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Pour un printemps climatique et social

Vidéo unitaire d’appel à mobilisation pour le 16 mars prochain. https://vimeo.com/322247266

Attac, Greenpeace, ou encore Oxfam et le CRID déclarent dans une tribune l’appel à un nouveau système industriel, politique et économique, pour protéger l’environnement, la société et les individus. Pour cela, le 16 mars « nous marcherons ensemble, pour dire « ça suffit ! » et demander des changements immédiats ».

Notre contestation a éclos à l’automne. En hiver, sa croissance a été historique. Au printemps, elle change d’échelle. Il n’y a plus de saisons.

Nous sommes aujourd’hui des millions, prêt·es à résister, à déployer les alternatives, à demander des comptes au gouvernement, aux multinationales, aux banques et aux institutions financières.

Il est temps de changer de système industriel, politique et économique, pour protéger l’environnement, la société et les individus.

Nous devons réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre dès maintenant pour limiter le réchauffement global à 1,5°C. Nous devons préserver la biodiversité, alors que nous vivons une sixième extinction de masse. Nous devons renouveler la démocratie et contraindre les décideurs et décideuses à protéger les intérêts de toutes et tous plutôt que ceux de quelques un·es. Nous devons répartir les richesses pour obtenir la justice sociale, afin de garantir une existence digne pour chacun·e. Fin du monde et fin du mois relèvent du même combat.

Nous voulons combattre les dérèglements climatiques, nous voulons combattre la violence sociale et nous refusons toute forme de répression ou de discrimination.

Se déplacer, se nourrir, se loger, se chauffer, produire, consommer autrement est possible : autant de propositions alternatives que les décideurs politiques et économiques retardent et empêchent au nom d’intérêts particuliers qui nous conduisent dans le mur.

Notre printemps sera climatique et social. Le 15 mars, la jeunesse sera en grève partout en France et dans le monde. Le 16 mars, nous marcherons ensemble, pour dire « ça suffit ! » et demander des changements immédiats.

Signataires

350.org ; ActionAid France ; Alternatiba ; ANV-COP 21 ; ATD Quart Monde ; Attac ; Bizi ! ; BLOOM ; Boycott Citoyen ; CARE France ; CCFD-Terre Solidaire ; CRID ; EHESS ; Fondation France Libertés ; Fondation de l’Écologie Politique ; Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme ; France Nature Environnement ; GERES ; Greenpeace France ; Les Amis de la Terre France ; Ligue des droits de l’Homme ; le mouvement ; Mouvement Utopia ; Mouvement Colibris ; Notre Affaire à Tous ; One Voice ; Oxfam ; Partager c’est sympa ; REFEDD (Reseau Français des Étudiants pour le Développement Durable) ; Réseau Action Climat – France ; Secours Catholique – Caritas France ; Secours Islamique France ; SNCS-FSU ; SOL, Alternatives Agroécologiques et Solidaires ; Solidaires ; ACTES en Cornouaille ; AFDI ; Alofa Tuvalu ; Alternative autogestion ; Amap des Hauts de Belleville ; Antenne Nature Loisir Patrimoine ; Association : CRI-AC ! Collectif Relais d’Informations & Actions Citoyennes Association « l’Abeille Écolo » ; Association des amis des convivialistes ; Association Ecoloc ; Association Mobil’idées ; Atelier CAPACITES ; Atelier solidaire de Saint-Ouen ; Atelier Vélorution Bastille ; AYNI France ; Ayya ; Ca le fait pour la planète ; Collectif des Associations Citoyennes ; Canopée Forêts VivantesCap ou pas cap ; Carre Geo & Environnement France ; Centre de recherches sur la culture japonaise de Rennes ; Charente Nature ; Christianisme social ; CliMates ; CMR (Chrétiens dans le monde rural) ; Collectif 07 Stop Gaz de Schiste ; Collectif Arcois pour la Planète ; Collectif sarthois « Pour une Terre plus Humaine » ; Coordination eau bien commun France ; Coordination eau Île-de-France ; Coquelicots Caen ; Cré-sol Centre Réseau Economie Solidaire ; Cyclofficine d’Angouleme ; Citoyens pour le Climat ; Demain Nos Enfants ; DiEM25 France ; Ecologie au Quotidien ; EEUDF – éclaireuses et éclaireurs unionistes de France ; EGREEN ; Enseignant.e.s pour la Planète ; Extinction Rebellion France ; Fédération de l’entraide protestante ; Fédération nationale de l’ACE ; Federation Syndicale Unitaire (FSU) ; Festival Atmosphères ; FIDL, le syndicat lycéen ; Fondation ELYX ; Fondation Énergies pour le Monde ; Générations futures ; Gevalor ; Gret ; Groupe initiatives ; Groupement CARMA Gonesse Pays de France ; Hardpork ; L’abeille Ecolo ; L’Heureux Cyclage ; La Nature en Ville ; La P’tite Rustine : La Voûte Nubienne ; Le Laboratoire de la Transition ; Le Mouvement de la Paix ; Les Amis de la Forêt de la Corniche des Forts à Romainville ; Les Convivialistes ; Maison des Peuples et de la Paix ; Maison des solidarités locales et internationales ; Mouvement du Christianisme social ; Mouvement Ni Putes Ni Soumises ; Mouvement pour l’Economie Solidaire ; Mouvement pour l’Economie solidaire Occitanie ; MTMSI ; Nous sommes Parti-e-s Pour La Décroissance ; Novetat ; Observatoire international de la Gratuité ; Pacte Finance Climat ; Paris Bike Tour ; Paris zéro fossile ; Pax Christi France ; Réseau Action Climat – France ; Réseau Foi & Justice Afrique Europe France ; Résistance à l’Agression Publicitaire ; ResiWay AISBL ; Ritimo ; Savanturiers-Ecole de la Recherche ; Sciences Citoyennes ; Sgen-CFDT ; Sgen-CFDT Pays de Loire ; SOS Racisme ; Syndicat national de l’environnement Sne-FSU ; Touche pas à mon schiste ; Un p’tit dans la tête ; UGICT-CGT ;UNEF ; Union des Associations pour la Défense du Littoral ; Union syndicale Solidaires ;Unis Pour Le Climat ; Unis-Terre ; Vélo-Ecole du 20e ; Vélorution Paris Île-de-France ; Wasquehal en Transition ; WECF France.


 

Stéphan Pélissier acquitté

La justice grecque acquitte enfin Stéphan Pélissier, poursuivi pour avoir aidé sa famille syrienne Par Amélie Poinssot.

Jugé en appel pour avoir aidé sa belle-famille syrienne à passer, en 2015, de Grèce en Italie, Stéphan Pélissier a été relaxé ce vendredi 1er mars par le tribunal de Patras. Dans un livre qui vient de paraître, il raconte son histoire. Je voulais juste sauver ma famille est un récit revigorant sur les victoires auxquelles peut aboutir un combat juste et obstiné.

C’est une « délivrance ». Joint par Mediapart, Stéphan Pélissier avoue que jusqu’à l’énoncé du verdict, il « s’interdisait d’y croire ». Ce vendredi 1er mars, cet habitant d’Albi était jugé en appel par le tribunal de Patras, en Grèce. En novembre 2017, il avait été condamné en première instance à sept ans de prison pour avoir tenté de faire passer, en 2015, des membres de sa belle-famille syrienne de Grèce en Italie. Après trois ans de procédures, la Cour a prononcé la relaxe. « J’espère que ce jugement va contribuer à faire jurisprudence en Europe. Que cela mette fin à ce qui pourrait ressembler à un “délit de solidarité familiale”. »

Stéphan Pélissier, dont Mediapart avait raconté l’histoire et les démêlés avec la justice grecque, fait le récit de son aventure dans un livre qui vient de paraître, aux éditions Michel Lafon : Je voulais juste sauver ma famille. Un texte bouleversant où l’absurdité, l’injustice et l’horreur resurgissent à chaque étape. Un témoignage haletant qui illustre, à travers les multiples embûches vécues par une famille franco-syrienne tentant de mettre les siens à l’abri de la guerre menée par Bachar al-Assad, le drame vécu par des centaines de milliers de Syriens partis sur la route de l’exil en 2015.

Août 2015. Originaire d’Albi, Stéphan Pélissier, marié à une Syrienne arrivée en France quelques années plus tôt pour ses études, part pour la Grèce. Il doit y récupérer ses beaux-parents, sa belle-sœur, son beau-frère ainsi qu’un jeune cousin qui y sont arrivés après un voyage périlleux depuis Damas. Il tente de repartir avec eux sur le ferry qui fait la liaison entre le port grec de Patras et l’Italie. Mais le petit groupe se fait arrêter au moment de l’embarquement et le livret de famille dont Stéphan s’était précieusement muni pour prouver les liens de parenté ne change rien à l’affaire : aux yeux des autorités grecques, il est un passeur.

Deux ans plus tard, alors que le tribunal de Patras l’avait laissé sans nouvelles pendant tout ce temps, Stéphan Pélissier reçoit une convocation : il va être jugé pour « transport illégal en masse du territoire grec vers le sol d’un pays membre de l’Union européenne de ressortissants d’un pays tiers, non munis de passeport ». Le procureur a retiré du dossier son élément principal, à savoir le lien de parenté entre Stéphan Pélissier et les personnes qu’il a tenté de secourir. Entre-temps, la belle-famille de Stéphan, arrivée en France après avoir traversé la dangereuse « route des Balkans » a obtenu, fin 2016, le statut de réfugié au terme d’innombrables déconvenues auprès de l’administration française.

Le verdict tombe fin novembre 2017 : l’Albigeois est condamné par la cour d’assises de Patras à sept ans de réclusion ferme. Bizarrerie du jugement : la peine de prison est commuable en une amende équivalente à 5 euros par jour sur la période couvrant les sept années de détention prévues. Soit une somme de 12 775 euros. Dans un premier temps, Stéphan et sa famille se disent qu’il vaut mieux payer, « pour tourner la page ». Ils lancent une campagne de dons. Mais au moment de s’acquitter de la somme, ils apprennent que le montant est en réalité deux fois plus élevé en raison d’une taxe de « droit d’accroissement » calculée sur le nombre de jours de prison convertis en jours-amendes. Ils n’ont pas les moyens de payer cette somme. C’est alors qu’ils prennent la décision de faire appel.

Ce second procès s’est donc tenu ce vendredi 1er mars à la cour d’assises de Patras. L’avocat a plaidé la relaxe, en s’appuyant non seulement sur les liens de parenté entre Stéphan et les personnes qu’il a cherché à secourir, mais aussi sur le fait que l’ensemble de la famille était, déjà en 2015, sous le régime des textes et des conventions internationales en matière de protection internationale. Ces derniers stipulent en effet qu’on ne devient pas réfugié au jour de l’obtention du statut, mais dès l’instant où l’on quitte son pays. Stéphan Pélissier avait obtenu l’assurance de la ministre chargée des affaires européennes, Nathalie Loiseau, que cette fois, contrairement au procès en première instance, un représentant du gouvernement français serait présent au tribunal. De fait, l’ambassade de France en Grèce avait dépêché quelqu’un sur place.

« Même si l’on sait qu’on a raison, que la morale est avec nous, tant que l’on est condamné, on ne vit pas normalement, confie Stéphan Pélissier ce vendredi à Mediapart. Cette relaxe va nous permettre, enfin, de passer à autre chose. »

Plus de trois ans après la vague d’arrivées en Europe d’exilés fuyant la guerre en Irak et en Syrie, son livre qui vient de paraître est un témoignage crucial pour comprendre ce que toutes ces personnes ont enduré à partir du jour où elles ont décidé de quitter leur terre d’origine. Au-delà des chiffres, des considérations politiques autour de la « question migratoire » et des replis frileux des gouvernements européens, c’est une plongée au cœur d’une famille comme il en existe beaucoup d’autres aujourd’hui en Europe.

Je voulais juste sauver ma famille raconte les nuits sans sommeil et le sentiment d’impuissance de ceux qui ont réussi à quitter la Syrie à temps et observent, de loin, un conflit qui a fait entre 400 000 et 500 000 morts et douze millions de déplacés, et un Bachar al-Assad toujours en poste. Mais c’est aussi un récit revigorant sur les victoires auxquelles peut aboutir, in fine, un combat juste et obstiné. « Zéna et moi n’avons rien d’héroïque ou d’extraordinaire, écrit Stéphan Pélissier au sujet de lui et son épouse. Nous sommes des gens simples, nous nous retrouvons dans une tourmente qui nous dépasse, mais que nous ne voulons pas laisser nous emporter. »

UE: La discrétion de la BCE sur la Grèce validée en justice

Par Agence Reuters

Une juridiction européenne a débouté mardi des plaignants qui voulaient avoir accès à un important document de la Banque centrale européenne (BCE) explicitant sa décision de geler un financement vital pour les banques grecques en 2015, ce qui fut un tournant dans la crise financière du pays.

 

FRANCFORT (Reuters) – Une juridiction européenne a débouté mardi des plaignants qui voulaient avoir accès à un important document de la Banque centrale européenne (BCE) explicitant sa décision de geler un financement vital pour les banques grecques en 2015, ce qui fut un tournant dans la crise financière du pays.

L’ex-ministre des Finances grec Yanis Varoufakis et le parlementaire allemand Fabio De Masi souhaitaient consulter un document juridique à l’appui de la décision de la BCE laquelle, estiment-ils, était illégitime et n’avait pour seul but que de faire plier la Grèce lors des négociations avec ses créanciers internationaux.

Le Tribunal a estimé que la BCE avait eu raison de leur refuser l’accès à ce document afin de protéger son « espace de pensée ».

Varoufakis et De Masi ont deux mois pour faire appel.

La décision de la BCE de geler un versement destiné aux banques grecques – dans le cadre d’un mécanisme dit de fourniture de liquidité d’urgence (ELA) – avait obligé le gouvernement du Premier ministre Alexis Tsipras à les fermer momentanément et à imposer un contrôle des changes, mettant l’économie grecque à genoux et affaiblissant d’autant la position d’Athènes face à ses créanciers.

Varoufakis, tenant d’une ligne dure face aux créanciers, finit par démissionner et Tsipras en arriva à conclure un accord avec l’Union européenne par lequel la Grèce recevait des fonds en échange de mesures d’austérité et de réformes.

Face à la fin de non-recevoir de la BCE, Varoufakis et De Masi avaient saisi le Tribunal.

La BCE n’était pas disponible dans l’immédiat mais un porte-parole avait dit précédemment que le document juridique avait précédé la décision de la banque centrale d’au moins deux mois, ajoutant que la BCE avait décidé de ne pas le rendre public pour protéger ses conseillers juridiques et ne pas exposer ses délibérations internes.

Les dispositions de la BCE relatives à l’ELA, publiées en 2017, interdisent aux banques centrales nationales de fournir de la liquidité d’urgence si cela remet en cause la stabilité des prix et le système de paiements de la zone euro.

Source https://www.mediapart.fr/journal/international/120319/ue-la-discretion-de-la-bce-sur-la-grece-validee-en-justice

Les limites de l’âme La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Les limites de l’âme

Printemps enfin. Week-end prolongé pour cause de Carnaval et de Lundi Pur, moment inaugural du carême orthodoxe en ce 11 mars. Il est de tradition en Grèce de déguster les plats de la mer comme on aime les nommer. Surtout, c’est la première échappée alors massive pour les habitants des grandes villes. Les Athéniens quittent la ville par milliers, la classe moyenne ramenée à 30% de la population ne se laissera pas abattre… sans fête. Enfin, remâcher sur la politique c’est que du temps perdu parfois aux yeux des Grecs. Ce qui compte cette semaine, c’est reprendre goût aux choses, à certaines choses en tout cas. Le pays réel de promenoir en promenoir, unique Printemps du peuple.

Printemps. Athènes, mars 2019

Athènes accueille déjà ses touristes de l’avant-saison comme si de rien n’était. Pourtant c’est le moment, c’est l’heure où il devient possible de prendre toute la mesure de notre… Antiquité Tardive. L’affaiblissement du pays, son affaissement multiple, moral, social, économique et culturel, conduisant tout droit… vers la menace de sa diminution territoriale par la guerre sournoise et asymétrique, toujours en cours, telle est en tout cas l’idée la plus rependue depuis 2015 et pour cause.

L’inquiétude du “petit peuple” est toujours grande. Sa colère l’est aussi. Encore faut-il sans cesse revisiter le sens et la portée de cette rage, et autant impotence généralisées, devant le déferlement des événements internes comme externes au pays. Nouvelle Antiquité… tardive, mais on s’y habitue coûte que coûte, la rage est avalée à défaut d’être vomie, raison de plus pour si possible pour reprendre goût aux choses

La marionnette Tsípras s’accroche à son pseudo-pouvoir et finalement à son gagne-pain quotidien, sauf que de nombreux signaux clignotent ici ou là, pour indiquer que son progiciel arriverait bientôt à terme et qu’il sera remplacé par la marionnette Mitsotákis. Les Puissances, à savoir Berlin, Bruxelles, la Goldman Sachs, ainsi que José Manuel Barroso, insistent ouvertement pour que des élections législatives anticipées soient “décidées” entre mars et juin d’après la presse de la semaine. Bonne blague. Le rôle tragique (et obscur) pour lequel Tsípras aurait été préparé par les “élites” mondialisatrices, au demeurant bien avant l’arrivée au pouvoir de SYRIZA, semble ainsi s’accomplir entre 2015 et 2019. Nous y sommes, la période de Carnaval en plus.

Les Athéniens quittent la ville. Gare routière le 8 mars 2019 (presse grecque)
C’est l’heure où il devient possible. Athènes, mars 2019
Prendre toute la mesure… Hermès de Greek Crisis, Athènes, mars 2019

Je dirais au risque de la répétition, qu’il y aurait un parallèle à oser… entre notre “euro-historicité” et une certaine forme revisitée de… l’Antiquité tardive. Une période comme on sait cruciale et qui intéresse au plus haut point les historiens ayant d’abord vu en elle un temps de décadence, mais autant une période charnière entre Antiquité et le dit Moyen Âge. Oui, Moyen Âge techno féodal en vue, et nous rentrerions ainsi dans la nuit sans dieux, ni étoiles.

La marionnette Tsípras s’accroche pourtant à son pseudo-pouvoir et finalement à son gagne-pain quotidien, et voilà que ceux du “gouvernement” se déclarent désormais agacés par ces dessins de presse publiés depuis peu, au sujet précisément du personnage cynique, immoral et perfide d’Aléxis Tsípras. Arkas, caricaturiste célèbre en Grèce, vient d’inaugurer une série de dessins intitulée… “Années d’enfance d’un Premier ministre”, tandis que d’autres dessinateurs de presse vont jusqu’à faire de Tsípras le nouveau Néron. Il faut admettre que les mentalités très actuelles sont nettement de leur côté.

Tsípras, le voilà qui s’entoure des complices habituels, Tsiprettes comprises notamment lors de la journée du 8 mars. Tsípras dont la plupart des ministres et élus se il faut dire font copieusement huer en Macédoine grecque après l’accord Macédonien imposé par Berlin, Bruxelles et l’OTAN, et que les Grecs n’en veulent pas à près de 80%, Tsípras enfin, dont le gouvernement use et abuse des arrestations et interpellations dites “préventives” et en dehors de tout cadre juridique avant toute apparition Syrizíste et officielle, surtout en Grèce du Nord. Du jamais vu depuis le temps des Colonels, sans oublier le nouveau redécoupage des circonscriptions à quelques mois ou semaines des élections législatives, les entorses légalisées ainsi imposées au non-cumul des mandas pour que certains Apostats, élus et ministres issus du parti ANEL (ayant quitté le gouvernement il y a peu) puissent figurer désormais sur les listes SYRIZA, aux élections dites “européennes” comprises.

Antiquité tardive (et alors finale ?) dans un sens. Époque charnière, suffisamment perceptible par exemple depuis Athènes. Où en sommes-nous ?

Tsípras et les.. Tsiprettes. Athènes, le 8 mai (photo Eurokinissi)
Arkas, ‘Années d’enfance d’un Premier ministre’. Athènes, mars 2019
Tsípras en Néron. Quotidien ‘Kathimeriní’, le 5 mars
Arrestations préventives. Quotidien ‘Kathimeriní’ du 5 mars

Dans la vraie vie on discute aux cafés et les sujets dits de société ne manquent pas. Il y a ainsi le cas de Nikos Georgiádis, ancien député Nouvelle Démocratie et conseiller de Mitsotákis il n’y a pas encore si longtemps. Nikos Georgiádis vient d’être condamné (détention avec sursis) pour crime sexuel commis sur mineur, presse grecque du 26 février. Le criminel Georgiádis se rendait ainsi en Moldavie et moyennant 75€ chaque fois, il “achetait la compagnie sexuelle de garçons mineurs de plus de 15 ans, et il n’a pas été interpelé en Moldavie car il y faisait usage de son vrai passeport diplomatique”, d’après le reportage depuis la salle d’audience.

Comme le remarque donc une bonne partie de la presse, il n’a pas été condamné pour pédophilie et il n’a pas été incarcéré non plus. “Le problème n’est pas Georgiádis et sa petite personne. Le problème c’est ce ramassis d’individus qui… de droit divin se croient tout permis, tout comme de pouvoir tout justifier, et lorsque cela leur devient alors injustifiable, de se lancer dans l’attaque et même d’exiger des comptes aux autres.”

“Individus issus de bonnes familles, diplômés d’écoles privées et de collèges onéreux, cadres supérieurs avant même leur service militaire, gens autoproclamés excellents, cosmopolites qui ‘enseignent’ aux mortels ordinaires le besoin d’être pauvres, sauf qu’ils vivent eux, dans l’opulence. Nikos Georgiádis est l’un d’entre eux. Ainsi, la solidarité provocante de la Nouvelle Démocratie et de certains médias proches, envers Nikos Georgiádis s’appuie-t-elle très exactement sur ce même postulat. ‘Ceux de l’élite’ ont bien entendu le droit de faire ce qu’ils veulent et de ne jamais payer la note. Si par malheur ils sont pris la main dans le sac, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour les faire passer comme victimes ou à défaut, comme simples témoins”, presse grecque du 3 mars 2019.

Hiver finissant. Athènes, février 2019
Au café. Athènes, années dites de crise 2010-2019
Dystopie littéraire à Paris. Février 2019

Criminels, déviants et malades mentaux, souvent au pouvoir, et aussi secrets de polichinelle, en Grèce comme ailleurs. Il va de soi que l’alcoolisme de Jean-Claude Juncker ou de Nikos Anastasiádis, Président de la République de Chypre, ainsi que “le présumé traitement en psychotropes dont bénéficierait Aléxis Tsípras” (journaliste Trángas, radio 90.1 FM, février et mars 2019), ne seraient que les broutilles visibles de l’iceberg. Oui, pendant que ceux des… “classes dangereuses” fument alors des clopes et roulent au diesel, les “élites” auront complètement et depuis longtemps déjanté, sauf que le presque silence médiatique doit les couvrir, voire même, les défendre contre toute logique et contre toute morale.

Visiblement, et comme l’avait suggéré en bien d’autres circonstances un grand écrivain français en 1945, “quand on s’occupe trop de son peuple, on finit toujours par injurier en lui l’humanité entière, on lui prête tout le mal qu’on pense des hommes”. Nous voilà en 2019, et la déviance au pouvoir rêve de transhumanisme, autant que de la disparition physique des classes laborieuses désormais sans travail, en passant par le post sexualisme et sa recherche de l’élimination volontaire du genre dans l’espèce humaine.

Au Carnaval de Patras cette année, la dite élite est représentée sous une forme teratomorphique, dévorant les sociétés, les droits des citoyens et des travailleurs, l’économie réelle, disloquant par la même occasion nations et patries. Et c’est ce même obscurantisme à la Sóros et à la Tsípras, lequel sur l’île de Lesbos pourtant habitée par une population à 100% grecque et chrétienne, n’autorise plus que d’ériger la Croix sur une plage comme toujours depuis que Lesbos a été libérée du joug ottoman en 1912, officiellement “pour ne pas alors heurter la sensibilité des migrants”, lesquels arrivent comme on sait de manière programmée et organisée et autant tragique par la mer et par la… grâce des dieux des élites, celles qui comme on sait, elles ont détruit un maximum de pays dans un minimum de temps.

Camion dont un pneu a déjanté. Athènes, mars 2019
La Croix à Lesbos. Presse grecque, février 2019
Peuples et droits dévorés. Carnaval de Patras, mars 2019 (presse grecque)

Notons que le Transhumanisme c’est le dernier rejeton des Lumières, après le Capitalisme et le Socialisme, en passant par la bien fausse idée du prétendu Progrès. Nous songeons ainsi à Cornelius Castoriádis, pour qui, “dans l’histoire, nous l’avons vu, la seule constante est un progrès dans les moyens de la puissance – de la production et de la destruction, et la lutte entre ceux qui possèdent cette puissance (…) Et malgré ce que croyait Kant, malgré ce qu’on a cru en Occident entre le XVIIe et le XXe siècle, l’Aufklärung, les Lumières ne sont pas un point de passage obligé pour l’humanité toute entière, nous n’avons pas affaire à une tendance immanente de l’histoire humaine”, Cornelius Castoriádis, “Thucydide, la force et le droit” (enseignements des années 1984-1985).

Cornelius Castoriádis, lui et son esprit si vif ; Cornelius Castoriádis et autant tout le symbole de l’olivier sur sa tombe, et bien entendu Héraclite. “Les limites de l’âme tu ne les découvriras pas, même si tu parcours tout le chemin, tellement son logos est profond.” Cornelius parti en 1997 n’aura pas eu le temps d’apercevoir toute cette accélération bien actuelle dans le faux progrès. Mon ami Lákis qui fut l’ami de Cornelius me disait que Castoriádis aurait été profondément outré de notre époque, et il l’était suffisamment déjà de la sienne.

Finance, crises, austérité, géopolitique, guerre alors totale mais hybride, sont de notre temps. L’expérience grecque ainsi que l’analyse qui est celle de ce pauvre blog depuis ses débuts en 2011, c’est que l’austérité (euphémisme en toute évidence qui cache une réalité bien plus apocalyptique), la prise du contrôle total du pays (et des pays) par la finance et les forces hétéronomes et étrangères, des institutions, des mentalités (mécanique sociale), l’annulation (dans les faits) de la Constitution, la marionnettisation surpassant le ridicule de la classe politique (en réalité apolitique), la fin des droits sociaux, la mise en cause de l’histoire, de la culture et des frontières même du pays par “sa propre” classe politique, ce n’est qu’une palier dans cette guerre asymétrique que les pays, nations et sociétés subissent… au risque de disparaître même complètement… en succombant, à défaut de résister.

La sépulture de Cornelius Castoriádis. Paris, mars 2019
Héraclite chez Cornelius Castoriádis. Paris, mars 2019
L’expérience… grecque. Années de crise, 2010-2019

Et lorsque cette mainmise sur les ressources, sur les cultures, sur les populations, sur les mentalités atteint le niveau visé (par certains pays supposés grands et pas la dite élite mondialisatrice pour qui les petits gens ne sont que “de la vermine”, c’est bien connu), eh bien, il ne restera que le chaos provoqué, comme provoquant. Plus évidemment la guerre tout court… faite par d’autres moyens.

Les Grecs l’ont si bien compris qu’ils ne manifesteront plus jamais nous semble-t-il, à l’appel des partis de gauche ou des syndicats. Désormais et en tout cas pour l’instant, ce sont les questions identitaires, celles liées à l’ultime existence ainsi acculée, qui véhiculent, véhiculeront et canaliseront l’immense douleur des années troïkannes, ce que les grands rassemblements motivés par la question Macédonienne ont déjà prouvé, à Thessalonique à Athènes et partout ailleurs en Grèce.

Tout est chamboulé en même temps et tout se mélange dans les réactions. On se souviendra par exemple que sous le règne de Théodose la fiscalité se durcit encore, provoquant des révoltes et que les revenus de la “res privata” furent dévolus aux immenses besoins de l’État. On se souviendra autant de la dégradation du statut du citoyen, allant jusqu’à son abolition de fait et le rapprochement entre le statut d’emploi forcé des ouvriers et la condition d’esclaves, alors qu’ils étaient en théorie des citoyens. En fin de compte, je dirais que le monde de l’Antiquité tardive… expérimenta aussi un autre temps… d’asymétrie, et cela (autant) jusqu’au bout !

Sur Internet enfin, des clichés circulent depuis la Hongrie sous Orban, et on y découvre ces photos en grand, dénonçant la politique subversive de Soros et de Juncker. Europe alors plurielle, et sur les murs d’un bistrot en mer Égée, on préfère y accrocher ces traces encore palpables de la période italienne des îles du Dodécanèse. Les anciens s’en souviennent toujours, et c’était surtout le temps de leur enfance.

De la politique de Soros et de Juncker. Hongrie 2019, Internet grec et européen
Athènes au quotidien. Mars 2019
Mémoire italienne. Dodécanèse, années 2010-2019

Pourtant, la dimension sociale, voire celle de classe elle y est, et alors entière. La directrice locale d’un établissement appartenant à une enseigne grecque de supermarché, a récemment adressé un courrier à “ses” employés, courrier dont le contenu a pu être divulgué aussitôt dans la presse. “Vous devriez sourire aux clients car même ceux qui parmi vous gagnent 300€ par mois, ils doivent se rendre compte des réalités: 300€ c’est 300% de plus… que zéro”, presse grecque du 5 mars 2019. Bien entendu, devant le scandale et l’indignation provoqués depuis, cette directrice… présentée comme étant particulièrement locale, elle a été licenciée en pur marketing alors d’urgence, presse grecque du 8 mars. C’est bien connu, les fusibles ne sont pas eternels, contrairement aux inégalités, aux injustices et aux autres rapports de force.

Temps anciens et temps nouveaux… visiblement entremêlés. La presse s’en occupe à sa manière, lorsqu’elle ne s’attarde pas sur les belles prises des caïques de l’Égée, ou sur les repas de fête chez les moines du Mont-Athos, justement pour ne pas remâcher sur la politique. Temps dont il est question chez André-Jean Festugière, et notamment à travers les pages de son “Épicure et ses dieux”, datant certes de 1946. Il renvoi dans son œuvre à cette (autre) mutation, entre l’époque des cités démocratiques (surtout Athènes) de la période classique, et celle des Empires, Macédonien d’abord, Hellénistiques ensuite et enfin Romain. Un choc… ayant fini par être bien gobé chez le commun des mortels.

“L’homme, avec sa conscience propre et ses besoins spirituels, ne débordait pas le citoyen: il trouvait tout son épanouissement dans ses fonctions de citoyen. Comment ne pas s’apercevoir que, du jour où la cité grecque tombe du rang d’État autonome à celui de simple municipalité dans un État plus vaste (Empire), elle perd son âme? Elle reste un habitat, un cadre matériel: elle n’est plus un idéal. Il ne vaut plus la peine de vivre et de mourir pour elle. L’homme dès lors, n’a plus de support moral et spirituel. Beaucoup, à partir du IIIe siècle, s’expatrient, vont chercher travail et exploits dans les armées des Diadoques ou dans les colonies que ceux-ci ont fondées. Bientôt, à Alexandrie d’Égypte, à Antioche de Syrie, à Séleucie sur le Tigre, à Éphèse, se créent des villes relativement énormes pour l’Antiquité (2 à 300.000 habitants) ; l’homme n’est plus encadré, soutenu, comme il l’était dans sa petite patrie où tout le monde se connaissait de père en fils. Il devient un numéro, comme l’homme moderne, par exemple à Londres ou à Paris. Il est seul, et il fait l’apprentissage de sa solitude. Comme va-t-il réagir ?” (André-Jean Festugière, “Épicure et ses dieux”, 1946).

Caïque et sa belle prise. Presse grecque, mars 2019
Repas de fête au Mont-Athos. Presse grecque, mars 2019

Le pays, désormais simple colonie dans un État plus vaste, l’Empire européiste, perd son âme, jusqu’à la preuve du contraire. Au final, il reste certes un habitat, un cadre matériel, plus Airbnb bien entendu. Ce pays des citoyens n’est plus un idéal et l’homme n’est plus encadré, soutenu, comme il l’était dans sa petite patrie.

Il devient un numéro, comme l’homme moderne… en week-end prolongé pour cause de Carnaval, surtout au moment de la première échappée alors massive pour les habitants des grandes villes en ce Printemps 2019. Enfin, remâcher sur la politique c’est que du temps perdu paraît-il actuellement. Ce qui compte cette semaine c’est reprendre goût aux choses, à certaines choses en tout cas. Le pays réel, de promenoir en promenoir en cet unique et peut-être inique… Printemps du peuple.

Il y a certes de quoi parfois être las de la politique. Comme l’avait suggéré au sujet du politique mais en bien d’autres circonstances un grand écrivain français, “dans cette sphère, ce que nous appelons la sottise humaine éclate avec une satisfaction monstrueuse.”

Pas d’échappée donc cette année pour Greek Crisis en ce week-end prolongé. Frugalité obligatoire, pourtant digne, en ce moment inaugural du carême orthodoxe. Livres et alors relectures. C’est d’ailleurs le moment, c’est l’heure où il devient possible de prendre toute la mesure de notre… Antiquité Tardive, ainsi que dans un sens, toute la mesure des limites de l’âme.

En compagnie bien entendu de Mimi et du jeune Hermès, dit parfois le Trismégiste.

Hermès de Greek Crisis… le Trismégiste. Athènes, mars 2019

Solidarité dans la crise, justice pour la Grèce

Adressée aux gouvernements de la zone euro, au président de l’Eurogroupe Mário Centeno, et au président de la Banque centrale européenne Mario Draghi

Pétition

Nous soutenons la Grèce, nous exigeons une action en faveur d’une reprise économique prenant vraiment en compte la vie et la dignité des gens. En commençant par leur rendre les intérêts générés par les bons du trésor grecs.

Pourquoi c’est important?

Le peuple grec s’est vu écrasé par la pression des clauses d’austérité. Les hôpitaux peuvent à peine dispenser les soins de base, avec une infirmière pour 40 patients [1]. Les salaires continuent de dégringoler. Les retraites ont été plusieurs fois réduites depuis 2010 [2]. Le chômage a plus que doublé [3].

Et l’argent du plan de sauvetage était censé « aider » la Grèce à sortir de cette situation ? Les pays de la zone euro en ont tiré des milliards d’euros de bénéfices [4].

Mais les ministres des finances européens ont le pouvoir de changer de cap. Si nous leur montrons que les Européens ne veulent pas profiter du désespoir de la Grèce, ils ne pourront plus agir à leur guise et en notre nom.

La Banque Centrale Européenne a commencé à acheter des bons du trésor grecs en 2010, quand le pays a eu besoin d’un premier prêt. Si la BCE n’achetait pas les titres, la Grèce aurait été obligée de faire baisser leur prix. Mais la BCE a empêché la Grèce de le faire, par une condition incluse dans le plan d’aide. Chaque année, ces bons surévalués génèrent un profit colossal, auparavant reversé à la Grèce [5].

Ça a changé en 2015, quand les Grecs ont voté contre les coupes budgétaires qui affectent leur vie quotidienne. Pour punir ce vote, la zone euro a décidé d’empocher les profits engendrés par les bons, au lieu de les reverser à la Grèce comme convenu au départ [6].

Après des années d’austérité, douze augmentations successives des impôts et autant de réductions drastiques des services publics, le peuple grec ne peut plus être exploité. Plus que jamais, le peuple grec a besoin de nous pour les soutenir.

Unis, nous pouvons agir pour que ces titres soient rétrocédés à la Grèce, et exiger que la reprise économique d’un pays prenne en compte la vie et la dignité des gens. Ensemble, nous avons le pouvoir de montrer au peuple grec que nous les soutenons. Et aux gouvernements que nous attendons de la solidarité, pas de l’exploitation.

REFERENCES

[1] “’Dans les hôpitaux grecs, «des malades renoncent à se soigner»” Libération, 14 Juin 2017. http://www.liberation.fr/planete/2017/06/14/dans-les-hopitaux-grecs-des-malades-renoncent-a-se-soigner_1576853

[2] “Grèce : les retraités en colère contre la 12ème baisse de leurs pensions” EuroNews, 4 Avril 2017. http://fr.euronews.com/2017/04/04/grece-les-retraites-en-colere-contre-la-12eme-baisse-de-leurs-pensions

[3] “Grèce. Le taux de chômage a dépassé la barre des 25%” France Info, 11 Octobre 2012. https://www.francetvinfo.fr/monde/grece/grece-le-taux-de-chomage-a-depasse-la-barre-des-25_153761.html

[4] “Comment la BCE a gagné « 7,8 milliards d’euros grâce à la dette grecque »” Le Monde, 26 October 2017. http://www.lemonde.fr/economie/article/2017/10/26/comment-la-bce-a-gagne-7-8-milliards-d-euros-grace-a-la-dette-grecque_5206484_3234.html

[5] “ECB to swap Greek bonds to avoid forced losses -sources,” Reuters, 16 February 2012. https://www.reuters.com/article/us-ecb-greece/ecb-to-swap-greek-bonds-to-avoid-forced-losses-sources-idUSTRE81F1EK20120216

[6] “Depuis cinq ans, le malheur des Grecs fait les bénéfices… de l’Allemagne” Alternatives Economiques, 27 Aout 2015. https://blogs.alternatives-economiques.fr/gadrey/2015/08/27/depuis-cinq-ans-le-malheur-des-grecs-fait-les-benefices-de-l-allemagne

Source https://act.wemove.eu/campaigns/Solidarit%C3%A9-dans-la-crise-justice-pour-la-Gr%C3%A8ce?utm_source=civimail-21737&utm_medium=email&utm_campaign=20190306_FR

Samos: la honte de l’Europe

« Ici à Samos c’est la honte de l’Europe » Thomas Jacobi et Marie Verdier, envoyés spéciaux à Samos ,

Les habitants se sentent abandonnés et réclament la fermeture du hotspot créé dans le sillage de l’accord UE-Turquie et de la fermeture des frontières en mars 2016.

« Is this love, is this love… » La chanson de Bob Marley envahit la taverne Joy. Ses promesses d’amour, et « de vivre ensemble avec un toit juste au-dessus de nos têtes », bercent la baie de l’île grecque de Samos. Le soleil de février s’est enfin gaiement manifesté, après des semaines de pluies diluviennes, et les façades à flanc de montagne se laissent volontiers caresser. La patrie de Pythagore et d’Épicure en mer Égée semble tout entière jouir de ce moment de félicité.

Placardée sur la porte vitrée, une affiche crie pourtant « Stop au crime ». Michalis Mitsos, le patron de la taverne et président de l’union des restaurateurs vient de bonne grâce s’attabler pour raconter combien la vie paisible de Samos a été profondément chamboulée depuis que, dans le sillage de l’accord conclu entre l’Union européenne et la Turquie, en mars 2016, les milliers d’exilés d’Afrique et du Moyen-Orient se retrouvent piégés sur l’île, transformée en prison à ciel ouvert, à quelques encablures des côtes turques. « Les autorités cachent ce qui se passe. Il faut le dénoncer à toute l’Europe », espère-t-il.

Sur les hauteurs de Samos (1), quelque 4 000 demandeurs d’asile croupissent dans des conditions « abjectes » selon le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) qui avait pressé les autorités grecques à prendre des mesures d’urgence avant l’hiver. Depuis lors, rien n’a changé. Et les 7 000 habitants se sentent abandonnés de la Grèce et de l’Europe. « Nous ne sommes pas racistes. Nous avons secouru les Syriens quand ils arrivaient par milliers en 2015. Aujourd’hui il faut que les migrants soient mieux logés sur le continent et que les Samiotes soient soulagés », revendique Michalis Mitsos.

« J’ai peur de faire pipi la nuit »

En haut de la jungle de Samos, Amadou est notre première rencontre. Le jeune homme élancé, de Guinée, s’affaire à ramasser des pierres pour tenter de mieux tenir les bâches de son campement. Il faut avoir le pied agile pour ne pas glisser sur la pente boueuse et ne pas déraper sur la mer de détritus. Amadou a, lui, des savates en plastique. « On était mieux traités dans les prisons turques, au moins avait-on un toit, un matelas, du chauffage, à manger. » Après sept tentatives et six passages par la case prison en Turquie, Amadou a fini par s’échouer à Samos le 24 octobre 2018, avant de s’enfoncer dans l’hiver, le corps saisi par le froid et tétanisé par l’effroi dès la tombée du jour. « J’ai peur. J’ai peur de faire pipi la nuit. »

Manos Logothetis, que tout le monde connaît sous le nom de « docteur Manos », l’unique médecin à officier dans le camp, expliquera plus tard que, la nuit, « les hommes font pipi dans des bouteilles », et que « des femmes se mettent des couches » pour ne pas sortir de leurs tentes, à cause du noir, du froid, des bêtes, de la violence, de la drogue. Stratégies de survie pour ces rescapés qui ont bravé l’hiver sous de petites tentes de camping accrochées aux terrains pentus, battues par le vent et la pluie, sans électricité, avec des points d’eau et une vingtaine de toilettes bien trop loin dans le camp.

Cela fait si longtemps que les hangars en tôle et les conteneurs installés pour 640 personnes sur l’ancien camp militaire encerclé de clôtures grillagées ne peuvent plus abriter les nouveaux arrivants… Seules de rares familles sont logées dans les 49 appartements loués sur l’île. Alors, à mesure que la jungle s’étend, « ceux qui arrivent installent leurs tentes sur les endroits qui étaient jusqu’alors les toilettes sauvages dans les bois », précise docteur Manos.

« J’ai tant de soucis dans ma tête, elle va exploser »

Avec Amadou, nous nous réfugions sous une bâche estampillée « UNHCR », petit point de ralliement entre quatre tentes où convergent une douzaine de ses compagnons. À la lueur d’une lampe solaire récemment distribuée par une ONG, nous écoutons les récits, feignant d’ignorer la ronde des rats tout autour.

Ils croyaient avoir laissé derrière eux leurs souffrances. Guinéens, Camerounais, Congolais, etc., tous sont là depuis trois, six, neuf mois. L’attente, le désœuvrement, les lieux avilissants détruisent les esprits les plus aguerris. « J’ai tant de soucis dans ma tête, elle va exploser. Quand la tête ne va pas, le corps ne va pas non plus. » En aparté, Amadou confie être homosexuel et avoir fui pour échapper aux châtiments de son père imam. « Ici c’est une vraie prison, mais je vais trouver la force de m’en sortir », se persuade-t-il.

Le lendemain Hugo, ingénieur de 37 ans, racontera que Sassou-Nguesso, le président du Congo-Brazzaville, l’a contraint à l’exil. « Ses milices ont organisé une chasse à l’homme contre les partisans de Mokoko », l’opposant emprisonné pour vingt ans pour « atteinte à la sécurité de l’État ».

« Ça peut être très nuisible de raconter ce qui s’est passé »

Les femmes confinées dans un maigre espace voisin restent silencieuses. Parole aux hommes. Néné confiera plus tard, comme d’autres, avoir voulu échapper à un mariage forcé. La jeune Guinéenne n’en dira guère plus sur cette « histoire douloureuse ».

« Ça peut être très nuisible de raconter ce qui s’est passé, les personnes revivent ce qu’elles ont vécu par la parole. Or nous sommes totalement démunis pour les soutenir, il n’y a qu’un psychologue dans le camp, l’absence de prise en charge de la santé mentale est un grand souci », déplore Bogdan Andrei, la véritable âme de l’île. Venu de Roumanie début 2016, il a fondé sur place l’ONG Samos volonteers. Les bénévoles aussi, venus de divers pays, « vivent des moments émotionnels difficiles », ajoute-t-il. Alors l’ONG a instauré une règle d’or : « se focaliser à fond sur le présent ».

C’est exactement ce que fait Néné au centre Alpha, le refuge ouvert par Samos volonteers dans la ville en contrebas du camp. Elle est l’une des rares femmes à s’immiscer dans la foule des hommes venus se réchauffer, boire un thé, jouer aux dames ou aux échecs, et recharger leur téléphone. Néné est si assidue aux cours de grec, et si résolue, qu’Annie, l’enseignante française retraitée en Grèce, lui a confié les premiers cours sur l’alphabet grec.

« Sans Alpha, on deviendrait fou »

« On vient se relaxer l’esprit, sans Alpha, il y aurait beaucoup de dégâts, on deviendrait fou ». John, 34 ans, vient de Béni, ce lieu de toutes les tragédies dans le Nord-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo. Béni où l’on tue, l’on viole et où sévit le virus Ebola. John est recherché, ses sœurs ont été égorgées, sa femme se cache au pays. « Jusqu’à quand va-t-on nous torturer ? On devient malade de l’intérieur. On veut juste vivre dans la dignité. Ici, à Samos, c’est la honte de l’Europe. » John supplie : « Quand tu ne peux pas aider quelqu’un, donne-lui la liberté pour qu’il puisse se prendre en charge ». Il extirpe de sa poche ses documents, et lit, effaré, la date de sa convocation pour sa demande d’asile : le 22 juillet… 2020, à 15 heures très précisément.

Le centre d’enregistrement et d’identification des demandeurs d’asile ne devait pourtant être qu’un camp de transit pour des séjours de moins d’un mois. Le HCR confirme que les personnes récemment arrivées se voient dorénavant attribuer des dates d’entretien jusqu’en 2021. « Dans tous les pays les procédures d’asile sont longues », souligne-t-on à l’EASO, le bureau européen d’appui en matière d’asile venu en renfort des services grecs. « Mais à Samos, à cause des problèmes de sécurité, nous ne menons plus d’interviews le soir, cela limite le nombre d’entretiens à quatre ou cinq par jour », ajoute notre interlocuteur.

La colère couve

Alors, sous la bâche, dans la jungle, la colère couve. Wadi, Camerounais de 58 ans à la barbe grisonnante, dit « le doyen » ou « papa », tente de jouer son rôle de vieux sage et de dissuader les plus jeunes, déterminés à mettre le feu au camp. « Ici on est comme au Togo, menotté, maltraité, dénonce Souleymane. À cause du froid et des souris, tu ne peux pas dormir. Le matin, le midi, le soir, tu dois faire deux à trois heures de queue, subir les bagarres, pour la distribution de repas que tu ne peux même pas manger tellement c’est mauvais. »

« Le commissaire de police, la directrice du camp avaient promis des améliorations, rien n’a changé ! », rugit son voisin, évoquant les propos tenus au lendemain de deux jours de marche pacifique des exilés brandissant des pancartes « Freedom » dans les rues de Samos, fin janvier. « Si on met le feu c’est pour qu’ils soient obligés de nous transférer sur le continent », veut-il croire. Ce sont finalement les poubelles qui ont flambé, le 7 février au petit jour. Résultat : sept personnes arrêtées et poursuivies pour incendie volontaire, trois maintenues en détention et encore plus de colère et de désespoir.

« Je voudrais avoir le VIH, peut-être qu’alors on s’occuperait de moi… »

Dans le brouhaha d’un attroupement qui s’est formé aux abords du camp, une voix lâche : « Je voudrais avoir le VIH, peut-être qu’alors on s’occuperait de moi… » « Les gens se cherchent des maladies, ils sont prêts à tout pour être vulnérables, rapporte le docteur Manos. De fait, ils le sont tous, à moi d’identifier les plus vulnérables des vulnérables au regard de la loi. » Ce statut conférant en théorie une priorité pour le transfert sur le continent. (2) « Mais il y a des maladies que nous ne pouvons pas diagnostiquer ici, admet le médecin. Et parmi les victimes, il y a aussi des bourreaux qui se cachent, l’exercice est difficile. »

Et où se situe le seuil de gravité ? À l’autre bout du camp, dans le quartier moyen-oriental, Mohammed, le jeune Afghan qui travaillait à l’ambassade des États-Unis à Kaboul se le demande encore après six mois sur l’île. Sa jeune épouse, qui était étudiante en dentaire, est « très, très perturbée mentalement ». « Elle parle toute la journée dans le vide. »

Et Mohammad ? « Je ne peux plus maîtriser mon comportement », avoue le professeur d’anglais et de mathématiques couché sous la tente achetée 100 € à des Syriens partis à Athènes. Ses papiers médicaux mentionnent « troubles psychotiques ». Il cherche désespérément des photos sur son téléphone pour attester de son drame : « J’ai perdu ma famille dans une tuerie à Kameshli, au nord de la Syrie, perpétrée par des milices kurdes. » Mohammad partage sa couche avec Salah et Ahmed. Ahmed entend peu, parle difficilement. Les deux frères ont fui la guerre à Idlib après qu’Ahmed a eu la mâchoire arrachée par un éclat de bombe.

Cela fait deux mois que tous les trois sont prioritaires pour une levée de restriction géographique devant leur permettre de quitter Samos…

La visite dans l’enceinte du camp est minutée

Et toujours les rats, même en plein jour. La tente voisine est désertée. « Ce sont des mineurs qui vivent là », pointe Mohammad. Ils profitent des premiers beaux jours sur l’île. Une centaine d’entre eux vit dans la jungle. Car l’espace « mineurs non accompagnés » dans le camp implose : cent autres sont entassés dans les sept conteneurs délabrés prévus pour 56 personnes.

Et une pièce aux côtés des services de police est réservée aux quatorze adolescentes. On ne voit pas comment, même en se serrant les unes contre les autres, elles peuvent dormir dans ce réduit. Interdit d’y pénétrer. La visite dans l’enceinte du camp est minutée, fermement encadrée. Pas question de jeter un œil au travers d’une vitre cassée, de soulever une couverture qui fait office de porte ou d’admirer la crèche, le tout petit havre réservé à une vingtaine d’enfants, quand tant d’autres jouent dans les flaques et les déchets. « Les mineurs isolés rêvent tous de partir vite, mais dans les faits, ils restent en moyenne trois à six mois sur l’île, parfois même un an », reconnaît Alexandra Katsou, l’assistante sociale qui en a la charge.

« On ne peut pas faire face. Le personnel est insuffisant. Mille personnes ne sont pas encore enregistrées par les services de l’asile », reconnaît la directrice du camp Maria-Dimitra Nioutsikou. La jeune femme au regard d’acier exerce son métier « avec beaucoup de patience et de sang froid ». Elle n’est « pas affectée », et n’a pas à se préoccuper des milliers de tentes « sur des espaces privés à l’extérieur du camp ». C’est « pour calmer le jeu » face aux tensions grandissantes que le bureau chargé de donner des rendez-vous a été fermé pendant deux semaines en février. Et les ONG n’ont pas le droit de pénétrer dans le camp, « parce qu’elles ne sont pas accréditées auprès du ministère des migrations ».

« Il y avait la volonté de ne pas améliorer les conditions de vie indignes »

Peu habituée à cet ostracisme, Médecins sans frontières en garde un souvenir cuisant. Avant de quitter l’île au printemps 2018, l’ONG s’était proposée de réparer les toilettes, les douches, les vitres cassées, le système électrique, etc. « Tout a été refusé », s’indigne encore Clément Perrin, le responsable de mission d’alors. « Nous étions dans une logique d’urgence, mais à cause de l’obsession de l’appel d’air, il y avait clairement la volonté de ne pas améliorer les conditions de vie indignes », se souvient-il.

La seule tolérance accordée à Samos volonteers consiste à venir récupérer du linge sale. Dans la petite laverie de l’ONG, la seule de l’île, les machines tournent en continu. Le duo Emma l’Anglaise et Nima l’Iranien, affectés à la tâche, lèvent à peine le nez : « On fait 55 sacs par jour. À ce rythme il nous faut trois à quatre mois pour faire le tour du camp. » C’est peu, mais ô combien précieux.

Avocats sans frontières France (ASF) a vite compris l’écueil dès son arrivée à Samos, début 2019, pour offrir une assistance juridique aux demandeurs d’asile. « Seule l’avocate grecque qui travaille avec nous est autorisée à collecter, au compte-goutte, des informations sur les dossiers auprès des services de l’asile, déplore la coordinatrice Domitille Nicolet. Pourtant, les besoins sont immenses. » Et ASF craint de devoir quitter cette île oubliée, l’ONG n’ayant obtenu des financements que jusqu’à fin mars.

« Arrivés sur l’île, les Syriens embrassaient le sol »

« Tout est allé de mal en pis depuis l’accord UE-Turquie. Avant il y avait des soutiens locaux, la mairie coordonnait l’action des bénévoles et réceptionnait les dons. » Bogdan Andrei a vu ensuite « les ONG partir, la municipalité se désinvestir et l’argent européen ne pas arriver jusqu’aux bénéficiaires ».

« La mairie n’est pas habilitée pour gérer la crise migratoire. L’État veut tout contrôler. L’hébergement et la nourriture sont du ressort du ministère de la défense qui n’est pas compétent », maugrée le maire, Michalis Angelopoulos, qui veut « une solution viable » et craint que l’activité touristique – 73 % du PIB de l’île – ne soit affectée, même si, pour l’heure, elle a crû de 10 % l’an dernier.

Devenue « hotspot », Samos ne s’en est pas remise. Les retraités Giorgos et Rena Fragkoulis se souviennent avec émotion de cette année 2015, quand ils sortaient leur bateau la nuit pour aller secourir les Syriens échoués sur les plages et les côtes rocheuses, juste en contrebas de leur maison à Kerveli, à l’extrême Est de l’île. « Ils arrivaient terrorisés, tailladaient leur zodiac pour qu’ils ne puissent pas être renvoyés. Ils se couchaient d’épuisement. Ils embrassaient le sol. » À l’époque les habitants avaient tous dans leur voiture de l’eau, des biscuits et des vêtements.

Au cas où. Puis les arrivants poursuivaient leur chemin, ils prenaient le bateau pour Athènes. « Les frontières étaient ouvertes. Il n’y avait pas de hotspot. » Aujourd’hui, Frontex est à la manette. « C’est interdit d’aider les réfugiés. » Rena et Giorgos ont longtemps gardé un sac de voyage récupéré dans la mer avec dedans « des photos, des papiers, des diplômes, le résumé le plus précieux d’une vie » en espérant pouvoir un jour le restituer à son propriétaire. Mais des voisins ont fini par leur faire peur. Et s’ils étaient complices d’un trafiquant ? « On a jeté le sac. »

« L’empathie s’érode, nous n’en pouvons plus »

Maintenant tout a changé. Sur l’île une naissance sur trois est étrangère. Rena et Giorgos ont une liste de récrimination longue comme le bras : « Les réfugiés sont partout. Ils envahissent les terrains de sport. Il y a des queues à la poste, l’hôpital est débordé. Les habitants ont peur. Ils ne laissent plus leurs enfants sortir seuls, ils ferment leurs maisons et n’accrochent plus leur linge dehors. » Philippe Leclerc, représentant du HCR en Grèce en convient : « La population est révoltée, on met de l’huile sur le feu. »

Au bord de la baie, il n’y a plus guère que les réfugiés qui déambulent et font de maigres emplettes avec les 90 € mensuels alloués par tête par le HCR. Il fait si beau en cette journée de février que Samos volonteers a délocalisé son cours d’anglais sur les bancs au bord de l’eau. Mais Ghaïssane (3), 36 ans, onze mois de Samos, a le regard hagard. « Ici nous n’avons qu’une chose : du temps. » Dans un anglais hésitant, il vante son « très beau pays, très cultivé, l’Iran, s’il n’y avait pas son gouvernement », et veut témoigner de « sa terrible vie à Samos » dans un long texte en farsi qu’il nous tend.

Alors pour Rena et Giorgos, il est temps de dire stop au hotspot, stop au projet de deuxième hotspot plus loin dans la montagne. « Les réfugiés et les habitants veulent la même chose, qu’ils poursuivent leur chemin ! » Ils étaient 3 000 réunis sur la grand-place au bord de la baie, le 7 février, plusieurs popes aux premières loges, avant de se disperser dans une ambiance bon enfant. C’était « la plus grande mobilisation qu’ait jamais connue Samos ! », s’exclame Michalis Mitsos, le patron de Joy. Pour le métropolite Eusebios, il est clair que « l’empathie s’érode. Nous n’en pouvons plus. »


75 000 demandeurs d’asile en Grèce

► En Grèce

En 2015, 860 000 migrants sont arrivés, 799 ont péri en mer.

En 2018, ils n’étaient plus que 32 500 et 174 morts. La Grèce est devenue le 3e pays de l’UE en nombre de demande d’asiles.

En 2019, près de 5 000 sont arrivés depuis janvier. 75 000 sont présents sur le sol grec, dont 3 700 mineurs non accompagnés.

Le HCR gère 27 000 places en appartement et distribue des cartes de cash (90 € par tête, 50 € de plus par membre d’une famille) à 65 000 bénéficiaires. Il prévoit de transférer ses compétences à l’État grec d’ici à 2020 et de se retirer du pays.

► À Samos

L’île compte 33 000 habitants, la ville de Samos 7 000 habitants et 4 000 demandeurs d’asile.

25 % sont Afghans, 18 % Congolais de RDC, 13 % Irakiens, 10 % Syriens et 10 % Camerounais.

53 % d’hommes, 22 % de femmes et 25 % d’enfants, les trois quarts ayant moins de 12 ans.

Depuis janvier, 479 ont été transférés sur le continent en Grèce, et 834 sont arrivés de Turquie.


Enquêtes sur l’usage des fonds européens

Sur la période 2014-2020, l’Union européenne a accordé 1,4 milliard d’euros à la Grèce en dotations de base et financements d’urgence pour l’accueil des migrants, les procédures d’asile et la sécurité des frontières. 579 millions d’euros ont déjà été versés, 70 % au titre des fonds d’urgence. Sans compter l’aide en matériel et le renfort de 700 agents Frontex et de 200 experts de l’asile.

Or dès mars 2017, l’ONG Solidarity now s’est inquiétée du fait que l’argent versé n’ait pas permis d’améliorer les conditions de vie désastreuses des demandeurs d’asile. Dans une pétition adressée au parlement européen, elle demandait qu’une enquête soit menée sur la mauvaise gestion et d’éventuels détournements de ces fonds par l’État grec, notamment les ministères des migrations et de la défense.

En décembre 2017, l’Office européen de lutte anti-fraude (Olaf) a ouvert une enquête. En octobre 2018, c’était au tour de la Cour suprême grecque d’ordonner une enquête sur d’éventuels abus dans la gestion des fonds européens.


L’accord UE-Turquie de mars 2016

Il prévoyait des mesures pour tarir les flux migratoires :

– surveillance des frontières maritimes et terrestres par la Turquie

– renvoi vers la Turquie des migrants en situation irrégulière arrivés sur les îles grecques ne demandant pas l’asile ou déboutés de leur demande

– réinstallation d’un Syrien de Turquie vers l’UE pour chaque Syrien renvoyé en Turquie

– accélération du versement des 3 milliards d’euros d’aide à la Turquie pour la gestion des réfugiés, + 3 autres milliards si les engagements sont respectés.

D’avril 2016 à janvier 2019, 1 825 migrants ont été renvoyés vers la Turquie.

En 2018, 16 042 personnes ont été réinstallées depuis la Turquie, près de la moitié en Allemagne et aux États-Unis.

La relocalisation

22 000 ont été relocalisés depuis la Grèce dans un autre État de l’UE jusqu’à l’arrêt du dispositif d’urgence de relocalisation en novembre 2017.

Procédure Dublin

En 2018, les États européens ont durci leurs positions. Ils ont réclamé le renvoi en Grèce de 8 190 demandeurs d’asile. La Grèce en a accepté 307.

Thomas Jacobi et Marie Verdier, envoyés spéciaux à Samos

(1) Samos est à la fois le nom de l’île et de sa capitale

(2) L’agence sanitaire Keelpno promet à nouveau pour le printemps le renfort de quatre médecins. Pour avoir des candidats, les salaires mensuels ont été portés de 1 100 € à 3 000 €.

(3) Prénom changé.

 

 

 

Les propositions des Economistes atterrés pour le débat citoyen

Alors que la France est traversée par des mouvements sociaux et citoyens depuis quelques mois, les réponses du gouvernement Philippe sont plus qu’inadaptées : violences, mépris de classe, poursuite des réformes inégalitaires dans le domaine de la fiscalité, de l’emploi, des retraites, de l’éducation, de l’accès aux services publics, etc. Le lancement d’un « grand débat national » n’est là que pour faire illusion, tant il est pétri de questions et choix de réponses empreints d’idéologie néolibérale. Au vu des crises écologique, sociale et économique et de l’urgence de ces questions, il est au contraire salutaire d’engager un véritable débat de fond concernant les politiques à la hauteur des enjeux de la situation actuelle. C’est pourquoi les Economistes atterrés proposent, dans ce court document, un ensemble d’alternatives, réalisables et souhaitables, en matière de politiques fiscales, d’assurances sociales, d’emploi et de travail, d’égalité professionnelle entre les sexes, de transition écologique et de services publics. Conformes à la tradition des Economistes atterrés depuis leur création, ces ensembles de propositions, développées en dix-huit grands thèmes, sont mis à la disposition des citoyens pour qu’ils puissent s’en saisir et lancer, à leur niveau, un véritable débat sur des alternatives sérieuses à la politique impulsée par Emmanuel Macron.

Pour retrouvez l’ensemble des propositions, téléchargez le PDF ci-dessous.

Visionnez l’émission « L’Eco à contre-courant » consacrée à ces propositions sur Mediapart ici.

Migrant : France condamnée par la justice européenne

Migrants : comment un mineur afghan a fait condamner la France par la justice européenne

1er mars 2019 par la rédaction d’info migrants

La France a été reconnue jeudi coupable de traitements dégradants à l’égard d’un jeune Afghan qui a vécu six mois dans la jungle de Calais alors qu’il n’avait que douze ans. La Cour européenne des droits de l’Homme a estimé que Paris n’avait respecté ni le droit français, ni le droit international relatif à la protection de l’enfance.

Jamil Khan avait déposé une requête contre le gouvernement français devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) en mars 2016. Arrivé seul en France alors qu’il n’avait que 11 ans, il avait vécu pendant six mois dans la jungle de la Lande de Calais. Dans sa requête, il dénonçait le manque de protection et de prise en charge de la France envers « les mineurs isolés étrangers qui, comme lui, se trouvaient sur le site de la Lande de Calais », rappelle la CEDH dans son arrêt rendu public jeudi 28 février.

Le jeune Afghan, aujourd’hui âgé de 15 ans et installé dans un foyer à Birmingham (Royaume-Uni), a obtenu gain de cause. La cour a condamné la France à lui verser 15 000 euros. Les juges ont estimé que la France n’a respecté ni son droit interne, ni le droit international relatif à la protection de l’enfance, en laissant ce mineur vivre « durant plusieurs mois (…) dans un environnement totalement inadapté à sa condition d’enfant, que ce soit en termes de sécurité, de logement, d’hygiène ou d’accès à la nourriture et aux soins ».

Six mois dans la jungle

Né en 2004 en Afghanistan, Jamil Khan a indiqué avoir quitté son pays à la mort de son père. Il souhaitait se rendre au Royaume-Uni pour y demander l’asile et s’était retrouvé à Calais « en suivant des exilés rencontrés sur la route, dans l’espoir d’y trouver un moyen de passer au Royaume-Uni ».

Installé avec les autres migrants dans la jungle de la Lande à Calais, Jamil Khan a vécu pendant plusieurs mois au milieu d’adultes, dans une cabane de fortune, sans scolarisation.

La CEDH note qu’il a fallu attendre le 22 février 2016 pour qu’un juge, saisi par une ONG, ordonne la prise en charge de l’adolescent alors âgé de 12 ans, alors que sa cabane venait d’être détruite dans le démantèlement de la zone sud du campement sauvage de migrants à Calais.

Le gouvernement s’est défendu en affirmant que ni le jeune homme, ni son représentant ad hoc, ni son avocate ne s’était présenté aux services sociaux. Par ailleurs, l’adolescent a définitivement quitté la France environ un mois plus tard, en mars 2016, pour entrer clandestinement au Royaume-Uni où il a été recueilli par les services britanniques de l’aide à l’enfance, détaille la cour dans son arrêt.

Mais la cour a fait savoir qu’elle n’était pas convaincue que les autorités françaises aient fait tout ce qui était en leur pouvoir pour offrir protection et prise en charge à l’adolescent.

« La France viole le droit tous les jours en matière d’accueil des étrangers »

« Avec cet arrêt, on pourra forcer un peu plus les autorités françaises à faire davantage pour les personnes vulnérables en situation d’exil », a estimé Me Lionel Crusoé, coreprésentant de Je Jamil Khan auprès de la CEDH.

Car au-delà de ce cas précis, c’est l’obligation de prise en charge des mineurs isolés étrangers, « individu(s) relevant de la catégorie des personnes les plus vulnérables de la société », qui est rappelée par la CEDH à la France et plus généralement à l’Europe.

« La France viole le droit tous les jours en matière d’accueil des étrangers », a réagi auprès de l’AFP François Guennoc, de l’Auberge des Migrants à Calais, qui s’attend à ce que le pays « s’assoie sur cette condamnation, comme d’habitude ».

Didier Degrémont, président départemental du Secours catholique dans le Pas-de-Calais, met de son côté en garde : « Le problème existe encore aujourd’hui, avec un nombre important de mineurs non accompagnés qui dorment dehors ».

Par ailleurs, une vingtaine d’associations emmenées par l’Unicef ont saisi jeudi le Conseil d’État contre le très controversé fichier des mineurs isolés étrangers, qu’elles accusent de servir la lutte contre l’immigration irrégulière au détriment de la protection de l’enfance.

Les 19 requérants ont déposé un référé et une requête en annulation contre le décret du 31 janvier créant ce fichier biométrique. L’objectif est d' »obtenir rapidement la suspension de ce texte et à terme, son annulation », expliquent dans un communiqué ces associations, parmi lesquels l’Armée du salut, Médecins du monde, la Cimade et la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS, qui revendique 850 associations).

Source https://www.infomigrants.net/fr/post/15456/migrants-comment-un-mineur-afghan-a-fait-condamner-la-france-par-la-justice-europeenne

Taxe GAFA : le gouvernement ne s’attaque pas à l’injustice fiscale

Taxe GAFA : une mesure symbolique qui ne s’attaque pas à l’injustice fiscale

mardi 5 mars 2019, par Attac France

Mercredi 6 mars, Bruno Le Maire présentera en Conseil des ministres le projet de loi dit « taxe GAFA ».

Si les géants du numérique payent des impôts dérisoires en France c’est parce qu’ils déclarent artificiellement leurs revenus dans des paradis fiscaux. Attac, qui milite depuis des années pour une juste taxation des multinationales là où elles réalisent leurs activités, se félicite que ce sujet soit enfin discuté. Toutefois, le projet du gouvernement est loin de résoudre l’anomalie qu’il prétend combattre.

Cette taxe doit s’appliquer à toute entreprise proposant des services numériques en France et dont le chiffre d’affaires lié aux activités numériques est supérieur à 750 millions d’euros au niveau mondial et 25 millions d’euros en France. Le gouvernement espère 500 millions d’euros de rentrées fiscales par an. Une trentaine d’entreprises du numérique seraient concernées, telles que Uber, Booking ou Airbnb, mais aussi et surtout, les GAFA* (Google, Amazon, Facebook, Apple), premières cibles de cette taxation.

500 millions, un rendement modique

Il est aujourd’hui de notoriété publique que les géants du numérique déclarent artificiellement leurs revenus dans des paradis fiscaux comme l’Irlande ou les Pays-Bas, et payent des impôts dérisoires en France. Le gouvernement affirme que la « taxe GAFA » va résoudre cette anomalie.

Or le projet se limite à instaurer une taxe de 3% sur ce que Bruno Le Maire nomme le « chiffre d’affaires numérique » (marketplace, ciblage publicitaire, revente de données personnelles à des fins publicitaires). La recette espérée de 500 millions d’euros est un montant symbolique quand on sait qu’Amazon seule a un chiffre d’affaires estimé en France à 6,6 milliards d’euros en 2018 [1].

Selon Raphaël Pradeau, porte-parole d’Attac, « Cette taxe est symbolique et ne règle en rien le problème de l’évasion fiscale massive de ces multinationales. C’est comme si on reconnaissait à ces entreprises un droit à l’évasion fiscale et qu’on se contentait de récupérer quelques miettes. Contrairement à ce que prétend la majorité, les GAFA ne vont pas être imposés « comme tout le monde » [2], ni payer leur « juste part d’impôts » [3]. Cette mesure est avant tout un coup de communication, destiné à montrer, à quelques semaines des élections européennes, que le gouvernement prétend répondre à la demande de justice fiscale ».

Pour une taxation unitaire des multinationales

Pour Dominique Plihon, porte-parole d’Attac, « si le gouvernement voulait vraiment mettre fin à ce scandale, il faudrait plutôt prélever une partie des bénéfices mondiaux des multinationales en s’appuyant sur des critères d’évaluation de leur activité réelle dans chaque pays : nombre d’employé·e·s, usines, magasins, montant des ventes ou encore parts de marché. »

Appelée taxe globale ou taxe unitaire, cette mesure permettrait de neutraliser durablement les transferts artificiels de bénéfices vers les paradis fiscaux. Fin janvier, dans le cadre de l’OCDE, 127 pays se sont engagés à trouver d’ici à 2020 un accord international sur la taxation des géants du numérique. « Un engagement qui va dans le bon sens, poursuit Dominique Plihon, mais il reste encore beaucoup d’obstacles politiques pour que cela devienne réalité. »

Les difficultés pour évaluer les pertes fiscales engendrées par les pratiques des géants du numérique puisent leur source dans l’absence de transparence et la grande opacité dont ils bénéficient. Il est donc nécessaire d’instaurer un reporting public pays par pays, afin de connaître l’activité réelle des multinationales dans chaque pays et de les taxer en conséquence.* nous reprenons ici le terme employé par le gouvernement mais il serait plus juste de parler de « taxe GAFAM », en ajoutant Microsoft à ce terme, tant l’entreprise possède un poids économique et une présence sur le « marché du numérique » semblables aux « GAFA ».

Annulation dette allemande de 1953 et celle de la Grèce ?

Pourquoi l’annulation de la dette allemande de 1953 n’est pas reproductible pour la Grèce et les Pays en développement 26 février par Eric Toussaint

L’Allemagne a bénéficié à partir du 27 février 1953 d’une annulation de la plus grande partie de sa dette. Depuis cette annulation, qui a permis à l’économie de ce pays de reconquérir la place de principale puissance économique du continent européen, aucun autre pays n’a bénéficié d’un traitement aussi favorable. Il est très important de connaître le pourquoi et le comment de cette annulation de dette. Résumé de manière très concise : les grandes puissances créancières de l’Allemagne occidentale voulaient que l’économie de celle-ci soit réellement relancée et qu’elle constitue un élément stable et central dans la lutte entre le bloc atlantique et le bloc de l’Est.

Une comparaison entre le traitement accordé à l’Allemagne occidentale d’après-guerre et celui imposé aux Pays en développement ou à la Grèce d’aujourd’hui est révélateur de la politique du deux poids deux mesures pratiquée systématiquement par les grandes puissances.

L’allègement radical de la dette de la République fédérale d’Allemagne (RFA) et sa reconstruction rapide après la seconde guerre mondiale ont été rendus possibles grâce à la volonté politique des puissances créancières occidentales qui avaient remporté la seconde guerre mondiale, c’est-à-dire les États-Unis et leurs principaux alliés occidentaux, la Grande-Bretagne et la France. En octobre 1950, ces trois puissances alliées élaborent un projet dans lequel le gouvernement fédéral allemand reconnaît l’existence des dettes des périodes précédant et suivant la guerre. Les alliés y joignent une déclaration dans laquelle ils énoncent : « les trois pays sont d’accord que le plan prévoit un règlement adéquat des exigences avec l’Allemagne dont l’effet final ne doit pas déséquilibrer la situation financière de l’économie allemande via des répercussions indésirables ni affecter excessivement les réserves potentielles de devises. Les trois pays sont convaincus que le gouvernement fédéral allemand partage leur position et que la restauration de la solvabilité allemande est assortie d’un règlement adéquat de la dette allemande qui assure à tous les participants une négociation juste en prenant en compte les problèmes économiques de l’Allemagne » [1].

Il faut savoir que l’Allemagne nazie a suspendu le paiement de sa dette extérieure à partir de 1933 et n’a jamais repris les paiements, ce qui ne l’a pas empêché de recevoir un soutien financier et de faire des affaires avec de grandes entreprises privées des États-Unis – comme Ford, qui a financé le lancement de la Volkswagen (la voiture du peuple imaginée par le régime hitlérien), General Motors qui possédait la firme Opel, General Electric associée à AEG et IBM qui est accusée d’avoir « fourni la technologie » ayant aidé « à la persécution, à la souffrance et au génocide », avant et pendant la Seconde Guerre mondiale [2].

La dette réclamée à l’Allemagne concernant la période d’avant-guerre s’élevait à 22,6 milliards de marks, si on comptabilise les intérêts.

Une importante réduction des dettes contractées avant et après la guerre par l’Allemagne à des conditions exceptionnelles

La dette contractée dans l’après-guerre (1945-1952) était estimée à 16,2 milliards. Lors d’un accord conclu à Londres le 27 février 1953 [3], ces montants ont été ramenés à 7,5 milliards de marks pour la première et à 7 milliards de marks pour la seconde [4]. En pourcentage, cela représente une réduction de 62,6 %.

Les montants cités plus haut ne prennent pas en compte les dettes liées à la politique d’agression et de destruction menée par l’Allemagne nazie durant la deuxième guerre mondiale, ni les réparations que les pays victimes de cette agression sont en droit de réclamer. Ces dettes de guerre ont été mises de côté, ce qui a constitué un énorme cadeau supplémentaire pour l’Allemagne de l’Ouest.

De surcroît, l’accord établissait la possibilité de suspendre les paiements pour en renégocier les conditions au cas où surviendrait un changement substantiel limitant la disponibilité des ressources [5].

Les Alliés créanciers vont faire des concessions très importantes aux autorités et aux entreprises allemandes

Pour s’assurer de la bonne relance de l’économie de l’Allemagne occidentale et que ce pays constituera un élément stable et central dans le bloc atlantique face au bloc de l’Est, les Alliés créanciers vont faire des concessions très importantes aux autorités et aux entreprises allemandes endettées qui vont bien au-delà d’une réduction de dette. Les grosses entreprises industrielles allemandes comme AEG, Siemens, IG Farben (AGFA, BASF, Bayer et Hoechst), Krupp, Volkswagen, BMW, Opel, Mercedes Benz et également des sociétés financières de tout premier plan comme Deutsche Bank, Commerzbank, la société d’assurance Allianz ont été protégées et renforcées, bien qu’elles aient joué un rôle de premier plan dans le soutien au régime nazi et qu’elles aient été les complices du génocide des peuples juif et tsigane. Le pouvoir du grand capital allemand est sorti intact de la seconde guerre mondiale grâce au soutien des gouvernements des grandes puissances occidentales.

Le pouvoir du grand capital allemand est sorti intact de la seconde guerre mondiale grâce au soutien des grandes puissances occidentales.

En ce qui concerne le problème de la dette qui pouvait être réclamée à l’Allemagne, les alliés partent du principe que l’économie du pays doit être en capacité de rembourser, tout en maintenant un niveau de croissance élevé et une amélioration des conditions de vie de la population. Pour que l’Allemagne puisse rembourser sans s’appauvrir, il faut qu’elle bénéficie d’une très forte annulation de dette. Mais cela ne suffit pas. Comme l’histoire l’a montré, il faut que le pays retrouve une véritable marge de manœuvre et d’autonomie. Pour cela, les créanciers acceptent primo que l’Allemagne rembourse dans sa monnaie nationale, le deutsche mark, une partie importante de la dette qui lui est réclamée. Á la marge, elle rembourse en devises fortes (dollar, franc suisse, livre sterling…).

Secundo, alors qu’au début des années 1950, le pays a encore une balance commerciale négative (la valeur des importations dépassant celle des exportations), les puissances créancières acceptent que l’Allemagne réduise ses importations : elle peut produire elle-même des biens qu’elle faisait auparavant venir de l’étranger. En permettant à l’Allemagne de substituer à ses importations des biens de sa propre production, les créanciers acceptent donc de réduire leurs exportations vers ce pays. Or, 41 % des importations allemandes venaient de Grande-Bretagne, de France et des États-Unis pour la période 1950-51. Si on ajoute à ce chiffre la part des importations en provenance des autres pays créanciers participant à la conférence (Belgique, Hollande, Suède et Suisse), le chiffre total s’élève même à 66 %.

En cas de litige avec les créanciers, les tribunaux allemands sont compétents

Tertio, les créanciers autorisent l’Allemagne à vendre ses produits à l’étranger, ils stimulent même ses exportations afin de dégager une balance commerciale positive. Ces différents éléments sont consignés dans la déclaration mentionnée plus haut : « La capacité de l’Allemagne à payer ses débiteurs privés et publics ne signifie pas uniquement la capacité de réaliser régulièrement les paiements en marks allemands sans conséquences inflationnistes, mais aussi que l’économie du pays puisse couvrir ses dettes en tenant compte de son actuelle balance des paiements. L’établissement de la capacité de paiement de l’Allemagne demande de faire face à certains problèmes qui sont : 1. la future capacité productive de l’Allemagne avec une considération particulière pour la capacité productive de biens exportables et la capacité de substitution d’importations ; 2. la possibilité de la vente des marchandises allemandes à l’étranger ; 3. les conditions de commerce futures probables ; 4. les mesures fiscales et économiques internes qui seraient nécessaires pour assurer un superavit pour les exportations. » [6]

En outre, en cas de litige avec les créanciers, en général, les tribunaux allemands sont compétents. Il est dit explicitement que, dans certains cas, « les tribunaux allemands pourront refuser d’exécuter […] la décision d’un tribunal étranger ou d’une instance arbitrale. » C’est le cas, lorsque « l’exécution de la décision serait contraire à l’ordre public » (p. 12 de l’Accord de Londres).

Le service de la dette est fixé en fonction de la capacité de paiement de l’économie allemande

Autre élément très important : le service de la dette est fixé en fonction de la capacité de paiement de l’économie allemande, en tenant compte de l’avancée de la reconstruction du pays et de ses revenus d’exportation. Ainsi, la relation entre service de la dette et revenus d’exportations ne doit pas dépasser 5 %. Cela veut dire que l’Allemagne occidentale ne doit pas consacrer plus d’un vingtième de ses revenus d’exportation au paiement de sa dette. Dans la pratique, l’Allemagne ne consacrera jamais plus de 4,2 % de ses revenus d’exportation au paiement de la dette (ce montant est atteint en 1959). De toute façon, dans la mesure où une grande partie des dettes allemandes était remboursée en deutsche marks, la banque centrale allemande pouvait émettre de la monnaie, en d’autres mots : monétiser la dette.

Une mesure exceptionnelle est également décidée : on applique une réduction drastique des taux d’intérêts, qui oscillent entre 0 et 5 %.

L’accord conclu à Londres renvoie à plus tard le règlement des réparations et des dettes de guerre

Une faveur d’une valeur économique énorme est offerte par les puissances occidentales à l’Allemagne de l’Ouest : l’article 5 de l’accord conclu à Londres renvoie à plus tard le règlement des réparations et des dettes de guerre (tant celles de la première que de la deuxième guerre mondiale) que pourraient réclamer à la RFA les pays occupés, annexés ou agressés.

Enfin, il faut prendre en compte les dons en dollars des États-Unis à l’Allemagne occidentale : 1,17 milliard de dollars dans le cadre du Plan Marshall entre le 3 avril 1948 au 30 juin 1952 (soit environ 12,5 milliards de dollars de 2019) auxquels s’ajoutent au moins 200 millions de dollars (environ de 2 milliards de dollars de 2019) entre 1954 et 1961 principalement via l’agence internationale de développement des États-Unis (USAID).

Grâce à ces conditions exceptionnelles, l’Allemagne occidentale se redresse économiquement très rapidement et finit par absorber l’Allemagne de l’Est au début des années 1990. Elle est aujourd’hui de loin l’économie la plus forte d’Europe.

Quelques éléments de comparaison

L’Allemagne est autorisée à ne pas consacrer plus de 5 % de ses revenus d’exportation au paiement de la dette

Le résultat d’une première comparaison entre l’Allemagne occidentale d’après-guerre et les Pays en développement est éclairant. L’Allemagne, bien que meurtrie par la guerre, était économiquement plus forte que la plupart des PED actuels. Pourtant, on lui a concédé en 1953 ce qu’on refuse aux PED.

Part des revenus d’exportation consacrés au remboursement de la dette

L’Allemagne est autorisée à ne pas consacrer plus de 5 % de ses revenus d’exportation au paiement de la dette.

En 2017, les PED ont dû consacrer en moyenne 14 % de leurs revenus d’exportation au paiement de la dette

En 2017, les pays en développement ont dû consacrer en moyenne 14 % de leurs revenus d’exportation au paiement de la dette [7]. Pour les pays d’Amérique latine et de la Caraïbe, ce chiffre a atteint 23,5 % en 2017. Quelques exemples de pays incluant des PED et des économies européennes périphériques : en 2017, ce chiffre atteignait 13 % pour l’Angola, 36 % pour le Brésil, 15 % pour la Bosnie, 21 % pour la Bulgarie, 41,6 % pour la Colombie, 17 % pour la Côte d’Ivoire, 21 % pour l’Ethiopie, 28,6 % pour le Guatemala, 34 % pour l’Indonésie, 70 % pour le Liban, 14 % pour le Mexique, 20 % pour le Nicaragua, 22,8 % pour le Pakistan, 21 % pour le Pérou, 22 % pour la Roumanie et la Serbie, 17 % pour la Tunisie, 40 % pour la Turquie.

Taux d’intérêt sur la dette extérieure

Dans le cas de l’accord de 1953 concernant l’Allemagne, le taux d’intérêt oscille entre 0 et 5 %.

En revanche, dans le cas des PED, les taux d’intérêt ont été beaucoup plus élevés. Une grande majorité des contrats prévoient des taux variables à la hausse.

Pour les PED, une grande majorité des contrats prévoient des taux d’intérêt beaucoup plus élevés et variables à la hausse

Entre 1980 et 2000, pour l’ensemble des PED, le taux d’intérêt moyen a oscillé entre 4,8 et 9,1 % (entre 5,7 et 11,4 % dans le cas de l’Amérique latine et de la Caraïbe et même entre 6,6 et 11,9 % dans le cas du Brésil, entre 1980 et 2004). Ensuite, le taux d’intérêt a été historiquement bas pendant la période 2004 à 2015. Mais la situation a commencé à se dégrader depuis 2016-2017 car le taux d’intérêt croissant fixé par la FED (le taux directeur de la FED est passé de 0,25 % en 2015 à 2,25 % en novembre 2018) et les cadeaux fiscaux faits aux grandes entreprises étatsuniennes par Donald Trump entraînent un rapatriement de capitaux vers les États-Unis. Par ailleurs, les prix des matières premières ont eu une tendance à baisser ce qui diminue les revenus des pays en développement exportateurs de biens primaires et rend plus difficile le remboursement de la dette car celui-ci s’effectue principalement en dollars ou en d’autres monnaies fortes. En 2018, une nouvelle crise de la dette a touché directement des pays comme l’Argentine, le Venezuela, la Turquie, l’Indonésie, le Nigéria, le Mozambique, … De plus en plus de pays en développement doivent accepter des taux d’intérêt supérieurs à 7 %, voire à 10 %, pour pouvoir emprunter en 2019.

Monnaie dans laquelle la dette extérieure est remboursée

L’Allemagne était autorisée à rembourser une partie de sa dette avec sa monnaie nationale.

Aucun pays en développement n’est autorisé à faire de même sauf exception et pour des montants dérisoires. Tous les grands pays endettés doivent réaliser la totalité de leurs remboursements en devises fortes (dollar, euro, yens, franc suisse, livre sterling).

Clause de révision du contrat

Les créanciers ont le droit de réclamer des PED le paiement anticipé des sommes dues dans le futur

Dans le cas de l’Allemagne, l’accord établit la possibilité de suspendre les paiements pour en renégocier les conditions si survient un changement substantiel limitant la disponibilité des ressources.

Dans le cas des contrats de prêts avec les PED, les créanciers imposent qu’il n’y ait pas de clause de ce type. Pire, en cas de difficulté des PED, les créanciers ont le droit de réclamer le paiement anticipé des sommes dues dans le futur.

Politique de substitution d’importation

Dans l’accord sur la dette allemande, il est explicitement prévu que le pays puisse produire sur place ce qu’il importait auparavant.

Par contre, la Banque mondiale, le FMI et les grandes puissances imposent aux PED de renoncer à produire sur place ce qu’ils pourraient importer.

Dons en devises (en cash)

L’Allemagne, pourtant à l’origine de la deuxième guerre mondiale, a bénéficié de dons importants en devises dans le cadre du Plan Marshall et près celui-ci.

Les PED dans leur ensemble, à qui les pays riches ont promis assistance et coopération, reçoivent une aumône sous forme de dons en devises. Alors que collectivement, ils remboursent plus de 500 milliards de dollars par an, ils reçoivent en cash nettement moins que 100 milliards de dollars.

Les créanciers s’attachent à maintenir les PED dans un endettement structurel de manière à en tirer un revenu permanent maximal

Incontestablement, le refus d’accorder aux PED endettés le même type de concessions qu’à l’Allemagne indique que les créanciers n’ont pas pour objectif le désendettement de ces pays. Bien au contraire, ces créanciers s’attachent à maintenir les PED dans un endettement structurel de manière à en tirer un revenu permanent maximal à travers le paiement des intérêts de leur dette, à leur imposer des politiques conformes aux intérêts des prêteurs et à s’assurer de la loyauté de ces pays au sein des institutions internationales.

Allemagne 1953 / Grèce 2010-2019

Si nous risquons une comparaison entre le traitement auquel la Grèce est soumise et celui qui a été réservé à l’Allemagne après la seconde guerre mondiale, les différences et l’injustice sont frappantes. En voici une liste non-exhaustive en 11 points :

1.- Entre 2010 et 2019, la dette en pourcentage du PIB grec n’a cessé d’augmenter, elle est passée d’environ 110 % à 180 %

La Grèce se voit imposer des privatisations au bénéfice des investisseurs étrangers

2.- Les conditions sociales et économiques qui sont assorties à l’intervention de la Troïka depuis 2010 ne favorisent en rien la relance de l’économie grecque alors que l’Allemagne a bénéficié de mesures qui ont contribué largement à relancer son économie. Le produit intérieur brut de la Grèce a chuté d’environ 30 % entre 2010 et 2016 en conséquence des mémorandums qui lui ont été imposés. En comparaison la croissance du PIB de l’Allemagne occidentale a été phénoménale entre 1953 et 1960.

3.- La Grèce se voit imposer des privatisations au bénéfice des investisseurs étrangers principalement alors qu’à l’inverse l’Allemagne était encouragée à renforcer son contrôle sur les secteurs économiques stratégiques, avec un secteur public en pleine croissance et de grandes entreprises privées qui restaient sous le contrôle stratégique du capital allemand.

4.- Les dettes bilatérales de la Grèce (vis-à-vis des pays qui ont participé au plan imposé par la Troïka) n’ont pas été réduites alors que les dettes bilatérales de l’Allemagne (à commencer par celles contractées à l’égard des pays que le Troisième Reich avait agressés, envahis voire annexés) étaient réduites de 60 % ou plus.

5. – La Grèce doit rembourser en euros alors qu’elle est en déficit commercial (donc en manque d’euros) avec ses partenaires européens (notamment l’Allemagne et la France), alors que l’Allemagne remboursait l’essentiel de ses dettes en deutsche marks fortement dévalués.

Le fait de rembourser une partie importante de sa dette en deutsche marks permettait à l’Allemagne de vendre plus facilement ses marchandises à l’étranger. Prenons l’exemple des importantes dettes de l’Allemagne à l’égard de la Belgique et de la France après la seconde guerre mondiale : l’Allemagne était autorisée à les rembourser en deutsche marks. Or que pouvait faire la Belgique et la France avec ces deutsche marks sinon les dépenser en achetant des produits fabriqués en Allemagne, ce qui a contribué à refaire de l’Allemagne une grande puissance exportatrice.

6. – La banque centrale grecque ne peut pas prêter de l’argent au gouvernement grec alors que la Banque centrale allemande (Bundesbank) prêtait aux autorités de l’Allemagne occidentale et faisait fonctionner (certes modérément) la planche à billets.

7. – L’Allemagne était autorisée à ne pas consacrer plus de 5 % de ses revenus d’exportation au paiement de la dette alors qu’aucune limite n’est fixée dans le cas actuel de la Grèce.

Les juridictions du Luxembourg et du Royaume-Uni sont compétentes pour les titres de la dette grecque

8. – Les nouveaux titres de la dette grecque qui remplacent depuis 2012 les anciens dus aux banques ne sont plus de la compétence des tribunaux grecs, ce sont les juridictions du Luxembourg et du Royaume-Uni qui sont compétentes (et on sait combien celles-ci sont favorables aux créanciers privés) alors que les tribunaux de l’Allemagne (cette ancienne puissance agressive et envahissante) étaient compétents.

9. – En matière de remboursement de la dette extérieure, les tribunaux allemands pouvaient refuser d’exécuter des sentences des tribunaux étrangers ou des tribunaux arbitraux au cas où leur application menaçait l’ordre public. En Grèce, la Troïka refuse que des tribunaux puissent invoquer l’ordre public pour suspendre le remboursement de la dette. Or, les énormes protestations sociales et la montée des forces néo-nazies sont directement la conséquence des mesures dictées par la Troïka et par le remboursement de la dette. Pourtant, malgré les protestations de Bruxelles, du FMI et des « marchés financiers » que cela provoquerait, les autorités grecques pourraient parfaitement invoquer l’état de nécessité et l’ordre public pour suspendre le paiement de la dette et abroger les mesures antisociales imposées par la Troïka.

10.- Dans le cas de l’Allemagne, l’accord établit la possibilité de suspendre les paiements pour en renégocier les conditions si survient un changement substantiel limitant la disponibilité des ressources. Rien de tel n’est prévu pour la Grèce.

L’Allemagne a reçu des dons considérables dans le cadre du Plan Marshall.

11. – Dans l’accord sur la dette allemande, il est explicitement prévu que le pays puisse produire sur place ce qu’il importait auparavant afin d’atteindre un superavit commercial et de renforcer ses producteurs locaux. Or la philosophie des accords imposés à la Grèce et les règles de l’Union européenne interdisent aux autorités grecques d’aider, de subventionner et de protéger ses producteurs locaux, que ce soit dans l’agriculture, l’industrie ou les services, face à leurs concurrents des autres pays de l’UE (qui sont les principaux partenaires commerciaux de la Grèce).

On pourrait ajouter que l’Allemagne, après la seconde guerre mondiale, a reçu des dons dans une proportion considérable, notamment, comme on l’a vu plus haut, dans le cadre du Plan Marshall.

Les mensonges concernant l’aide à la Grèce

Hans-Werner Sinn [8], un des économistes influents en Allemagne, conseiller du gouvernement d’Angela Merkel, n’hésitait pas en 2012 à mentir en affirmant : « La Grèce a bénéficié d’une aide extérieure de 460 milliards d’euros au travers de diverses dispositions. L’aide apportée jusqu’ici à la Grèce représente donc l’équivalent de 214 % de son PIB, soit environ dix fois plus que ce dont l’Allemagne a bénéficié grâce au plan Marshall. Berlin a apporté environ un quart de l’aide fournie à la Grèce, soit 115 milliards d’euros, ce qui représente au moins dix plans Marshall ou deux fois et demi un Accord de Londres. » [9]

Tout ce calcul est faux. La Grèce n’a pas du tout reçu un tel montant de financement et ce qu’elle a reçu ne peut pas être sérieusement considéré comme de l’aide, au contraire.

L’Allemagne n’a payé à la Grèce que le soixantième de ce qu’elle lui doit en réparation pour les dévastations de l’occupation

Hans-Werner Sinn met de manière scandaleuse sur le même pied l’Allemagne au sortir de la seconde guerre mondiale que les dirigeants nazis avaient provoquée et la Grèce des années 2000. En outre, il fait l’impasse sur les sommes réclamées à juste titre par la Grèce à l’Allemagne suite aux dommages subis pendant l’occupation nazie [10] ainsi que l’emprunt forcé que l’Allemagne nazie a imposé à la Grèce. Selon la commission du parlement grec qui a travaillé sur ces questions en 2015, la dette de l’Allemagne à l’égard de la Grèce s’élève à plus de 270 milliards d’euros [11]. Comme l’écrit le site A l’encontre sur la base des travaux de Karl Heinz Roth, historien du pillage de l’Europe occupée par l’Allemagne nazie [12] : « L’Allemagne n’a payé à la Grèce que la soixantième partie (soit 1,67 %) de ce qu’elle lui doit comme réparation des dévastations de l’occupation entre 1941 et 1944. ». [13]

1. Les plans d’« aide » à la Grèce ont servi les intérêts des banques privées, pas ceux du peuple grec

Les plans d’« aide » mis en place depuis mai 2010 ont d’abord servi à protéger les intérêts des banques privées des pays les plus forts de la zone euro, principalement les grandes banques allemandes et françaises, qui avaient augmenté énormément leurs prêts tant au secteur privé qu’aux pouvoirs publics grecs au cours des années 2000. Les prêts accordés à la Grèce par la Troïka depuis 2010 ont servi à rembourser les banques privées occidentales et à leur permettre de se dégager en limitant au minimum leurs pertes.

2. Les prêts accordés à la Grèce rapportent de l’argent… hors de Grèce !

Les prêts accordés à la Grèce sous la houlette de la Troïka rapportent des intérêts conséquents aux prêteurs. Les différents pays qui participent à ces prêts ont gagné de l’argent sur le dos du peuple grec. Quand le premier plan de prêt de 110 milliards d’euros a été adopté, Christine Lagarde, alors ministre des finances de la France [14], a fait observer publiquement que la France prêtait à la Grèce à un taux de 5 % alors qu’elle empruntait elle-même à un taux nettement inférieur.

La situation était tellement scandaleuse (un taux élevé a aussi été appliqué à l’Irlande à partir de novembre 2010 et au Portugal à partir du mai 2011) que les gouvernements prêteurs et la Commission européenne ont décidé en juillet 2011 que le taux exigé de la Grèce devait être réduit [15].

Les bénéfices tirés par la France du sauvetage de la Grèce représentent une arnaque à plus de 3 milliards d’euros !Sous les protestations du gouvernement grec et face au profond mécontentement populaire qui s’est exprimé par de fortes mobilisations sociales en Grèce, les pays prêteurs ont fini par décider de ristourner à la Grèce une partie des revenus qu’ils tirent des crédits octroyés à Athènes [16]. Mais il faut préciser que les revenus sont ristournés au compte-gouttes et une partie importante d’entre eux ne seront jamais rendus. Pascal Franchet et Anouk Renaud, du CADTM, ont calculé les bénéfices tirés par la France du soi-disant Sauvetage de la Grèce. Ils considèrent qu’il s’agit d’une arnaque à plus de 3 milliards d’euros !

De mon côté, j’ai dénoncé les profits odieux que fait la BCE sur le dos du peuple grec.

3. La crise de la zone euro a fait baisser le coût de la dette pour l’Allemagne et les autres pays forts

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Les pays qui dominent la zone euro tirent profit du malheur de ceux de la périphérie (Grèce, Portugal, Irlande, Espagne, pays de l’ex bloc de l’Est membres de l’UE). L’aggravation de la crise de la zone euro, due à la politique menée par ses dirigeants et non à cause de phénomènes extérieurs, entraîne un déplacement des capitaux de la Périphérie vers le Centre. L’Allemagne, la France, les Pays-Bas, la Finlande, le Luxembourg, l’Autriche et la Belgique en bénéficient grâce à une réduction très forte du coût du financement de leurs dettes.

Le 1er janvier 2010, avant que n’éclatent la crise grecque et celle de la zone euro, l’Allemagne devait garantir un taux d’intérêt de 3,4 % pour émettre des bons à 10 ans alors que le 23 mai 2012, le taux à 10 ans était passé à 1,4 %. Cela correspond à une diminution de 60 % du coût du financement [17]. Selon le quotidien financier français Les Échos, « un calcul approximatif montre que les économies générées grâce à la baisse des taux du coût de financement depuis 3 ans s’élèvent à 63 milliards d’euros » [18]. Somme à comparer aux 15 milliards (sur 110 répartis entre les différents créanciers) effectivement prêtés (avec intérêt – voir plus haut) par l’Allemagne entre mai 2010 et décembre 2011 à la Grèce dans le cadre de sa contribution au premier plan d’« aide » de la Troïka.

La Grèce permet à l’Allemagne et aux pays forts de la zone euro d’épargner des sommes considérables

Nous avons évoqué les taux à 10 ans et à 6 ans payés par l’Allemagne pour emprunter. Si on prend le taux à 2 ans, l’Allemagne a émis des titres de cette maturité le 23 mai 2012 à un taux d’intérêt nul [19]. Début 2012, l’Allemagne a emprunté à 6 mois la somme de 3,9 milliards d’euros à un taux d’intérêt négatif. A ce propos, Le Soir écrivait le 23 mai 2012 : « les investisseurs vont recevoir au terme de ces six mois un tout petit peu moins (0,0112 %) que ce qu’ils ont prêté » [20].

S’il y avait une once de vérité de vérité dans le flot de mensonges à propos de la Grèce (du Portugal, de l’Espagne…), on pourrait lire que la Grèce permet à l’Allemagne et aux autres pays forts de la zone euro d’épargner des sommes considérables. La liste des avantages tirés par l’Allemagne et les autres pays du Centre doit être complétée par les éléments suivants.

4. Programme de privatisation dont bénéficient les entreprises privées des pays du Centre

Les politiques d’austérité imposées à la Grèce contiennent un vaste programme de privatisations [21] dont les grands groupes économiques, notamment allemands et français, tirent profit car les biens publics sont vendus à des prix bradés.

5. Les sacrifices imposés aux travailleurs permettent de contenir une poussée revendicative dans les pays du Centre

Les reculs sociaux infligés aux travailleurs grecs (mais aussi portugais, irlandais, espagnols…) mettent sur la défensive les travailleurs d’Allemagne, des Pays-Bas, d’Autriche, de France, de Belgique… Leurs directions syndicales craignent de monter au combat. Elles se demandent comment revendiquer des augmentations salariales si dans un pays comme la Grèce, membre de la zone euro, on diminue le salaire minimum légal de 20 % ou plus. Du côté des directions syndicales des pays nordiques (Finlande notamment), on constate même avec consternation qu’elles considèrent qu’il y a du bon dans le TSCG et les politiques d’austérité car ils sont censés renforcer la saine gestion du budget des États.

Un accord du type de celui de Londres de 1953 ne pourra être obtenu que suite à des batailles

En octobre 2014, j’ai été interviewé par un important quotidien grec Le Journal des Rédacteurs concernant l’accord de Londres de 1953. Le journaliste m’a posé la question suivante : « Alexis Tsipras appelle à une conférence internationale pour l’annulation de la dette des pays du Sud de l’Europe touchés par la crise, similaire à celle qui a eu lieu pour l’Allemagne en 1953 et par laquelle 22 pays, dont la Grèce, ont annulé une grande partie de la dette allemande. Est-ce que cette perspective est réaliste aujourd’hui ?  »

Il faut désobéir aux créanciers qui réclament une dette illégitime et imposent des politiques violant les droits humains fondamentaux

Je lui ai donné cette réponse : « C’est une proposition légitime. Il est clair que la Grèce n’a provoqué aucun conflit en Europe, à la différence de l’Allemagne nazie. Les citoyens de Grèce ont un argument très fort pour dire qu’une grande partie de la dette grecque est illégale ou illégitime et doit être supprimée, comme la dette allemande a été annulée en 1953. Je ne pense toutefois pas que SYRIZA et d’autres forces politiques en Europe parviendront à convaincre les institutions de l’UE et les gouvernements des pays les plus puissants à s’asseoir à une table afin de reproduire ce qui a été fait avec la dette allemande en 1953. Il s’agit donc d’une demande légitime (…) mais vous ne pourrez pas convaincre les gouvernements des principales économies européennes et les institutions de l’UE de le faire. Mon conseil est le suivant : la dernière décennie nous a montré qu’on peut arriver à des solutions équitables en appliquant des actes souverains unilatéraux. Il faut désobéir aux créanciers qui réclament le paiement d’une dette illégitime et imposent des politiques qui violent les droits humains fondamentaux, lesquels incluent les droits économiques et sociaux des populations. Je pense que la Grèce a de solides arguments pour agir et pour former un gouvernement qui serait soutenu par les citoyens et qui explorerait les possibilités dans ce sens. Un tel gouvernement populaire et de gauche pourrait organiser un comité d’audit de la dette avec une large participation citoyenne, qui permettrait de déterminer quelle partie de la dette est illégale et odieuse, suspendrait unilatéralement les paiements et répudierait ensuite la dette identifiée comme illégitime, odieuse et/ou illégale. »

Comme on le sait, Alexis Tsipras a choisi de mettre en pratique une autre orientation qui a abouti au désastre.

Conclusion :

Ne nous berçons pas d’illusions, les raisons qui ont poussé les puissances occidentales à traiter l’Allemagne de l’Ouest comme elles l’ont fait après la seconde guerre mondiale ne sont pas de mise dans le cas de la Grèce ou d’autres pays endettés.

La réalisation de processus citoyens d’audit de la dette jouera un rôle décisif dans cette bataille contre la dette et l’austérité

Pour maintenir leur pouvoir de domination à l’égard des pays endettés, ou tout au moins la capacité de leur imposer des politiques conformes aux intérêts des créanciers, les grandes puissances et les institutions financières internationales ne sont pas du tout disposées à annuler leurs dettes et à permettre un véritable développement économique.

Pour obtenir une véritable solution au drame de la dette et de l’austérité, il faudra encore de puissantes mobilisations sociales dans les pays endettés afin que des gouvernements aient le courage d’affronter les créanciers en leur imposant des annulations unilatérales de dettes. La réalisation de processus citoyen d’audit de la dette jouera un rôle positif décisif dans cette bataille.

Notes

[1Deutsche Auslandsschulden, 1951, p. 7 et suivantes, in Philipp Hersel, « El acuerdo de Londres de 1953 (III) », https://www.lainsignia.org/2003/enero/econ_005.htm consulté le 24 février 2019

[3Texte intégral en français de l’Accord de Londres du 27 février 1953 en bas de cette page. Ont signé l’accord le 27 février 1953 : La République fédérale d’Allemagne, les États-Unis d’Amérique, la Belgique, le Canada, Ceylan, le Danemark, l’Espagne, la France, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, la Grèce, l’Irlande, le Liechtenstein, le Luxembourg, la Norvège, le Pakistan, la Suède, la Suisse, l’Union d’Afrique du Sud et la Yougoslavie.

[41 US dollar valait à l’époque 4,2 marks. La dette de l’Allemagne occidentale après réduction (soit 14,5 milliards de marks) équivalait donc à 3,45 milliards de dollars.

[5Les créanciers refusent toujours d’inscrire ce type de clause dans les contrats à l’égard des pays en développement ou des pays comme la Grèce, le Portugal, l’Irlande, l’Europe centrale et orientale…

[6Auslandsschulden, 1951, p. 64 et suivantes in Philip Hersel, El acuerdo de Londres (IV), 8 de enero de 2003, https://www.lainsignia.org/2003/enero/econ_005.htm consulté le 24 février 2019

[8Une biographie utile est publiée par wikipedia en anglais : http://en.wikipedia.org/wiki/Hans-Werner_Sinn

[12Voir note biographique en français : https://fr.wikipedia.org/wiki/Karl_Heinz_Roth et en allemand : http://de.wikipedia.org/wiki/Karl_Heinz_Roth

[13Voir également l’interview que j’ai donnée à l’hebdomadaire Marianne : http://www.cadtm.org/Le-27-fevrier-1953-les-allies

[14Christine Lagarde est devenue directrice générale du FMI en juillet 2011.

[15Voir Council of the European Union, Statement by the Heads of State or Government of the Euro area and EU Institutions, Bruxelles, 21 Juillet 2011, point 3, http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=DOC/11/5&format=HTML&aged=1&language=EN&guiLanguage=de.

[16Voir European Commission, Directorate General Economic and Financial Affairs, “The Second Economic Adjustment Programme for Greece”, Mars 2012, table 18, p. 45, “Interest rates and interest payments charged to Greece” by the euro area Member States”, http://ec.europa.eu/economy_finance/publications/occasional_paper/2012/op94_en.htm

[17Financial Times, “Investors rush for the safety of German Bunds”, 24 Mai 2012, p. 29

[18Les Échos, Isabelle Couet, « L’aide à la Grèce ne coûte rien à l’Allemagne », 21 juin 2012. La journaliste précise : « Les taux à 6 ans –ceux qui correspondent à la maturité moyenne de la dette allemande- sont en effet passés de 2,6 % en 2009 à 0,95 % en 2012. »

[19Le Soir, Dominique Berns et Pierre Henri Thomas, « L’Allemagne se finance à 0 % », 23 mai 2012, p. 21

[20Idem.

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