l’agence de l’ONU en charge de ce dossier… Parfois, face à l’urgence, les exilés se sont construit des abris faits de bric et de broc, de toiles récupérées, de morceaux de palettes. Le moindre incident tourne au drame.

« Il y a deux jours, un incendie s’est déclaré, témoigne Abdullah. Ma tente a brûlé. Je n’ai plus rien, plus de vêtement… Nous avons eu une nouvelle tente et sommes sept à y dormir, sans couverture, ni matelas. Il n’y a pas l’électricité, donc pas de lumière la nuit. » Stephan Oberreit, qui coordonne les opérations de MSF sur l’île, ajoute : « Il faut absolument améliorer le système d’assainissement et d’approvisionnement en eau, ainsi que le système sanitaire dans son ensemble. De même pour le réseau électrique ! »

Pour le moment, les conditions d’hygiène sont dramatiques, comme le prouvent les chiffres : un seul WC pour 167 personnes, une douche pour 242 personnes. Bref, l’isolement en cas de symptômes du Covid, la distanciation sociale, la lavage fréquent des mains, sans même parler de port du masque, toutes ces mesures qui doivent faire barrière au coronavirus sont ici de vains mots. « Le Covid-19 est un stress supplémentaire par rapport à tout ce que ces gens ont pu vivre chez eux ou pendant l’exode », souligne donc Stephan Oberreit. Toutes les ONG préviennent : il faut « désengorger les camps, transférer des personnes vers le continent ».

L’accès aux soins quasiment inexistant

À Serres, dans le nord du pays, un camp a été ouvert le 21 mars. Afroditi Stambouli, médecin dans la région et membre du parti de gauche Syriza s’est rendue dans cet endroit isolé, dans le lieu-dit de Klidi (ironie de la langue, ce mot signifie également, en grec, la « clef »). Quand elle y est arrivée, elle peine à croire ce qu’elle voit : « Le camp est entouré de fils barbelés. Il est en zone inondable. Il n’est relié ni au réseau électrique, ni à l’eau courante. Les tentes de la Croix rouge n’ont pas de lit, mais juste des palettes et des matelas pneumatiques ! » La médecin s’inquiète : « Que va-t-il se passer à la fonte des neiges ? La rivière risque de quitter son lit… Ce sera une catastrophe ! » Or, elle dénombre beaucoup d’enfants, de personnes vulnérables, de femmes, certaines enceintes ou malades à « Klidi ».

Dans ces camps, l’accès aux soins est aussi quasiment inexistant. À Moria, les ONG dénombrent en tout deux médecins, et trois infirmières. Quatre jours après son arrivée à la tête du gouvernement, le Premier ministre Kyriákos Mitsotákis (Nouvelle Démocratie, droite) a supprimé le numéro d’identification sociale pour les migrants, ce qui leur enlève aussi le droit aux services de santé. Une loi instaurant un nouveau système a été votée en novembre, le décret d’application a été signé en janvier… mais le nouveau système n’est appliqué que depuis le 1er avril. Surtout, il ne couvre que les demandeurs d’asile enregistrés ou les personnes ayant déjà obtenu l’asile. « Ceux qui sont arrivés sur les îles, qui sont pré-enregistrés ou ne sont pas encore enregistrés, n’ont aucune couverture », déplore Apostolos Veizis, directeur de MSF Grèce.

Il alerte donc : « Si le virus arrive, ce sera un désastre. » Entre conditions sanitaires déplorables, surpeuplement, accès aux soins défaillant, toutes les conditions sont réunies pour qu’une contagion engendre un drame humain. Pour l’instant, aucun cas de Covid-19 n’est signalé sur les îles. Sur le continent, en revanche, deux camps, à Malakasa et Ritsona à quelques kilomètres d’Athènes, ont été confinés, transformés en zones retranchées… « Pour combien de temps ? » interrogent les responsables d’ONG. Ils craignent que le virus deviennent un prétexte pour transformer également les hotspots en centres fermés.

« La Grèce se sert du Covid-19 pour enfermer les réfugiés sans leur fournir aucune protection sanitaire »

« Depuis le début, ce gouvernement utilise le coronavirus ! », s’insurge Natalia Kafkoutou, de l’ONG Conseil grec pour les réfugiés. Elle décrit la logique : « D’abord, des voix xénophobes ont brandi ce virus pour exiger le renfort des contrôles aux frontières. Les habitants des îles ont crié à la menace sanitaire pour eux. Le ministère s’en est servi pour suspendre l’enregistrement des nouveaux arrivants et ses services aux demandeurs d’asile. » Responsable des programmes de Human Rights Watch (HRW) en Grèce, Eva Cosse ajoute : « Pour ces populations vulnérables, la propagation du virus sera une catastrophe ! Mais à voir les dernières mesures annoncées, c’est possible que le gouvernement s’en moque. » Pour elle, « en réalité, la Grèce se sert du Covid-19 pour enfermer les réfugiés sans leur fournir aucune des protections sanitaires nécessaires. »

« Garder des enfants enfermés dans les cellules crasseuses des postes de police a toujours été une erreur, mais désormais cela les expose de surcroît au risque d’infection », ajoute-t-elle. « Le gouvernement grec a le devoir de faire cesser cette pratique abusive et de veiller à ce que ces enfants vulnérables reçoivent les soins et la protection dont ils ont besoin. »

Dans le nord du pays, Afroditi Stambouli s’inquiète du « jeu politique de bas niveau à l’œuvre, qui repose sur la confusion, savamment entretenue, entre camp ouvert et centre fermé… » Elle indique d’ailleurs que pour Klidi, où vivent actuellement environ 700 personnes, la police, débordée, a demandé du renfort. « Un appel d’offre a été publié pour avoir recours à une société de sécurité privée. Le montant proposé est de 153 000 euros pour trois mois ! » En revanche, les allocations de survie aux migrants ont été suspendues pendant le mois d’avril.

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), saisie en urgence par trois migrants hébergés dans un camp en Grèce et qui s’estiment menacés par le Covid-19, a demandé à Athènes de prendre les mesures nécessaires à leur protection.

Fabien Perrier

* Le prénom a été modifié.

Source https://www.bastamag.net/refugies-Grece-Lesbos-Moria-Covid19-Coronavirus

Nous ne paierons plus leurs crises !

CADTM Europe . En pleine crise du Covid 19, Mario Draghi déclarait dans les pages du Financial Times  : il faut tout faire pour garantir l’avenir de la zone euro. Il entérinait là un principe déjà appliqué de longue date par les dirigeants européens : absorber les pertes du secteur privé quitte à augmenter de façon permanente les dettes publiques.

Début avril, la Commission européenne reprenait les annonces de la BCE, en déclarant que les règles budgétaires ne seraient plus d’application pendant la crise. Ainsi la règle d’or s’appliquerait contre les populations pour imposer l’austérité, mais l’on y dérogerait volontiers pour secourir le secteur privé.

A l’instar de la crise de la dette grecque en 2015, aucune forme de solidarité financière n’a pourtant été mise en œuvre pour les pays les plus en difficultés. A la place, on organise l’endettement croissant et permanent des États, Italie et Espagne en première ligne, au bénéfice des banques et des marchés.

Le plan « d’urgence » de 750 milliards d’euros, annoncé par la BCE le 18 mars dernier, consiste en réalité en un programme de rachat des titres de dette publique et privée exclusivement auprès des banques privées, qui s’ajoute aux interventions précédentes pour s’élever à un total de 1050 milliards d’euros d’intervention, soit près de 117 milliards d’euros engagés chaque mois.

Ce plan ne sera d’aucun secours ni pour l’économie réelle et le secteur de la santé, éprouvés par plusieurs décennies d’austérité et de privatisations, ni pour celles et ceux qui ont perdu leurs revenus suite aux mesures de confinement.

La BCE rejoue la politique du Quantitative Easing qui à partir de mars 2015 avait pris la forme d’un plan massif d’aide aux grands actionnaires des grandes banques, ceux-là mêmes qui étaient les responsables de la crise de la dette.

Non assorti de conditionnalités quant au comportement de ses bénéficiaires, ce plan a permis aux banques de racheter leurs propres actions aux grands actionnaires, de leur distribuer des dividendes faramineux, et de reprendre librement leurs activités spéculatives.

De cette nouvelle vague d’investissements spéculatifs a découlé une nouvelle augmentation rapide de l’endettement en Europe et dans le monde, qui atteignait fin 2019, le niveau record de 322 % du PIB global.

Or, dès la fin 2018, plusieurs chocs boursiers et financiers ont été les annonciateurs d’une nouvelle crise dont le Covid 19 a été le détonateur. En témoigne la récession du secteur de la production industrielle entamée dès le second semestre 2019 en Allemagne, en Italie, au Japon, en Afrique du Sud, en Argentine et aux États-Unis.

C’est pourquoi nous n’accepterons pas de payer une fois de plus pour leur crise. Nous exigeons une rupture radicale avec la politique de sauvetages inconditionnel des banques et du secteur privé.

Nous exigeons l’annulation des traités européens et leur remplacement par des traités qui priorisent le bien-être des populations sur le bien avoir des investisseurs et spéculateurs.

De la même manière nous exigeons l’annulation de toutes les dettes illégitimes qui participent à l’asservissement des peuples par la finance.

Nous exigeons également la mise en œuvre de politiques sociales et d’investissement public assorties d’un véritable plan d’aide pour les populations européennes.

L’urgence n’est pas de sauver les grands actionnaires des banques et des grandes entreprises privées : l’urgence est de répondre aux besoins de financement du secteur de la santé et aux besoins de protection de toute personne qui aujourd’hui ne dispose pas de logement, d’accès à l’eau, à l’électricité, à l’alimentation ou à des revenus permettant de se les procurer.

Pour répondre à ces besoins et libérer les fonds nécessaires pour garantir un revenu à qui ne l’a pas, le CADTM exige un moratoire sur le remboursement des intérêts sur la dette y compris pour les dettes privées des couches populaires et la mise en place d’un impôt de crise sur les entreprises dont les bénéfices sont les plus élevés et sur les 10 % des patrimoines les plus riches.

La suspension immédiate du paiement des dettes publiques doit être combinée à un audit à participation citoyenne afin d’en identifier la partie illégitime et de l’annuler.

Aussi, le CADTM exige que les entreprises et/ou l’État prenne en charge les salaires des travailleurs-ses en suspension d’activité, ainsi que ceux des personnes précaires, des intérimaires, des indépendants et des saisonniers, sans aucune récupération des heures chômées ni consommation des droits aux congés payés.

L’État doit assurer le versement des salaires en lieu et place des employeurs qui refuseraient de payer, et leur imposer des amendes en retour. Ainsi, au niveau européen, l’Union doit obliger les actionnaires à renoncer à leur dividendes de 2020. Un revenu décent doit également être versé aux chômeurs-ses, aux stagiaires et aux personnes sans droit aux allocations.

Dans l’urgence, ces mesures doivent être combinées à la mise à l’arrêt complet de toutes les activités non essentielles ; l’interdiction des licenciements et la réintégration des salarié-e-s licencié-e-s depuis le début de la crise ; la fourniture gratuite de moyens de protection à tou-te-s les salarié-e-s encore en activité ; la garantie du droit de retrait en cas de non-respect des conditions de sécurité ; l’arrêt de toutes les expulsions de locataires et la suspension des loyers, des crédits personnels et des factures d’eau et d’énergie ; la mise à disposition de logements corrects pour toutes les familles vivant dans des logements précaires ou sans abris ; la mise en place immédiate de mesures de protection pour les femmes victimes de violences conjugales, pour les enfants victimes de violence, impliquant des décisions rapides d’éloignement des conjoints violents ; l’arrêt des expulsions et la régularisation immédiate de tou-te-s les sans-papiers et réfugié-e-s avec accès immédiat à tous les systèmes de protection sociale.

A plus long terme, d’autres mesures permettraient de répondre aux besoins de financement des États : le financement public par la banque centrale à taux 0 % pour rompre avec le chantage des marchés ; la socialisation sous contrôle citoyen du secteur bancaire et des assurances ; une réforme radicale de la fiscalité sur les patrimoines et les revenus ; la mise à l’arrêt des réseaux d’évasion fiscale des grandes entreprises ; la taxation des transactions financières au-dessus d’un certain plafond ; l’annulation des dépenses militaires et la reconversion des travailleurs·ses du secteur ; l’expropriation et la mise sous contrôle citoyen des secteurs essentiels
 [1].

Par ailleurs, cette crise a montré à quel point nos sociétés reposent sur le travail de soin aux autres, qui est, dans son écrasante majorité, exercé par des femmes. Il faut reconnaître cette réalité pourtant trop souvent invisibilisée et pousser pour qu’elle soit prise en charge par le secteur public.

Cette crise représente l’occasion d’obtenir un vrai changement des règles du jeu pour modifier radicalement la société dans son mode de vie, son mode de propriété, son mode de production et son rapport à la Nature, en donnant la priorité aux biens communs, à la souveraineté alimentaire et à la relocalisation de la production matérielle et des services, en adaptant une manière de travailler et de produire qui soit compatible avec la lutte contre la crise écologique.

Il nous faut planifier la décroissance tout en améliorant les conditions de vie, élargir la sphère des services publics, le contrôle citoyen, et la démocratisation, pour rompre avec la société du 1 % des plus riches et réaliser la société du 100 % écologiste, socialiste, autogestionnaire, féministe et antiraciste.


CADTM Europe

Le CADTM Europe rassemble des organisations dans 5 pays, Belgique, France, Italie, Suisse, Luxembourg et des militant-e-s en Grèce, au Portugal, en Pologne et dans l’Etat espagnol. Le site www.cadtm.org publie des articles en français, anglais, espagnol, portugais, grec, italien et allemand. Le réseau mondial du CADTM est présent dans plus de 30 pays sur 4 continents.

Notes

[1D’autres mesures à entreprendre pour faire face au coronavirus ont été listées ici : https://www.cadtm.org/Serie-Covid-19-3-4-Propositions-de-mesures-a-prendre

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